L’authenticité comme cadre de communication au service de la mobilisation démocratique des jeunes

Article 5 / 9 , 46 No. 1 (Printemps)

L’authenticité comme cadre de communication au service de la mobilisation démocratique des jeunes

La participation des jeunes aux institutions démocratiques traditionnelles que sont, par exemple les élections et l’appartenance à un parti politique est en déclin. Toutefois, ce désengagement n’est pas forcément de l’apathie. Il pourrait plutôt servir à exprimer un choix actif (et un geste politique) de la part de jeunes qui veulent retirer leur soutien à des systèmes qu’ils jugent profondément déficients. Les jeunes se tournent plutôt vers des formes d’engagement politique nouvelles, plus informelles et davantage axées sur la communauté. Dans le présent article, l’autrice avance que pour favoriser l’engagement des jeunes dans les institutions démocratiques traditionnelles et renforcer leurs liens avec elles, il faut recourir à des stratégies qui susciteront leur confiance dans ces institutions. Elle explique en quoi le choix de l’authenticité comme cadre de communication peut aider à mobiliser les jeunes, et voit dans les plateformes des médias sociaux un espace prometteur où cette idée pourrait être mise en pratique. S’appuyant sur des entrevues réalisées avec douze députés de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique, elle montre la façon dont les politiciens ont choisi d’utiliser les médias sociaux et la façon dont ils pourraient les utiliser pour communiquer avec authenticité, et recense certains des obstacles auxquels se heurtent les politiciens et leur public dans cet espace. Elle souligne en conclusion que communiquer avec authenticité dans les médias sociaux n’est que l’une des nombreuses stratégies qui pourraient, et qui devraient, être employées pour rétablir la confiance des jeunes dans les institutions démocratiques traditionnelles.

Jerika Caduhada

Introduction

Quand on voit la faible participation aux élections des groupes les plus jeunes en âge de voter1, il est tentant de reprendre le cliché sur l’apathie des jeunes et de conclure que si les jeunes sont désengagés, c’est simplement parce que les questions politiques ne les intéressent pas. Peter Levine, spécialiste de l’engagement des jeunes, avance une toute autre idée, à savoir que si les jeunes délaissent des institutions démocratiques traditionnelles comme les élections et les partis politiques, il s’agit peut-être plutôt d’un choix délibéré pour ne pas appuyer des formes de participation qu’ils croient profondément déficientes2. M. Levine postule que le désengagement des jeunes n’est pas le fruit de l’indifférence, mais bien d’une intention. En ce sens, le désengagement peut être considéré comme un geste politique en soi. Il reste qu’en dépit des sentiments de désillusion ou de méfiance que peuvent avoir les jeunes, les institutions démocratiques traditionnelles jouent un rôle fondamental dans l’avènement de changements systémiques durables. Le présent article examine la façon de (re)connecter les jeunes à ces institutions démocratiques, et s’intéresse à l’utilisation des médias sociaux par les députés de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique. Comme la confiance est importante dans la relation entre un élu et ses électeurs, il sera surtout question de l’authenticité en tant que principe sur lequel fonder la communication politique dans les médias sociaux pour susciter la confiance et, partant, la mobilisation démocratique des jeunes.

Je commence par une discussion sur le désengagement des jeunes envers les institutions démocratiques traditionnelles. Je fais ensuite un bref survol de l’émergence chez eux de formes d’engagement politique nouvelles, plus informelles et davantage axées sur la communauté. Ces deux parties montrent que ceux-ci veulent se frotter aux questions politiques, mais qu’ils hésitent à le faire au sein des institutions démocratiques traditionnelles. Pour resserrer leur lien avec ces institutions, je fais valoir qu’il est essentiel de leur inspirer davantage confiance. Je réfléchis à l’authenticité en tant que principe qui peut guider les politiciens dans les mesures qu’ils prennent pour se faire connaître et ainsi établir un lien de confiance avec leurs électeurs. Je me concentre sur le concept d’authenticité comme cadre de communication dans les médias sociaux, là où se trouvent généralement les jeunes et où vont certains d’entre eux pour s’engager politiquement. Partant des entrevues que j’ai réalisées avec douze députés de l’Assemblée législative, j’examine les hésitations et les obstacles qui peuvent se présenter lorsque les politiciens tentent d’utiliser un cadre d’authenticité pour communiquer avec les jeunes électeurs. Je termine par une dernière réflexion sur la valeur démocratique de l’authenticité et sur ce qu’elle permet d’accomplir dans les médias sociaux pour mobiliser les jeunes.

L’engagement politique des jeunes

La catégorie des « jeunes » est une construction sociale sans cesse remodelée, mais aux fins de la discussion qui va suivre sur l’engagement démocratique, les « jeunes » sont les personnes âgées de 18 à 30 ans. Le désengagement de ce groupe démographique envers les institutions démocratiques traditionnelles est bien connu. Un sondage Abacus Data réalisé en 2019 montre que près des trois quarts des jeunes Canadiens trouvent la politique et le gouvernement trop compliqués et donc inaccessibles. Soixante et un pour cent disent ne pas croire que le gouvernement les écoute3. Selon une étude récente commandée par Élections Canada, le cynisme chez les jeunes est élevé, surtout dans les groupes marginalisés4. Bien sûr, le cynisme n’est pas limité aux jeunes; en effet, dans une étude d’Environics menée en 2018, seulement 19 % des Canadiens disaient avoir une forte confiance à l’égard des institutions démocratiques comme le Parlement, et seulement 10 % envers les partis politiques5. L’inquiétude et le mécontentement grandissants liés aux problèmes systémiques tels que la crise climatique et le racisme, ou encore la montée de la mésinformation et de la désinformation, montrent les divers points de déconnexion qui peuvent exister entre le gouvernement et le public. Pourtant, ces problèmes font qu’il est plus important que jamais que les gens restent en lien avec leurs institutions démocratiques et sentent qu’ils peuvent influencer ces institutions. Celles-ci ont un pouvoir unique de s’attaquer aux problèmes d’une telle ampleur.

Dans son rapport Ensemble, nous pouvons agir, l’organisme jeunesse canadien sans but lucratif appelé L’Apathie c’est plate montre que les jeunes se désengagent des institutions démocratiques canadiennes traditionnelles pour se tourner vers des formes d’engagement non institutionnelles et orientées vers le mouvement social6. Ces formes d’engagement plus informelles et plus personnelles font appel aux médias, à l’engagement communautaire et à la production culturelle pour encourager le discours politique7. Leur existence témoigne d’un désir de participation à la vie démocratique qui trouve satisfaction en marge des institutions démocratiques traditionnelles. Malgré tout, certains jeunes chevauchent ces différents types d’engagement. Dans la période qui a précédé les élections générales fédérales de 2015, des projets dirigés par des jeunes comme Be the Vote, Right to Vote, 31 Reasons et Voting Buddies ont montré l’exemple d’une mobilisation entre pairs axée sur l’éducation mutuelle à la participation électorale et sur l’organisation communautaire parmi les jeunes8. Il est à souligner que bon nombre de ces projets s’appuyaient sur les médias sociaux, lesquels offrent un espace propice aux formes d’engagement plus informelles et communautaires que les jeunes privilégient. Bon nombre des projets et études sur l’engagement politique des jeunes se concentrent sur les élections. Le présent article cherche à élargir la discussion en mettant l’accent sur l’engagement politique des jeunes au-delà des élections, tel qu’on peut l’observer dans les relations qu’ils entretiennent avec des représentants élus.

Le virage évident des jeunes vers d’autres modes d’engagement civique et politique témoigne de leur désir d’être des citoyens actifs qui contribuent au changement social; le défi consiste à orienter une partie de ce désir et de l’énergie qu’il génère vers les institutions démocratiques traditionnelles. Pour ce faire, il est essentiel que ces institutions inspirent confiance en leur capacité de servir véritablement et efficacement la population. À la base, il faut que la population ait confiance dans le fait que ses institutions démocratiques font ce qu’elles sont censées faire. Le désengagement des jeunes appelle donc à bâtir cette confiance, tâche pour laquelle le concept d’authenticité est particulièrement précieux.

La valeur démocratique de l’authenticité

La politique contemporaine est transformée par l’attention accrue qui est accordée à l’aspect personnel des choses. Qu’il s’agisse du manque de confiance envers les institutions ou de l’intérêt grandissant porté à la vie des personnages publics, les politiciens sont désormais évalués à travers la lentille de l’authenticité9. Le public veut des « politiciens honnêtes ». En réponse à cette attente, la stratégie suivie dans diverses campagnes électorales a consisté à associer tel ou tel candidat à cette hypothétique personne idéale. Par exemple, aux élections municipales de 2010 à Calgary, le candidat élu à la mairie, Naheed Nenshi, avait explicitement fait de l’authenticité un objectif clé. Il avait cherché à « établir un dialogue véritable avec les gens » pendant la campagne électorale, et s’était employé à toujours répondre directement et régulièrement aux messages dans les médias sociaux et à s’y montrer « authentique » dans ses messages10. Une étude de l’élection a révélé que, lorsqu’on les interrogeait au sujet des candidats, les répondants disaient que M. Nenshi était quelqu’un à qui ils pouvaient s’identifier et qu’ils avaient l’impression de « savoir quel genre de personne il est derrière le complet et le cérémonial »11. La campagne présidentielle de Bill Clinton avait clairement misé sur une stratégie similaire. Des images de la vie privée des Clinton avaient été utilisées pour convaincre les Américains qu’ils allaient « connaître » le « vrai Clinton »12.

Ces campagnes s’articulaient autour du concept d’authenticité de façon différente : l’une misait sur la communication directe et fréquente, l’autre sur l’association entre la vie privée du politicien et son personnage public. Leur grande similitude résidait dans l’idée qu’un politicien peut se faire connaître du public en tant que personne.

Ce sentiment de « connaître » quelqu’un est précisément ce qu’apporte le concept d’authenticité. En soi, l’authenticité est indissociable d’une certaine fiabilité. Quelle que soit cette chose qui est authentique, le fait de son authenticité aide à croire qu’elle est ce qu’elle prétend être. Cette cohérence entre la chose telle qu’elle est et ce qu’elle prétend être est inhérent à la définition de l’authenticité donnée par le chercheur Ben Jones dans son article intitulé « Authenticity in Political Discourse »13. Jones y explique que l’authenticité comprend deux éléments, soit 1) la défense constante des valeurs qui définissent l’identité de la personne et 2) l’illustration fidèle de ces valeurs aux yeux des autres14. La valeur démocratique de cette authenticité découle du fait qu’elle révèle les forces (les valeurs) qui motivent les actions du politicien et que ces forces sont constamment réaffirmées dans des actions les reflétant. Dans notre système de représentation, le public n’est pas toujours là pour influencer les décisions de ses représentants; c’est pourquoi il trouvera sans doute rassurant de pouvoir comprendre et prédire la façon dont un politicien « authentique » agira vraisemblablement15. Bien sûr, ce sentiment d’authenticité n’est pas la garantie d’une action précise, car le politicien peut représenter fidèlement ses valeurs fondamentales tout en choisissant d’agir autrement.

Le présent article porte sur les politiciens qui veulent communiquer leurs valeurs, agir en conséquence et entretenir des relations actives, réciproques et de confiance avec leurs commettants, en particulier les jeunes. Les deux premiers points constituent l’authenticité, et ensemble ils facilitent le troisième, soit l’établissement de la confiance. Les médias sociaux sont devenus un outil précieux pour communiquer son authenticité aux jeunes. Ceux-ci s’éloignent certes de la politique traditionnelle et perdent confiance dans les institutions démocratiques et les partis politiques, mais ils ne sont guère plus attirés par les médias traditionnels. Les nouvelles, les entrevues avec des journalistes et les communiqués de presse officiels sont peu susceptibles d’attirer leur attention. Par contre, les jeunes profitent de leur familiarité avec les médias sociaux pour aborder les enjeux politiques de façon novatrice. Il existe maintenant dans les médias sociaux une cohorte de jeunes dont l’énergie pourrait éventuellement se déployer dans l’engagement démocratique, si seulement elle était correctement mobilisée. Les politiciens qui établissent leur authenticité sur les plateformes des médias sociaux peuvent donc bâtir un lien de confiance et entretenir avec les jeunes des relations actives et réciproques, relations qui, ailleurs, s’étiolent depuis un certain temps.

Obstacles au cadre d’authenticité

Dans la préparation de mon article, j’ai eu la chance d’interroger douze députés de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique, soit cinq du caucus du gouvernement, cinq du caucus de l’Opposition officielle et deux du caucus du troisième parti. J’ai rencontré le caucus du troisième parti au complet et dans le cas des autres caucus, les députés rencontrés ont été choisis sur recommandation du personnel du caucus. La priorité est allée aux députés qui utilisent le plus les médias sociaux comme outil de communication politique. Sauf pour certaines questions de suivi résultant de certaines réponses, les questions posées aux députés étaient des questions qualitatives normalisées sur leur approche des médias sociaux, sur le concept d’authenticité et sur l’engagement démocratique des jeunes. Aux fins de l’article, les médias sociaux sont généralement les plateformes Facebook, Twitter et Instagram, que tous les députés interrogés utilisaient. À la fin de chaque entrevue, une dernière question ouverte permettait aux députés d’ajouter des réflexions finales sur des sujets qui n’avaient pas encore été abordés.

Étant un espace dominé par les jeunes et propice à l’engagement politique16, les médias sociaux offrent aux politiciens une plateforme où établir leur authenticité. Cependant, ce n’est pas une plateforme où la manœuvre est facile pour eux, comme cela est ressorti clairement des échanges sur les obstacles auxquels ils se heurtent dans l’établissement de leur authenticité en ligne.

Les douze députés ont souligné que le politicien doit être présent dans les médias sociaux, mais huit ont parlé d’une tension qui les décourageait d’y interagir au-delà des messages politiques professionnels. Un député a comparé les médias sociaux à un communiqué de presse, belle illustration de la perception de ceux qui voient dans les médias sociaux un outil traditionnel de communication politique à sens unique servant à diffuser des messages politiques. Quatre députés abordaient les médias sociaux animés d’objectifs plus personnels : il s’agissait toujours de faire connaître leur travail professionnel, mais aussi d’aider le public à mieux saisir leur identité, leur vie et leurs valeurs en tant que députés. Ceux-ci partageaient surtout du contenu « adéquatement personnel » sur leurs plateformes, alors que les huit députés du premier groupe partageaient presque uniquement des nouvelles de la communauté et des mises à jour politiques. Malgré ces différences, la majorité des douze députés s’entendaient sur deux aspects fondamentaux de leur utilisation et de leur expérience des médias sociaux : 1) le public veut que les députés affichent plus de contenu personnel en ligne (huit l’ont mentionné explicitement), 2) les fréquents « commentaires haineux » lancés aux députés dans les médias sociaux les ont amenés à y limiter leur présence, dans l’intérêt de leur travail et de leur santé mentale (tous les députés ont mentionné ce point). En gros, les commentaires haineux décrits par les députés interrogés sont des messages hostiles, souvent à caractère personnel, souvent liés à une idéologie oppressive fondée sur des préjugés, comme le sexisme et le racisme.

Les remarques des députés au sujet du désir du public de voir plus de contenu personnel montre que celui-ci veut avoir une idée bien précise de qui sont ses représentants, avoir l’impression de les « connaître » vraiment. Un député en a parlé plus en détail, expliquant qu’il avait des milliers de liens en ligne sur sa page personnelle publique, mais seulement quelques centaines sur sa page professionnelle de député de l’Assemblée législative. Trois ont souligné que leurs publications d’ordre personnel suscitaient beaucoup plus d’interactions – qu’ils y parlent de jardinage, de leurs aventures dans la collectivité ou de leur journée de travail – que les publications d’ordre professionnel portant strictement sur leur travail politique. Un député a dit qu’à son avis, l’appétit du public pour des liens personnels naît de l’omniprésence de tout ce qu’il y a d’artificiel dans la société; cette observation rejoint celles qui ont été faites précédemment sur la perte de confiance du public et la valeur démocratique de l’authenticité. Cela dit, comme l’a expliqué un député, quand un personnage public expose certains aspects de sa vie privée, il peut aussi compromettre sa carrière politique.

Les douze députés étaient nettement d’avis que les commentaires haineux prolifèrent dans les médias sociaux et que cela les décourage énormément d’y interagir avec le public. Cinq députés ont ajouté que, selon eux, les commentaires haineux deviennent un problème de plus en plus grave, et bon nombre considéraient que les plateformes elles-mêmes facilitent énormément la diffusion de tout ce vitriol, puisqu’elles permettent aux utilisateurs de rester anonymes et qu’elles font ressortir les échanges litigieux parce qu’ils sont divertissants. Pour reprendre les mots de deux députés, les médias sociaux sont une « machine à indignation » et une « bête insatiable » qu’il faut nourrir sans cesse pour demeurer pertinent. Deux députés ont dit avoir l’impression que certains commentateurs font des critiques haineuses simplement pour le plaisir, au lieu de dire quelque chose de productif et de significatif. Un autre voyait dans les médias sociaux un espace où « s’opposer à l’autorité ressemble à un sport récréatif » aux yeux des utilisateurs. Les commentaires négatifs sont si fréquents qu’un député a déclaré que « les choses vont très bien [en ligne] pour un député si seulement 50 % des gens l’haïssent », parce que normalement, ce pourcentage est plus élevé. Outre ces facteurs de dissuasion, les députés ont souligné que la courbe d’apprentissage abrupte de ces plateformes peut décourager de les utiliser. Tous voulaient établir des liens plus étroits avec les jeunes, mais ils avaient le sentiment, du moins à leurs premiers pas sur ces plateformes, de mal connaître les types de médias sociaux utilisés par les jeunes et leur façon de les aborder. Ils trouvaient d’ailleurs que, dès qu’ils sont à l’aise sur une plateforme de médias sociaux, l’attention des jeunes se transporte sur une autre. La courbe d’apprentissage des médias sociaux, le temps accaparé par tous les autres aspects de leur travail et le prix émotionnel à payer pour se frotter à la culture des médias sociaux les dissuadaient tous d’utiliser ces plateformes autant qu’ils l’auraient voulu.

D’autres préoccupations liées aux médias sociaux sont ressorties des entrevues. Trois députés ont cité nommément la prédominance de la mésinformation et de la désinformation, et le risque accru de radicalisation. Cela étant dit, les observations concernant la demande de contenu personnel de la part du public et la nature chronophage et vitriolique des médias sociaux sont les plus pertinentes dans la discussion sur l’authenticité en ligne d’un politicien. En réponse aux questions qui leur étaient posées sur le concept d’authenticité, six des députés ont dit d’emblée qu’ils rédigent eux-mêmes leurs messages dans les médias sociaux. C’est en écrivant directement pour chaque plateforme qu’ils ont pu sentir la sincérité de leur engagement dans les médias sociaux; au fil du temps, ils ont façonné cette voix unique et vraie qui est celle de leur personnage public, et ils ont trouvé important de faire entendre cette voix sur les plateformes en question. Les députés reconnaissaient le désir d’authenticité du public et essayaient d’y répondre. Ils comprenaient que les utilisateurs des médias sociaux veulent les « connaître » en tant que personnes distinctes de leur formation politique ou de l’institution démocratique plus vaste dont ils font partie.

Pour ce qui est de protéger leur vie privée et celle de leurs proches, les députés se divisaient en deux catégories, soit ceux qui ont choisi de ne pas donner au public le contenu personnel qu’il réclame, et ceux qui ont choisi d’y répondre de façon précise et mesurée. Les députés qui ont choisi de communiquer du contenu personnel ont indiqué qu’ils pouvaient se limiter à faire uniquement des publications personnelles sur ce qu’ils vivent dans leur circonscription, ou encore parler de leurs amis, mais jamais de leur famille.

Le concept d’authenticité offre une autre façon de comprendre ce qui est personnel : il s’agit des traits qui caractérisent une personne et qui font que l’on peut s’identifier à elle, la distinguer des autres et comprendre qui elle est. Dans cette interprétation de l’authenticité, ce qui est personnel peut aussi inclure les valeurs qui sont au cœur de l’identité d’une personne. Consciemment ou non, un petit nombre de députés de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique, qui n’ont pas tous été rencontrés pour le présent article, incarnent déjà cette conception de ce qui est personnel et authentique. Les pensées personnelles qu’ils communiquent sur leur travail et sur l’actualité montrent les valeurs qui guident leur réflexion, non seulement sur le plan professionnel, mais aussi en général. Cette réinterprétation de la nature de ce qui est personnel permet aux députés d’offrir à leurs électeurs la possibilité de les « connaître » sans miner pour autant leur droit à la vie privée.

La perspective d’aborder de nouveau les médias sociaux, cette fois dans un cadre d’authenticité, peut être intimidante pour des députés qui connaissent trop bien les défis inhérents à l’apprentissage des nouvelles plateformes et aux propos souvent haineux qui les visent. Cependant, la beauté de l’authenticité en tant que cadre de communication est qu’elle consiste essentiellement de faire comprendre qui l’on est. L’idée n’est pas de suivre les dernières tendances ni d’utiliser une forme particulière de texte ou de média, dans la mesure où la plateforme utilisée est celle que fréquente l’auditoire cible. Ce cadre d’authenticité ne consiste pas non plus à répondre rapidement ou directement à chaque commentaire; ce serait de toute manière un objectif irréaliste, et la plupart des députés interrogés s’y soustraient dans l’intérêt de leur santé mentale, invitant plutôt les gens à communiquer avec eux par courriel ou en personne. Ce qui est demandé dans un cadre de communication fondé sur l’authenticité est simple : représenter avec justesse les valeurs qui sont au cœur de son identité unique et individuelle et agir constamment dans le sens de ces valeurs. Ce genre de contenu peut contribuer à combler le fossé creusé par le désenchantement et la méfiance entre les représentants et leurs jeunes électeurs.

Conclusion

Le présent article repose sur la conviction profonde que les jeunes ne sont pas apathiques et qu’au contraire, ils sont animés d’une énergie largement inexploitée qui peut se déployer dans l’engagement au sein des institutions démocratiques traditionnelles. Être authentique, dans un cadre de communication politique visant l’engagement démocratique des jeunes, c’est comprendre qu’il y a peu de chances de faire revenir les jeunes dans le giron des institutions démocratiques traditionnelles en se contentant de multiplier les interactions dans les médias sociaux ou d’adopter les dernières tendances de ces médias. Le désengagement délibéré qui résulte de la méfiance ou du désenchantement appelle à un travail tout aussi délibéré pour rebâtir la confiance et susciter le réengagement. Cette approche demeure évidemment incomplète et imparfaite, car les médias sociaux sont une plateforme pour privilégiés dont l’accès exige certaines connaissances et habiletés, et certains moyens financiers. Il faut aussi susciter l’engagement des jeunes par d’autres moyens, par exemple des événements communautaires, des visites en personne et d’autres encore. En outre, la façon de bâtir la confiance différera selon le segment visé dans la grande catégorie des jeunes; par exemple, tel groupe ayant connu telle forme de marginalisation systémique en aura conçu une méfiance des institutions qui exigera une réponse adaptée. Les partisans du changement systémique doivent tenir compte des différentes nuances du préjudice systémique. Néanmoins, l’authenticité en tant que cadre de communication ouvre la voie à l’établissement de relations significatives entre les politiciens et les jeunes. Et surtout, cette voie, dans son intersection avec les médias sociaux, n’oblige pas les politiciens à étaler leur vie privée, à passer des heures à apprendre les nouvelles fonctions ou tendances technologiques ou à interagir plus directement, au prix du poids émotionnel associé à la culture des médias sociaux. L’authenticité, en tant que cadre de communication politique, vise plutôt à répondre de la façon la plus concise et élémentaire possible aux questions que tout électeur voudrait poser à son représentant : Qui êtes-vous? Et comment décidez-vous de la façon de me représenter quand je ne suis pas dans la pièce?

Notes

1 Elections BC, Voter Participation by Age Group: 2020 Provincial General Election, British Columbia Legislature, 2020. [https://elections.bc.ca/docs/stats/voter-participation-by-age-group-2013-2020.pdf]. La participation des cohortes de 18 à 24 ans et de 25 à 34 ans a été de 45,7 % et de 39 % respectivement aux élections générales provinciales de 2020 en Colombie-Britannique.

2 Tara Mahoney, Samantha Reusch et Caro Loutfi, « Ensemble, nous pouvons agir (2020) », L’apathie c’est plate, 5 février 2020.

Ibid.

Ibid.

Ibid.

6 Ibid.

Ibid.

Ibid.

9 Delia Dumitrica, « Politics as “Customer Relations”: Social Media and Political Authenticity in the 2010 Municipal Elections in Calgary, Canada ». Javnost – The Public, 21:1, 53-69, November 10, 2014. DOI: 10.1080/13183222.2014.11009139

10 Ibid.

11 Ibid.

12 Ibid.

13 Ben Jones, « Authenticity in Political Discourse », Ethical Theory and Moral Practice, vol. 19, no 2, 2016, p. 489-504 JSTOR [http://www.jstor.org/stable/24762640].

14 Ibid.

15 Ibid.

16 Mahoney, Reusch et Loutfi, op. cit.

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