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Time and Politics: Parliament and the Culture of Modernity in Britain and the British World, par Ryan A. Vieira (Oxford University Press), 2015. 199 p.
Essays on the History of Parliamentary Procedure in honour of Thomas Erskine May, publié sous la direction de Paul Evans (Hart Publishing), 2017. 347 p.
Depuis 2016, le Parlement britannique est monopolisé par la question du Brexit et les débats entourant la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, un processus qui s’avère difficile et dramatique. Les résultats du référendum ont amené le premier ministre, David Cameron, à démissionner. Ne réussissant pas à maintes reprises à obtenir l’appui du Parlement en vue de la conclusion un accord avec l’Union européenne, la première ministre Teresa May a fait de même. Son successeur, Boris Johnson, la troisième personne à occuper le poste de premier ministre dans cette saga, a insisté pour qu’un nouvel accord soit adopté à l’approche de l’échéance du 31 octobre, mais ses efforts ont été maintes fois rejetés par la Chambre des communes. Ayant perdu plusieurs votes importants, il a expulsé une vingtaine de députés dissidents de son propre parti et a été forcé de demander une prolongation de l’échéance pour pouvoir poursuivre les négociations avec l’Union européenne, avant de finalement réussir à obtenir l’approbation nécessaire pour tenir des élections générales anticipées. C’est le désordre. Même le Président, John Bercow, est intervenu. Il a été à tour de rôle blâmé et encensé pour avoir confié un plus grand rôle aux députés d’arrièreban et avoir contrarié le gouvernement. Le Brexit a grandement divisé le pays et a donné lieu à des questions et à des plaintes au sujet du Parlement et de sa capacité à aborder des enjeux complexes qui détermineront sans aucun doute l’avenir social et économique du pays. Ces plaintes ont été amplifiées par les médias et la diffusion des délibérations parlementaires. Les gens de sont de plus en plus mécontents, et nombreux sont ceux qui veulent tout simplement en finir avec le Brexit.
Ce n’est pas la première fois qu’on remet en question le Parlement et son efficacité. Pendant la majeure partie du XIXe siècle, lorsque la Grande-Bretagne était à la tête d’un empire mondial et dominait la production industrielle et le commerce international, le Parlement a été secoué par divers dossiers révélant des tensions persistantes. Certaines de ces tensions étaient de nature semblable au Brexit, sans toutefois avoir nécessairement la même ampleur. On pense surtout à l’Irlande et à sa lutte pour l’autonomie politique. Cette lutte hautement controversée a dominé les travaux du Parlement au cours des 25 dernières années du XIXe siècle. S’étant soldé par un échec, les deux tentatives d’accession à l’autonomie (1886 et 18930) ont ruiné le premier ministre Gladstone et le Parti libéral et ont menacé l’unité nationale. Elles ont aussi miné la confiance du public à l’égard du Parlement, ne seraitce que temporairement. Il est pour le moins paradoxal que le Brexit luimême ait connu des ratés à cause de l’Irlande et de la clause de sauvegarde relative à la frontière entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Finalement, il est peut-être un peu exagéré de s’attendre à ce que le Parlement, par luimême, à titre de lieu de débat national, puisse régler des questions aussi fondamentales. Les débats seront probablement très intenses et révéleront de profondes divisions qui sont difficilement conciliables. Des débats de ce type, même au XIXe siècle, peuvent mettre à l’épreuve les limites de la démocratie représentative traditionnelle et le rôle que le Parlement joue dans la recherche de solutions.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Ainsi, les récits habituels évoquant le fonctionnement du Parlement à l’époque victorienne sont bien souvent positifs et élogieux. En effet, bon nombre de ces récits décrivent les succès du Parlement et expliquent comment il est parvenu à s’acquitter de son rôle alors que l’empire était au sommet de sa gloire. Ils portent sur différents moments de l’histoire, comme l’élargissement du droit de vote, le développement des partis politiques et des campagnes électorales modernes, la montée des personnalités au pouvoir et la mise en œuvre, par le gouvernement, de politiques sociales importantes. Deux ouvrages récents sur l’histoire du Parlement visent à faire le pont entre la reconnaissance des réalisations du Parlement et les efforts déployés pour surmonter les obstacles à son efficacité. Le premier à avoir été publié est celui de Ryan Vieira, intitulé Time and Politics. L’analyse de M. Vieira s’inscrit dans un contexte où le Parlement peine à adapter ses procédures aux contraintes de temps et au poids des dossiers dont il est saisi. Ce qui est frappant, c’est la résistance acharnée à l’égard des réformes et de la modernisation des pratiques parlementaires ancrées dans le XVIIIe siècle et même avant. Ce qui était approprié à l’époque où la Chambre des communes était le « grand enquêteur de la nation » ne convenait plus lorsqu’il a fallu composer avec les pressions de plus en plus fortes exercées sur le gouvernement et la gamme d’enjeux devant être examinés par la Chambre des communes. Dans le cadre de ces réformes, le gouvernement a tenté de limiter les longs débats et d’avoir un plus grand contrôle sur la gestion des affaires parlementaires. M. Vieira établit une comparaison entre ces faits historiques et l’accélération du rythme de vie à l’extérieur de l’enceinte du Parlement découlant de l’importante croissance industrielle et expansion économique. Il explique comment certains concepts modernes de l’époque de même que les visions d’un appareil efficace et de masculinité vertueuse en sont venus à être utilisés pour expliquer et justifier la nécessité des réformes parlementaires. Il estime que ces clichés culturels contribuent à offrir une explication plus complète et intégrée, « un nouveau récit », selon lui, de l’historique de ces réformes. Cette analyse vise à compléter les récits plus traditionnels expliquant ce qui a motivé les parlementaires et le gouvernement à adopter des procédures plus rapides d’adoption des lois. Même si les lacunes des anciennes procédures étaient de plus en plus évidentes, les députés ont continué à hésiter à modifier les règles et les pratiques de la Chambre. Pendant la majorité de l’époque victorienne, des changements ont souvent été proposés, mais ils ont rarement été adoptés, et ils étaient généralement inefficaces.
Des propos semblables sont tenus dans la deuxième publication, intitulée Essays on the History of Parliamentary Procedure in Honour of Thomas Erskine May. Cette collection d’articles rédigés pour la plupart par des greffiers de Westminster (anciens et actuels) porte d’abord et avant tout sur Thomas Erskine May, la principale autorité en matière de procédure parlementaire à son époque. Thomas Erskine May a eu une carrière qui s’étend à presque toute l’époque victorienne. Il a fait ses débuts à la Bibliothèque de la Chambre des communes en 1832, et il a ensuite gravi les échelons jusqu’au poste de greffier de la Chambre des communes, qu’il a occupé de 1871 à 1886. Sa vie est très évocatrice de l’époque. M. May, qui est l’auteur de l’ouvrage Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament, imprimé pour la première fois en 1844, incarne le professionnalisme et le carriérisme caractérisant ce que M. Vieira appelle la nouvelle culture de la modernité. L’ouvrage exhaustif de M. May, qui est encore imprimé aujourd’hui, fournit une description complète des pratiques parlementaires fondées sur les précédents et un historique de cellesci . Paradoxalement, le contenu de son ouvrage a eu une incidence inattendue; il a accru le respect à l’égard de la longue histoire du Parlement et a donc renforcé la résistance au changement. M. May luimême semblait avoir des réticences en ce qui concerne les réformes. Même s’il a reconnu leur nécessité et a fait de nombreuses propositions de réformes, il est toutefois demeuré prudent et a souvent adopté une approche graduelle. Le poids de l’histoire et l’inertie causée par la tradition nuisaient à l’adoption de tout changement important. Toutefois, la nécessité de mettre en œuvre des mesures plus rigoureuses pour accroître la capacité de la Chambre de mener ses activités plus rondement est devenue incontestable lorsque les nationalistes irlandais ont continué de faire systématiquement obstruction aux travaux de la Chambre.
L’Irish Parliamentary Party (Parti parlementaire irlandais) est devenu le troisième parti au Parlement de Westminster en 1874. Son objectif était d’obtenir au moins l’autonomie politique de l’Irlande par le rétablissement d’un parlement à Dublin. La résistance envers cette initiative a motivé les nationalistes irlandais à trouver des façons de montrer leur détermination. Lors des sessions parlementaires de 1877 et de 1879, l’obstruction est devenue leur tactique de prédilection, et les tentatives visant à mettre fin à ces dérapages se sont avérées grandement inefficaces. À compter de 1880, sous la direction de Charles Stewart Parnell, l’obstruction s’est accrue une fois de plus, au point de paralyser les travaux. Les répercussions ont été indéniables au cours du débat à l’étape de la deuxième lecture sur le projet de loi sur la protection des personnes et des biens en Irlande, qui avait pour objectif de punir les actes de violence dans le secteur agraire et de protéger les actifs des propriétaires, qui étaient surtout protestants. Du 31 janvier au 2 février 1881, la Chambre a siégé sans arrêt, jusqu’à ce que le Président, Henry Brand, prenne l’initiative de clore le débat et de mettre la question aux voix. Il s’agissait alors d’une situation radicale et sans précédent : en effet, jamais auparavant la clôture n’avait été employée pour mettre fin aux débats, et le Président n’avait jamais non plus pris une telle mesure de son propre chef.
Pour M. Vieira, ce qu’il importe de souligner à propos de cet événement, c’est la ferme détermination de M. Gladstone et l’intervention audacieuse du Président, qui ont grandement attiré l’attention à l’extérieur de l’enceinte du Parlement de Westminster. L’intérêt manifesté par la population a été très fort, et les descriptions des principaux protagonistes étaient frappantes. M. Vieira mentionne que M. Gladstone et M. Brand ont gagné à avoir été dépeints de manière héroïque. Des termes forts masculins ont été employés pour décrire M. Gladstone, « un héros mythique… luttant vaillamment contre des monstres irlandais ». Au bout du compte, c’est cette situation qui a amené les réformes les plus importantes à ce jour. En février 1882, M. Gladstone a proposé des changements qui ont donné lieu à la création des comités permanents, amélioré le processus d’attribution des crédits et confirmé la possibilité d’avoir recours à la clôture pour mettre fin aux débats. Pour M. Vieira, tout cela s’est produit en partie en raison du contexte culturel de l’époque, qui a offert aux partisans de ce programme de réforme de puissants arguments justificatifs. Dans la presse et au Parlement, M. Gladstone est venu à être représenté comme un héros noble et masculin, abattant un ennemi impérial , un ouvrier réparant l’appareil du peuple, et un homme faisant passer le Parlement à l’ère moderne. L’auteur se sert de cette identification à la culture générale de la modernité pour complémenter les explications traditionnelles des réformes parlementaires. Bien qu’habile, la synthèse de M. Vieira n’arrive pas complètement à atteindre son objectif. L’auteur reconnaît le caractère incontournable des récits traditionnels axés sur les facteurs qui ont, au bout du compte, forcé le gouvernement et le Parlement à restreindre les débats et à accélérer le processus d’examen législatif. L’ajout de cette question de culture de modernité, en utilisant ce qu’il appelle des changements dans la culture générale de l’époque, avec toutes leurs répercussions, ne modifie pas véritablement ce discours traditionnel et ne semble pas l’intégrer et le compléter autant qu’il le pense.
Ce qui semble encore plus important, et ce que M. Vieira explique, c’est le fait que la couverture médiatique des délibérations parlementaires s’est accrue à l’époque victorienne, pour deux raisons. Tout d’abord, en 1803, la Chambre des communes a adopté une résolution grâce à laquelle les journalistes ont finalement pu écrire ouvertement à propos de ses délibérations. Les articles sur le sujet sont devenus monnaie courante dans les journaux de Londres, y compris ceux vendus à très bas prix. Deuxièmement, cet aspect a aussi été repris par les journaux provinciaux, dont le tirage a beaucoup augmenté en raison de la réduction constante du coût de production des journaux au cours de ce siècle, surtout après l’abrogation du Stamp Act, en 1855.. Comme l’indique M. Vieira, le nombre de journaux provinciaux a presque doublé de 1820 à 1847 pour atteindre 230, et en 1877, on en comptait presque 1 000. Tous ces articles ont contribué à faire connaître à grande échelle les activités parlementaires et ont accru les pressions exercées sur la Chambre des communes pour qu’elle débatte moins et travaille plus. Cette situation était pour le moins ironique, car les députés se sont sentis obligés de paraître plus travaillants en parlant plus, ce qui, en retour, a donné lieu à plus de plaintes au sujet de l’inefficacité de la Chambre. Cette couverture médiatique a aussi permet de dépeindre une époque où tout s’accélère, un appareil puissant et une masculinité héroïque dont M. Vieira a parlé dans son exploration de la culture de la modernité.
Les difficultés survenues lorsqu’on a cherché à améliorer règles et les pratiques de la Chambre des communes à l’ère victorienne sont examinées de façon détaillée dans les divers textes constituant Essays on the History of Parliamentary Procedure in Honour of Thomas Erskine May. Le but principal de cet ouvrage est de présenter les points saillants de la carrière de M. Erskine May à Westminster, en exposant tant ses réalisations que ses faiblesses dans le contexte de l’histoire générale de la procédure. Cette approche permet de mettre en contexte la contribution de M. Erskine May en tant qu’auteur du Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament et de défenseur prudent de la réforme. Par exemple, l’expérience qu’il a acquise à la Bibliothèque au début de sa carrière lui a permis de connaître les Journaux nouvellement indexés, qui lui ont fourni les précédents sur lesquels il s’est fondé pour rédiger cet ouvrage. Comme l’expliquent dans des articles distincts Martyn Atkins, David Natzler (ancien greffier) et Paul Seaward, il n’avait pas été possible de mener une telle entreprise à partir des guides et des manuels antérieurs aux journaux. William McKay, qui a lui aussi déjà été greffier, a rédigé des chapitres sur les efforts déployés par M. May pour promouvoir, de façon plus générale, une réforme de la procédure, tandis que Colin Lee, lui, décrit les efforts de M. May visant à améliorer l’étude des crédits. Comme l’indique M. Vieira, ces récits sont convaincants et permettent de mieux comprendre certaines des personnalités et des stratégies en jeu à la Chambre des communes à l’époque victorienne.
Les deux publications, Time and Politics et Essays on the History of Parliamentary Procedure, ne se limitent pas au Parlement de Westminster de l’époque victorienne. Pour sa part, M. Vieira mentionne les efforts déployés en NouvelleGalles du Sud et au Canada à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle pour mettre en œuvre des réformes. Même si ces législatures s’enorgueillissaient de leur tradition parlementaire britannique et ont consciemment reproduit les pratiques du Parlement de Westminster, au bout du compte, elles ont aussi dû modifier leurs pratiques pour aider le gouvernement à s’acquitter de responsabilités de plus en plus importantes découlant de l’accroissement de la population et de l’expansion de l’économie. Encore une fois, M. Vieira présente un historique à la fois bref et utile dans le contexte de la modernité, de la culture de l’époque et de l’héroïsme masculin. Avant de le faire, il offre toutefois une analyse des réformes mises en œuvre lorsqu’Arthur Balfour était premier ministre. Ces réformes ont finalement mis fin en grande partie aux débats inutiles et ont permis au gouvernement d’assurer un contrôle plus efficace des affaires de la Chambre. Essays on the History of Parliamentary Procedure in Honour of Thomas Erskine May, pour sa part, retrace l’historique de la procédure jusqu’au XXe siècle et évalue le legs de M. Erskine May et de son Treatise on the Law, Privileges, Proceedings and Usage of Parliament. Il comprend un chapitre sur les manuels, les « cousins internationaux du Treatise », rédigés en NouvelleZélande, au Canada et en Australie. Dans un autre chapitre, Simon Patrick présente l’histoire du Règlement de la Chambre. Il explique les étapes de son élaboration au cours de la carrière de M. Erskine May jusqu’à aujourd’hui. Cette discussion est suivie de l’essai de Mark Egan sur le rôle joué par les comités dans la réforme de la procédure depuis 1900 et des articles de Jacqy Sharpe et de Mark Hutton, entre autres, sur la procédure législative et le travail des comités spéciaux.
Le Parlement de Westminster est le point de mire de la politique en Angleterre et en Grande-Bretagne depuis plus de 500 ans. Pendant tout ce temps, le Parlement a élaboré des règles et des pratiques adaptées à l’ampleur et à la portée de ses responsabilités. Il s’est souvent buté à des difficultés pour y arriver, et il a dû déployer des efforts pour surmonter les traditions et pouvoir s’acquitter efficacement des obligations liées au pouvoir. À l’époque victorienne, le Parlement a dû faire d’importants changements qui l’ont transformé, et rien de tout cela ne s’est fait facilement ou rapidement. Ce processus de réforme a mené le gouvernement à exercer un contrôle encore plus rigoureux sur les activités de la Chambre. Les tactiques d’obstruction consistant à tenir de longs débats et les autres moyens pris pour s’opposer aux propositions du gouvernement ont fait ressortir la nécessité d’assurer un tel contrôle. Time and Politics et Essays on the History of Parliamentary Procedure expliquent la portée de ces changements et les difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre de ces réformes. Qui sait ce qui se passera maintenant à l’ère du Brexit?
Charles Robert
Greffier de la Chambre des communes (Canada)
Dave Meslin, Teardown: Rebuilding Democracy From The Ground Up, Toronto: Penguin Canada, 2019, 384 pages
Ce n’est pas le choix qui manque lorsqu’on cherche un ouvrage sur le fonctionnement de la politique ou sur les limites de la démocratie représentative qui sont mises à rude épreuve. Too Dumb for Democracy (David Moscrop), Democracy May Not Exist But We’ll Miss it When It’s Gone (Astra Taylor), et Ill Winds: Saving Democracy from Russian Rage, Chinese Ambition and American Complacency (Larry Diamond) ne sont que quelquesuns des titres publiés en ٢٠١٩. Cependant, leur contenu n’est pas aussi stratégique et axé sur les solutions (et empreint d’espoir) que le nouveau livre de Dave Meslin, intitulé Teardown: Rebuilding Democracy from the Ground Up.
Bien que le titre du livre, Teardown, que l’on pourrait traduire par « démantèlement », laisse penser que l’auteur préconise l’anarchie et rejette totalement les systèmes et les institutions de gouvernance actuels, l’approche qu’il propose consiste plutôt à démanteler chacun des éléments de la démocratie représentative afin de lui redonner son lustre d’antan et, ensuite, de la reconstruire. Contrairement aux nombreux livres sur la démocratie qui se concentrent sur les sujets habituels — comme les élections ou les partis politiques —, Meslin adopte un point de vue beaucoup plus vaste. Il y parle de bulletins de votes et de cours d’éducation civique, et il invite le lecteur à réfléchir aux lois sur les organismes de bienfaisance, au processus décisionnel en milieu de travail et, même, aux fêtes de quartier.
L’auteur se décrit comme un « biologiste de la politique » qui a étudié notre « marécage » démocratique au cours des 20 dernières années. Son ton enjoué est rafraîchissant. Il est, au fond, un ardent défenseur de la démocratie, ce qui ne l’a pas empêché de travailler pour des partis politiques et des assemblées législatives au sein de nombreux ordres de gouvernement en tant que responsable du financement, attaché politique et stratège de campagne. Il a aussi travaillé auprès de nombreux partisans aux allégeances différentes. Il connaît tous les aspects de la démocratie canadienne, les plus admirables comme les moins reluisants. Cet ouvrage n’a rien d’un ouvrage universitaire, bien que l’auteur cite à l’occasion certaines recherches. Le lecteur a plutôt l’impression de faire une visite guidée animée par un raconteur chevronné, qui l’amène à porter un regard neuf sur les institutions, les règles et la culture démocratiques.
Meslin commence son livre en présentant les moyens systémiques utilisés pour tenir à l’écart les gens du public et les éloigner du processus décisionnel politique. Il parle notamment de l’utilisation d’affiches trompeuses, du moment souvent mal choisi pour organiser un événement de mobilisation communautaire, ou encore de l’inclusion déficiente de points de vue différents au sein des partis politiques. Il explique également que la complexité de notre système politique confère plus de pouvoir à ceux qui ont suffisamment de connaissances — ainsi qu’à ceux qui ont les moyens de payer des lobbyistes — pour obtenir une influence et un accès plus importants. Par exemple, il est difficile pour les membres du public de faire valoir leur opinion ou leurs objections en ce qui concerne la construction dans leur quartier. En effet, malgré tous les avis de mobilisation annonçant la construction d’un nouvel édifice et les publicités achetées par les grandes sociétés, l’auteur affirme, sur un ton blagueur, que les villes, les entrepreneurs en construction et les politiciens ne veulent absolument pas susciter l’engagement civique parce que cela ne serait pas bon pour les affaires. Étant donné les préoccupations que suscite le fait de décrire les citoyens comme des « consommateurs », de nombreux lecteurs pourraient s’étonner de la fréquence à laquelle les leçons du secteur privé sont appliquées à l’engagement démocratique. Meslin suggère que les hôtels de ville adoptent le modèle d’accueil de WalMart, et que les gouvernements s’approprient l’approche axée sur l’utilisateur adoptée par les entreprises de logiciels.
Il guide peu à peu le lecteur vers le réel point culminant de son livre et fait valoir que nous avons une confiance excessive envers ce qu’il appelle le leadership en pointe (pointy leadership), c’est-à-dire un leader unique qui occupe le sommet de la pyramide et qui a une influence sur presque tous les aspects de notre vie, y compris les écoles et les milieux de travail. Ce leadership en pointe nuit à la prise de décisions collaboratives et, par le fait même, rebute les citoyens.
Évidemment, Meslin ne fait pas que déplorer des faits, il présente aussi un large éventail de solutions aux problèmes qu’il a mis en lumière en observant des organisations, des lieux et des personnes de partout en Amérique du Nord. Les lecteurs connaissent peut-être déjà la budgétisation participative ou les assemblées citoyennes, mais Meslin sort des sentiers battus en visitant des écoles qui enseignent la démocratie afin de trouver un modèle d’enseignement qui inspire les jeunes et les encourage à s’engager. Il propose également que l’on finance des « lobbyistes publics » pour faire contrepoids aux lobbyistes privés. Il décrit les réformes du financement politique mises en place par la ville de New York afin d’encourager les nouveaux et les petits donateurs. Il souligne l’importance des occasions démocratiques de plus petite envergure, au sein des administrations communautaires des quartiers, par exemple, où les gens peuvent exercer leur pouvoir démocratique.
Parmi les spécialistes de la démocratie, Meslin est vu comme un expert des processus électoraux qui pourraient remplacer le système uninominal majoritaire à un tour. Dans son ouvrage intitulé Teardown, Meslin dresse un portrait extrêmement détaillé des différents processus électoraux, et il y inclut même des références au hockey afin de faciliter la lecture. Il sera désormais beaucoup plus facile d’expliquer le système de représentation proportionnelle mixte grâce à la définition qu’il en fait dans son ouvrage.
Meslin réserve ses critiques les plus dures aux dirigeants élus et aux partis qu’ils représentent. Il semble avoir plus d’espoir et des idées réalisables quand il est question de petits groupes, notamment parce que ceux-ci permettent aux gens qui en font partie de se regarder dans le blanc des yeux. Toutefois, les problèmes sont plus difficiles à régler quand on évalue ce qui se passe à l’échelle provinciale ou fédérale. Comment un parti politique peut-il réunir un très grand nombre de personnes et les écouter, tout en conservant le contrôle sur ses positions? Comment un parti peut-il se définir sans automatiquement devenir l’opposé d’un autre parti? Dans le cadre d’entrevues avec des représentants élus, Meslin explore cette question ainsi que la culture toxique qui favorise les déclarations éclair et selon laquelle le simple fait de prendre le temps d’écouter son opposant relève de l’hérésie.
Selon Meslin, c’est un changement de la culture, qui doit passer de la lutte à la parole et à l’écoute, dont les partis ont besoin pour régler leurs problèmes. L’idée selon laquelle il vaut mieux essayer de trouver un compromis plutôt que de s’opposer coûte que coûte va à l’encontre des systèmes politiques actuels. Il propose de régler ces problèmes fondamentaux en modifiant les mentalités du tout au tout. Même si cette partie du livre énonce certaines étapesclés vers cette transition – dont certaines nous sont déjà familières, comme la rotation des sièges, l’amélioration de la formation et le renforcement des associations locales de circonscriptions –, elle n’est pas aussi porteuse d’espoir que le reste de l’ouvrage.
Biographie, manuel d’instructions et document générateur d’idées, le livre Teardown offre des solutions à de grandes questions auxquelles la démocratie représentative n’est pas prête à répondre : comment peut-on vivre en harmonie? Comment faire pour prendre des décisions ensemble? Quelles mesures devrait-on prendre pour que tout le monde ait son mot à dire? La publication de Teardown arrive à point nommé alors que le cynisme politique ne fait que prendre de l’ampleur.
Kendall Anderson
Directrice générale du Centre Samara pour la démocratie