Les péchés de la Commission : Une commission royale pour abolir le Parlement?
Une « commission royale » de 1949 envisageait l’impensable : l’abolition du Parlement. Heureusement, pour les parlementaires d’hier et d’aujourd’hui, le rapport qui en a découlé était un pastiche réalisé par la Tribune de la presse parlementaire, qui a été « soumis irrespectueusement » et qui n’était pas une véritable prescription pour fermer les édifices du Parlement. Dans cet article, l’auteur explore le texte de cette plaisanterie bien ficelée. Il fait remarquer que, bien qu’une partie de l’humour soit probablement encore valable de nos jours, le racisme et le sexisme désinvoltes contenus dans le document signifient que la plupart des lecteurs ne verseront pas de larmes en apprenant que ce document a été oublié depuis longtemps et qu’il accumule de la poussière – tout comme certains des véritables rapports de commission que le document parodie.
Forrest D. Pass
La lecture des rapports des commissions royales est un avantage ou un risque professionnel pour les parlementaires et les historiens. J’ai parcouru ma juste part au fil des ans, du rapport de la Commission Kellock-Taschereau sur l’affaire Gouzenko de 1946, qui se lit un peu comme un roman de John Le Carré, au Rapport de la Commission d’enquête sur la construction du chemin de fer transcontinental (1914), qui se lit, eh bien, comme le Rapport de la Commission d’enquête sur la construction du chemin de fer transcontinental. Pourtant, lorsque j’ai pris connaissance d’un tel rapport lors d’une vente de succession à Ottawa, il m’a fallu un moment pour me rendre compte que j’avais un pastiche de rapport oublié depuis longtemps plutôt qu’un rapport authentique.
Même en ces temps de contrefaçons numériques, il y a beaucoup d’éléments admirables dans la créativité analogique de cette blague du milieu du siècle. En tant qu’objet, le Report of the Royal Commission to Investigate the Proposal that Parliament be Abolished (rapport de la Commission royale d’enquête sur la proposition d’abolition du Parlement) reproduit l’aspect général des véritables rapports de commission royale, de sa couverture bleue et de son caractère d’imprimerie jusqu’au cliché d’imprimerie utilisé pour les armoiries sur la page couverture et la page titre. L’Imprimeur du Roi était peut-être au courant de la blague. Outre le titre, la date du décret de nomination de la commission, soit le 1er avril 1949, est l’indication la plus claire que la proposition d’abolir le Parlement n’a pas été formulée en toute sincérité. Le coupable était la Tribune de la presse parlementaire, qui a préparé le « rapport » comme souvenir de son dîner annuel.
Comptant à peine 46 pages, le rapport était, du propre aveu des auteurs, un peu plus petit qu’un rapport type de commission royale. « You will find it short, as Royal Commission reports go » (vous allez trouver que c’est bref, pour un rapport de commission royale) se sont excusés les commissaires dans leur lettre de transmission, avant d’ajouter la boutade : « Where do they go, incidentally? » (au fait, où vont-ils?) Cependant, notant que « this brevity has been a matter of concern » (cette brièveté a été une source de préoccupation), les commissaires ont fait remarquer qu’ils annexaient au rapport tout le contenu de la Bibliothèque du Parlement. Ils prévoyaient que les annexes du rapport seraient disponibles en même temps que l’exécution du plan Greber. Ce projet ambitieux d’amélioration et d’embellissement de la capitale nationale avait été publié en 1948 et n’avait jamais été entièrement mis en œuvre.
Comme tout document historique, le rapport est un produit de son époque, et le fait qu’il ne soit pas dépassé laisse parfois les lecteurs modernes perplexes. Prenons, par exemple, le nom des commissaires. Le choix de « l’honorable juge Charles I » est assez clair : ennemi des parlements, le roi Stuart du XVIIe siècle pourrait fort bien présider une telle enquête. Les autres commissaires auraient été bien connus des contemporains du rapport. Hepburn était l’ancien premier ministre de l’Ontario, Mitchell « Mitch » Hepburn, une épine de longue date dans le pied du Parti libéral fédéral; Houde était Camillien Houde, l’ancien maire de Montréal, qui avait été interné pendant la Seconde Guerre mondiale et qui est devenu un défenseur indésirable des progressistes-conservateurs pendant la campagne électorale de 1949.
Le dernier commissaire, C.B.C. Rawhide était une étoile montante et controversée dans le firmament du Canada. Aide sur un ranch, « Rawhide », qui avait son franc-parler et des opinions bien arrêtées, était l’alter ego de Max Ferguson qui animait à la CBC/SRC une émission hebdomadaire de musique country appelée Breakfast Breakdown. Conçue à l’origine pour CBC Halifax, l’émission de Max Ferguson « Rawhide » a été diffusée sur le réseau national au début de ١٩٤٩, et tous les auditeurs n’ont pas été impressionnés. Dans une question adressée au ministre du Revenu national, qui était alors responsable de la CBC/SRC, le 3 mars 1949, le député de Toronto—St. Paul’s, Douglas Ross, condamnait les « divagations et banalités vides de sens, formulées dans un anglais des plus médiocre, avec les mots d’un analphabète, une insulte à l’intelligence des Canadiens » [traduction]. Un personnage qui a été si calomnié à la Chambre des communes aurait sûrement des opinions bien arrêtées sur la valeur de l’institution.
Le « témoignage » que Rawhide et ses collègues commissaires ont entendu était rempli de blagues d’initiés et de jeux de mots inventifs. Par exemple, les chefs des partis d’opposition, George Drew du Parti progressiste-conservateur et M.J. Coldwell, de la Cooperative Commonwealth Federation (CCF), deviennent « George Drewl » et « M.J. Hotwell », respectivement. Les contributions de ces derniers consistaient principalement en d’autres significations pour l’acronyme CCF, « Come Clean, Fellows », « Cheap Crook’s Foes », « Catch Conservatives Flatfooted » et « Cash, Comrade, First ».
Les mémoires n’ont pas été épargnés par les moqueries, que ce soit sur le plan verbal ou visuel. Un mémoire de la province de Terre-Neuve comprenait un acrostiche sur la bonne prononciation du nom de la province. Le fait de ridiculiser la nouvelle province était ironique, car l’entrée de Terre-Neuve dans la Confédération avait été délibérément devancée d’un jour pour ne pas coïncider avec le jour du poisson d’avril – la Tribune de la presse n’a manifestement pas reçu la note de service. D’une part, la pièce A, le « Whimsey Report on the Sex Lives of Senators » (le rapport Whimsey sur la vie sexuelle des sénateurs) pourrait encore faire rire les gens, évoquant les stéréotypes persistants au sujet de la Chambre rouge. D’autre part, le racisme ordinaire d’un mémoire prétendument présenté par un chef des Premières Nations fait frémir le lecteur du XXIe siècle. De même, un certain nombre de blagues sexistes nous rappellent que le Parlement et la Tribune de la presse étaient, dans les années 1940, des clubs pour hommes seulement, laissant peu de place aux femmes.
Une demi-douzaine de caricatures illustraient le rapport, le travail de certains des caricaturistes politiques canadiens les plus connus de l’époque, dont Jack Boothe du Globe and Mail, Les Callan du Toronto Star, Gordie Moore du Montreal Gazette et Bob Chambers du Halifax Chronicle-Herald. Dans la plupart des cas, les caricatures avaient été dessinées spécialement pour cette publication; une caricature, celle du caricaturiste Arch Dale du Winnipeg Free Press, illustre le « témoignage » de la commission et se moque des propres lacunes du caricaturiste. Après la mort de Dale, Peter Kuch, un protégé de Dale, raconte que le caricaturiste lui demandait souvent d’« esquisser » le visage de George Drew dans ses caricatures. Dans sa caricature pour le Report, Dale décrit un caricaturiste, qui est un gros buveur, devenant de plus en plus frustré parce que, comme le fait observer un petit chien dans le coin, « he can’t draw Drew! » (il n’est pas capable de dessiner Drew!).
À l’instar de certains rapports de commission royale, le Report of the Royal Commission to Investigate the Proposal that Parliament be Abolished était éphémère et a vite été oublié. Seulement quelques exemplaires existent encore. Deux exemplaires se trouvent à Bibliothèque et Archives Canada, et il y en a un à la Thomas Fisher Rare Book Library de l’Université de Toronto. Il y en a sans doute quelques autres qui ramassent de la poussière dans des greniers privés et des sous-sols.
En fin de compte, la commission a accordé au Parlement un sursis, assorti de conditions. Les commissaires « disrespectfully submitted » (ont proposé irrespectueusement) que la Chambre des communes soit redécorée avec « a boulevard café motif at afternoon sittings » (un motif de boulevard café lors des séances de l’après-midi) et le soir avec « seats arranged cabaret fashion » (des sièges disposés comme dans un cabaret). Il va sans dire que personne n’a encore donné suite à ces recommandations. Il est peut-être encore temps de les intégrer aux plans de l’édifice du Centre nouvellement rénové.