Le sénateur Raoul Dandurand : À la défense de l’indépendance du Sénat

Article 11 / 12 , Vol 40 No 4 (Hiver)

Le sénateur Raoul Dandurand : À la défense de l’indépendance du Sénat

À la lumière du nombre croissant de sénateurs indépendants et non partisans, les observateurs du Parlement du Canada parlent de plus en plus de Raoul Dandurand. L’auteur du présent article soutient que l’héritage du sénateur Dandurand, qui défendait il y a longtemps l’idée d’un Sénat indépendant qui serait l’organe d’examen objectif plutôt que la réplique de la Chambre des communes partisane, s’avère particulièrement pertinent pour les discussions et les débats de la Chambre haute sur ses propres procédures et pratiques.

Après la victoire électorale des libéraux de Mackenzie King en 1921, le nouveau leader du gouvernement au Sénat, Raoul Dandurand, a exprimé sa méfiance à l’idée de changer de siège. À son avis, la formation d’un gouvernement et la reconfiguration subséquente de la Chambre des communes avaient peu à voir avec le travail de la Chambre haute. « Je n’aime pas l’idée de traverser le parquet, a-t-il affirmé dans son premier discours en tant que leader du gouvernement. Quel est le sens de cette réorganisation? Qu’il y a dans cette Chambre vainqueurs et vaincus1. » Cet état des choses était une dissonance par rapport à sa perception du Sénat, qu’il voyait comme la chambre de l’examen objectif plutôt que comme la réplique de la Chambre des communes.

L’approche du sénateur Dandurand à l’égard du Sénat reposait sur le principe d’indépendance et le fonctionnement non partisan de ce dernier. Nommé en 1898 par Wilfrid Laurier, Raoul Dandurand a siégé à la Chambre haute pendant 44 ans. Il a également agi à titre de leader du gouvernement et de leader de l’opposition pendant 20 ans et a fait un mandat en tant que président de 1905 à 1909.

M. Dandurand a souvent exprimé ses préoccupations à l’égard du Sénat qui, éloigné de sa fonction première, devenait selon lui de plus en plus le pendant partisan de la Chambre des communes. Sa proposition : débarrasser la Chambre haute de toute partisanerie et éliminer les divisions entre partis, et entre le gouvernement et l’opposition. Il proposait aussi, pour gérer le Sénat, de créer un « comité de gestion du parquet » composé de 15 sénateurs qui superviseraient le processus d’adoption de projets de loi. Pour les projets de loi du gouvernement, M. Dandurand proposait que les ministres choisissent des sénateurs pour les parrainer au Sénat, de manière à scinder les responsabilités au Sénat au lieu de les concentrer dans les mains du leader du gouvernement.

Jamais il n’a réussi à convaincre le premier ministre Mackenzie King d’appuyer ses idées sur la réforme du Sénat. En fait, le premier ministre avait ses propres idées en la matière, telles que la fixation d’un âge de retraite obligatoire et l’adoption du veto suspensif, des idées que le sénateur Dandurand a rejetées à son tour. Selon lui, il était impératif de maintenir l’indépendance et l’autonomie de la Chambre haute plutôt que de réduire son rôle constitutionnel au profit de la Chambre élue. Ses propositions visaient à rétablir le but premier du Sénat plutôt qu’à le réformer de fond en comble.

L’insistance du sénateur à faire du Sénat un organe impartial a ceci d’ironique : M. Dandurand était sans doute l’homme le plus politique qui soit. Il était une figure d’influence importante au sein du Parti libéral du Québec, et le premier ministre King sollicitait souvent ses conseils sur les dossiers politiques de l’heure, en particulier lorsqu’il devait choisir ses ministres et nommer des juges. Outre sa carrière au Sénat, M. Dandurand a été très actif à la Société des Nations, au sein de laquelle il a été délégué canadien et, en 1925, président d’assemblée. Comme en témoigne son abondante correspondance, il entretenait des liens avec beaucoup de gens d’influence et s’intéressait de près aux droits linguistiques des francophones au Canada et au maintien de la paix en Europe dans la foulée de la Première Guerre mondiale.

Le sénateur Dandurand était leader du gouvernement au Sénat lorsqu’il est mort le 11 mars 1942. Dans leur hommage à M. Dandurand, ses collègues ont rappelé son attachement à l’indépendance du Sénat, et certains ont affirmé qu’il avait influencé leur décision de ne pas se joindre à un caucus de parti. Il n’est donc pas étonnant que des sénateurs, en 1980, se soient regroupés de façon indépendante pour s’insurger contre la discipline de parti et former ce qui a été appelé le « Groupe Dandurand2 ». Bien que le nom de Raoul Dandurand soit de moins en moins évoqué au Sénat, son héritage demeure particulièrement pertinent aujourd’hui, alors que l’institution est à la croisée des chemins. En effet, alors que le débat se poursuit sur les procédures et pratiques à modifier au Sénat pour tenir compte du nombre croissant de sénateurs indépendants, il ne faut pas oublier que les idées de « modernisation » sont, pour beaucoup, le prolongement de ce qu’exprimait il y a près d’un siècle le sénateur Dandurand sur l’indépendance et l’impartialité de la chambre haute.

Notes

  1. Débats du Sénat du Canada, 14e législature, 1re session, 14 mars 1922, p. 16 [TRADUCTION].
  2. Sénateur Daniel Lang, « Le Sénat ne doit pas être une copie conforme de la Chambre des communes », Revue parlementaire canadienne, vol. 7, no 1, 1984, p. 26.
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