Façonner le comportement : Comment l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique influence la politique et comment les députés veulent la transformer

Article 3 / 10 , 44 No. 4 (Hiver)

Façonner le comportement :
Comment l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique influence la politique et comment les députés veulent la transformer

Les occasions de revoir la conception des assemblées législatives se présentent rarement, mais une pandémie mondiale et la révision prochaine des délimitations des circonscriptions électorales vont permettre que cela arrive à l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique. Dans cet article, les auteures se servent des résultats d’un sondage mené auprès des députés de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique et d’entrevues avec des députés représentant chacun des partis pour déterminer si les parlementaires sont favorables à des changements à la chambre. Elles leur posent les questions suivantes : Si de nouveaux sièges devaient être ajoutés et que la chambre devait être réaménagée en conséquence, les députés de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique accepteraient-ils d’avoir des bancs ou préféreraient ils que l’on garde des bureaux et des sièges individuels? Dans une perspective plus large, y a-t-il une volonté d’opter pour une disposition circulaire ou aléatoire des sièges, ou pour la poursuite de la participation virtuelle aux travaux? Quelle serait l’incidence de ces changements d’aménagement sur la culture et le comportement politiques en Colombie-Britannique? Les auteures concluent en disant que la disposition actuelle des sièges (avec les bureaux se faisant face séparés par deux longueurs d’épée) a été choisie à une époque où la composition de l’Assemblée législative était très différente de ce qu’elle est aujourd’hui, et qu’il serait peut-être temps de se demander si une disposition plus moderne serait plus appropriée pour les parlementaires.

Rachel McMillan et Abby Koning

« Nous façonnons nos bâtiments, puis ce sont eux qui nous façonnent. »

Winston Churchill

Introduction

Charles T. Goodsell a été l’un des premiers à affirmer que l’aménagement des assemblées législatives devrait intéresser non seulement les architectes, mais aussi les politologues1. Les lieux où s’exerce le pouvoir politique perpétuent le passé, soutient-il, en « [incarnant] des concepts culturels profondément enracinés, tant dans la forme que dans le fond2 ». De plus, les assemblées législatives déterminent l’avenir en façonnant la pensée et le comportement des acteurs qui s’y trouvent « de façon préliminaire, subtile et interactive3 ». Finalement, elles témoignent du présent en montrant les « valeurs et les idées dominant la vie politique à l’époque de la construction, de la transformation, de la remise en état ou du réaménagement d’un édifice4 ». Cette dernière fonction de l’architecture parlementaire revêt une importance particulière pour notre discussion.

Les occasions de revoir la conception des assemblées législatives se présentent rarement, mais une pandémie mondiale et la révision prochaine des délimitations des circonscriptions électorales vont permettre que cela arrive à l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique. Si de nouveaux sièges devaient être ajoutés et que la chambre devait être réaménagée en conséquence, les députés de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique accepteraient-ils d’avoir des bancs ou préféreraientils que l’on garde des bureaux et des sièges individuels? Dans une perspective plus large, y a-t-il une volonté d’opter pour une disposition circulaire ou aléatoire des sièges, ou pour la poursuite de la participation virtuelle aux travaux? Quelle serait l’incidence de ces changements d’aménagement sur la culture et le comportement politiques en Colombie-Britannique?

Afin de répondre à ces questions, nous avons fait parvenir un sondage aux 87 députés siégeant à l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique. Celui-ci comprend des échelles d’évaluation de la satisfaction et des questions ouvertes pour connaître le point de vue des députés sur les caractéristiques d’aménagement actuelles et possibles de l’Assemblée législative. Le sondage était entièrement anonyme, ce qui signifie qu’aucun renseignement permettant d’identifier les répondants n’a été recueilli. Au total, 47 députés ont répondu, ce qui représente un taux de réponse de ٥٤ ٪. Pour compléter le sondage, nous avons mené des entrevues approfondies avec quatre députés, dont au moins un de chacun des partis politiques représentés. Ces entrevues ont été réalisées de manière semi-structurée, avec des questions ouvertes, tout en garantissant la confidentialité. Dans le sillage des travaux de M. Goodsell, qui font office de référence en la matière, nous avons découvert que l’aménagement d’une assemblée législative présente un intérêt certain pour les architectes, pour les politologues et pour les élus.

« La réponse réside dans les bancs… »

Précisément le jour où le gouvernement a présenté l’Electoral Boundaries Commission Amendment Act, 2021, une mesure visant à créer jusqu’à six nouveaux sièges à l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique, on a demandé au leader parlementaire du gouvernement, Mike Farnworth, si l’Assemblée pouvait contenir six sièges supplémentaires dans un espace de 12 mètres par 18 et, si oui, de quelle manière. Après avoir souri au journaliste en le remerciant « d’avoir fait [sa] journée », l’autoproclamé « geek parlementaire » a répondu : « Absolument, et c’est grâce aux bancs qu’on y arrivera… Les bancs sont la réponse aux problèmes d’espace. »

Notre sondage indique toutefois que la plupart des députés ne partagent pas le même enthousiasme que le leader parlementaire à l’égard d’un nouveau mobilier. Un grand nombre d’entre eux ont critiqué certains aspects des bureaux et des sièges actuels – comme le manque de prises électriques et les accoudoirs dans lesquels se prennent les vêtements –, ainsi que leur taille générale, trop grande ou trop petite. Cependant, près de la moitié des répondants ont indiqué qu’ils étaient satisfaits ou très satisfaits des bureaux et des sièges individuels. D’ailleurs, lorsqu’on leur a demandé ce qu’ils penseraient si on devait ajouter des bancs plutôt que des sièges dans la chambre, près de la moitié ont dit qu’ils seraient très insatisfaits de ce changement.

L’empreinte physique, le coût et la valeur historique sont tous des facteurs à prendre en compte au moment de choisir du mobilier pour l’Assemblée législative, mais ce mobilier doit aussi être évalué en fonction de son effet sur la culture et sur le comportement politiques. Par exemple, M. Goodsell a constaté que « la nature des meubles fournis aux députés peut avoir des répercussions sur leur statut en tant que législateurs5 ». Selon lui, le plus haut statut « est conféré par les bureaux et les sièges individuels, clairement séparés les uns des autres6 ». De cette façon, il est possible de voir comment le public pourrait percevoir les législateurs possédant des bureaux séparés, c’est-à-dire comme des représentants uniques, tant par leurs votes que par leur voix, plutôt que comme des éléments indifférenciés d’un ensemble. De même, les bureaux individuels pourraient encourager les députés à penser qu’ils jouissent d’une plus grande autonomie ou autorité tout en suivant la ligne de parti.

Avec leurs tiroirs, leurs étagères et leur grande surface de travail, les bureaux individuels montrent que la chambre est à la fois un lieu de travail et de débat. Ainsi, les spectateurs se trouvant dans les tribunes verront souvent des députés consulter des documents, écrire des notes ou répondre à des courriels sur fond de période des questions et d’examen du budget des dépenses. Pour le meilleur ou pour le pire, cet arrangement ne favorise pas l’écoute active et envoie comme message au public et aux législateurs que leur attention n’est pas nécessairement requise lors des séances.

Enfin, les bureaux individuels sont devenus à la fois un outil de protection et de tapage à l’Assemblée. Les meubles massifs offrent une certaine « protection psychologique » à ceux qui prennent la parole, ce qui – dans un environnement comme celui de l’Assemblée – pourrait encourager certains comportements non parlementaires comme le chahut7. Si les députés étaient plus « exposés » aux regards de leurs collègues d’en face, il se pourrait que cette vulnérabilité accrue les incite à plus de retenue. Or, actuellement, les députés utilisent les bureaux individuels pour appuyer ou chahuter leurs collègues. Selon un député, les tapes sur les bureaux sont « l’aspect le moins plaisant de la période des questions », une pratique « violente » qui dit « je traite ce bureau comme j’aimerais te traiter ». Que cette intention soit réelle ou non, on pourrait s’interroger sur la sécurité en milieu de travail si marteler les bureaux avec son poing devient une pratique courante.

« Un mélange de collaboration et de confrontation… »

Bien que les sièges sur lesquels les députés s’assoient puissent être différents, leur disposition, à l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique, ressemble à celle que l’on voit au Parlement de Westminster. Le parti au pouvoir et les partis d’opposition sont placés dans un grand rectangle, séparés par une allée, mais se faisant face. Le fauteuil du Président et le Bureau sont au centre au bout de la chambre. Lorsqu’interrogés sur leur satisfaction à l’égard de cet élément de la chambre, les députés étaient largement partagés. Par contre, lorsqu’on leur a demandé ce qu’ils penseraient d’un plan de salle modifié, la majorité des députés ont indiqué qu’ils seraient satisfaits ou très satisfaits d’un tel changement.

Dans leur lexique intitulé Parliament, les architectes Max Cohen de Lara et David Mulder Van der Vegt ont classé la disposition des sièges dans les parlements des 193 États membres des Nations Unies en cinq catégories : bancs opposés, en fer à cheval, en cercle, en demi-cercle et en salle de classe8. Actuellement, la chambre de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique entre dans la catégorie des bancs opposés. Toutefois, lorsqu’on a demandé aux députés quelle disposition ils préféraient, parmi les cinq proposées, celle du fer à cheval était la plus populaire9. Une partie des réponses semblait accorder de l’importance à la disposition des sièges par rapport à l’aménagement actuel de la chambre. Par exemple, des répondants ont indiqué qu’une assemblée disposée en forme de fer à cheval « maintiendrait une certaine responsabilité pour ceux du gouvernement et de l’opposition qui occupent les premières banquettes » ainsi qu’une « autorité centrale ». En revanche, un deuxième groupe voyait dans la disposition en fer la possibilité d’avoir ce que les bancs opposés ne peuvent pas faire, c’est-à-dire une « disposition faisant abstraction de la hiérarchie », « et plus unifiée », ainsi qu’un environnement « moins propice à la confrontation ». Un troisième groupe a carrément dit que la forme du fer à cheval offrait un équilibre parfait, c’est-à-dire un bon « compromis entre la collaboration et la confrontation ».

La disposition des sièges dans une assemblée législative est probablement l’élément de l’aménagement le plus étudié en raison de son incidence sur la culture et le comportement politiques. De nombreux architectes parlementaires ont évoqué leur intention de favoriser certains comportements à travers la disposition des sièges, et ce qui vient d’être dit ici reflète bien ce discours. On considère que les bancs opposés ont pour effet de renforcer la discipline de parti et de favoriser un climat de confrontation entre le gouvernement et l’opposition. À la suite des bombardements de Westminster en 1941, Winston Churchill avait insisté pour que l’on remette des bancs opposés pour ces mêmes raisons10. De même, lors de la conception de l’édifice du Parlement malaisien, en 1965, l’architecte anglais Ivor Shipley croyait fermement que « le système bipartite en place devait être clairement exprimé en termes architecturaux », et que la disposition en fer à cheval utilisée auparavant en Malaisie « devait être abandonnée11 ». Un député de la Colombie-Britannique a souligné que la disposition en bancs opposés « donnait l’impression qu’il n’y a pas de collaboration », alors qu’un autre a noté qu’elle « mettait souvent l’hostilité devant la nécessité de coopérer ».

À l’inverse, les dispositions de sièges comme celles en fer à cheval ou en cercle sont censées favoriser le consensus. Dans les Territoires du Nord-Ouest, la forme circulaire de la salle du caucus et de l’enceinte de la Chambre ont été conçues de façon à « faciliter la recherche du consensus, la collaboration et la mise en commun des efforts d’un collectif dirigé par une minorité » et à s’inspirer de « la façon dont les groupes autochtones prennent des décisions au sein de leurs collectivités12 ». Ce modèle joue probablement un rôle important lors des débats, où « le tir peut être corrigé plus fréquemment » que dans d’autres assemblées législatives partisanes13. Comme l’ont indiqué de nombreux députés, ce n’est pas une coïncidence si le Centre pour le dialogue Morris J. Wosk de l’Université Simon Fraser – le seul établissement au Canada ayant pour but de créer des liens et de favoriser le dialogue – a recours à une disposition circulaire. Un député a indiqué que l’utilité de ces aménagements en cercle peut désormais être observée dans les écoles : « À mesure que nous en avons appris davantage sur les façons d’aider les enfants à réussir et à coopérer, les rangées de pupitres ont rapidement été modifiées pour former des cercles ou un U afin qu’il n’y ait aucun enfant à l’avant et à l’arrière. Il n’y avait donc pas de hiérarchie apparente. » Bien que les murs de marbre rectangulaires de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique compliquent la disposition des sièges en cercle, d’autres instances ont évité le problème en changeant le point de mire de la salle. Par exemple, le Conseil national des provinces d’Afrique du Sud a changé l’aspect de sa chambre en le faisant passer « de droit comme un portrait à courbe comme un paysage » de manière à « [symboliser] l’intention du gouvernement d’insuffler une nouvelle culture parlementaire14 ».

Comme l’indique M. Goodsell, une disposition en cercle « n’empêche évidemment pas les profonds désaccords, les débats acrimonieux et les impasses d’arriver dans une Assemblée, mais elle ne met pas les impasses et l’agressivité au cœur de la vie parlementaire15 ». Dans un même ordre d’idées, adopter une nouvelle disposition des sièges au Parlement ne garantit pas un changement de comportement. Par exemple, malgré tout ce qu’a fait M. Shipley pour garantir un système bipartite en Malaisie, celui-ci ne s’est pas concrétisé. Jusqu’en 2018, la Malaisie a été dirigée par un gouvernement de coalition16.

« Une distance équivalente à la longueur de deux épées et demie et tout ce qui s’en suit… »

Bien que la disposition des sièges et de la salle dans laquelle se trouvent les députés puisse avoir un effet sur la culture et le comportement politiques, la distance entre les députés de partis opposés en a une aussi. La distance entre les bancs du gouvernement et ceux de l’opposition équivaut à la longueur de deux épées, une tradition datant de l’époque où les députés portaient des épées et avaient besoin qu’on leur rappelle de « chercher des solutions par des voies pacifiques17 ». Cette pratique, présentée avec éloquence par un répondant au sondage comme celle consistant à maintenir « une distance équivalente à la longueur de deux épées et demie et tout ce qui s’en suit », a ensuite été adoptée par les architectes – au sens propre et au sens politique – de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique. Les sièges de l’Assemblée ont graduellement été rapprochés pour accueillir un nombre croissant d’élus, ce qui signifie que les députés d’un côté et de l’autre ne sont plus séparés par la distance habituelle. Selon un député, cette diminution de la séparation d’une longueur de deux épées permet maintenant d’entendre les propos des députés d’en face. De ce fait, toujours selon ce député, c’est au bout de la chambre, là où les sièges se rejoignent que la période des questions est souvent plus houleuse.

Mais que se passerait-il si la distance entre les sièges des députés du parti au pouvoir et ceux l’opposition passait d’une longueur de deux épées à deux centimètres? C’est arrivé en Islande, en 1916, où les sièges des députés sont assignés par tirage au sort. Lorsqu’on leur a demandé comment ils se sentiraient si les députés du gouvernement et de l’opposition devaient s’asseoir ensemble, les députés de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique ont fourni une réponse claire et nette et peut-être pas très surprenante : 74 pour cent d’entre eux ont indiqué qu’ils seraient insatisfaits ou très insatisfaits à l’idée de s’asseoir aux côtés de députés d’un autre caucus. Même s’il était dans la minorité, un député a indiqué que le fait d’être entouré de « collègues, mais pas de coéquipiers » créerait un certain inconfort salutaire. Être « entouré de toutes parts » par des coéquipiers offrirait un niveau de protection qui, selon les députés, ne favoriserait pas un débat constructif.

Des études ont révélé que la personne à côté ou en face de laquelle on s’assoit ainsi que la distance qui sépare les députés influencent le comportement politique. En Islande, par exemple, des chercheurs ont découvert que deux députés de partis différents voteront de 0,5 à 1 % plus de façon similaire lorsqu’ils sont assis l’un à côté de l’autre que séparément. Cet effet qui se produit sur les députés assis côte à côte disparaît lorsque ces députés ne se retrouvent plus ensemble les années suivantes18. Sans que cela se traduise pour autant par des votes en faveur du camp adverse, à l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique, on peut présumer que la proximité physique entre les députés des différents camps permettrait d’ouvrir les voies de communication et de réduire le chahut.

« … Alors que nous préparons le retour à la normale »

Il convient de rappeler qu’au moment où nous avons mené le sondage et les entrevues auprès des députés, la chambre de l’Assemblée n’était pas utilisée à sa capacité habituelle. Avec la pandémie, on s’est tourné vers le virtuel, et le modèle hybride qui a été utilisé depuis des mois est devenu la norme. M. Morden a d’ailleurs décrit l’Assemblée de la Colombie-Britannique comme étant celle qui « s’est le plus rapprochée d’un parlement virtuel en temps de pandémie19 ». Même si cela fait plus d’un an que nous vivons en pandémie et que le Président doit encore rappeler aux députés d’activer leur microphone, on se demande toujours si la transition permanente vers un modèle hybride fera partie de l’avenir de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique « alors que nous préparons le retour à la normale ».

Questionnés sur leur niveau général de satisfaction à l’égard du modèle hybride actuel, plus des trois quarts des répondants ont indiqué qu’ils étaient satisfaits ou très satisfaits. Bien que cette satisfaction puisse paraître élevée, en pleine pandémie (puisque personne n’a réellement le choix), nous avons cherché à savoir comment pourrait évoluer le niveau de satisfaction à l’égard du modèle hybride après la pandémie. Lorsqu’on leur a demandé ce qu’ils voudraient garder du modèle hybride après la pandémie, les répondants ont répondu en grande majorité qu’ils aimaient certains aspects du modèle et qu’ils souhaitaient les conserver. Cinquante-trois pour cent des répondants ont dit souhaiter conserver le modèle hybride tel quel, et 23 % ont suggéré de garder certains éléments du modèle, mais pas comme il est utilisé actuellement. Les 23 % restants ont indiqué qu’ils ne voulaient plus du modèle hybride une fois qu’un retour complet en personne serait jugé sécuritaire.

Amanda Bittner et Melanee Thomas décrivent comment – au niveau fédéral – « toute situation tenant les députés à distance de la Chambre serait à éviter, quelles que soient les circonstances, et ce, même si personne ne semble pouvoir expliquer pourquoi20 ». De même, les répondants à notre sondage opposés au maintien de quelconque aspect du modèle hybride après la pandémie ont fourni peu d’explications sur les raisons pour lesquelles le modèle devrait être abandonné. Amanda Bittner et Melanee Thomas citent des critiques du modèle virtuel fédéral qui soutiennent que les réunions qui y sont tenues sont « pitoyables » et que le modèle ne constitue qu’une « pâle copie » du Parlement21. Pour en revenir à l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique, un député a critiqué le modèle hybride, qui permet aux députés de lire sur leurs écrans d’ordinateur, remettant en question le niveau de participation et la qualité des débats quand on regarde un collègue à travers un écran. Un autre député a indiqué que « les interactions personnelles sont très importantes pour la qualité de la gouvernance ». Il est difficile de mettre le doigt sur ce que l’on perd exactement quand il n’y a pas d’interactions en personne, mais il y aurait quelque chose à dire sur la perte du côté humain de la politique. Pour illustrer cela, lors d’un débat sur le budget des dépenses, le premier ministre John Horgan a fait remarquer que le fait que les députés ne se soient vus et n’aient interagi que virtuellement pourrait « nuire à la collaboration » et créer « des malentendus et de la méfiance22 ». Le manque de communications fréquentes et directes avec les autres députés a aussi mené à une diminution des discussions informelles, de sorte que les députés ne peuvent aborder de nombreuses questions qui ne peuvent passer par des canaux officiels, mais qui restent tout de même importantes pour leur travail. Dernier point, mais non le moindre, certains députés pourraient tout simplement ressentir le sentiment généralisé de la « lassitude à l’égard de Zoom ».

Par contre, Amanda Bittner et Melanee Thomas font valoir que le maintien du vote en ligne procurerait un avantage important aux représentants qui sont parents actifs ou qui doivent parcourir des distances considérables pour aller voter en personne23. De nombreux députés de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique semblent être d’accord sur ces deux points. Huit répondants ont insisté sur la nécessité de conserver un modèle hybride pour les avantages qu’il offre aux parents actifs et neuf autres ont évoqué l’allégement du fardeau que représentent les déplacements – et des émissions de carbone qui en résultent – pour ceux qui viennent de circonscriptions éloignées. Le simple fait d’épargner du temps et de l’argent a suffi à en convaincre d’autres. Les partisans du modèle hybride avaient également le sentiment général que le maintien d’un tel modèle favoriserait la diversité.

Même si, à bien des égards, le modèle hybride reprend les procédures traditionnelles de l’Assemblée, certaines pratiques ont disparu lors de la transition, notamment la possibilité pour les députés de chahuter. Les microphones des députés qui participent aux séances virtuelles sont mis en sourdine lorsqu’ils ne sont pas appelés à prendre la parole. Ceux qui sont présents en chambre peuvent intervenir comme à l’habitude, bien évidemment sous la surveillance étroite du Président, mais ils représentent moins de la moitié des députés certains jours. Selon un député, le chahut « fait tout simplement partie de la période des questions… de l’énergie qui règne dans la salle ». Alors que se passerait-il si on perdait un peu de cette énergie? Pour certains répondants, ce ne serait pas une mauvaise chose. Selon les résultats d’un sondage mené en 2021 auprès de 800 Britanno-Colombiens, un nombre considérable de personnes appuyaient les initiatives faisant la promotion d’un comportement respectueux à l’Assemblée législative24. Dans le même sondage, 57 % des répondants étaient favorables à la création d’un comité multipartite chargé de se pencher sur le décorum parlementaire, y compris le chahut. Concernant particulièrement la période des questions, 41 % des répondants voulaient que l’on mette fin aux applaudissements; 55 % voulaient que cessent les coups de poing sur les bureaux; et 63 % ne voulaient plus de chahut. Ces souhaits ont été exaucés, du moins lors des séances virtuelles.

Bon nombre de députés ayant indiqué vouloir conserver, du moins en partie, le modèle hybride ont souligné l’importance d’avoir le choix; ils soutiennent que les députés devraient être libres de décider s’ils veulent retourner sur les lieux de travail à temps plein lorsque le modèle hybride ne sera plus nécessaire, après la pandémie. Certains répondants ont évoqué l’option d’un modèle virtuel pour certains types de rencontres, comme les réunions de comités ou les votes. D’autres ont proposé le télétravail quelques jours par semaine ou quelques semaines par session. À première vue, offrir aux députés l’occasion de choisir un modèle qui convient le mieux à leur vie personnelle semble être une approche équitable. Toutefois, il reste à voir dans quelle mesure la perception de ces choix, tant par le public que par les députés eux-mêmes, influera sur le comportement politique ou les jugements de valeur en général. À l’instar de ceux qui ont critiqué la situation au niveau fédéral, certains députés ou une partie du public pourraient penser que ceux qui optent plus souvent pour la participation virtuelle affaiblissent le Parlement. Comme le fait de travailler en présentiel implique un retour à la normale, cette forme de participation sera-t-elle plus valorisée? Les députés qui font du télétravail pour différentes raisons serontils défavorisés ou exclus des occasions d’interactions informelles? Dans chacun des aspects de l’aménagement de la chambre de l’Assemblée que nous avons abordés, nous avons examiné leurs répercussions possibles sur le comportement politique, mais les changements proposés peuvent toutefois transmettre ou valoriser certaines valeurs.

Conclusion

Notre intérêt pour ce sujet est parti d’une simple question : si le nombre de députés à l’Assemblée augmente, quels changements faudra-t-il faire pour accommoder les élus? Mais les sujets de discussion les plus intéressants soulèvent souvent plus de questions qu’ils n’apportent de réponses. Au cours de notre recherche initiale, nous avons examiné les changements d’aménagements potentiels et la possibilité qu’ils influent sur le comportement politique; mais ces changements peuvent avoir pour effet de transmettre, voire d’inculquer certaines valeurs. Quelles valeurs les députés de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique voudraient-ils voir être représentées dans leur milieu de travail? Et que seraient-ils prêts à délaisser? Séparer les bureaux et les sièges favorise l’individualisme et crée des barrières entre les personnes et avec les collègues législateurs. Le modèle des « bancs opposés » et la longueur de deux épées favorisent la rivalité et l’opposition. L’habitude des députés de s’asseoir uniquement avec ceux de leur parti encourage une mentalité de « nous contre eux ». En revanche, être assis côte à côte sur des bancs disposés en forme de fer à cheval, de demi-cercle ou de cercle, sans bureau servant de bouclier, avec tous ses collègues, pourrait favoriser le consensus et la collaboration. Dans le cas du modèle hybride, les députés qui ont préconisé son maintien ont souligné l’importance de valeurs comme la diversité, la conciliation travail-vie privée et l’accessibilité. Si les députés ou le public trouvent important de réduire le chahut ou d’augmenter la courtoisie de manière générale, le modèle hybride pourrait être une bonne option.

Comme le fait remarquer M. Goodsell, « à moins d’un incendie ou d’une destruction causée par la guerre, les chambres des assemblées législatives utilisées depuis longtemps constituent l’héritage précieusement conservé d’un passé vénérable25 ». Ce respect à l’égard du passé a été exprimé par plusieurs autres répondants, dont beaucoup ont simplement demandé : « Ne changez rien s’il vous plaît ». Nous pensons toutefois que la Colombie-Britannique a une véritable occasion d’évaluer et d’ajuster les valeurs qu’incarne l’Assemblée législative. La chambre a été conçue et construite à une époque où la plupart des BritannoColombiens ne pouvaient s’imaginer occuper l’un de ses sièges, et encore moins voter pour ceux qui avaient cette possibilité. Comme la chambre n’a pas énormément changé depuis cette époque, son espace n’est plus adopté pour répondre aux besoins de personnes ayant des capacités et des identités diverses. Plusieurs députés ont reconnu cette réalité et exprimé leur volonté de s’adapter en conséquence. Comme ils le disent, « il faut adapter l’édifice et son aménagement intérieur pour tenir compte de l’ensemble des personnes que nous servons », et c’est possible si l’ajout de sièges s’accompagne de changements dans l’aménagement.

« Les valeurs architecturales sont des valeurs humaines,
ou elles ne sont pas valables.
 »
Frank
 Lloyd Wright

Notes

* Cet article a été recherché et écrit lorsque la chambre e fonctionnait pas à pleine capacité

Goodsell, Charles, « The Architecture of Parliaments: Legislative Houses and Political Culture », British Journal of Political Science, vol. 18, no 3, 1988, p. 287.

Ibid., p. 288 [traduction].

Ibid. [traduction].

Ibid. [traduction].

Ibid., p. 296 [traduction].

Ibid. [traduction].

Ibid., p. 298.

8 Mulder van der Vegt, David, Max Cohen de Lara, Parliament, XML: Amsterdam, 2016.

9 Dans le sondage, on a demandé de fournir une réponse écrite à la question : « Quelle disposition des sièges préférez-vous et pourquoi? » Dans les cas où les répondants ont indiqué plusieurs options comme étant leur préférence, celles-ci ont toutes été prises en compte afin de déterminer quelle option recueillait le plus d’appuis. Lorsqu’un répondant a indiqué préférer une option à une autre parmi celles qu’il avait énumérées, seule la préférence principale a été prise en compte.

10 McCarthy-Cotter, Leanne-Marie, Matthew Flinders, Tom Healey, « Design and Space in Parliament », paru dans Exploring Parliament, éd. par Cristina Leston-Bandeira, Louise Thompson, Oxford University Press, New York, 2018, p. 54.

11 Shipley, Ivor, « The Parliament Building of Malaysia », Journal of the Parliaments of the Commonwealth, vol. 46, 1965, p. 177-181.

12 Couturier, Don, « L’édifice de l’Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest : Célébrer notre passé et se projeter vers l’avenir », Revue parlementaire canadienne, vol. 37, no 1, 2014, http://www.revparl.ca/francais/issue.asp?param=218&art=1570.

13 Mercer, Tim, « Le gouvernement de consensus des Territoires du Nord-Ouest : un modèle de Westminster à saveur nordique”, Groupe canadien d’étude des parlements : Étude des assemblées législatives provinciales et territoriales, 2014, p. 9, http://cspg-gcep.ca/pdf/CSPG_NWT_Legislature-f.pdf.

14 Parkinson, John, « Assemblies II », paru dans Democracy and Public Space: The Physical Sites of Democratic Performance, Oxford University Press, 2012, p. 81 [traduction].

15 Goodsell, Charles, « Architectural Power », paru dans What Political Science Can Learn from the Humanities, éd. R. A. W. Rhodes, S. Hodgett, Palgrave Macmillan, 2021, p. 213.

16 « Better politics by design; Parliamentary chambers »The Economist, vol. 432, no 9153, 27 juillet 2019, p. 52.

17 Marleau, Robert, Camille Montpetit, « The Physical and Administrative Setting », paru dans House of Commons Procedure and Practice, McGraw-Hill, Montréal, 2000, p. 234 [traduction].

18 Jo, Donghee, Matt Lowe, « Social interactions of lawmakers and the partisan divide: A natural experiment in Iceland », document de travail, 2020, http://www.dongheejo.com/assets/pdf/PCH.pdf.

19 Morden, Mike, « Réponse des Parlements canadiens à la pandémie de COVID-19 », Revue parlementaire canadienne, vol. 43, no 3, 2020, https://www.revparlcan.ca/fr/reponse-des-parlements-canadiens-a-la-pandemie-de-covid-19/.

20 Bittner, Amanda et Melanee Thomas, « De mal en pis : les députés, leurs responsabilités parentales et la pandémie », Revue parlementaire canadienne, vol. 43, no 3, 2020, https://www.revparlcan.ca/fr/de-mal-en-pis-les-deputes-leurs-responsabilites-parentales-et-la-pandemie/.

21 Ibid.

22 Colombie-Britannique, « Official Report of Debates of the Legislative Assembly » (Hansard), 42e législature, 2e session, 15 juin 2021 [traduction].

23 Ibid.

24 Canseco, Mario, « British Columbians Want Data Access and Decorum in Legislature », Research Co., modifié la dernière fois le 29 janvier 2021, https://researchco.ca/2021/01/29/bcpoli-plecas-proposals/ [traduction].

25 Goodsell, 1988, p. 291 [traduction].

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