Inadéquations : le genre, la COVID-19 et la politique des corps
La pandémie de COVID-19 a entraîné d’importants changements dans plusieurs lieux de travail à travers le monde, et les assemblées législatives du Canada n’ont pas fait exception. Liés par la tradition de Westminster et habituellement prudents lorsqu’ils mettent en œuvre de nouveaux protocoles, les parlements du Canada ont dû procéder à des changements opérationnels substantiels et profonds en peu de temps afin que les parlementaires et le personnel parlementaire puissent continuer à assumer leurs responsabilités démocratiques. Dans cet article, l’auteure examine dans quelle mesure ces changements ont eu des répercussions pour les femmes au sein de ce milieu de travail unique. Elle utilise et adapte le concept d’« inadéquation », issu des études sur la théorie critique du handicap, pour démontrer comment un environnement de travail qui n’avait pas initialement été créé pour s’adapter au corps des femmes est soudainement devenu un lieu où tous les corps étaient « inadéquats » à la suite de changements apportés à des pratiques de longue date en raison des mesures de distanciation sociale et des limites de capacité. L’auteure conclut que la réponse à la pandémie démontre qu’il est possible de modifier les traditions parlementaires fondées sur le genre et la culture; elle souligne également qu’il est triste de constater que cette situation spectaculaire et brutale s’est révélée plus efficace pour instaurer un changement de culture au sein du Parlement que la présence et la participation accrues des femmes à long terme.
Kelli Paddon, députée
Première femme élue à l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique (ALCB) en 1918, Mary Ellen Smith est devenue la première femme de l’Empire britannique à être nommée au Cabinet – sans toutefois détenir de portefeuille 1. Depuis, au sein de l’ALCB, des femmes sont devenues présidentes, premières ministres et chefs de trois partis, tant au gouvernement que dans l’opposition. Au moment de la rédaction de ce rapport, près de la moitié des députés de l’ALCB étaient des femmes. De plus, le cabinet de l’Assemblée est paritaire pour une seconde fois, et le caucus du gouvernement compte plus de femmes (29) que d’hommes (28), ce qui constitue une première en Amérique du Nord. Ces avancées ne sont pas le fruit du hasard, mais plutôt le résultat d’années de recherche et d’efforts concertés pour accroître le nombre de femmes candidates à des sièges pouvant être remportés, et d’un engagement politique en faveur de l’équité de la part du Nouveau parti démocratique de la Colombie-Britannique 2. À la suite des élections de 2020, les députés élus ont été appelés à siéger, conformément au Règlement de la Chambre des communes (le Règlement) 3 selon un modèle hybride; la plupart des députés ont participé aux séances par le biais de la plateforme de vidéoconférence Zoom, tandis que les présences en personne étaient limitées afin d’éviter la propagation de la COVID-19. Des modifications ont été apportées et la technologie a été mise à profit pour que tous les députés puissent voter, débattre, faire des déclarations et participer aux travaux tandis qu’on pouvait les observer sur un écran installé en Chambre.
Le présent article examine les façons dont la pandémie de COVID-19 a entraîné des changements spectaculaires dans le fonctionnement du système de Westminster et au sein de l’ALCB en tant que lieu de travail. Plus précisément, il adopte une approche interdisciplinaire pour déterminer quelles leçons peuvent être tirées des changements liés à la COVID-19 en matière de sensibilisation à l’égalité des genres au sein de l’ALCB en tant que lieu de travail, en intégrant la théorie féministe et la théorie critique du handicap.
Pour explorer cette question, il est essentiel de se pencher sur les travaux réalisés dans les domaines des sciences politiques, des études des femmes, de l’histoire, du droit, de la philosophie, de la politique et de la psychologie politique, sous l’angle des théories féministes et de la théorie critique du handicap. L’auteure explore le concept de la sensibilisation à l’égalité des genres et son application au sein de l’ALCB et utilise des exemples précis de comportements fondés sur le genre, tels que le chahut et le fait de prodiguer des soins, pour illustrer les normes et les traditions fondées sur le genre qui prévalent dans ce lieu de travail. Cet article décrit et intègre également les concepts d’« adéquation » et d’« inadéquation » tirés de la théorie féministe matérialiste de Rosemarie Garland-Thomspon4 pour examiner les éléments invalidants d’un milieu de travail qui ne fait pas preuve de sensibilité à l’égard de l’égalité des genres ou de l’inclusion.
Cet article montre que le retrait de la plupart des corps du lieu de travail physique en raison de l’« inadéquation » créée par la COVID-١٩ et visant tous les députés a entraîné des changements dans la culture fondée sur le genre au sein de l’ALCB, notamment la réduction ou l’interruption de certaines traditions fondées sur le genre – ce qui suggère que le comportement fondé sur le genre constitue un choix, et non un élément inextricable du système. L’application et l’intégration de ces théories peuvent offrir à l’ALCB et à d’autres parlements des éléments importants à prendre en considération afin de démontrer qu’il est possible de disposer de législatures à la fois efficaces et plus sensibles à l’égalité des genres, de comprendre l’incidence des traditions sur la culture fondée sur le genre en milieu de travail et de faire des choix quant à la façon dont ces systèmes pourraient évoluer pour devenir des milieux de travail plus inclusifs et sensibles à l’égalité des genres.
Cet article a été écrit environ 22 mois après que la COVID-19 soit devenue une préoccupation réelle en Colombie-Britannique. Depuis, nous avons assisté à de multiples vagues, phases, étapes et restrictions, ainsi qu’au déploiement des vaccins. Presque tous les lieux de travail de la province ont changé d’une manière ou d’une autre, pour le meilleur ou pour le pire, de façon temporaire ou permanente. L’ALCB ne fait pas exception.
Ce travail est également présenté dans une perspective très précise, et l’influence inextricable des expériences vécues en ce qui a trait à l’intégration, à l’interprétation et à la prise en compte de la documentation doit être située. Le cadre de référence de l’auteure est celui d’une femme blanche, cisgenre, sans handicap visible et siégeant actuellement à l’Assemblée législative de la ColombieBritannique, qui est son lieu de travail.
Le travail des femmes en politique
L’ALCB fait partie du Commonwealth et fonctionne selon le système de gouvernance de Westminster. La documentation existante souligne que « les normes et règles institutionnelles de ces systèmes perpétuent et renforcent le sexisme et le harcèlement sexuel dans le domaine de la politique5 » [traduction]. Ces règles et traditions, qu’elles soient écrites ou non, défendent certaines normes entourant « le mythe de la neutralité et la logique masculine concernant ce qui est approprié, la politique fondée sur la confrontation, les débats quotidiens dans les chambres basses, et la protection des droits de longue date dans le cadre de la pratique du privilège parlementaire » [traduction ].6 Ces règles et traditions constituent le contexte institutionnel dans lequel les femmes politiques travaillent7.
Lovenduski (2014) décrit les législatures et les systèmes de Westminster comme étant :
« des institutions où le genre joue un rôle déterminant » et où le pouvoir, les processus et les comportements favorisent les hommes qui les ont créées et qui en ont été les seuls occupants pendant très longtemps. Lorsque les femmes entrent dans une assemblée législative, elles entrent dans un territoire masculin. Elles peuvent être confrontées ou non à des hommes hostiles, mais elles sont confrontées à des institutions qui ont été construites pour exclure les femmes 8 [traduction] .
Bien que les recherches menées dans ce domaine parviennent parfois difficilement à cerner et à décrire les questions de nuance et de culture, il apparaît clairement qu’au fur et à mesure qu’un plus grand nombre de femmes pénètrent dans ce lieu de travail traditionnellement masculin, leur « présence perturbe les normes d’engagement parlementaire et met en lumière l’étendue du contrôle masculin ainsi que les attentes cachées au sein des espaces parlementaires » [traduction]. On souligne également que « la simple présence des femmes, cependant, ne suffit pas à modifier ces normes9 » [traduction].
« Les discussions sur le genre et la politique qui ont lieu à l’heure actuelle doivent tenir compte de l’atmosphère tendue qui règne au sein de notre culture politique10 » [traduction]. Les médias, la politique américaine, le vitriol en ligne et le milieu universitaire ont influencé la manière dont nous percevons la politique en tant que débat, tandis que les recherches sur le genre, la race, la sexualité et les capacités ont élargi davantage nos cadres de référence. Baick décrit les guerres culturelles et explique que notre culture politique est un concept vague qui englobe « des idées, des attitudes et un langage 11 » qui sont fortement fondés sur le genre et qui jugent les femmes. Par ailleurs, bien qu’il soit désormais possible pour les femmes de travailler en politique, le climat politique est pour le moins inhospitalier à leur égard. La culture populaire a été saturée par les attitudes et le discours trumpiens, ce qui risque de faire hésiter davantage les femmes qui souhaitent se lancer dans le domaine politique. « Les présomptions selon lesquelles la politique est impitoyable et dure, et que les politiciens doivent avoir la “peau dure” pour survivre, peuvent être interprétées comme étant un code pour que les femmes et les minorités racisées restent silencieuses lorsqu’elles sont traitées injustement ou victimes de discrimination12 » [traduction].
L’un des exemples les plus frappants de la culture et du comportement fondés sur le genre au sein des législatures est sans doute le chahut, que l’on peut définir comme étant « le fait d’intervenir à voix haute dans la Chambre des communes sans être invité par le Président13 ». Cette définition inclut les interventions (positives ou négatives) visant à interrompre un député lorsqu’il prend la parole.
De nombreuses recherches ont été menées sur le caractère sexospécifique du chahut en ce qui concerne le contenu, l’environnement et la nature oppositionnelle de cette tradition, ainsi que les cibles et les répercussions 14. Cette tradition est à la fois difficile à étudier et extrêmement résistante au changement; cependant, les recherches ne permettent pas de déterminer si la résistance au changement est attribuable à une question de volonté ou de capacité. Les recherches menées par Grisdale et confirmées ultérieurement par Samara Canada montrent que la tradition perturbatrice du chahut, qui est fondée sur l’affrontement, n’est pas perçue de façon positive par le public ou certains députés : « Le chahut est fortement décrié en dépit de la touche dramatique évidente qu’il introduit dans la Chambre. Peu importe son caractère d’entrave à la production, ou l’autodestruction inhérente à un emploi où des centaines de personnes se déchaînent verbalement contre vous dans votre propre milieu de travail, jour après jour15 ». Quant aux politiciens eux-mêmes, lorsque Grisdale (2011) a exploré les répercussions du chahut à la Chambre, il a constaté ce qui suit :
Un nombre important de députés ont indiqué que le chahut les amène à participer beaucoup moins fréquemment, voire pas du tout, aux travaux de la Chambre. En outre, bon nombre des mots utilisés contre d’autres députés dans les chahuts sont contraires aux valeurs défendues dans la Charte. Figurent parmi ces mots et concepts le racisme, l’âgisme, le sexisme, la discrimination religieuse, la discrimination contre les handicaps physiques et l’homophobie 16.
L’ALCB est un lieu de travail unique pour plusieurs raisons. Cependant, le fait que « les parlementaires soient autorisés à crier, à rabaisser, à railler et parfois à intimider les parlementaires de l’autre côté de la Chambre, et que l’on s’attend même à ce qu’ils le fassent, dans le cadre d’un débat “démocratique” quotidien17 » [traduction] crée incontestablement une culture qui présente, à tout le moins, un risque important d’être perçue comme étant dangereuse ou discriminatoire par ceux qui y travaillent ainsi que par les personnes qui y sont invitées. Toutefois, la perpétuation de cette tradition pourrait laisser croire que l’on valorise et estime ce type de comportement dans certains milieux, et le fait de protéger cette tradition ajoute un certain poids à cette hypothèse.
De par leur nature, les systèmes de Westminser sont extrêmement difficiles à changer. « Le fait que certaines de ces normes associées au genre sont ancrées dans les précédents et les conventions parlementaires, et ne sont donc pas écrites, les rendent… particulièrement “tenaces” et résistantes à la transformation18 » [traduction]. Nous avons toutefois constaté à l’échelle internationale un intérêt à l’égard des femmes dans les parlements ainsi que des efforts en vue de transformer ces institutions en lieux de travail sensibles au genre.
Sensibilisation à l’égalité des genres
De plus en plus de théories, de documents et de recherches montrent que, bien que le nombre de femmes au sein des chambres, des législatures et des parlements ait une incidence sur la participation, la culture et la représentation des femmes19, d’importantes possibilités et besoins d’améliorations persistent sur le plan de l’équité et de la justice. Les recherches montrent également que les règles et les traditions au sein des parlements, qu’elles soient fondées sur le genre ou soi-disant neutres du point de vue du genre, tout comme le fonctionnement interne de ces institutions, limitent et réduisent l’accès des femmes au pouvoir législatif et affaiblissent leur influence20.
La reconnaissance des assemblées législatives en tant que lieux de travail a attiré l’attention sur les codes de conduite et les pratiques qui y ont cours. Néanmoins, au-delà de l’actualisation des codes, certains angles morts peuvent subsister et on constate qu’il reste encore du travail à faire. Par exemple, dans le Rapport intérimaire : Pour un Parlement moderne, efficace, inclusif et propice à la vie de famille, le chahut a été décrit comme étant une pratique qui « ne favorise pas l’instauration d’un milieu de travail respectueux21 ». Cependant, cette pratique n’a pas été modifiée ou supprimée, car le comité avait pour objectif de « préserver les conventions et la culture ancrées de longue date, qui forment l’assise de toute assemblée législative et qu’on ne doit ni perturber ni compromettre inutilement22 ». Cela s’apparente au test de la « personne raisonnable », expression traduite en anglais par reasonable man, voulant qu’au nom de la tradition, on mette l’accent sur le caractère raisonnable des hommes et occulte le fait qu’il existe aussi des femmes raisonnables.
Grâce au travail acharné et à la représentation d’un grand nombre de personnes à l’échelle internationale, la sensibilisation des parlements aux questions de genre est un idéal de plus en plus répandu et un domaine d’étude en pleine expansion. L’Association parlementaire du Commonwealth (APC) et le Réseau des femmes parlementaires du Commonwealth (FPC) s’emploient depuis des décennies à faire avancer ces objectifs à l’échelle internationale; ils ont notamment publié en 2001 un document intitulé Gender-Sensitising Parliaments Report (en anglais seulement) ainsi que Gender Sensitising Parliaments Guidelines : Standards and Checklist for Parliamentary Change (en anglais seulement) en 2020. Le rapport de 2001 « a attiré l’attention sur la sous-représentation politique des femmes par rapport à la population de l’ensemble du Commonwealth, celle-ci étant attribuable à des attitudes et à des structures patriarcales23» [traduction]. L’APC et le réseau FPC ont réclamé la mise en place de parlements sensibles au genre, qu’ils ont définis comme étant : « des institutions politiques qui, par leur structure, leur fonctionnement, leurs méthodes et leur travail, répondent aux besoins et aux intérêts des femmes et des hommes, et au sein desquelles les obstacles à la pleine participation des femmes ont été éliminés, ce qui sert d’exemple ou de modèle positif à la société dans son ensemble24 » [traduction].
Bien qu’elles aient été publiées pendant la pandémie de COVID-19, les lignes directrices de l’APC n’abordent pas les problèmes ou les occasions engendrés par la COVID-19 dans la mesure où ceux-ci ils peuvent être liés à la création de parlements sensibles au genre (PSG). On y présente plutôt un aperçu du rôle des parlements et de la façon dont les réponses à la COVID-19 doivent tenir compte de la spécificité des sexes. Selon Ashe, l’ALCB pourrait tirer profit d’un audit sexospécifique qui inclurait un examen complet de ses règlements et pratiques.
Inadéquations découlant de la politique des corps
En lisant des articles sur les obstacles institutionnalisés au sein des systèmes parlementaires de Westminster et sur la nature exclusive des lieux de travail que sont les assemblées législatives en raison de leurs règles et traditions, certaines personnes au fait de diverses théories pourraient penser que ces lieux de travail sont non seulement fortement sexospécifiques, mais qu’ils constituent également des environnements invalidants, en particulier (mais non exclusivement) pour les femmes. Bien qu’il soit important de ne pas confondre les concepts de genre et de handicap, ou de s’approprier les expériences réelles vécues par les personnes vivant avec un handicap, il est possible d’améliorer nos connaissances et notre compréhension de ces questions en combinant les théories provenant des études critiques du handicap et du féminisme. Prenons par exemple l’affirmation de Young selon laquelle « les femmes dans une société sexiste sont physiquement handicapées25 » [traduction], qui combine les concepts de genre et de handicap et les compare à la norme corporelle de l’homme blanc, physiquement apte et hétérosexuel.
Garland-Thomson cristallise ce lien entre le genre, le corps, le handicap et la marginalisation lorsqu’elle déclare :
« Les femmes, les personnes handicapées ou affichant des différences liées à l’apparence physique, les personnes appartenant à d’autres groupes ethniques, les personnes homosexuelles et lesbiennes, et les personnes de couleur font, de diverses façons, l’objet de… pratiques discriminatoires légitimées par des systèmes de représentation, par des récits culturels collectifs qui façonnent le monde matériel, soustendent les attitudes d’exclusion, guident les relations humaines et façonnent notre perception de ce que nous sommes. Le fait de comprendre comment le handicap fonctionne, parallèlement à d’autres systèmes de représentation, permet de faire la lumière sur la façon dont tous ces systèmes se croisent et se constituent mutuellement26 » [traduction].
Chacun des groupes mentionnés précédemment subit les effets invalidants de la société, même si les identités opprimées peuvent différer ou être exacerbées. Le résultat de cette oppression est qu’une personne est handicapée parce qu’elle se situe en dehors de la norme, handicapée du fait de se trouver à l’extérieur du centre où s’exercent les privilèges, les capacités et le pouvoir; et handicapée parce que l’on restreint sa capacité d’agir et de posséder une identité dans le centre de la société en tant que personne autonome jouissant de droits et de libertés. Le handicap résultant du fait de se trouver hors de ce centre constitue une « certaine forme de souffrance – la personne n’est pas pleinement constituée socialement, n’a pas de place dans l’ordre social. Il s’agit donc d’une forme de dépendance27 » [traduction]. Le fait d’être handicapé par la société (ou un milieu de travail) ne suppose donc pas la présence d’une déficience, telle qu’on l’associe habituellement au terme « handicap », mais plutôt « d’une société qui valorise uniquement les gens en fonction de l’efficacité de leur corps ou de la mesure dans laquelle celui-ci correspond aux normes28 » [traduction].
Toutefois, comme nous l’avons mentionné précédemment, il est essentiel de ne pas s’approprier ou de ne pas diminuer davantage l’expérience des personnes qui s’identifient comme étant handicapées, dans le sens habituel du terme. C’est dans ce contexte que les concepts d’« adéquation » et d’« inadéquation » issus de la théorie féministe matérialiste du handicap de Garland-Thomson jouent un rôle extrêmement utile pour nous aider à comprendre ce phénomène. Garland-Thomson décrit la manière dont un corps est « en adéquation » ou non en fonction des qualités attribuées à ce corps par rapport à la norme masculine :
L’adéquation se produit lorsqu’un corps générique pénètre dans un monde générique, un monde conceptualisé, conçu et intégré par anticipation des corps considérés au sein de la perspective dominante comme étant des corps uniformes, normalisés et reflétant la majorité. À l’inverse, l’inadéquation résulte de l’accent mis sur la particularité en se concentrant sur certaines singularités précises telles que la forme, la taille et la fonction de la personne concernée. Ces singularités émergent et se définissent uniquement lors de leur rencontre instable et disjonctive avec un environnement. La réciprocité relationnelle entre le corps et le monde matérialise l’un et l’autre, exigeant dans le cadre du processus une attention à la spécificité et à la dynamique de chaque élément lorsqu’ils se rencontrent dans l’espace et le temps. À un certain moment et à un certain endroit, une adéquation se produit; à un autre moment et à un autre endroit, on assiste à une inadéquation29 [traduction].
Lorsqu’une adéquation raisonnable se produit, une personne peut évoluer avec succès dans son milieu de travail et composer avec les circonstances, les conditions et les exigences de l’environnement d’une manière relativement neutre. Toutefois, lorsque se produit une inadéquation dans le temps ou dans l’espace, l’accès aux ressources, à l’information, aux relations, au statut, au pouvoir et à la justice peut être compromis ou refusé; les différences deviennent alors apparentes et la distance par rapport à la norme peut être cumulative.
La COVID-19 et les traditions
L’interruption du fonctionnement habituel du milieu de travail de l’ALCB lors de la pandémie de COVID-19 a créé un risque (une inadéquation) visant les corps – tous les corps – qui travaillaient au sein de l’Assemblée législative et dans ce lieu de travail. Cette inadéquation a entraîné un besoin universel d’adaptation et, bien que l’on ait pu constater des différences attribuables à certaines situations personnelles, aucun des corps concernés n’était plus privilégié que d’autres par rapport à la COVID-19 dans le contexte du milieu de travail. Il s’agit peut-être d’une illustration extrême de la description par Garland-Thomson des inadéquations qui se produisent « lorsque l’environnement avec lequel une personne doit composer est en contradiction avec ce qui constitue sa chair – il peut s’agir d’un escalier, d’une salle de réunion où siègent une majorité de personnes misogynes, d’une maladie ou d’une blessure, d’un club de loisirs réservé aux Blancs, de températures sous la barre du zéro ou d’une catastrophe naturelle30 » [traduction]. Dans le cas qui nous intéresse, le fait que l’environnement n’était pas en mesure d’accueillir les corps en toute sécurité a créé une situation unique dans le monde réel où « l’inadéquation s’est traduite par une expérience vécue commune et ayant le potentiel de nous en apprendre beaucoup plus sur nous-mêmes, les autres et notre environnement, que l’adéquation n’aurait pu le faire31 » [traduction], et l’expérience a transcendé les catégories d’identité traditionnelles que l’on retrouve normalement au sein du lieu de travail qu’est l’ALCB.
Afin de tenir compte des risques associés à la COVID-19, le Règlement de l’ALCB a été modifié de manière à permettre la tenue de séances hybrides. Des écrans de télévision ont été installés dans la Chambre, un nombre limité de députés de la Colombie-Britannique ont été autorisés à assister en personne aux séances à tout moment, les votes qui devaient avoir lieu pendant les jours de séance ont été reportés à la fin de la journée pour accorder un délai suffisant et tenir compte de l’accès à la technologie, les débats et les déclarations ont été effectués par le biais de la plateforme Zoom, les députés ont été autorisés à voter à distance de vive voix tout en étant devant la caméra, et la plupart des députés ont participé aux travaux sur Zoom. Tous ces événements, ainsi que la période de questions quotidienne, ont été diffusés par l’intermédiaire du hansard afin de maintenir l’engagement en matière de transparence et d’accès du public. Avant même que ces changements ne soient mis en œuvre, certains membres de l’ALCB ont reconnu le potentiel de changement de culture résultant de l’obligation de passer à un modèle hybride au sein de l’institution. Quelques semaines avant que l’assemblée siège pour la première fois en ayant recours à cette nouvelle méthode, le député Andrew Weaver a déclaré : « Si l’on regarde l’histoire, certains des plus importants progrès de la civilisation humaine se sont produits après de grandes tragédies. J’aborde chaque défi – et j’estime que les autres devraient en faire autant – en envisageant la possibilité qu’il crée. C’est ce que je ferai pendant cette session » [traduction].32 M. Weaver a également formulé des commentaires sur la tradition du chahut, précisant qu’il s’attendait à un ton plus calme et plus respectueux au sein de la législature : « Lorsque l’on est assis à la maison, il est difficile de s’énerver, de taper sur le bureau, de chahuter. Je ne vois pas comment les gens pourront agir ainsi en étant chez eux » [traduction].33
Les conditions engendrées par la COVID-19 ont créé des inadéquations pour toutes les personnes qui travaillaient à l’ALCB. Toutefois, comme le souligne Weiss, ces inadéquations « ne devraient pas constituer des exemples négatifs qui renforcent les limites rigides de la normalité » [traduction]; elles peuvent néanmoins servir à « remettre en question nos conceptions de ce qui est normal, de ce qui est naturel et de ce qui peut et doit être la norme » [traduction].34 En imposant des changements à un système résistant, la COVID-19 a créé des inadéquations pour tous et a possiblement démontré la possibilité que ce lieu de travail unique devienne sensible au genre. La pandémie a forcé la résolution inclusive des problèmes dans le but commun de préserver notre démocratie et a exigé que quelque chose d’entièrement nouveau soit envisagé et construit pour que tous les corps puissent s’y adapter. Weiss décrit le potentiel d’inadéquation lorsqu’il déclare :
Le potentiel futur sera réalisé plus pleinement lorsque nous serons en mesure d’accepter de changer ces « inadéquations » en « adéquations » et disposés à le faire. Ces « adéquations », comme nous l’ont montré les théories féministes, les théories critiques de la race et les théories du handicap, ne peuvent être des modèles universels et convenant à la majorité; elles doivent être harmonisées à nos corps et à nos potentialités corporelles, ainsi qu’à l’environnement particulier dans lequel nous vivons » [35.
Les changements qui ont été apportés au milieu de travail qu’est l’ALCB pendant la pandémie de COVID-19 ont forcé le système à s’éloigner de ses propres normes. Il est largement admis que la COVID-19 a touché de manière disproportionnée les personnes marginalisées, notamment les femmes, les personnes racisées, les personnes handicapées et les personnes chargées de dispenser des soins. Il est difficile de connaître la somme de toutes les répercussions de la pandémie au sein de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique, dans un contexte où la session s’est déroulée en mode hybride et où la plupart des députés ont siégé de façon virtuelle. Les microphones étaient coupés lorsque les interventions n’étaient pas autorisées par le président ou lorsque les députés ne votaient pas. Tous les membres pouvaient participer aux séances et voter, et le travail de l’assemblée législature a été réalisé pendant plus d’un an sans pratiquement aucun chahut audible. Lorsqu’un député chahutait dans la chambre, les participants en ligne ne pouvaient l’entendre, et lorsqu’une personne chahutait en ligne, ce comportement devenait extrêmement évident et déplacé – il n’était plus « normal ». Toutefois, malgré l’apparente civilité, des questions ont quand même été posées et des réponses ont été fournies pendant la période des questions, les activités ont été réalisées, et le public a pu voir l’opposition demander des comptes au gouvernement. La démocratie ne s’est pas effondrée, et ce, sans les interruptions et le chahut. Il a ainsi été démontré qu’un débat et un questionnement vigoureux peuvent avoir lieu sans être interrompus par du chahut.
Ce qui a également marqué cette session hybride est le fait que la plupart des députés se trouvaient dans leur circonscription, y compris dans leur propre domicile, et à proximité de leur famille. Cela a eu des répercussions importantes pour les personnes chargées de dispenser des soins, qui sont principalement (mais non exclusivement) des femmes, car elles pouvaient participer pleinement en tant que représentantes de l’assemblée législative tout en étant à la maison avec un membre de la famille malade, en prenant soin d’un parent vieillissant ou en s’adaptant aux besoins ou aux horaires changeants de la garde d’enfants sans devoir prendre un congé comme c’était la norme avant la tenue des séances hybrides. En ce qui concerne la participation et l’accès accrus des femmes et des mères 36, la flexibilité nécessaire pour équilibrer les obligations en matière de prestation de soins et la pleine participation aux séances de l’assemblée législative sans subir de stigmatisation constituera un domaine d’investigation essentiel pour les recherches et les politiques futures.
Intégration et discussion
De nombreux éléments doivent être intégrés afin de mieux comprendre quelles leçons peuvent être tirées des changements liés à la COVID-19 concernant la sensibilité au genre au sein de l’ALCB en tant que lieu de travail, en intégrant la théorie féministe et critique du handicap.
Nous ne pouvons pas examiner l’ALCB sans nous pencher sur les racines et les traditions du système de Westminster. Ce système a été conçu par des hommes pour des hommes, de façon à être exclusif. L’ALCB est le lieu où les lois sont élaborées, où le gouvernement siège, où la période des questions et les débats ont lieu – mais l’ALCB est aussi un lieu de travail pour le personnel et les députés de la Colombie-Britannique qui effectuent ce travail. Des travaux sont en cours à l’échelle internationale sur les parlements sensibles au genre; des listes de contrôle et des lignes directrices sur ce à quoi devrait ressembler un PSG ont également été mises au point, mais aucune exigence n’y est rattachée. Cette situation fait des parlements l’un des très rares lieux de travail où il est accepté et acceptable, voire sanctionné, de maintenir une culture et des comportements fondés sur le genre et non inclusifs.
Nous ne pouvons pas nous pencher sur la question des femmes en politique sans examiner comment les femmes y accèdent, si elles y ont effectivement accès, quel type de représentation existe, si leur présence contribue à représenter les femmes, et s’il y a un effet de masse critique ou un effet de recul. Cependant, nous avons également le prisme de la théorie féministe qui explore le genre, l’accès, la représentation, les comportements et cultures fondés sur le genre et les systèmes d’exclusion ou d’oppression au sein d’une culture considérablement influencée par les politiques trumpiennes. Bien que nos parlements et assemblées législatives comptent un plus grand nombre de femmes qu’au cours des décennies précédentes, nous devons également être conscients du risque de « faire preuve de complaisance et d’émettre des hypothèses erronées basées sur une trajectoire ascendante perçue face à des preuves empiriques qui démontrent le contraire37 » [traduction].
La théorie critique du handicap peut également être appliquée à l’examen des éléments invalidants du système de Westminster pour les femmes, car elle se penche sur la différence entre le fait de situer le handicap dans la société et dans le corps. Nous pouvons constater qu’en présence de systèmes de discrimination ou d’exclusion, les limitations ou les différences font partie de l’identité individuelle et l’objectif consiste à guérir ou à accommoder les personnes, et non le système ou la société à l’origine du handicap. Cela peut également être réintégré à la théorie féministe par l’intermédiaire de la notion d’« inadéquation » mise de l’avant par la théorie féministe matérialiste du handicap, où le corps et l’environnement sont en contradiction, ce qui donne lieu à une incapacité, à un manque d’accès ou à un manque d’inclusion. Ce concept intersectionnel est particulièrement utile dans la mesure où il englobe toutes les identités touchées par le handicap ou la marginalisation. Le niveau d’inadéquation peut être décrit comme l’intersection d’éléments tels que le sexe, les capacités, la race, l’âge, l’origine ethnique, la sexualité ou d’autres éléments susceptibles d’être pertinents à un certain moment ou à un endroit donné.
La réalité dramatique et perturbatrice de la COVID-19 a été nécessaire pour bousculer les traditions de l’ALCB en tant qu’institution. Elle a créé des inadéquations qui ont visé tous les acteurs et exposé des vulnérabilités traditionnellement ressenties de manière inégale.
À l’instar des positions dominantes telles que celles des hommes, des Blancs ou des hétérosexuels, l’adéquation constitue une expérience majoritaire confortable et banale d’anonymat matériel, une position non marquée de sujet que la plupart d’entre nous occupent à un moment ou à un autre de notre vie et qui passe souvent inaperçue. Lorsque nous vivons en adéquation harmonieuse et convenable avec notre monde, nous oublions la vérité de l’éventualité, car ce monde nous soutient. Lorsque nous faisons l’expérience de l’inadéquation et que nous reconnaissons cette disjonction et son potentiel politique, nous exposons la composante relationnelle et la fragilité de l’adéquation. Chacun d’entre nous peut se trouver en adéquation à cet endroit précis aujourd’hui et en inadéquation à cet endroit précis demain38.
Au fur et à mesure que seront atténuées les perturbations causées par la COVID-19, des décisions devront être prises en vue de définir les orientations futures. De nombreux lieux de travail peuvent maintenir certains changements mis en place pendant la pandémie, tandis que d’autres peuvent envisager un retour complet aux pratiques antérieures à la pandémie. Dans le cas de l’ALCB, il semble évident que les changements requis pendant la pandémie de COVID19 afin d’en maintenir le fonctionnement ont eu un impact positif sur la modification de la culture et des comportements fondés sur le genre au sein du milieu de travail – du moins partiellement. Toutefois, ces améliorations ont eu pour conséquence d’affaiblir les relations et de limiter les possibilités de collaboration en personne, car elles ont nécessité le retrait de la majorité des corps de l’environnement physique de travail. Sur la base des considérations évaluées dans cet article, nous soutenons que les changements spectaculaires que la COVID-19 a imposés aux traditions de l’ALCB ont uniquement été possibles ou souhaitables lorsque tous les corps au sein de l’ALCB se sont trouvés en inadéquation et que les privilèges accordés à certains corps n’étaient plus pertinents dans le contexte de la pandémie. Le sous-produit ou l’effet secondaire de l’élimination de la plupart des corps du lieu de travail physique et de la tradition de la présence physique dans la chambre ont réduit l’incidence des éléments fondés sur le genre associés aux autres traditions.
Il est intéressant de noter, à la lumière de la recommandation de l’APC de procéder à un examen des règlements afin de créer des parlements sensibles au genre, que ces traditions ont toutes été touchées par la modification du Règlement de l’assemblée législative. Plusieurs mécanismes relevant du président et du Règlement pourraient avoir des répercussions sur la culture fondée sur le genre au sein de l’ALCB, chacun modifiant la tradition d’une manière différente ou à un niveau différent. Nous estimons qu’il serait difficile d’argumenter qu’il n’y a aucun avantage à être présent en Chambre, à l’ALCB, par rapport à une participation virtuelle. La participation en personne permet de tisser des liens organiques découlant du partage d’un espace physique. Cependant, la participation virtuelle semble avoir réduit considérablement, du moins de façon temporaire, l’exposition aux comportements fondés sur le genre et leurs répercussions. La priorité est-elle d’établir des relations et des possibilités de collaboration, ou de se protéger contre le sexisme, la discrimination et les comportements fondés sur le genre? Il nous apparaît que, sur la base de ce que nous avons appris lors de la pandémie de COVID-19, nous sommes capables de modifier les traditions lorsque cela est nécessaire afin d’assurer la réussite des activités en toute sécurité. Il est donc possible d’honorer et de prendre en compte plusieurs priorités simultanément, et il est tout à fait possible d’avoir un gouvernement transparent et responsable ainsi que des débats animés et exempts de chahut, de cris et d’interruptions. À notre avis, cela suppose que nous pourrions choisir d’accorder la priorité à la présence en personne ainsi qu’à la création d’un parlement sensible au genre en reconnaissant que le chahut, les interruptions et les cris peuvent nuire au fonctionnement d’un parlement, et en les interdisant dans les parlements de Westminster qui s’engagent à tenir compte de la dimension du genre, y compris l’ALCB.
Les parlements devront faire des choix et décider ou non d’obliger les personnes chargées de prodiguer des soins à prendre congé et à ne pas participer aux séances plutôt que de leur offrir la possibilité de participer aux travaux à distance en maintenant un système hybride. Dans le cadre du modèle hybride mis en place au sein de l’ALCB lors de la pandémie de COVID-19, les votes avaient lieu en fin de journée et la plupart des députés ont voté et débattu sur la plateforme Zoom. Depuis l’assouplissement des mesures liées à la COVID-19, nous avons assisté à un changement : la technologie et les équipements sont toujours à notre disposition, mais leur utilisation est plus limitée. Les votes n’ont plus lieu à la fin de la journée, mais au cours des activités régulières, ce qui semble continuer à fonctionner pour les personnes qui assistent aux travaux à distance pour des raisons de santé. Le choix consiste donc à déterminer si la tradition est plus importante que la participation, en gardant à l’esprit que les traditions de Westminster ont été créées pour être exclusives. Les parlements devront décider si l’équilibre entre le travail et la vie personnelle (ou entre le travail et la famille), et la représentation qu’il permet, est moins important que la présence physique, ou déterminer quels groupes ces lieux de travail sont prêts à continuer à exclure. La priorité est-elle la politique de la tradition institutionnelle ou la politique de l’inclusion? N’oublions pas qu’il est question de la politique de l’identité.
Conclusion
Cet article a commencé en évoquant Mary Ellen Smith sans toutefois raconter la suite de son histoire. Après des années sans portefeuille ministériel, à subir des avances non souhaitées et des commentaires sur son apparence et sa voix, Mary Ellen Smith a quitté la politique parlementaire avec un profond sentiment de déception. Elle n’était certainement pas la dernière femme à se lancer en politique et à quitter le domaine habitée d’un tel sentiment.
En 2020, 37 femmes ont été élues pour occuper 42,5 ٪ des 87 sièges au sein du système de Westminster de l’ALCB. La province et le reste du monde étaient encore en pleine pandémie de COVID-19, mais ce n’est pas l’augmentation du nombre de femmes élues à l’assemblée législative qui a eu la plus grande incidencet sur sa culture fondée sur le genre. Le retrait des corps du lieu de travail physique en raison de l’« inadéquation » créée par la COVID-19 et qui a touché tous les députés a entraîné des changements au moins temporaires dans la culture fondée sur le genre au sein de l’ALCB, notamment la réduction ou l’interruption de certaines traditions sexospécifiques telles que le chahut. Non seulement a-t-on démontré que ces traditions fondées sur le genre pouvaient être changées, mais la présence virtuelle a possiblement été un « grand niveleur, car elle a mis tous les députés sur un même pied d’égalité39 » [traduction]. Il convient de noter, avec beaucoup de consternation, qu’une méthode aussi dramatique et brutale a sans doute mieux réussi à changer la culture fondée sur le genre inhérente à ce système que la présence et la participation accrues des femmes au sein de l’ALCB.
Il ne fait aucun doute que les changements apportés au lieu de travail pendant la pandémie de COVID-19 ont eu un effet considérable sur l’environnement de travail. Les exemples du chahut et des personnes chargées de dispenser des soins évoqués dans cet article ne sont que deux domaines de répercussions possibles. Ce thème et ce lieu de travail constituent un terreau fertile pour de futures recherches visant à examiner les descriptions qualitatives et quantitatives des changements apportés aux concepts de sensibilité au genre, et d’accès et de représentation des genres à la suite des aménagements engendrés par la COVID-19. Il serait notamment possible d’explorer la perception positive, négative ou neutre de ces changements sur les acteurs du monde du travail ainsi que sur la représentation démocratique. Les recherches futures devraient se pencher sur les changements apportés au sein de différents parlements, les répercussions que ces changements ont eues sur l’inclusion et sur les parlements sensibles au genre et les changements qui ont été conservés à long terme, le tout afin d’évaluer s’il est possible de faire évoluer davantage ces lieux de travail politique. Une recherche intégrant l’utilisation des règlements ou des politiques, les sciences politiques, la psychologie, les études sur le genre, la théorie critique du handicap et une compréhension des traditions du système de Westminster seraient utiles pour évaluer les lignes directrices proposées par l’APC et le réseau FPC concernant les parlements sensibles au genre. Une analyse interdisciplinaire s’appuyant sur une exploration et une interrogation conceptuelles rigoureuses permettrait quant à elle d’examiner les nombreuses facettes de cette période remarquable et d’appliquer les leçons retenues afin de poursuivre notre cheminement dans ce lieu de travail traditionnel et dans d’autres milieux.
Notes
1 Assemblée législative de la Colombie-Britannique, « Significant ‘Firsts’ for Elected Women in British Columbia », 2021. Sur Internet : <URL: https://www.leg.bc.ca/wotv/pages/women-by-firsts.aspx>.
2 R. McMillan, Interrupting Tradition: The Impact of a Higher Proportion of Women in Canadian Legislatures, Victoria, Université de Victoria, 2019; J. Praud, « When Numerical Gains Are Not Enough: Women in British Columbia Politics »; dans L. Trimble, J. Arscott et M. Tremblay (éditeurs), Stalled : The Representation of Women in Canadian Governments, Vancouver, UBC Press, 2013, p. 55-74.
3 Sur Internet : <URL:www.leg.bc.ca/content-parliamentary-business/Pages/Standing-Orders.aspx>.
4 R. Garland-Thomson, « Misfits: A Feminist Materialist Disability Concept », Hypatia, 26(3), 2011, p. 591-609.
5 C. N. Collier et T. Raney, « Understanding Sexism and Sexual Harassment in Politics : A Comparison of Westminster Parliaments in Australia, the United Kingdom, and Canada », Social Politics, 25(3), 2018, p. 433.
6 Ibid.
7 Ibid.
8 J. Lovenduski, « The institutionalization of sexism in politics », Political Insight, 16(9), 2014, p. 16-17. Sur Internet : <URL: https://journals.sagepub.com/doi/pdf/10.1111/2041-9066.12056,>.
9 Collier et Raney, p. 434.
10 J. Baick, « “Nasty” Woman and “Very Happy Young Girl”: The Political Culture of Women in Donald Trump’s America », Western New England Law Review, 42(3), 2020, p. 341.
11 Ibid., p. 342.
12 Collier et Raney, p. 449.
13 Samara Canada, « Jusqu’où peut-on aller? Ce que pensent les députés de la civilité à la Chambre des communes », 2016, p. 3. Sur Internet : <URL: https://www.samaracanada.com/docs/default-source/reports/20160402-jusqu’ou-peut-on-aller-final.pdf?sfvrsn=7084042f_2>.
14 M. Grisdale, « Le chahut à la Chambre des communes », Revue parlementaire canadienne, 34(3), 2011, p. 38-45; R. McMillan, Interrupting Tradition: The Impact of a Higher Proportion of Women in Canadian Legislatures, Victoria, Université de Victoria, 2019; Samara Canada, 2016.
15 Grisdale, p. 38.
16 Ibid.
17 Collier et Raney, p. 449.
18 Ibid., p. 450.
19 R. Campbell et S. Childs, « Parents in Parliament: “Where’s Mum?” », The Political Quarterly, 85(4), 2014, p. 487-492; S. Childs et M.L. Krook, « Analysing Women’s Substantive Representation: From Critical Mass to Critical Actors », Government and Opposition, 44(2), 2009, p. 125-145; G. Lore, « Les législatrices et les préoccupations féminines en Colombie-Britannique », Revue parlementaire canadienne, 31(4), 2008, p. 26-28; McMillan, 2019; Praud, 2013; culture (J. Ashe, « Assessing Gender and Diversity Sensitivity at the Legislative Assembly of British Columbia », préparé pour Femmes parlementaires du Commonwealth – Région canadienne, 2020; Praud, 2013); et représentation (Ashe, 2020; R. Campbell, S. Childs et J. Lovenduski, « Do Women Need Women Representatives? », British Journal of Political Science, 40(1), 2009, p. 171-194; Childs et Krook, 2008).
20 J. Erikson et T. Verge, « Gender, Power and Privilege in the Parliamentary Workplace », Parliamentary Affairs, 00, 2020, p. 1-19.
21 Ashe, 2020, p. 17.
22 Ibid.
23 Commonwealth Parliamentary Association (CPA)/Commonwealth Women Parliamentarians(CWP), « Gender Sensitising Parliaments Guidelines: Standards and a Checklist for Parliamentary Change », ٢٠٢٠, p. ٢. Sur Internet : <URL: https://issuu.com/theparliamentarian/docs/cwp_gender_sensitizing_guidelines>,
24 CPA/CWP, 2020, p. 3.
25 I. M. Young, Throwing Like a Girl and Other Essays in Feminist Philosophy and Social Theory, Bloomington, Indiana University Press, 1990, p. 153.
26 R. Garland-Thomson, « Integrating disability, transforming feminist theory », NWSA journal, 14(3), 2002, p. 9.
27 J. Butler et S. Taylor, « Interdependence », dans Taylor, A. (éd.), « Examined Life: Excursions with contemporary thinkers », New York, The New Press, ٢٠٠٩, p. ٢٠٨.
28 Butler et Taylor, p. 211.
29 Garland-Thomson, 2011, p. 595.
30 Ibid., p. 600.
31 G. Weiss, « The normal, the natural, and the normative: A Merleau-Pontian legacy to feminist theory, critical race theory, and disability studies », Continental Philosophy Review, 48(1), 2015, p. 92.
32 D. Meissner, « B.C. politicians return for ‘unique’ sitting of legislature during pandemic. The Canadian Press, CBC News, 21 juin , 2020. Sur Internet : <https://www.cbc.ca/news/canada/british-columbia/b-c-politicians-return-for-unique-sitting-of-legislature-during-pandemic-1.5621453>.
33 Ibid.
34 Weiss, (italiques ajoutés), p. 93.
35 Ibid.
36 Campbell et Childs.
37 CPA/CWP, p. 5.
38 Garland-Thomson, 2011, p. 597.
39 A. Topping, « Work & Careers: How Online meetings are levelling the office playing field », The Guardian, 22 octobre 2021. Sur Internet : <URL: https://www.theguardian.com/money/2021/oct/22/how-online-meetings-are-levelling-the-office-playing-field>.