Candidats et députés issus de minorités visibles aux élections fédérales de 2019
Cinquante personnes issues de minorités visibles ont été élues au Parlement aux élections fédérales du 31 octobre 2019, soit le plus grand nombre jamais élu. Toutefois, ce résultat est quelque peu tempéré par le fait que l’augmentation par rapport à l’élection de 2015 est somme toute modeste et que le déficit de représentation en fonction de la population est à peu près le même qu’aux élections précédentes. En revanche, si l’on braque les projecteurs sur les candidats eux-mêmes, le tableau qui se dessine pour 2019 est un peu plus positif. Les faits montrent que les partis, du moins dans leur dimension locale, continuent de promouvoir les candidatures des minorités visibles. En effet, il se pourrait que les données relatives aux candidats donnent une meilleure idée de l’ouverture du processus électoral face aux minorités qu’un simple dénombrement des députés élus issus de minorités visibles.
On a de multiples raisons de prêter attention aux progrès réalisés par les minorités racialisées ou, dans le langage officiel du gouvernement, les minorités visibles, pour se faire élire au Parlement1. Soulignons pour commencer ce qu’implique leur présence, en tant que députés, pour la représentation des communautés d’immigrants et de minorités. En effet, s’il y a davantage de législateurs issus de minorités, on pourrait s’attendre à une meilleure représentation des minorités, car ces députés, en plus de donner une voix à ces segments de la population, interviennent en leur nom dans les dossiers stratégiques qui les touchent de manière disproportionnée. Cela dit, même si leurs députés ne répondaient pas à leurs attentes, les populations minoritaires peuvent trouver leur compte, d’un point de vue symbolique ou psychologique, à se « sentir » mieux représentées, du fait qu’elles peuvent s’identifier à des législateurs partageant leurs origines. Ainsi, elles ont le sentiment d’être reconnues comme faisant partie d’une société multiculturelle et inclusive. La représentation symbolique est également pertinente pour l’institution du Parlement elle-même, puisque la légitimité qu’elle peut revendiquer est, du moins partiellement, liée à sa capacité de saisir l’hétérogénéité croissante qui caractérise la société canadienne. Enfin, en portant attention à la trajectoire électorale des députés issus de minorités visibles, on peut voir dans quelle mesure ces minorités s’intègrent à la vie politique canadienne. S’il est important d’étudier leur participation aux activités politiques populaires, il est aussi fort utile de comprendre la dynamique de l’engagement politique au niveau de l’élite. S’y intéresser permet de déterminer dans quelle mesure le processus politique est ouvert et accessible aux catégories de Canadiens qui ont été traditionnellement absents ou exclus.
Alors, à quoi ressemblent les chiffres dans la foulée des dernières élections fédérales, tenues le 31 octobre 2019, et comment se comparent-ils aux élections précédentes2? En bref, les chiffres ont encore progressé en 2019, mais pas de façon spectaculaire. Du côté positif, et ce n’est pas négligeable, soulignons que 50 députés3 d’origine minoritaire se sont fait élire, soit 14,8 % de la députation. Ce qui est également remarquable à propos de 2019, c’est qu’il s’agit de la troisième élection consécutive où l’on constate une augmentation de leur nombre. Cette progression constante est une tendance relativement nouvelle : les élections couvrant la période allant de 1993 (année où des députés issus de minorités visibles ont été élus en nombre décelable pour la première fois) jusqu’à la fin de 2008 affichaient plutôt un parcours en dents de scie.
D’autre part, l’augmentation du nombre de députés issus de minorités visibles élus en 2019 par rapport aux deux dernières élections est assez modeste. De 2008 à 2011, leur nombre a considérablement augmenté, passant de 22 à 29, puis faisant un bon à 47 en 20154, soit des équivalents en pourcentage de 7,1, 9,4 et 13,9, respectivement, des sièges à la Chambre des communes. En revanche, les 50 députés élus en 2019 ne constituent qu’une modeste augmentation.
Il faut également faire preuve de modération lorsqu’on juxtapose le résultat de 14,8 %, pour l’élection de 2019, à l’incidence des minorités visibles dans la population en général. En effet, selon le recensement de 2016, les minorités représentaient 22,3 % de la population canadienne, ce qui donne un « ratio de représentation » d’environ deux tiers5. On aurait atteint la pleine représentation – un ratio de 1 – si 75 députés issus de minorités avaient été élus au Parlement. Plus précisément, le ratio des deux tiers est à peu près le même que ce qu’il était dans la foulée de l’élection de 2015, de sorte que le déficit de représentation ainsi mesuré n’a pas beaucoup changé au cours de la période de quatre ans6.
Comme il n’y a pas eu un grand renouvellement des députés élus entre 2015 et 2019, on peut aussi déduire que le changement a été faible entre les deux élections. Sur les 50 députés élus en 2019, 36 ont été réélus à la Chambre. À l’échelle personnelle, les changements se sont produits au gré des victoires et des défaites des partis : une minorité visible remplaçant un député sortant n’appartenant pas à une minorité (trois) et vice versa (deux), et des minorités visibles de différents partis remportant la victoire en 2019 (deux). Une autre partie du renouvellement peut être attribuée aux changements de députés sortants ou de candidats au sein d’un même parti : une minorité visible remplaçant un député sortant n’appartenant pas à une minorité (quatre) et vice versa (deux), et des minorités élues appartenant au même parti (cinq).
Le tableau 1 porte sur l’appartenance aux partis. Il illustre la répartition du nombre de députés issus de minorités visibles selon leur affiliation politique, pour les élections de 2019 et les quatre précédentes. Il est évident que le Parti libéral, avec l’élection de 37 députés de minorités, demeure le parti le plus diversifié. C’était également le cas en 2015 (39 députés). Ces deux succès consécutifs ont inversé une période de déclin qui a culminé en 2011, année où le Parti libéral s’est retrouvé avec seulement deux députés issus de minorités dans son caucus. Le Parti conservateur est resté assez loin derrière en deuxième position avec l’élection de 10 députés issus de minorités en 2019, bien qu’il s’agisse d’une amélioration par rapport à 2015, année où les conservateurs ne comptaient que six députés issus de minorités. Le seul autre parti à avoir fait élire des candidats issus d’une minorité est le Nouveau Parti démocratique (le NPD) : trois d’entre eux ont été élus en 2019, soit un de plus qu’en 2015. Aux élections de 2011, toutefois, c’est le NPD qui a remporté la palme de la diversité, puisque 14 de ses 29 députés étaient issus de minorités. Ce résultat s’explique par le fait que le NPD est passé au rang d’opposition officielle, grâce à la vague spectaculaire de soutien qui a déferlé sur les néo-démocrates vers la fin de la campagne. Si la montée en puissance du NPD peut expliquer l’augmentation du nombre total de députés issus de minorités élus entre 2008 et 2011, on pourrait en dire autant de la victoire du Parti libéral en 2015, car elle a entraîné une progression encore plus marquée de la représentation des minorités. Les sondages, au début de la campagne, laissaient entrevoir une course à trois, mais les libéraux ont pris une avance décisive dans les dernières étapes de la compétition.
Il n’y a pas eu, durant la campagne de 2019, d’essor aussi formidable : le gouvernement minoritaire qui en a résulté est sans doute le reflet de cette stagnation électorale. La plupart des sondages ont estimé que les conservateurs et les libéraux avaient commencé à se faire concurrence à six mois des élections, chacun d’eux recueillant environ un tiers des voix prévues; la tendance s’est essentiellement maintenue pendant la campagne et a plus ou moins caractérisé le vote final. Le NPD est resté à la traîne, avec un niveau de soutien qui est demeuré assez horizontal tout au long de la période. Exceptionnellement, le Bloc québécois (le Bloc) a nettement amélioré sa position au cours de la campagne; l’augmentation de son soutien au cours des trois dernières semaines s’étant finalement traduite par un retour décisif du parti sur la scène législative. Cependant, ce progrès n’a pu avoir beaucoup d’impact sur le nombre global de députés issus de minorités visibles, puisque le parti n’a eu que très peu de candidats issus de minorités et (comme nous le verrons) l’élection de 2019 n’a pas fait exception.
Candidats issus de minorités visibles
Cette référence aux candidats soulève un point évident, mais non moins important de ce fait, à savoir la nécessité de tenir compte des équipes des candidats pour arriver à comprendre le lien entre la réussite (ou l’échec) des partis et leur nombre de députés issus de minorités visibles. Après tout, si le NPD a pu faire croître la représentation des minorités en 2011, c’est principalement parce qu’il a fait une promotion dynamique de nombreux candidats issus de minorités (dans des circonscriptions où l’on ne s’attendait pas à une victoire du NPD). De même, en 2015, l’impact relativement plus grand sur le nombre de députés issus de minorités lié au succès des libéraux découlait des efforts accrus du parti, certainement par rapport à 2011, pour recruter des candidats issus de minorités. Pour autant, cela ne veut pas dire que les deux autres partis nationaux laissaient à désirer. En effet, les deux partis (comme on le verra) ont intensifié leurs efforts de promotion en 2011. Il semble très plausible qu’une concurrence accrue entre les partis pour gagner le vote des minorités soit au moins en partie responsable de la progression marquée des candidatures de minorités visibles entre 2011 et 2015.
En retour, cela rend la prise en compte de l’élection de 2019 d’autant plus convaincante. Les efforts des partis se sont-ils encore intensifiés, comme pourrait le suggérer l’accent mis sur la « concurrence »? Il est certain que les incitatifs n’ont fait que croître. Selon le recensement de 2016, pas moins de 41 circonscriptions fédérales se composaient de populations où les minorités visibles étaient majoritaires (contre 33 en 2011) et, plus généralement, environ 20 % de toutes les circonscriptions comptaient des minorités représentant au moins un tiers de leur population. Les équipes des candidats méritent également qu’on leur prête attention, car elles pourraient sans doute mieux expliquer le degré d’ouverture du processus électoral face aux minorités, par rapport à un comptage après coup du nombre total de députés élus issus de minorités visibles. Après tout, la plupart des électeurs canadiens ne font pas de discrimination à l’égard des candidats issus de minorités. En fin de compte, le nombre de candidats élus dépendra surtout de la façon dont les forces électorales de la campagne en général, qui sont fluctuantes et souvent imprévisibles, se comporteront aux niveaux régional et national. Le nombre de députés élus peut fluctuer un peu, mais il n’est pas fortement lié au fait qu’un candidat soit ou non membre d’une minorité visible. Le nombre final de députés est dans une large mesure tributaire d’autres facteurs, notamment, comme nous l’avons indiqué plus haut, du succès ou de l’échec inattendu d’un parti ayant plus ou moins de candidats issus de minorités. D’autre part, avant l’émission du bref électoral, les partis (sous leur forme locale) peuvent exercer un contrôle plus direct sur le premier résultat important qui les préoccupe, à savoir les personnes qu’ils choisissent comme candidats. Leurs efforts de promotion peuvent en dire beaucoup sur l’ouverture du processus politique et sur l’accès accordé aux aspirants députés issus de minorités.
Le tableau 2 présente des renseignements clés sur les candidats. À titre de contexte, la première colonne montre que pour les trois élections tenues entre 2004 et 2008, les pourcentages globaux de candidats de minorités visibles portant la bannière des quatre plus grands partis, le Bloc québécois, le Parti conservateur, le Parti libéral et le Nouveau Parti démocratique, se situaient autour de 9 ou 10 points. On voit donc qu’à 9,7 %, ce pourcentage n’a guère bougé en 2011. Cependant, l’élection de 2015 a vu une augmentation considérable, d’environ quatre points, pour atteindre 13,9 %. Il est important de noter que l’élection de 2019 a vu une augmentation notable des candidats issus de minorités, ceux-ci représentant un pourcentage record de 18,2 % de l’ensemble des candidats des quatre partis. Une fois de plus, le Bloc, avec 5,2 %, est le parti ayant le moins de candidats issus de minorités. En fait, si l’on ne tient pas compte du Bloc, le pourcentage parmi les trois partis restants passe à 19,2 ٪; autrement dit, près d’un candidat sur cinq s’étant présenté en 2019 pour les grands partis à vocation pancanadienne est issu d’une minorité. Par souci d’exhaustivité, on peut noter que les minorités représentaient 11,6 % des candidats des Verts et 16,3 % des candidats du Parti populaire. En ce qui concerne les trois partis nationaux pris individuellement, toujours dans le tableau 2, les chiffres des trois colonnes suivantes montrent clairement que la tendance contemporaine à nommer de plus en plus de candidats issus de minorités se confirme pour chacun d’entre eux, même s’il existe des variations entre les partis. Dans le cas du Parti conservateur, la part des candidats issus de minorités dans ses rangs est passée de 10,1 à 14,2 %, puis à 16,6 % au cours de la période 2011-2019. L’expérience des libéraux est encore plus frappante, puisque leur part de candidats issus de minorités est passée de 9,1 à 16,9 % en 2015, puis à 18,6 % en 2019. Contrairement aux libéraux, la plus forte augmentation pour le NPD a eu lieu entre les élections de 2015 et 2019. En fait, en 2019, le NPD dépassait tous les partis et comptait le plus grand nombre de candidats issus de minorités, soit 22,4 % de l’ensemble de ses candidats. Cela représente une forte augmentation de neuf points de pourcentage par rapport à 2015.
Nouveaux candidats issus de minorités visibles
Ces tendances cadrent avec l’hypothèse voyant un lien entre la promotion des candidatures des minorités visibles et la recherche de votes, en réponse à l’importance électorale croissante des communautés minoritaires dans les villes où la concurrence est vive. Cette hypothèse se confirme d’autant plus lorsqu’on analyse le sous-groupe des candidats qui se présentent pour la première fois. Le fait de s’attarder aux nouveaux candidats a l’avantage, comme l’auteur l’a souligné à plusieurs reprises dans des articles précédents de la Revue7, de nous montrer dans quelle mesure les partis ont respecté la promesse qu’ils ont faite, à l’approche des élections, de promouvoir les minorités visibles. Ainsi, le résultat est net de tous les efforts qui ont pu ou non être faits lors des élections précédentes. De même, le fait d’exclure les candidats qui n’en sont pas à leurs premières armes neutralise les effets liés à la tendance des candidats précédents à se faire nommer de nouveau.
Il s’avère que les trois grands partis nationaux ont bel et bien pris des mesures pour ajouter de nouvelles minorités visibles à leur liste de candidats pour l’élection de 2019. Comme nous l’avons déjà mentionné, les minorités représentaient 19,2 % de l’ensemble des candidats de ces partis, mais elles représentaient 21,5 % de leurs nouveaux candidats, soit un pourcentage encore plus élevé. La partie inférieure du tableau 2 révèle qu’une fois de plus, cela est vrai pour chacun des trois partis et indique en outre que la progression des candidatures des minorités a constamment augmenté au cours des dernières élections. Au Parti conservateur, les minorités représentaient 13,4 % de ses nouveaux candidats en 2011, 18 % en 2015 et 19,7 % en 2019. Pour les libéraux, la séquence de pourcentages correspondante fait un bond de 9,1 ٪ à 17,5 ٪ puis à 18,4 ٪. Dans le cas du NPD, les minorités représentaient 12 % de l’ensemble des nouveaux candidats du parti en 2011, 14,3 % en 2015 et 24,6 % en 2019, (encore) le plus fort pourcentage.
Nouveaux candidats de minorités visibles et circonscriptions favorables
L’idée que les partis font davantage pour promouvoir les candidatures de minorités visibles est également évidente lorsqu’on tient compte de la nomination de candidats dans des circonscriptions que le parti a des chances de gagner ou qui sont favorables. C’est une chose pour un parti de promouvoir les candidatures de minorités dans des circonscriptions aux perspectives électorales sombres; c’en est une autre de leur faire porter la bannière du parti dans des circonscriptions où ils ont une certaine chance de victoire (même s’il reste vrai que le parti entreprend cet exercice avec plus ou moins d’incertitude). À tout le moins, on pourrait s’attendre à voir une promotion égale ou presque égale des candidats appartenant à une minorité et des candidats n’appartenant pas à une minorité. Pour analyser la question sous cet angle, on a réparti les circonscriptions électorales fédérales entre celles qui, du point de vue de chaque parti, pouvaient être considérées comme relativement non favorables en fonction de ses performances en 2015. En particulier, on a estimé que les circonscriptions non favorables étaient celles où le parti avait perdu par une marge de 11 % ou plus; les circonscriptions jugées favorables sont celles où le parti a soit remporté la victoire en 2015, soit perdu par une marge de 10 points ou moins. Les résultats combinés des trois partis et de leurs nouveaux candidats indiquent que les partis étaient plus susceptibles de promouvoir des candidats non issus de minorités par rapport à leurs homologues des minorités dans les circonscriptions favorables, mais seulement par une légère marge de 28 contre 25 %. Cela représente en fait un renversement de situation par rapport à 2015, année où les trois partis avaient donné l’avantage à leurs nouveaux candidats issus de minorités (33 contre 26 %). Mais ce ne sont pas tous les partis qui ont davantage misé sur des candidats non issus de minorités visibles en 2019. Le tableau 3 met en lumière les résultats de chaque parti et divise à nouveau en deux la catégorie des circonscriptions favorables selon qu’un député sortant briguait de nouveau les suffrages ou non. Ce tableau est basé sur la supposition selon laquelle une circonscription vacante serait plus appréciée. Si l’on examine les résultats des colonnes dans la section des candidats des minorités visibles uniquement, il est tout à fait évident que ce sont les libéraux qui ont fait le plus pour promouvoir les nouveaux candidats des minorités. En effet, plus de la moitié d’entre eux (57 %) ont été nommés dans des circonscriptions favorables, le plus grand sous-groupe se trouvant dans des circonscriptions vacantes (33 %). À titre de comparaison, les conservateurs et le NPD affichent respectivement des pourcentages de 20 et 16 % dans l’ensemble des circonscriptions favorables; dans la sous-catégorie des sièges vacants, les pourcentages ne sont que de 9 % pour les conservateurs et de 4 % pour le NPD. Néanmoins, l’avantage des libéraux n’est peut-être pas tout à fait inattendu, étant donné que le parti comptait beaucoup plus de circonscriptions potentiellement gagnables à l’approche des élections de 2019, grâce à sa victoire écrasante de 2015. Ce qui compte vraiment, c’est ce que les partis ont fait avec les cartes qu’on leur a distribuées, ce qui nous amène maintenant aux comparaisons à l’intérieur des partis.
Les conservateurs sont ceux qui ont le moins fait la promotion de leurs candidats issus de minorités visibles. En effet, parmi leurs recrues, ils ont choisi plus de candidats non issus de minorités visibles que l’inverse dans les circonscriptions favorables (30 contre 20 %). En revanche, dans les circonscriptions où aucun candidat ne briguait de nouveau les suffrages, les niveaux sont les mêmes (9 %). Pour sa part, le classement du NPD dans les deux catégories était semblable : un candidat sur sept, toutes origines confondues, a été sélectionné dans les circonscriptions favorables (et 4 %, toutes origines confondues, dans des circonscriptions vacantes). Quant aux libéraux, l’analyse interne du parti ne fait que confirmer qu’il est celui qui a, de loin, le plus soutenu la cause des candidatures de minorités. Ils en ont nommé un plus grand nombre dans les circonscriptions favorables par une marge de 10 points (57 contre 47 %) et en ont recruté beaucoup plus fréquemment dans les circonscriptions vacantes plus attrayantes. En effet, un nouveau candidat minoritaire sur trois briguait un siège dans ces circonscriptions potentiellement les plus avantageuses, alors que c’était le cas pour seulement 17 % des candidats recrues non issus d’une minorité. Bien qu’il y ait des différences non négligeables d’un parti à l’autre, au bout du compte, il semble que les partis aient été au moins justes, et parfois plus que justes, dans leur placement de candidats issus de minorités visibles. Encore une fois, cela semble montrer que les associations locales des partis faisaient la promotion des candidatures de minorités en 2019, comme ils l’ont fait en 2015.
Diversité dans les circonscriptions
L’une des façons constantes dont la diversité raciale se manifeste dans la politique électorale contemporaine au Canada est une très forte prédilection des partis à concentrer leurs candidats issus de minorités visibles dans des circonscriptions où vivent d’importantes populations de minorités. Cette relation peut s’expliquer d’un point de vue « ascendant » : les candidats des minorités sont plus susceptibles de briguer les suffrages dans des circonscriptions où la population est diversifiée, car ils peuvent compter sur les ressources et les réseaux de soutien qu’ils trouvent dans leurs communautés de minorités croissantes et de plus en plus établies. D’un autre côté, on peut aussi analyser le lien positif entre diversité dans les circonscriptions et diversité parmi les candidats d’un point de vue « descendant », c’est-à-dire en l’attribuant à la concurrence entre les partis pour obtenir le vote des minorités. Là encore, on présume que les partis tendent à désigner des candidats issus de minorités visibles afin de remporter les circonscriptions urbaines les plus disputées. En réalité, les deux motivations interagissent l’une avec l’autre, mais il semble que le premier point de vue n’exclue pas complètement le second. Un auteur, par exemple, constate que la diversité dans les circonscriptions, d’une part, et la présence de présidents d’associations locales issus de minorités visibles (vus comme des gardes-barrières habilitateurs), d’autre part, ont des effets indépendants. Les deux phénomènes contribuent à leur manière à l’émergence d’un plus grand nombre de minorités dans les luttes pour l’investiture8. Cela donne au moins à penser que la concurrence joue aussi un rôle dans la concentration de candidats des minorités dans les circonscriptions hétérogènes.
La preuve du lien lui-même est au moins aussi forte en 2019 qu’elle l’a été lors des élections précédentes et, dans certains cas, plus forte. Les candidats de minorités visibles nouvellement recrutés par les conservateurs se sont présentés dans des circonscriptions où la population se composait à 53 % de minorités, contre 15 % pour les circonscriptions où les candidats n’appartenaient pas à des minorités. Cet écart est légèrement plus large qu’en 2015 (47 contre 12 %, respectivement). Pour les libéraux, l’écart de 2019 est nettement plus large qu’en 2015; lors de l’élection précédente, leurs candidats issus de minorités se sont présentés dans des circonscriptions où la population se composait à 27 % de minorités visibles, contre 12 % pour les circonscriptions où les candidats n’appartenaient pas à une minorité. En 2019, l’écart est nettement plus important : 39 contre 12 ٪. En ce qui concerne le NPD, l’écart est resté à peu près le même en 2019 qu’en 2015, mais il représente toujours un écart important : 39 contre 16 % en 2019 et 35 contre 12 % en 2015. Enfin, on observe que le schéma de concentration en 2019 est valable pour tous les partis, y compris le Bloc québécois et le Parti populaire9.
En résumé
Notre analyse de la façon dont les minorités visibles ont réussi à se faire élire au Parlement en 2019 révèle un tableau mitigé. D’une part, les 50 députés élus issus de minorités, qui représentent 14,8 % de l’ensemble de la députation, ont établi un record de réussite en termes absolus et relatifs. D’autre part, cela représente une faible augmentation de seulement trois députés par rapport au nombre de députés élus en 2015. De plus, en comparant les chiffres de 2019 avec la population des minorités visibles en général, on obtient un taux de représentation qui n’indique aucun progrès supplémentaire par rapport à ce qui avait été réalisé lors de l’élection précédente.
Toutefois, on obtient une image plus positive lorsque l’on tient compte des informations sur les candidats. En effet, si les résultats des députés élus issus de minorités visibles, de façon absolue, semblent n’impliquer qu’un modeste effort de la part des partis pour promouvoir les minorités, l’information sur les candidats révèle un effort plus prononcé et soutenu. Dans l’ensemble, les partis, et en particulier les trois partis d’orientation nationale les plus performants sur le plan électoral, ont nettement renforcé les progrès qu’ils avaient déjà réalisés en 2015. Ils ont choisi encore plus de candidats issus de minorités en 2019 et il en va de même pour le groupe clé des nouveaux candidats. Les libéraux arrivent en tête de liste pour ce qui est de promouvoir de nouveaux candidats issus de minorités dans des circonscriptions favorables sur le plan électoral. Pour leur part, les deux autres partis ont été plus ou moins impartiaux dans le placement des candidats, les conservateurs un peu moins.
Ces tendances, ainsi que la forte concentration de candidats issus de minorités visibles dans les circonscriptions où la population est diversifiée, suggèrent que la rivalité pour le vote des minorités dans les principaux centres urbains continue d’inciter les partis à accorder plus d’espace aux candidatures des minorités. L’accent mis sur les candidats suggère également un correctif possible à toute conclusion que l’on pourrait tirer au sujet de la diversité et de l’ouverture du processus politique en se basant uniquement sur le nombre de députés. En tenant compte des candidatures, on obtient un tableau plutôt optimiste quant à l’accès des minorités à des points d’entrée potentiels dans leur aspiration à rejoindre l’élite législative. Là où les partis, organisés dans leurs circonscriptions électorales locales, ont davantage leur mot à dire, l’accueil fait aux candidats des minorités visibles s’est avéré quelque peu plus progressiste.
Notes
- Le terme « officiel » « minorités visibles » est employé ici, de même que le raccourci « minorités » pour éviter les répétitions.
- L’information rapportée ici provient d’un ensemble général de données compilées par Andrew Griffith, du Hill Times, du Centre Samara pour la démocratie et de moi-même. Parmi les sources employées pour déterminer les origines raciales, notons les photos officielles des partis, les articles de journaux, les médias sociaux et les noms de famille, et en particulier l’analyse des photos.
- Cela comprend une personne d’origine argentine et une d’origine chilienne. Cela constitue un changement de catégorie. La première étude de l’auteur sur les députés issus de minorités visibles portait sur l’élection de 1993 et suivait l’approche de Statistique Canada (aux recensements de 1986 et 1991), qui excluait ces origines de la catégorie latino-américaine; par souci d’uniformité, nous avons suivi cette approche pour les élections subséquentes jusqu’en 2015. Toutefois, la plupart des étudiants en sciences politiques et en diversité au Canada englobent maintenant ces deux origines, ce que nous avons fait dans la présente analyse. L’effet est relativement mineur. Cela ajoute un seul député au nombre de députés issus de minorités visibles pour chaque élection analysée ici (voir le tableau 1).
- Cela comprend un député de plus que l’on avait catégorisé par erreur comme n’étant pas d’une minorité visible dans l’analyse de l’élection de 2015.
- En tenant compte uniquement des citoyens issus de minorités visibles dénombrés dans le recensement de 2016 (17,2 %), on obtient naturellement une différence plus étroite et optimiste entre députés et population. Ce groupe de référence pourrait se justifier du fait que seuls les citoyens peuvent devenir candidats (et se faire élire), et que c’est donc cette population qui constitue le véritable bassin de recrutement. (Conversation avec Andrew Griffith.) L’approche ici privilégiée, plus générale et couvrant l’ensemble de la population, met l’accent, notamment, sur le fait que les députés représentent aussi les non-citoyens. Les non-citoyens peuvent aussi éprouver une satisfaction symbolique à voir un confrère de leur communauté entrer dans l’élite politique et tirer un réel avantage de la forte représentation que pourrait leur offrir un législateur issu de leur communauté dans les dossiers qui les touchent particulièrement.
- Nous n’en tenons pas compte ici, mais il faut mentionner que la différence est très inégale au sein des groupes mixtes, ce qui constitue une question importante en soi. Les personnes originaires de l’Asie du Sud sont surreprésentées parmi les députés, mais la plupart des catégories sous sous-représentées à divers degrés, comme les Noirs, qui le sont peu, ou les Philippins, qui ne le sont pas du tout.
- Par exemple, Jerome H. Black, « Les élections fédérales de 2015 : davantage de candidats et de députés issus de minorités visibles », Revue parlementaire canadienne, vol. 40, no 1, 2017, p. 16 à 23.
- Erin Tolley, « Who you know: Local party presidents and minority candidate emergence », Electoral Studies, vol. 58, avril 2019, p. 70 à 79.
- Les candidats du Bloc québécois n’étant pas issus de minorités visibles se présentaient dans des circonscriptions où la population était composée à environ 12 % de minorités, tandis que ses candidats issus de minorités visibles – que le Bloc a admis être peu nombreux – se présentaient dans des circonscriptions composées à 24 % de minorités. Soulignons que l’écart est bien plus vaste chez les conservateurs : une population composée en moyenne de 18 % de minorités dans les circonscriptions où se sont présentés leurs candidats non issus de minorités contre 42 % en moyenne dans les circonscriptions où se sont présentés leurs candidats issus de minorités. La tendance chez les Verts révèle aussi un écart considérable_: une population composée à 20 % de minorités visibles contre 37 %.