Le Commissariat au lobbying
Le Commissariat au lobbying a été mis sur pied aux termes de la Loi fédérale sur la responsabilité en 2006, mais la Loi sur le lobbying n’est elle-même en vigueur que depuis environ un an. L’article se limitera à un bref historique de la législation canadienne sur le lobbying pour mettre plutôt l’accent sur les changements apportés au régime fédéral dans ce domaine par la Loi sur le lobbying et sur la façon dont ces changements ont été mis en œuvre jusqu’à maintenant. L’auteure traite aussi des défis posés par la législation et des méthodes adoptées pour les relever.
La première Loi sur l’enregistrement des lobbyistes est entrée en vigueur en 1989, mais, à toutes fins pratiques, ses exigences de divulgation se limitaient à ce qu’on retrouverait sur une carte d’affaires. En 1996, la Loi a été modifiée pour exiger des lobbyistes qu’ils et elles fournissent plus de renseignements, par exemple sur les ministères approchés, l’objet de leur lobbying et les moyens de communication utilisés. La loi de 1996 a également instauré l’exigence que le haut fonctionnaire, à l’époque le conseiller en éthique, établisse un code d’éthique des lobbyistes. Le Code de déontologie des lobbyistes a été mis au point par le conseiller en éthique et est entré en vigueur en 19971.
À cette époque, le conseiller en éthique était responsable de l’administration du Code de déontologie des lobbyistes. Cependant, il était également le conseiller en éthique du premier ministre, livrant à celui-ci des avis de nature générale sur des questions de déontologie et conseillant les titulaires de charge publique sur les dispositions du Code régissant les conflits d’intérêts, en plus d’avoir la responsabilité générale d’administrer la Loi sur l’enregistrement des lobbyistes. Cette situation est demeurée inchangée durant environ dix ans.
En 2004, la Loi sur le Parlement du Canada a été modifiée pour créer une séparation entre, d’une part, la fonction d’enregistrement des lobbyistes et, d’autre part, le régime d’éthique et les fonctions de conseil concernant les conflits d’intérêts. Les titulaires des postes nouvellement créés de commissaire à l’éthique et de conseiller sénatorial en éthique rendaient compte directement au Parlement, alors que le directeur des lobbyistes devenait un poste à temps partiel de la Direction de l’enregistrement des lobbyistes d’Industrie Canada. Le sous-ministre adjoint, Fonction de contrôleur et de l’administration, d’Industrie Canada, assumait alors les fonctions de directeur des lobbyistes.
D’importantes modifications à la Loi sur l’enregistrement des lobbyistes sont entrées en vigueur en juin 2005. Le poste de directeur et le Bureau du directeur des lobbyistes ont alors été déplacés des locaux d’Industrie Canada vers des locaux distincts. Le directeur a cessé de siéger au Comité de gestion d’Industrie Canada et commencé à être plus autonome par rapport à ce ministère. Cette indépendance croissante de la fonction d’enregistrement des lobbyistes a été encouragée au cours des dernières années.
Au début de 2006, le nouveau gouvernement a apporté d’autres changements majeurs au Bureau du directeur des lobbyistes (BDL) en réorganisant la fonction publique pour faire de celui-ci un ministère distinct du gouvernement, dont le directeur est devenu l’administrateur général. Le Bureau a été déplacé d’Industrie Canada au portefeuille du Conseil du Trésor, de sorte que la reddition de comptes au Parlement se faisait désormais par l’entremise du président du Conseil du Trésor.
La Loi fédérale sur la responsabilité renfermait plusieurs modifications importantes à la législation fédérale sur le lobbying. Bien que cette loi ait été promulguée en décembre 2006, les modifications à la Loi sur le lobbying ne sont entrées en vigueur que le 2 juillet 2008. Le poste de commissaire au lobbying, haut fonctionnaire du Parlement, ainsi que le Commissariat au lobbying (désigné par l’acronyme CAL), ont alors vu le jour.
J’ai d’abord été nommée commissaire au lobbying intérimaire en 2008, pour ensuite être désignée, le 30 juin 2009, commissaire au lobbying pour un mandat de sept ans. Ce changement a été instauré pour accroître l’indépendance de la personne chargée d’administrer la Loi et le Code de déontologie des lobbyistes.
Le Commissariat
Le commissaire au lobbying est l’un des sept hauts fonctionnaires du Parlement. Je suis chargée de réaliser le mandat du Commissariat, tel qu’il est énoncé dans la Loi sur le lobbying. Le Commissariat est tenu de soumettre directement au Parlement des rapports sur l’administration de la Loi et il lui est directement comptable à leur sujet. Il ne rend plus compte au Parlement par l’entremise d’un ministre. À ce titre, le Commissariat est clairement indépendant du gouvernement de l’heure.
La reddition de comptes constitue le fondement du système canadien de gouvernement responsable. Grâce à des pratiques solides en matière de responsabilisation, on assure le Parlement et la population canadienne que les ministères et les organismes font un usage efficient et efficace des ressources publiques et qu’ils prônent et maintiennent des pratiques éthiques. La transparence et la reddition de comptes relativement aux activités de lobbying effectuées auprès des titulaires de charge publique favorisent la confiance envers les mécanismes de prise de décisions du gouvernement et l’intégrité de ceux-ci. Le Commissariat a notamment pour objectif d’appliquer et d’administrer la Loi sur le lobbying conformément à l’orientation claire que lui a donnée le Parlement, ainsi que de satisfaire le souhait, exprimé par la population canadienne, d’une transparence et d’une intégrité accrues au sein des institutions fédérales.
À titre de commissaire au lobbying, je crois que ma principale responsabilité consiste à faire en sorte que les activités de lobbying réalisées au palier fédéral soient exercées de manière transparente et éthique. La Loi sur le lobbying cherche à améliorer cette transparence en imposant aux lobbyistes d’enregistrer leurs activités de lobbying et de produire des déclarations mensuelles de leurs communications avec certaines catégories de titulaires de charge publique. Ces exigences de divulgation accrues permettent aux parlementaires et à la population canadienne de savoir qui rencontre les principaux détenteurs de charges publiques fédérales.
Le Commissariat a notamment pour mandat de tenir à jour un registre des lobbyistes qui soit facilement accessible aux lobbyistes et à la population, de mettre au point et en œuvre des programmes éducatifs pour sensibiliser la population à la Loi et de faire appliquer les dispositions de la Loi et du Code de déontologie des lobbyistes. Je crois que son mandat peut se résumer ainsi : voir à la transparence des activités de lobbying, afin de préserver et d’accroître la confiance de la population canadienne envers l’administration fédérale. Il est ainsi possible d’assurer la population canadienne que le gouvernement prendra des décisions éthiques, équitables et impartiales. Le Commissariat rend directement des comptes à la Chambre des communes et au Sénat, par l’intermédiaire de leurs présidents respectifs. Cette transparence en matière de rapports contribue à la réalisation du mandat.
Problèmes de mise en œuvre
Les modifications apportées à la Loi sur le lobbying par la Loi fédérale sur la responsabilité ont suscité des problèmes de mise en œuvre. Les changements apportés aux exigences de déclaration ont imposé un remaniement majeur du Système d’enregistrement des lobbyistes. Une toute nouvelle obligation est venue s’ajouter aux exigences de déclaration modifiées. Les lobbyistes doivent maintenant faire état chaque mois de leurs communications « orales et organisées d’avance » avec certains « titulaires d’une charge publique désignée ». Une personne qui consulte le site Web du Commissariat se trouve en présence d’une interface harmonieuse entre le Système d’enregistrement des lobbyistes et celui des déclarations mensuelles des communications, mais celui-ci est bel et bien un nouveau système, créé pour celles-ci et intégré au système existant. L’élaboration de cette fonctionnalité supplémentaire et d’autres pour le site Web a exigé de nombreux mois. En fait, elle a débuté avant l’adoption de la Loi fédérale sur la responsabilité en décembre 2006.
Aucune disposition transitoire n’a été intégrée aux modifications apportées à la Loi sur le lobbying. Le 2 juillet 2008, ces changements sont devenus loi et, dans les faits, chaque lobbyiste enregistré a dû examiner sa déclaration et la mettre à jour. C’est aussi à ce moment qu’est entrée en vigueur l’exigence de signaler les communications avec les titulaires d’une charge publique désignée. Vu la nécessité de mettre en œuvre un nouveau système d’enregistrement, le Commissariat a dû relever le défi de rappeler à tous les lobbyistes inscrits de mettre à jour leur déclaration ainsi que de voir au bon fonctionnement du système de divulgation des communications avec les titulaires d’une charge publique désignée. Il a fallu plusieurs mois pour s’acquitter de cette tâche.
Pour les communications avec les titulaires d’une charge publique désignée, le Commissariat a mis au point une méthode de surveillance des déclarations mensuelles qui sert de méthode de contrôle de la qualité des rapports. On demande notamment aux détenteurs d’une charge publique désignée de confirmer les renseignements relatifs à leurs échanges avec des lobbyistes. Il s’agit de s’assurer de l’exactitude de ces rapports et de leur valeur pour garantir la transparence du processus. Par ailleurs, même si le degré d’exactitude s’est avéré très élevé (plus de 90 p. 100), une diligence continue veillera à l’uniformité de la qualité de ces rapports.
La Loi sur le lobbying a créé une interdiction quinquennale des activités de lobbying pour les ex-titulaires d’une charge publique désignée, tout en conférant au commissaire le pouvoir d’accorder des exemptions. Il en a résulté une nouvelle tâche pour la Direction des enquêtes du CAL, celle de l’examen des demandes d’exemption. On a d’abord élaboré une politique quant au processus d’examen des exemptions, en s’inspirant beaucoup du processus d’examen administratif des allégations d’irrégularité concernant la Loi sur le lobbying ou le Code de déontologie des lobbyistes. Le Commissariat a reçu, à ce jour, onze demandes d’exemption. J’ai répondu favorablement à deux d’entre elles, tandis que sept autres ont été rejetées ou retirées. Deux demandes d’exemption sont toujours en cours d’examen. (Les décisions relatives à ces demandes sont accessibles au public et publiées dans le site Web du Commissariat.) L’octroi d’exemptions a constitué un défi, car, même s’il est clair que j’ai le droit d’exempter quelqu’un de l’interdiction quinquennale, il est également très clair que le Parlement juge cette interdiction importante. La Loi stipule explicitement qu’on ne peut accorder d’exemption si elle est incompatible avec son objet. Il s’agit d’un élément crucial des changements apportés à la Loi sur le lobbying par la Loi fédérale sur la responsabilité. J’ai donc adopté une politique stricte : j’ai choisi de réserver mon pouvoir d’accorder des exemptions aux circonstances les plus exceptionnelles.
J’aimerais faire mention de trois autres modifications substantielles qui ont apportées à la Loi sur le lobbying et qui me semblent pertinentes. Premièrement, la Loi interdit maintenant de donner et de recevoir des honoraires conditionnels liés aux services de lobbyistes-conseils. Cette nouvelle interdiction aura, sans nul doute, une incidence sur la manière dont ces services sont retenus et rémunérés. Deuxièmement, le commissaire dispose maintenant de pouvoirs accrus pour enquêter sur des allégations de violation de la Loi sur le lobbying ou du Code de déontologie des lobbyistes, ainsi que de la capacité de mettre fin à des enquêtes. Cette disposition m’accordera plus de souplesse pour m’acquitter de mes responsabilités. Troisièmement, on a prolongé le délai de prescription des poursuites ayant trait à des violations de la Loi sur le lobbying. Chacune de ces modifications aura des incidences positives sur la capacité du Commissariat de faire respecter la Loi et le Code.
Je crois qu’il est judicieux de répéter les principes énoncés dans le préambule de la Loi sur le lobbying, qui n’a pas changé avec l’adoption de la Loi fédérale sur la responsabilité. Ces principes sont demeurés inchangés malgré les récentes modifications à la Loi sur l’enregistrement des lobbyistes et à la Loi sur le lobbying. Les voici :
- La liberté d’accès aux institutions de l’État est une question d’intérêt public;
- Le lobbyisme auprès des titulaires d’une charge publique est une activité légitime;
- Il est souhaitable que les titulaires d’une charge publique, de même que les citoyens, puissent savoir qui se livre à des activités de lobbyisme;
- Le système d’enregistrement des lobbyistes rémunérés ne doit pas nuire à la liberté d’accès au gouvernement.
Les principes énoncés dans le préambule de la Loi continuent à guider notre interprétation et notre application de celle-ci. Ils établissent la vision du Parlement quant à l’objet de la Loi sur le lobbying et donnent une raison d’être à la législation fédérale dans ce domaine.
Je souligne que d’autres changements sont encore susceptibles d’être apportés à la Loi. Celle-ci prévoit son examen par le Parlement cinq ans après les changements législatifs précédents, qui ont été apportés en 2005. C’est donc dire que la Loi sera admissible à une évaluation parlementaire à compter de 2010.
Notes
1. Pour obtenir plus de renseignements sur l’histoire du lobbying à l’échelon fédéral, consulter le document intitulé « Étapes clés de l’évolution du Régime d’enregistrement des lobbyistes du Canada », à l’adresse http://www.ocl-cal.gc.ca/eic/site/lobbyist-lobbyiste1.nsf/fra/h_nx00267.html.
Karen Shepherd est la commissaire au lobbying. Le présent article est une version révisée d’une allocution qu’elle a prononcée le 4 décembre 2009 lors d’une conférence du Groupe canadien d’étude des parlements.