Réflexions sur la réforme de la période des questions

Article 2 / 11 , Vol 33 No 4 (Hiver)

Réflexions sur la réforme de la période des questions

On a beaucoup discuté dernièrement de façons de modifier la période des questions. La plupart des débats ont entouré la motion M-517 présentée par Michael Chong (voir le numéro d’automne 2010 pour un examen complet de cette motion). Dans le présent article, un député de longue date et ancien leader parlementaire place cette question dans une perspective à plus long terme.

Je désire d’abord féliciter mon collègue Michael Chong de ses efforts de réforme de la période des questions à la Chambre des communes. La motion qu’il a déposée relève d’un projet ambitieux. Se fondant sur l’exemple du Royaume-Uni, M. Chong a expliqué avec clarté et concision les changements positifs qu’il était possible d’apporter à la période des questions.

Dans la motion originale, M. Chong demandait au Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre d’étudier les réformes et de présenter ses recommandations de changements à la Chambre. Pendant un premier débat sur la motion et par suite d’une consultation, le gouvernement a présenté une modification visant à amener le Comité à cibler son étude sur des façons de garantir l’efficacité de la période des questions, notamment par l’examen des pratiques adoptées par d’autres parlements qui pourraient s’intégrer à notre système.

S’il est fructueux, ce remaniement de la période des questions serait l’un des plus importants de l’histoire du pays.

Il faut tout de même souligner que ce n’est pas la première fois que les députés examinent comment instaurer un plus grand décorum pendant la période des questions.

Au moment de mon élection en 1993 comme député du Parti réformiste du Canada, les Canadiens désiraient manifestement du changement. Par suite de l’élection, on a assisté au renouvellement le plus important de députés de l’histoire parlementaire canadienne lorsque le gouvernement, jusqu’alors majoritaire avec ses 151 sièges, a chuté à deux sièges. Le NPD a perdu son statut de parti officiel, avec seulement neuf députés. C’est dans ce contexte de renouvellement que près de 200 députés sont arrivés à Ottawa pour la première fois ou, pour quelques-uns, après une interruption plus ou moins longue.

Fort de ses 52 sièges, à deux députés de former l’opposition officielle à l’époque, le Parti réformiste rêvait de changer la façon dont s’exerçait la politique, y compris la période des questions. Pendant les quelques premiers mois de la 35e législature, en 1994, nous avons posé des questions réfléchies, sérieuses et respectueuses; nous avons écouté, assis, les réponses dans le silence, et ce n’est qu’à de rares occasions que nous avons applaudi l’un de nos intervenants, généralement notre chef, Preston Manning.

Pendant ce temps, les députés libéraux des premières banquettes lançaient des insultes, criaient et se moquaient, comme d’habitude, pendant que les médias nous tournaient en dérision en nous traitant de « naïfs » et d’« inefficaces ». Même nos partisans commençaient à s’interroger devant notre absence aux bulletins de nouvelles. Nous avons rapidement compris qu’à la Chambre des Communes comme dans de nombreux autres lieux de travail, les gens vont inévitablement s’abaisser, eux et leur comportement, au plus petit dénominateur commun.

Je me souviens d’une fois, pendant ces années, où un député d’un autre parti m’a reproché en pleine Chambre d’avoir chahuté. J’avais alors répondu que, lorsqu’on endure du chahut et des railleries constamment, on n’a que trois options. Premièrement, on peut quitter la Chambre, mais ce n’est pas vraiment une option, car on a, comme député, le mandat de représenter sa circonscription, tâche que tous prennent très au sérieux. Se retirer pendant les délibérations de la Chambre correspondrait à abandonner ceux qui ont accordé au député l’honneur et le privilège de les représenter.

Deuxièmement, on peut décocher un coup de poing à l’auteur des insultes, mais cela vaudrait des regards pour le moins réprobateurs. Quelques-uns parmi nous se souviennent peut-être que Darrel Stinson a bien failli céder à la tentation de cette option, une fois. Et, enfin, on peut se résoudre à adopter le même comportement que son « agresseur » en criant et chahutant soi-même pour se défendre.

Nous avons donc fini par abandonner nos efforts, nous disant que si nous ne pouvions amener la Chambre à changer même avec tant de nouveaux députés, nous n’y arriverions sans doute jamais. Et nous voici, 17 ans plus tard, dans une situation qui a empiré. Je soupçonne que le fait d’avoir des gouvernements minoritaires à répétition joue un rôle dans cette attitude, car les députés de tous les partis sont tous pleinement conscients qu’ils peuvent se retrouver au cœur d’une campagne partisane sans préavis.

Bien sûr, la période des questions éprouve des problèmes, mais elle joue indubitablement un rôle important dans la démocratie canadienne. Pendant mes années dans l’opposition, elle a rempli un rôle essentiel, car c’est ainsi que nous pouvions amener le gouvernement libéral à rendre des comptes et à maintenir la légitimité du Parlement, tout particulièrement au moment du tristement célèbre scandale des commandites, où il était clair que les Canadiens attendaient des réponses de la part de leur gouvernement libéral.

Exploitée à bon escient, la période des questions permet à l’opposition de tenir le gouvernement responsable de ses décisions, tout en laissant la chance à ce dernier de les justifier. Malheureusement, cette période s’est métamorphosée en une simple « pièce de théâtre » au cours de laquelle les partis se disputent l’extrait sonore de 5 secondes qui sera intégré au bulletin de nouvelles, le soir.

L’idée que la période des questions peut être efficace s’est quelque peu évaporée avec les tentatives de chacun de coincer les autres pour se faire du capital politique à bon marché. Cette joute d’injures est devenue quotidienne et, franchement, très embarrassante, tout en contrevenant à sa raison d’être.

La période des questions est devenue l’aspect le plus visible du Parlement. Depuis 1977, des caméras de télévision captent chaque séance de 45 minutes et bon nombre de réseaux d’information diffusent les débats, au moins partiellement. Voilà qui a indubitablement modifié le mode de comportement des députés dans la Chambre.

C’est facile à comprendre, d’ailleurs. On n’a qu’à penser à ce qui arrive lorsqu’une caméra enregistre une réunion de famille : tout le monde devient très conscient d’être filmé et change sa façon d’être. On peut dire que les caméras de télévision ont eu le même effet à la Chambre des communes, de façon presque immédiate.

Avant la télédiffusion des débats, le président accordait le droit de parole de façon aléatoire lorsque tous les députés se levaient, ce qui assurait impartialité et équilibre.

Trois ans après l’arrivée des caméras, le président s’est mis à accepter une liste de ceux qui désiraient poser une question avant même la période des questions, tout simplement parce que le mouvement de tous ces députés qui se lèvent et s’assoient paraissait mal à la télévision. Tout comme le fait de taper sur les tables, comme le voulait la tradition! C’est d’ailleurs pourquoi nous applaudissons les questions et les réponses, maintenant.

Malgré leur futilité, ces deux exemples illustrent comment la présence de caméras à la Chambre a rapidement bouleversé les traditions de la période des questions. J’ajouterais une autre raison pour laquelle cette période prend l’allure d’un cirque : les journalistes qui traitent de l’actualité politique. En effet, depuis les dix dernières années, ces journalistes dépendent plus souvent, pour leurs reportages, de la période des questions et de la mêlée de presse qui suit au lieu de traiter d’une manière approfondie les enjeux abordés à la Chambre des Communes et dans ses comités.

Au fait de cette situation, notamment pour le bulletin de nouvelles du soir, les parlementaires se préoccupent davantage de fournir des clips en criant des formules-chocs partisanes que d’écouter des questions et des réponses sérieuses qui suscitent la réflexion.

Lorsque les médias se concentrent à un tel point sur la période des questions pour leurs reportages, le public n’évalue les députés qu’en fonction de leur performance pendant la séance quotidienne. En effet, l’absence d’intervention d’un député au bulletin de nouvelles entraîne un manque de visibilité auprès du public et amène ce dernier à se poser des questions sur l’efficacité du représentant.

En outre, devant toute cette insistance sur la période des questions, le public en vient à penser que le climat qui règne durant celle-ci est celui qui prévaut au Parlement en tout temps. Du coup, le travail acharné que nous accomplissons au quotidien, comme parlementaires, est dévalorisé davantage.

Historiquement, la gestion des règles relatives à la période des questions s’est toujours faite de façon informelle et par consensus. Toutefois, le gouvernement conservateur demeure ouvert à l’idée d’étudier comment le système actuel répond aux besoins des députés et de leurs électeurs.

De toute évidence, les Canadiens ne sont pas intéressés par ces bouffonneries puériles et ils vont un jour finir par faire la sourde oreille à toute discussion importante qui se produirait. Dans ce laisser-aller, ils ne se sentent plus représentés, ni eux ni leurs intérêts.

Le public soutient un changement constructif et les députés de tous les partis politiques semblent ouverts à l’idée d’une réforme de la période des questions. Toutefois, je dis « semblent », parce qu’au fil des ans, j’ai participé à de multiples discussions au cours desquelles chaque parti accusait les autres d’être les pires responsables de la situation.

Je crois qu’une authentique réforme dépend des trois points suivants. D’abord, la Chambre des Communes devra avoir un président strict qui accepte d’exercer son autorité sur ceux qui nuisent aux débats. En effet, dans une étude récente, le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre conclut que le président possède déjà tout le pouvoir, toute l’autorité et tous les outils nécessaires pour ramener à l’ordre une chambre indisciplinée.

Ensuite, le président devra jouir du soutien des leaders parlementaires, des whips et même, si je peux me permettre, des chefs des quatre partis, dans le désir partagé d’imposer un changement. Enfin, les médias devront participer aussi. Au lieu de transformer en une sorte de héros populaires les députés qui sont chassés de la Chambre, ils devraient les blâmer pour leur immaturité. Les députés récalcitrants devraient voir leur carrière de politicien entachée par suite de leur comportement inacceptable. À défaut de quoi, je crains fort qu’aucun changement ne se produise.

Décidément, 1994 était le moment idéal pour imposer un changement de comportement chez les parlementaires pendant la période des questions. Pourtant, malgré les quelque 200 nouveaux députés et les efforts sérieux des réformistes à l’époque, rien n’a vraiment changé.

Il faut tout de même reconnaître qu’en dépit du chahut et des insultes partisanes qui sont monnaie courante, la situation est de loin supérieure à celle de certains parlements et assemblées législatives, par exemple à Taiwan, en Corée du Sud et en Ukraine, qui ont recours à la violence physique. Quand je vois des représentants élus distribuer des coups de poing au lieu d’insultes, je me dis qu’au fond, malgré son caractère disgracieux et indiscipliné, notre période des questions pourrait être bien pire.

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