L’Assemblée législative de l’Île-du-Prince-Édouard

Article 3 / 11 , Vol 34 No 2 (Été)

L’Assemblée législative de l’Île-du-Prince-Édouard

Province House est sans doute mieux connue des Canadiens en tant que berceau de la Confédération, puisque c’est là que s’étaient réunis les pères de la Confédération en 1864. La construction de ce bâtiment de grès, aux lignes rappelant l’architecture gréco-romaine, a été terminée en 1847. L’édifice, qui est maintenant un lieu historique national, est une destination touristique de choix, mais demeure le siège de l’Assemblée législative. Au fil des ans, il a accueilli des visites royales, a servi pour des funérailles nationales et a été le lieu de maints rassemblements, débats, manifestations, protestations, occupations, célébrations, vigiles, délibérations. Il a même été la victime d’actes isolés de graffiteurs. Le présent article se penche sur l’évolution de l’Assemblée législative, du système électoral, de la culture politique de l’Île et de la façon dont elle s’exprime, ainsi que des procédures et des rouages législatifs.

L’Assemblée législative de l’Île-du-Prince-Édouard, créée en 1773, est le deuxième parlement le plus ancien du Canada, le premier, celui de la Nouvelle-Écosse, remontant à 1758. Il faut attribuer à l’un des dispositifs les plus inusuels de l’histoire coloniale britannique la mise en place et l’évolution du gouvernement colonial de l’Île. En 1767, dans la colonie qui faisait alors partie de la Nouvelle-Écosse, les terres étaient attribuées par tirage au sort. Les propriétaires devaient s’engager, comme conditions à l’octroi des concessions, à établir une colonie de protestants, à payer des quitrents à la Couronne (redevances destinées à remplacer les corvées) et à respecter d’autres exigences. Les nouveaux propriétaires, dont beaucoup n’entendaient pas respecter les conditions de leurs concessions, pétitionnèrent alors la Couronne pour réclamer l’établissement d’un gouvernement distinct échappant à l’influence de la Nouvelle-Écosse. En retour, ils s’engagèrent à payer la totalité des dépenses de ce nouveau gouvernement colonial. C’est ainsi que l’Île-du-Prince-Édouard devint une colonie autonome en 1769. Les conflits qui ont suivi, entre les propriétaires absents et les métayers, la fameuse « Land Question » (la Question des terres), allaient dès lors dominer la vie politique de l’Île pendant plus d’un siècle.

Au début, l’administration de la nouvelle colonie relevait uniquement du gouverneur, d’un conseil législatif nommé ainsi que d’une cour suprême. Le Conseil législatif aurait normalement dû compter 12 membres, mais le premier gouverneur, Walter Patterson, limita ce nombre à sept, faute d’avoir pu trouver davantage de candidats convenables pour cette fonction dans cette petite colonie en butte à maintes difficultés. Malgré toutes ses tentatives, Patterson ne parvint pas à percevoir les quitrents. La mise sur pied d’une assemblée, conformément aux souhaits des habitants, était vue comme une façon d’avaliser les actions de l’administration. C’est dans ce contexte que, le 7 juillet 1773, l’Assemblée législative de l’Île-du-Prince-Édouard se réunit pour la première fois. Ses premiers actes consistèrent à confirmer les mesures précédemment prises par le gouverneur et par le Conseil législatif.

La colonie étant peu nombreuse et ses résidents peu instruits, on limita à 18 le nombre de membres de l’Assemblée. Ces derniers étaient élus par tout résidant protestant de sexe masculin âgé de plus de 21 ans. Le folklore veut que la toute première assemblée se réunit dans une taverne de Charlottetown est c’est là qu’après avoir embrassé du regard les élus présents, que le sergent d’armes aurait déclaré « Que voilà tout un parlement! ». Il fut sanctionné pour son écart1.

Dans le petit monde de la politique prince-édouardienne, les rivalités ne tardèrent pas à apparaître et des conflits éclatèrent entre les diverses factions de la population. Les désaccords et les différends avec le Bureau des colonies étaient constants et il s’avéra difficile, voire impossible, d’obliger les propriétaires à respecter les conditions de leurs concessions. La corruption était généralisée et la colonie progressait à pas de tortue. Moins de 15 ans après être devenue une colonie distincte, l’Île-du-Prince-Édouard fut, de nouveau, placée sous la houlette du gouverneur de la Nouvelle-Écosse. La charge de gouverneur de l’Île-du-Prince-Édouard fut abaissée au rang de lieutenant-gouverneur. Dans une lettre du Bureau des colonies adressée à Patterson, on peut lire : « Les institutions civiles continuent à peser sur ce pays2. »

À l’époque, tout comme aujourd’hui, les structures gouvernementales de l’Île-du-Prince-Édouard étaient le reflet de la situation constitutionnelle complexe d’une petite province. Bien que la minuscule colonie ait disposé de tout l’appareil propre au modèle de Westminster, l’Assemblée législative se démenait pour trouver sa place sur l’échiquier politique et faire reconnaître ses privilèges parlementaires. Le système politique était dominé par le Conseil exécutif et le Conseil législatif nommés et, de surcroît, essentiellement composés des mêmes personnes. L’Assemblée fut régulièrement dissoute par les gouverneurs qui se succédèrent, espérant ainsi parvenir à une législature plus disciplinée. Il est arrivé que les gouverneurs refusent même de convoquer les membres pour les sessions régulières. Les députés étaient relativement pauvres, peu outillés et désorganisés. Un gouverneur, qui chantait les louanges des membres des deux conseils de gouvernement a fort bien décrit l’attitude des cliques dirigeantes de l’époque : « des hommes instruits, ayant l’expérience du monde » dont la tâche était de « s’opposer à l’emprise de l’ignorance » sur cette assemblée3. Il bloqua toute tentative lancée par la législature en vue d’obtenir plus de pouvoirs, affirmant : « il n’y a jamais eu suffisamment d’intelligence ici pour gouverner et je ne pense pas qu’il y en aura avant longtemps ». Sa perception de l’électorat était tout aussi méprisante, puisqu’il déclara au sujet des Prince-Édouardiens qu’on avait « pris grand soin à leur enseigner que seul un habitant d’un trou perdu sait comment faire des lois pour un semblable4 ». Pour Frank MacKinnon, l’Assemblée législative « était tolérée quand on avait besoin d’elle, mais ses pouvoirs étaient limités par les autres organes du pouvoir5 ».

Tandis que la colonie prenait graduellement de l’essor, le nombre de membres de l’Assemblée législative fut porté à 24 en 1839. À la même époque, la seule et unique circonscription de la colonie fut subdivisée en quatre circonscriptions de deux élus chacune dans chacun des trois comtés. (Ce nombre allait ensuite être de nouveau augmenté en 1856 pour passer à 30 élus dans cinq circonscriptions binominales par comté.)

L’Assemblée législative entreprit diverses réformes, mais les partis politiques mirent beaucoup de temps à se constituer. L’une des formations qui connurent le plus de succès fut le Parti de la déshérence, qui remporta une majorité de sièges dans les années 1830. Il voulait que les terres des propriétaires qui n’avaient pas respecté les conditions initiales de leurs concessions soient rendues à la Couronne pour être redistribuées aux métayers. Comme bien d’autres mouvements réformistes et protestataires des premières années, cette tentative fut bloquée par les « intrigues de palais » des propriétaires londoniens, avec la complicité de leurs représentants sur place qui dominaient le gouvernement et la vie politique de la colonie et qui pouvaient être capables d’intimidation.

L’Assemblée législative ne progressa pas beaucoup dans ses tentatives pour se faire reconnaître. En 1839, le conseil exécutif-législatif fut scindé en deux. L’Assemblée reçut trois sièges au Conseil exécutif, même si ces membres allaient être nommés par le gouverneur sans la sanction des députés. À la longue, le mouvement pour un gouvernement responsable finit par faire front commun avec ceux qui réclamaient la réforme agraire, entre autres. Il faut dire que de telles prises de position à l’Île-du-Prince-Édouard étaient inévitables après l’obtention d’un gouvernement responsable par la Nouvelle-Écosse, sous l’impulsion de réformateurs comme Joseph Howe et sous l’effet des agitations qui avaient ébranlé le Haut et le Bas-Canada. Pourtant, le Bureau des colonies estimait que l’Île-du-Prince-Édouard était encore trop petite et trop rétrograde pour avoir droit à un gouvernement responsable.

En 1850, le Parti de la réforme libérale, qui remporta 18 des 24 sièges de l’assemblée, se fixa pour grand objectif d’instaurer un gouvernement responsable. Malgré l’opposition persistante du gouvernement et la controverse que provoquait cette revendication dans la colonie, les libéraux n’en démordirent pas. Les dirigeants du parti se virent offrir des sièges au Conseil exécutif, mais ils rejetèrent l’invitation. Lors de la session de 1851, la législature se mit, à toutes fins utiles, « en grève », adoptant une motion de censure du gouvernement et refusant de voter les subsides. Une pétition qui avait précédemment été déposée à l’Assemblée mentionnait que cette dernière refuserait de coopérer « tant et aussi longtemps que le gouvernement de cette île ne serait pas remanié de telle manière à gagner la confiance du peuple ».

C’est finalement le gouverneur qui trouva une sortie de crise en invitant Coles à constituer un gouvernement ayant la confiance de l’Assemblée législative. Quand ils furent nommés au Conseil exécutif, le 23 avril 1851, les libéraux de Coles venaient enfin de réaliser leur rêve, celui d’instaurer un gouvernement responsable. Ce fut sans doute l’une des grandes heures de l’histoire de l’Assemblée législative, même jusqu’à nos jours. On a dit à son sujet : « C’est l’un des plus beaux coups d’audace de la politique coloniale, même si, dans les circonstances, il semble qu’il ait été inévitable6. »

Toutefois, avec la difficile réalité politique de la colonie, le gouvernement responsable n’allait pas être une panacée. Les rivalités entre religions, classes et groupes de la société, de même que les différences de personnalités et d’obédiences politiques furent la cause de coalitions changeantes et temporaires. Il en découla une instabilité politique : entre 1851, quand la colonie avait pu se doter d’un gouvernement responsable, et 1873, quand l’Île-du-Prince-Édouard intégra la Confédération, il n’y eut pas moins de 12 gouvernements. Les débats sur l’entrée de l’Île au sein de la Confédération, les efforts soutenus pour résoudre la question des terres et les machinations politiques entourant la construction du chemin de fer de l’Île-du-Prince-Édouard (qui allait mettre la colonie en faillite) ne firent qu’exacerber les tensions, mais aussi animer la vie politique troublée de la colonie.

L’avènement du gouvernement responsable relança la question de la réforme législative. L’exécutif étant désormais constitué de membres de l’Assemblée, le Conseil législatif nommé n’avait plus sa place. En 1862, dans un effort pour redonner vie au moribond qu’il était devenu, le Conseil fut transformé en chambre élue de 13 membres. Celle-ci différait cependant énormément de l’Assemblée sur un point : ses membres n’étaient élus que par les propriétaires terriens, dans le dessein de freiner les élans démocratiques de la chambre basse.

Avec l’entrée de l’Île dans la Confédération, on parla encore plus de réformes législatives. La tendance des autres provinces à abolir les chambres hautes avait une résonnance toute particulière à l’Île-du-Prince-Édouard, où beaucoup de résidants se considéraient déjà par trop gouvernés. Leur sentiment fut exacerbé au moment de l’entrée de l’Île dans la Confédération, qu’ils considérèrent comme un affront fait à l’indépendance et à l’autonomie de la colonie. Les membres de l’Assemblée, dont beaucoup étaient opposés à la Confédération, craignaient que leurs droits durement gagnés ne fussent reniés par la décision de céder une partie de la souveraineté de l’Île au Canada. « Dans cette chambre, » devait déclarer George Coles devant l’Assemblée, « il ne nous reste plus grand-chose d’autre que de légiférer en matière de taxes sur les chiens ou de cochons épris de liberté7. »

Le système électoral

Jusqu’en 1966, le système électoral de l’Île-du-Prince-Édouard reposa sur un ensemble de règles informelles tenant compte — et perpétuant — de nombreuses caractéristiques distinctives de la société prince-édouardienne : sa ruralité, ses clivages religieux et ses vives rivalités partisanes. La nouvelle loi électorale, dont l’adoption précéda les élections de 1966, allait, pour la première fois, prévoir la constitution d’une liste officielle d’électeurs et la nomination de recenseurs, de réviseurs, de directeurs du scrutin et d’un directeur général des élections. Cette même loi a également fait passer à 16 le nombre de circonscriptions binominales représentées à l’Assemblée législative, afin de tenir compte de la population croissante de la ville de Charlottetown et de ses banlieues.

À la faveur de l’urbanisation de la province, le fossé entre circonscriptions urbaines et rurales ne fit que s’accentuer. Un comité spécial de l’Assemblée législative fut mis sur pied en 1974 afin de réviser les limites des circonscriptions électorales. Il recommanda la création de 30 circonscriptions uninominales comportant à peu près le même nombre d’électeurs chacune, mais rien ne changea. Dans les années 1990, l’écart était encore plus marqué. Dans une circonscription rurale du comté de Kings, on dénombrait un peu moins de 2 000 électeurs, tandis que, dans une seule circonscription de Charlottetown, il y en avait plus de 12 000. Finalement, en 1991, à cause de ces écarts croissants, un architecte de Charlottetown, Donald MacKinnon, contesta le système électoral devant la Cour suprême de l’Île-du-Prince-Édouard, au motif que les dispositions de la loi électorale relatives à la répartition des circonscriptions et au nombre d’électeurs étaient contraires à l’article 3 de la Charte canadienne des droits et libertés, qui fixe les droits démocratiques des citoyens. Citant des précédents établis par des causes provinciales semblables, comme en Saskatchewan, la Cour suprême lui donna raison. Elle statua que la loi électorale était inconstitutionnelle et ordonna au gouvernement provincial d’en adopter une nouvelle.

Les arguments entendus par la Cour suprême ne se limitèrent pas à la stricte interprétation de la Charte, telle qu’elle s’applique à la parité du nombre des électeurs. Nombre des arguments dont le tribunal fut saisi portaient sur le vieil objectif de la province, qui consistait à protéger son caractère rural et la représentation de la ruralité à la législature. Les résidants des régions rurales, a-t-on soutenu, devaient être beaucoup mieux représentés que les autres, car les administrations locales étaient limitées, les industries primaires installées dans les collectivités rurales avaient besoin d’une voix forte à la législature, et les exigences imposées aux députés ruraux étaient supérieures à celles de leurs homologues des régions urbaines. Dans son témoignage devant la Cour, Keith Milligan, ministre libéral et député rural, déclara qu’à chaque redécoupage électoral, les villes avaient gagné plus de sièges et que la législature s’était urbanisée. « Ce n’est pas sain » a-t-il déclaré. « La force de notre pays, de notre province, tient à beaucoup de choses. Avec l’affaiblissement de la représentation rurale, on est arrivé au point où les campagnes ne peuvent plus être entendues8. »

En 1993, la Commission sur la loi électorale et les limites des circonscriptions électorales fut mise sur pied pour recommander un nouveau système électoral. Elle était composée de députés et de simples citoyens. Après de vastes consultations publiques, elle déposa son rapport à l’Assemblée législative au printemps de 1994. Elle recommanda notamment l’abolition des titres de conseiller et de membre de l’Assemblée législative et leur remplacement par celui de député. Les députés seraient élus dans 30 circonscriptions uninominales. La Commission recommanda en outre que le nombre d’électeurs de chaque circonscription ne diverge pas de plus ou moins 15 p. 100 par rapport au nombre moyen d’électeurs par circonscription. (La Cour suprême avait recommandé que cet écart ne dépasse pas plus ou moins 10 p. 100.)

Deux grands facteurs avaient incité la Commission à recommander une assemblée législative de 30 sièges. Premièrement, à l’époque, beaucoup estimaient qu’il fallait réduire la taille et les coûts de l’appareil gouvernemental de la province, d’où l’élimination de deux sièges. Deuxièmement, il fallait conserver un équilibre raisonnable entre le nombre de ministres (10 à l’époque) et la taille de l’Assemblée. L’adoption de circonscriptions uninominales illustrait bien le fait que la religion ne constituait plus un facteur aussi important dans la sélection des candidats. On estimait, par ailleurs, que ces circonscriptions uninominales responsabiliseraient davantage les députés envers leurs électeurs.

Lors de la session du printemps de 1994, on déposa un projet de nouvelle loi électorale qui tenait compte des recommandations. Cependant, le débat ne tarda pas à s’enliser. La nouvelle loi aurait accordé 10 circonscriptions électorales au compté de Prince, 15 à celui de Queens et tout juste 5 à celui de Kings. Dans une province où la notion d’égalité entre les comtés était à ce point incrustée et où les résidents ruraux craignaient de ne plus être aussi bien représentés, cette proposition parut inacceptable aux députés du comté de Kings. L’un d’entre eux, Ross Young, proposa un compromis consistant à accorder au comté de Kings une plus grande partie des sièges. Selon sa formule, l’Assemblée législative ne compterait que 27 sièges dont neuf pour le comté de Prince, 13 pour celui de Queens et cinq pour celui de Kings. Pour cela, il proposa un écart de plus ou moins 25 p. 100. Le projet de loi fut finalement adopté et devint l’Electoral Boundaries Act, S.P.E.I., 1994.

Il faut attribuer cette volonté de réduire de la taille de l’Assemblée législative à une certaine conviction idéologique, très répandue depuis longtemps : l’Île-du-Prince-Édouard était trop gouvernée. À l’époque, le gouvernement provincial était en plein exercice de compression budgétaire et la diminution de la taille de l’Assemblée s’inscrivait en droite ligne avec ce processus. Néanmoins, cela signifiait qu’on allait amoindrir la capacité déjà insuffisante de la législature dans son rôle de surveillance et de responsabilisation du gouvernement. Faisant un parallèle avec le dégraissage d’autres assemblées législatives provinciales à l’époque, David Docherty lança un avertissement : « une petite taille n’est pas synonyme de dépenses moindres. En fin de compte, beaucoup moins de députés sont chargés de veiller à ce que le gouvernement demeure alerte et honnête9. »

Les systèmes électoraux ont une autre conséquence importante, soit la domination de deux partis. L’Île-du-Prince-Édouard est, au Canada, le plus pur exemple d’un système bipartite. Seuls les libéraux et les conservateurs ont formé des gouvernements. Il n’y a jamais eu de gouvernement minoritaire. Seuls deux députés, le premier en 1919, qui était indépendant, et le deuxième en 1996, qui était chef du NPD, ont été élus à l’Assemblée législative sans avoir appartenu à l’un des deux partis traditionnels. Avec l’intense rivalité entre partis, les résultats des élections ont toujours été très serrés dans cette province où il n’existe finalement pas de grandes différences idéologiques entre libéraux et conservateurs. Dans son étude du comportement de l’électorat lors de 19 élections générales, entre 1893 et 1963, Marlene Clark constate que 10 p. 100 des élus ont remporté leurs sièges par 25 voix ou moins. Plus d’un tiers ont gagné par des marges de 100 voix ou moins. La moindre petite différence dans le suffrage exprimé peut donner lieu à des résultats radicalement opposés. Ainsi, en 1943, les libéraux ont remporté 20 des 30 sièges, mais à 100 voix près, les conservateurs auraient pu avoir une majorité identique.

À de rares exceptions près, toutes les élections provinciales ont été assez serrées. Il y a une exception digne de mention : en 1935, les Libéraux ont gagné absolument tous les sièges, balayant du même coup l’opposition. On croit d’ailleurs que c’est la première fois qu’un parti d’un pays du Commonwealth a remporté tous les sièges d’une assemblée.

Au cours des quelque 20 dernières années, il est souvent arrivé à l’Île-du-Prince-Édouard que le parti gagnant remporte une majorité écrasante. Le scrutin uninominal à un tour tend à produire des majorités fortes et des oppositions faibles. Par ailleurs, de moins en moins attaché aux partis, l’électorat a eu tendance à se montrer plus stratégique ces dernières années. Résultat : les élections provinciales ne sont plus aussi serrées que jadis. Lors des scrutins de 1989, de 1993 et de 2000, l’opposition a été réduite à un ou deux députés. En 1993, le parti conservateur a remporté environ 40 p. 100 du vote populaire, mais n’a obtenu qu’un seul des 32 sièges, ce qui en a incité plus d’un à réclamer le remplacement du système majoritaire uninominal par une forme quelconque de représentation proportionnelle. C’est ainsi qu’en 2003, le gouvernement provincial a confié au juge Norman Carruthers, ancien juge à la Cour suprême, le mandat de déterminer si un autre mode de scrutin pouvait mieux convenir à la province. Après un examen poussé, le juge Carruthers recommanda la mise sur pied d’un système mixte proportionnel (SMP). Celui-ci devait combiner certains éléments du système majoritaire uninominal et d’un système de représentation proportionnelle. Comme d’habitude, une partie des candidats auraient été élus en vertu de l’ancien scrutin anglais, mais, sur un second bulletin de vote, les électeurs auraient pu désigner le parti qu’ils préféraient. Le nombre de candidats élus d’après la liste des partis aurait été proportionnel au vote populaire remporté par chaque parti. Le juge Carruthers recommanda en outre que 21 députés soient élus en vertu du mode de scrutin anglais et 10 autres en vertu de la proportionnelle.

Tous ceux qui supposaient alors que les partis tiers auraient pu recevoir une proportion de sièges en vertu du vote populaire exprimé appuyèrent le rapport. D’autres y virent la possibilité d’élire davantage de femmes et de représentants de groupes minoritaires, ce qui aurait permis d’accroître la diversité de la représentation à l’Assemblée législative. On estimait aussi que le SMP aurait permis de disposer d’une opposition plus forte à la Chambre. « Les systèmes dans lesquels le candidat qui a obtenu le plus grand nombre de voix l’emporte ont été conçus pour donner des victoires décisives et des gouvernements à forte majorité », devait écrire à ce sujet Jeannie Lea, ancienne députée libérale et partisane du système mixte proportionnel. « Ils ont été pensés pour une autre époque et pour un système à deux partis10. »

Il fut décidé de tenir un plébiscite provincial sur la question de l’adoption du nouveau système électoral. Il aurait lieu à l’automne 2005. Au printemps, une commission sur l’avenir électoral de l’Île fut mise sur pied pour informer la population sur les avantages et les inconvénients des deux systèmes. Les comités du « oui » et du « non » firent campagne durant tout l’été et l’automne.

En fin de compte, les Prince-Édouardiens refusèrent d’écrire une page de l’histoire politique quand, en novembre, ils rejetèrent le système mixte proportionnel par 64 p. 100 des voix contre 36 p. 100. Un tiers seulement des électeurs admissibles prit la peine d’aller voter. Dans son analyse des résultats, Peter McKenna, professeur de sciences politiques à l’Université de l’Île-du-Prince-Édouard, affirma que le processus avait été « beaucoup plus un exercice de relations publiques et de symbolisme politique qu’un effort franc et honnête visant à réformer utilement et fondamentalement le système électoral de l’Île-du-Prince-Édouard11 ». Il attribua la victoire du « non » et le faible taux de participation à la décision du gouvernement (sanctionnée par l’opposition) de fixer le seuil décisif à 60 p. 100 des voix, de réduire le nombre de bureaux de scrutin et de modifier le mécanisme de votation. « Décidément, les grands partis ne voulaient pas que cette proposition aboutisse », devait conclure le professeur McKenna. « En effet, ils ont fait tout ce qui était humainement possible pour la faire dérailler sur le plan politique, pour abréger son agonie et pour l’enterrer sans cérémonie. »

Il est fort peu probable que, dans un avenir prévisible, des réformes importantes du système électoral soient adoptées à l’Île-du-Prince-Édouard. La seule autre réforme récente a été l’adoption du principe d’élections à date fixe, à compter de 2011. Malgré la nature du système électoral, avec plus de 80 p. 100, le taux de participation des Prince-Édouardiens est le plus élevé au Canada. On peut donc prévoir, sans trop risquer de se tromper, que ceux-ci continueront d’aller voter en nombres records pour élire ceux et celles qu’ils espèrent voir les représenter à l’Assemblée législative.

Les parlementaires

Un jour de 1993, un groupe de dignitaires occupant les fonctions de premier ministre, de chef de l’opposition, de président et de vice-président de l’assemblée, ainsi que de lieutenant-gouverneur se réunirent pour se faire prendre en photo. Ce fut indéniablement une grande première en politique canadienne, puisque toutes ces personnalités étaient des femmes. À ce moment-là, on a pu avoir l’impression que les femmes venaient enfin d’enfoncer le plafond de verre, mais ce n’allait être qu’un accomplissement fugace.

La nature traditionaliste de la société prince-édouardienne s’illustre non seulement dans le fonctionnement de l’Assemblée législative, mais aussi dans les caractéristiques des hommes et des femmes qui y sont élus. Dans son étude de la composition de l’Assemblée législative entre 1966 et 1996, John Crossley nous apprend que, jusqu’à récemment, la législature a été un club d’hommes et qu’elle le demeure essentiellement. Les députés (des deux sexes) appartiennent tous aux deux partis traditionnels, qui ne diffèrent que très peu sur le plan idéologique. La plupart d’entre eux représentent aussi les caractéristiques socioéconomiques dominantes de la population. Les gens de gauche et les défenseurs des groupes minoritaires n’ont pas trouvé de voix à l’Assemblée législative. « D’ailleurs, la classe politique est essentiellement identifiée à la petite bourgeoisie et elle est issue de la classe moyenne qui était constituée, dans ses débuts, d’exploitants-propriétaires de fermes, de magasins et de petites entreprises et, plus tard, de la nouvelle classe moyenne formée des professions libérales12. » Plus d’une décennie s’est écoulée depuis lors et c’est encore le cas.

La grande majorité des députés est issue de la classe moyenne, traditionnelle ou nouvelle. Ils sont, en majeure partie, agriculteurs, enseignants, gens d’affaires ou membres de professions libérales. Fait non négligeable, aucun avocat ne s’est récemment porté candidat, sans doute à cause du bas salaire et des exigences de la fonction. En revanche, huit agriculteurs ont été élus en 2007, ce qui traduit l’importance de l’agriculture dans la province. Bien que le « vote agricole » ait proportionnellement perdu du terrain au fil des décennies, c’est sans doute pour cette même raison que les agriculteurs sont demeurés politiquement actifs. Comme David Docherty l’a souligné au sujet de la représentativité des agriculteurs dans les assemblées législatives du Canada, leur diminution proportionnelle au cours des dernières années est moins importante que le recul du nombre d’agriculteurs dans la population.

Dans son analyse de la composition de l’Assemblée législative, Crossley constate qu’en général, les députés sont d’âge moyen (45 ans pour les hommes et 54 ans pour les femmes; en 2007, l’âge moyen de la députation était de 46,1 ans). Ils sont aussi plutôt instruits, bien qu’un peu moins que dans les autres provinces, puisque 40 p. 100 sont diplômés d’université contre un peu moins de 11 p. 100 pour la population de l’Île; 60 p. 100 sont protestants, contre 40 p. 100 catholiques; quant aux femmes, elles représentent environ 20 p. 100 de l’Assemblée (en 2007, elles constituaient 26 p. 100 de l’Assemblée législative, un record absolu et supérieur à la moyenne des autres provinces et à celle de la Chambre des communes). Comme les collectivités de l’Île sont « tissées serrées », la très grande majorité des députés sont nés dans la province (même si Pat Binns est devenu le premier « non Prince-Édouardien » à avoir été élu premier ministre, après avoir, tout de même, résidé plus d’un quart de siècle dans cette province). L’ancien premier ministre Joe Ghiz, et aujourd’hui son fils, le premier ministre Robert Ghiz, sont les seuls députés membres d’une minorité visible à avoir été élus à l’Assemblée législative.

De façon générale, on peut donc dire que les députés sont mieux instruits que le reste de la population, qu’ils ont un statut socioéconomique supérieur à celui-ci et qu’ils ont toujours beaucoup plus participé à la vie de la collectivité.

Les critiques soulignent que, dans l’ensemble, nombre de groupes sociaux demeurent sous-représentés à l’Assemblée législative, qui, en outre, n’est pas représentative de ces minorités. Pourtant, un député peut très bien parvenir à représenter un groupe de la population sans forcément en faire partie lui-même. Par ailleurs, la petite taille de la population de l’Île et l’immédiateté du contact entre les « représentés » et les « représentants » permettent de s’assurer que les valeurs, les points de vue et les attitudes des Prince-Édouardiens sont pris en compte à l’échelon politique. Pour son enquête, Crossley est parti de l’hypothèse que la personnalité des élus a une influence, même minime, sur la pratique de la démocratie et de la politique publique. « Si le contenu du présent document porte à conclure à l’existence d’une classe politique à l’Île-du-Prince-Édouard, il ne faudrait pas en déduire qu’une élite politique fait le pont entre les puissants de l’économie et le système politique13. »

La participation accrue des femmes au système politique et à la politique électorale illustre les modifications de fond survenues dans la nature socioéconomique et démographique de la province. Bien que les femmes aient obtenu le droit de vote en 1922, il a fallu attendre près d’un demi-siècle avant qu’une d’elles fasse son entrée à l’Assemblée législative. Les femmes n’ont pas été encouragées à briguer des charges électives. La préférence institutionnalisée accordée aux hommes traduisait la nature traditionnelle et rurale de la province. Ce traditionalisme de la culture politique de l’Île et l’absence d’une voix crédible de gauche ont renforcé les obstacles s’opposant à la participation des femmes. « Le système politique de l’Île a toujours exclu les femmes, les a écartées du pouvoir, a fait fi de leurs contributions et a négligé en grande partie leurs besoins », a-t-on pu lire dans le mémoire que le Conseil consultatif sur la situation de la femme de l’Île-du-Prince-Édouard a déposé auprès de la Commission sur la réforme électorale en 2003.

À partir des années 1980, on a encouragé de plus en plus les femmes à briguer des charges publiques. Même si les groupes de femmes continuent d’affirmer qu’elles sont encore désavantagées dans les courses à la nomination, l’analyse des résultats des élections des 30 dernières années révèle qu’une fois qu’elles ont obtenu l’investiture de leur parti, les femmes remportent autant d’élections que leurs vis-à-vis masculins. Tous les partis font d’ailleurs de plus en plus d’efforts, dans leurs stratégies électorales, pour attirer des femmes, étant donné l’intérêt qu’elles représentent dans une partie de l’électorat. En 1993, Catherine Callbeck, qui était députée fédérale, a aisément remporté la direction du parti libéral grâce à l’appui écrasant de l’élite du parti, après avoir été la candidate la plus populaire dans les sondages. Elle allait conduire les libéraux à la victoire lors des élections suivantes et devenir la première femme au Canada à être élue à la tête d’un gouvernement.

La participation accrue des femmes en politique constitue le résultat d’une combinaison de rapides changements sociaux, du déclin de la vie communautaire traditionnelle et de la présence plus forte des femmes dans l’économie. De plus, sous l’effet du mouvement féministe et d’autres réalités politiques, les hypothèses traditionnelles concernant le rôle de la femme ont été remplacées par d’autres. En outre, les changements économiques et sociaux survenus dans la province ont favorisé l’émergence de préoccupations qui intéressent tout particulièrement les femmes, comme l’enseignement, la santé ainsi que la vie communautaire et familiale14.

David Docherty souligne que l’Île-du-Prince-Édouard a obtenu de meilleurs résultats que bien d’autres provinces au chapitre de l’équité entre les sexes. Cependant, il ajoute que l’ancien régime des circonscriptions binominales avait permis que les partis politiques reflètent mieux la nature profonde de la population. « La prise en compte de l’équité homme-femme et des autres facteurs sociaux était plus facile en vertu de l’ancien système », conclut-il15.

Dans son examen des progrès réalisés par les femmes, Olive Crane, chef du Parti progressiste-conservateur, souligne qu’il y a eu au moins une femme dans chaque cabinet depuis 197016. Les femmes ont aussi réalisé une série de « premières » en remportant la direction de leur parti respectif. « Ainsi, à l’Île-du-Prince-Édouard, » affirme Crane, « nous nous sommes distingués par de nombreuses innovations et nous n’en sommes pas peu fiers ». « Cependant, j’aurais préféré que nous n’ayons pas à traiter de ce sujet. J’aurais aimé qu’on accepte simplement l’idée que les femmes jouent un rôle tout aussi important dans le processus politique. »

L’Assemblée législative au travail

Après les prières d’ouverture, les députés saluent tout particulièrement les fidèles téléspectateurs qui, chez eux ou dans les résidences de personnes âgées, suivent les délibérations sur la chaîne de télévision locale ou sur Internet. Suit une cascade de brèves déclarations dans lesquelles les députés mentionnent tel groupe de bénévoles, telle équipe sportive ou tel événement spécial, de même que tout autre sujet digne d’être cité. Tout cela est très amical et informel.

Puis, vient la période des questions. Les députés ont droit quotidiennement à 40 minutes pour cuisiner les ministres sur à peu près n’importe quel sujet. Par convention, et conformément aux lignes directrices adoptées en 1964 et mises à jour en 1975, les députés disposent d’une grande latitude pour les questions supplémentaires. Cela étant, la période des questions se déroule très librement : les questions supplémentaires de l’opposition ne sont soumises à aucune limite. Les députés d’arrière-ban du côté gouvernemental ont la possibilité de poser deux questions principales et deux questions supplémentaires, mais à la discrétion du président. La période des questions est suivie par les déclarations des ministres portant sur les initiatives gouvernementales. Encore par convention, les annonces du gouvernement doivent d’abord être faites à l’Assemblée lorsqu’elle siège. Puis, les députés passent à l’ordre du jour, dont le menu comprend des projets de loi gouvernementaux, des résolutions, les débats sur le budget et sur le discours du Trône, de même que l’étude détaillée des lois et des prévisions budgétaires en comité plénier. Ils bénéficient de deux périodes par semaine pour soumettre des résolutions et des projets de loi d’initiative parlementaire. C’est généralement l’opposition officielle qui en profite.

Un examen du Feuilleton de la deuxième session de la 63e Assemblée générale (printemps 2009) révèle la diversité de la portée et de la nature des travaux de l’Assemblée législative. Dans une petite province comme l’Île-du-Prince-Édouard, aucune question n’est trop importante ni trop mineure pour échapper à l’attention du législateur. En plus des amendements d’ordre administratif apportés aux lois, comme à l’Highway Traffic Act, à la Liquor Control Act et à l’Environmental Protection Act, on recense plus de 125 avis de motion, allant de sujets comme l’informatisation des écoles, la lutte contre la pauvreté, les inévitables demandes de soutien gouvernemental fédéral de toutes sortes, la crise dans l’industrie du homard et une motion pour célébrer la Fête des mères. Très peu de ces sujets sont ouverts à débat et font l’objet d’un vote.

À chaque session, le gouvernement peut déposer jusqu’à 50 mesures législatives. La grande majorité des projets de loi est, en fait, constituée de modifications d’ordre administratif. À moins que le texte soit litigieux, les débats sont généralement limités. La loi est examinée article par article en comité plénier, après l’étape de la deuxième lecture. Bien que celle-ci soit en principe l’occasion, pour les députés, de débattre le projet de loi, ça n’arrive jamais. Aucune limite de temps n’est imposée, mais la plupart des projets de loi sont expédiés. Comme la province a toujours eu des gouvernements majoritaires, ces derniers n’éprouvent jamais de difficulté à faire adopter les lois qu’ils déposent.

Tous ces travaux se déroulent les mardis et jeudis en après-midi et en soirée, les mercredis en après-midi et les vendredis en matinée. Ce rythme de travail a été établi il y a plus d’un siècle, car il était alors question de donner assez de temps aux députés pour aller passer les week-ends dans leur circonscription. Même si, de nos jours, aucun d’eux ne réside à plus de deux heures de route de l’Assemblée législative, ce calendrier traditionnel est demeuré inchangé. Quand l’Assemblée législative ne siège pas, les députés s’occupent de leur circonscription ou siègent à des comités spéciaux ou permanents. Les sessions donnent amplement à tout le monde la possibilité de participer, de tenir le gouvernement responsable et de bénéficier d’une visibilité.

Toutefois, comme nous le verrons plus loin, bien des occasions sont manquées. Les questions dont l’Assemblée législative est saisie ne sont indicatives ni de ses véritables pouvoirs, ni de l’influence de la province. L’Assemblée législative n’est guère qu’une façade camouflant les subtilités et les intrigues du système politique de l’Île.

Deux grands partis politiques dominent la vie politique de l’Île. Au fil des ans, ils ont perfectionné l’art de la politique non idéologique en essayant, autant que faire se peut, d’être tout pour tout le monde. Les deux partis « pilotent au centre », laissant, dès lors, peu de place aux tiers partis. Leurs différences idéologiques étant minimes, ils se remplacent aux commandes de la province. Malgré cette absence de différence idéologique (ou peut-être à cause d’elle), le sectarisme politique est très prononcé, comme on peut le constater dans le fonctionnement de l’Assemblée législative. Pendant les sessions, les deux caucus se réunissent quotidiennement pour examiner l’ordre du jour et leurs positions respectives, et pour veiller à présenter un front uni à la Chambre. Hormis pour des affaires sans grande importance ni grande conséquence, les députés votent rarement contre leur propre parti. Bien que tous les votes soient « libres », la discipline de parti est appliquée avec rigueur.

Les délibérations de l’Assemblée législative, qui se déroulent en présence de la masse symbolique, transportée quotidiennement à la Chambre dans un cortège on ne peut plus officiel, ne diffèrent pas de ce qui se fait ailleurs. Même dans cette minuscule chambre délibérante, il est des règles que ni on ne contourne, ni on n’enfreint, ni on ne modifie. Seule manifestation qui distingue cette assemblée législative des autres (à part celle de Terre-Neuve-et-Labrador) : le gouvernement siège à la gauche du président. C’est le côté sud de Province House, donc le plus ensoleillé et le plus chaud. Si, à l’époque où il n’y avait pas de chauffage central, les gouvernements devaient subir les assauts d’en face, autant que ce fut dans un relatif confort. Aucun gouvernement n’a jamais jugé nécessaire de bouleverser cette tradition.

À l’Île-du-Prince-Édouard, les sessions sont courtes, les services de soutien sont limités et les salaires des députés sont bas. Au cours de la dernière décennie, l’Assemblée a siégé un minimum de 27 jours et un maximum de 63 jours par an. La session régulière de l’automne a été introduite en 1997, en plus de la session traditionnelle du printemps. En avril 2008, le Comité permanent du règlement, des privilèges et des projets de loi d’intérêt privé a recommandé l’adoption du tout premier calendrier parlementaire. L’Assemblée est maintenant convoquée la première semaine d’avril, puis le premier jour ouvrable (lundi non compris) suivant le jour du Souvenir. Cette initiative se voulait une réponse aux critiques de vieille date selon lesquelles les sessions législatives étaient trop courtes et trop espacées dans le temps pour véritablement donner la possibilité aux députés d’examiner en profondeur les actions gouvernementales. Pourtant, un ancien greffier de l’Assemblée législative devait affirmer que la brièveté des sessions est, en grande partie, attribuable aux députés eux-mêmes : « J’ai souvent eu la très nette impression qu’il fallait en finir au plus vite avec les sessions17. »

Les députés reçoivent très peu de services. Jusqu’en 1996, l’Île-du-Prince-Édouard était la seule province canadienne à ne pas produire de hansard complet. Les travaux de l’Assemblée n’ont été télévisés qu’à partir de 1997; on avait craint que les caméras ne soient trop indiscrètes et que certains députés ne soient tentés de se donner en spectacle. Bien que les députés aient des bureaux dans un édifice voisin depuis les années 1980, ils n’ont quasiment pas de personnel de soutien. La seule aide publique est une allocation annuelle versée aux députés du gouvernement et de l’opposition afin de couvrir leurs frais de fonctionnement, en personnel et autres. La somme est fixée par le Comité permanent de la gestion législative.

Au début de 2008, l’Assemblée législative a mis à la disposition des députés et des comités législatifs un personnel apolitique, c’est-à-dire un bibliothécaire et un recherchiste. (Bien que la bibliothèque de l’Assemblée législative remonte au tout début de la colonie, on l’a laissé dépérir pendant des décennies. Dans les années 1970, elle fut intégrée au réseau des bibliothèques provinciales avant d’être rendue à l’Assemblée législative.)

Le règlement de l’Assemblée législative de l’Île-du-Prince-Édouard énumère tous les comités permanents que celle-ci a décidé de constituer lors de chaque session. Il y a des comités permanents qui traitent de sujets comme l’agriculture, le développement économique et social, les pêches, les transports et les comptes publics, ainsi que des comités de régie, qui s’occupent du règlement, des privilèges, des projets de loi d’intérêt privé et de la gestion législative. De plus, il est possible de créer, à des fins particulières, des comités spéciaux qui sont dissous une fois leur mandat rempli. La composition des divers comités est fixée par le Comité des comités, qui se réunit habituellement une fois par session. Les simples députés indiquent à leur leader à la Chambre les comités qui les intéressent. Le nombre de membres des comités permanents est fixé à huit et les députés siègent à plus d’un comité. Rien ne s’oppose à ce que les ministres siègent aux comités, mais, en pratique, ils ne le font pas. Les comités désignent leurs présidents. Depuis 1987, le Comité des comptes publics est présidé par un député de l’opposition, comme cela se fait dans d’autres assemblées législatives.

En cours de session législative, les comités se rencontrent fréquemment et, selon les questions dont ils sont saisis, ils se réunissent occasionnellement en cours d’année. Ils examinent alors les questions soumises par l’Assemblée législative. Dans les premiers temps, les comités ne pouvaient pas se pencher sur d’autres dossiers, mais, depuis quelques années, ils ont le loisir, à la majorité de leurs membres, de choisir leurs sujets d’étude. Toutefois, comme ils bénéficient de peu de soutien du personnel, à part celui d’un greffier, ils sont limités dans le genre d’activités qu’ils peuvent entreprendre.

Le président joue un rôle clé dans l’efficacité de l’Assemblée législative. Ses principales fonctions consistent à présider impartialement les travaux de l’Assemblée législative, de maintenir l’ordre et, si nécessaire, de recourir à sa voix prépondérante. C’est au lendemain des élections de 1996 que, pour la première fois, le président a été élu au scrutin secret. Jusqu’alors, le choix du président se faisait sur la recommandation du parti gouvernemental. Malgré l’adoption du scrutin secret, le parti au gouvernement contrôle toujours le choix du président, puisque c’est lui qui propose les candidats.

Dans l’univers politique hautement partisan de l’Île-du-Prince-Édouard, l’impartialité présumée du président et la loyauté de celui-ci envers son parti sont parfois entrées en conflit. Ainsi, lors de la session de 1974, le président de l’époque, Cecil Miller, a été blâmé par un député de l’opposition pour un « discours très politique » qu’il aurait prononcé lors d’un congrès libéral d’investiture. Il aurait, en effet, critiqué certains députés de l’opposition pour « s’être laissé aller à des pratiques douteuses pendant qu’ils étaient au gouvernement ». Miller est sorti de l’Assemblée législative, affirmant qu’il n’y reviendrait pas tant qu’un comité sur les privilèges ne l’aurait pas blanchi de cette accusation. Le comité ayant déclaré être incompétent en la matière, l’affaire fut renvoyée à l’Assemblée législative. Quand Miller reprit son fauteuil, le député de l’opposition se rétracta et fit ses excuses. S’ensuivit un échange enflammé qui culmina par une suspension de séance de 20 minutes. En fin de compte, Miller revint s’excuser, affirmant que son intention n’avait pas été, dans ses déclarations, de ternir l’honnêteté ni l’intégrité de députés.

Un autre incident concernant le président s’est produit lors de la session de 1983. Les députés de l’opposition libérale quittèrent la Chambre après que la présidente, Marion Reid, leur eut refusé de poser des questions à la suite d’allégations formulées à propos du ministre de la Voirie. Celui-ci avait été accusé d’avoir dépensé 100 000 $ en argile litée pour des voies d’accès privées. La présidente avait décrété qu’aucune question ne serait autorisée tant que l’affaire ferait l’objet d’une enquête policière. En l’absence de l’opposition, le gouvernement désigna de simples députés pour poser des questions et en profita pour faire approuver les prévisions budgétaires de même que certains projets de loi en deuxième lecture.

Comme il arrive parfois que le vote soit serré à la chambre, le président peut être forcé de recourir à sa voix prépondérante. Par exemple, lors de la session de 1970, le gouvernement du premier ministre Alex Campbell fut, à cause d’une démission, réduit au même nombre de députés que l’opposition. Pour éviter un éventuel renversement et s’assurer que le gouvernement n’aurait pas à compter sur le vote du président, il décida de dissoudre l’Assemblée et de déclencher des élections.

En 1978-1979, aux prises avec une majorité d’un seul siège, le gouvernement du premier ministre Bennett Campbell admit qu’il était impossible à l’Assemblée législative de fonctionner sans l’aval de l’opposition. Le gouvernement déclencha une élection plutôt que de mettre le président en situation de devoir trancher. « On ne peut pas très longtemps maintenir le président en situation de devoir briser l’égalité avant que l’objectivité de sa fonction soit remise en question », devait déclarer M. Campbell18.

Bien que Doug Boylan, ancien greffier de l’Assemblée législative, ait dit une fois que les sessions étaient mornes, il y a toujours eu assez de controverse et d’incidents bruyants pour maintenir l’intérêt du public. Les allégations de conflits d’intérêts, de mauvaise administration, d’abus de pouvoir et d’autres mauvaises actions ont maintenu l’opposition alerte et le gouvernement sur ses gardes. S’il est arrivé que les débats soient féroces, ils n’ont jamais été insignifiants. À quelques rares exceptions près, tous les députés respectent les normes législatives de même que les règles reconnues du décorum parlementaire.

L’Assemblée législative de l’Île-du-Prince-Édouard semble donc raisonnablement exercer sa fonction représentative, mais Ian Stewart a déjà souligné qu’il serait erroné d’associer le contrôle politique au contrôle législatif. Cette réalité n’est pas propre à l’Île-du-Prince-Édouard, puisque, partout au Canada, l’organe exécutif fait ombrage aux assemblées législatives, qui trouvent de plus en plus difficile de tenir les gouvernements responsables. On dit même que des assemblées législatives plus nombreuses et plus complexes, comme celles de l’Ontario, ne sont pas à la hauteur de leur potentiel. Selon Graham White, « l’Assemblée législative de l’Ontario a réalisé de grands progrès ces dernières années, ce qui n’empêche qu’elle ne réfléchit pas souvent à son potentiel et qu’elle passe à côté d’un grand nombre d’occasions importantes d’apporter des réformes, de contribuer au processus politique et de promouvoir la responsabilisation du gouvernement19 ». La lenteur de la réforme électorale à l’Île-du-Prince-Édouard, la nature informelle du système et le fait que les députés se préoccupent d’autres choses que leurs fonctions législatives ont entravé l’efficacité de l’Assemblée législative provinciale.

Gare aux mélanges des genres

Pour voir dans quelle mesure les députés parviennent à équilibrer vie publique et vie privée, la Prince Edward Coalition for Women in Government a réalisé une étude nationale visant à comparer les responsabilités des députés de l’Île avec celles de leurs homologues d’autres provinces et des territoires. Cette étude a fait ressortir qu’ils consacrent plus de temps à leur travail de circonscription que leurs homologues ailleurs au Canada. De plus, si la population semble généralement être consciente de la charge de travail des députés quand l’Assemblée siège, il est moins certain qu’elle sait combien d’heures de plus ils consacrent à leur circonscription. Dans un addenda ironique à son document de recherche, la coalition a imaginé une annonce d’emploi pour député. Voici quelques-unes des tâches qu’elle leur avait attribuées : rencontres et communications avec les électeurs chaque fois que ceux-ci le jugent approprié; assistance apportée aux électeurs pour leur permettre d’accéder aux programmes et de trouver un emploi; présence à l’Assemblée législative en cours de session et participation aux travaux de comités permanents; préparation des déclarations de revenus des électeurs; participation, une fois par semaine au moins, à la fête d’anniversaire, à une veillée mortuaire, à des funérailles, à une fête de départ à la retraite ou à tout autre événement privé de personnes qu’on ne connaît pas; toute autre tâche exigée par la fonction. L’annonce se concluait ainsi : « Il s’agit d’un poste à temps plein exigeant 50 à 80 heures de travail par semaine, tout ça pour un ensemble d’avantages sociaux et un salaire qui sont les plus bas au Canada. »

Visant à démontrer que le déséquilibre entre la vie professionnelle et la vie privée risque de provoquer un désintérêt chez des candidats potentiels, y compris des femmes, cette recherche a fait ressortir que les députés de l’Île-du-Prince-Édouard sont très soucieux de bien s’acquitter de leurs responsabilités envers leur circonscription. Pour illustrer les nombreuses demandes faites aux députés, le document cite le cas d’un répondant qui, ayant reçu l’appel d’une femme en plein milieu de la nuit parce qu’un chat s’était réfugié sur son toit, avait dû se munir d’une échelle pour aller récupérer l’animal.

Ce qui caractérise le plus le travail des députés de l’Île-du-Prince-Édouard, c’est le grand écart qu’ils sont appelés à faire entre leurs responsabilités envers les électeurs et leurs responsabilités législatives. Nombre de facteurs peuvent expliquer ce phénomène, mais la principale raison tient à la prépondérance absolue de l’exécutif sur le législatif. Dans une assemblée législative de 27 membres, en général, 11 font partie du cabinet. En théorie, un gouvernement majoritaire pourrait être formé de 14 députés. S’il y en avait 12 au cabinet, en plus d’un président et d’un vice-président issus de la majorité gouvernementale, il ne resterait plus de députés d’arrière-ban.

La frontière entre l’exécutif et le législatif avait été gommée davantage sous le régime du premier ministre Pat Binns. À son arrivée au pouvoir, en 1996, celui-ci avait nommé le greffier du Conseil exécutif greffier de l’Assemblée législative, ce qui lui avait attiré les critiques d’un ancien greffier de l’Assemblée législative, qui y voyait un conflit d’intérêts possible : « C’est un peu comme avoir deux maîtres et être dans l’impossibilité de les servir pleinement tous les deux20. » Binns allait encore plus saper l’indépendance de l’Assemblée législative en nommant, cette fois, la plupart des députés d’arrière-ban à des comités du cabinet. Si l’on peut y voir une manière d’élargir le rôle des simples députés en leur donnant une voix à l’exécutif, cette décision n’a, en réalité, fait que contribuer au déclin continu du rôle de l’Assemblée législative. La décision de nommer de simples députés à des comités du cabinet où ils étaient tenus au secret sous la foi du serment, a estompé la distinction entre les responsabilités du législatif et celles de l’exécutif, a miné l’indépendance de l’Assemblée législative et a muselé les députés d’arrière-ban en les soumettant à l’autorité de l’exécutif.

À cause de la primauté de l’exécutif, l’Assemblée législative ne fait plus que donner son blanc-seing au gouvernement dans la conduite des affaires de la province. Comme ils ont peu d’influence sur l’exécutif, voire aucune, il ne faut pas s’étonner que les députés se perçoivent comme étant principalement au service de leurs électeurs.

Les députés, surtout dans les circonscriptions rurales, sont en permanence soumis à des pressions pour distribuer des emplois, des faveurs et des projets. Avec 27 circonscriptions dans une province aussi petite, tout l’art consiste à partager l’assiette au beurre de manière à ce que chaque député puisse affirmer qu’il en a obtenu une part. Il en est résulté une politique d’intérêts on ne peut plus locaux. Les députés ont tendance à se préoccuper davantage des gains réalisés localement que du sort de la province en général. Comme Frank MacKinnon l’a fait remarquer : « À cause des énormes pressions auxquelles ses électeurs la soumettent, la personne est confinée à une perspective limitée quand elle est députée, mais aussi dès qu’elle est candidate21. » Le favoritisme politique demeure répandu, ce qui ne fait que saper la crédibilité du système politique. « Les députés ne sont plus que des “parrains? distribuant des faveurs politiques à ceux et celles qui en réclament », a dénoncé le journaliste Martin Dorrell, pour qui le seul rôle des simples députés « consiste à créer 10 emplois par semaine pour leurs commettants22 ». Les questions de népotisme demeurent le sujet le plus litigieux dans la province.

La professionnalisation de la fonction publique provinciale, entamée dans les années 1970, a aussi sérieusement grugé le rôle traditionnel des députés dans les décisions concernant les projets locaux, la construction de routes et même le paiement de l’aide sociale. Les grandes décisions sont maintenant essentiellement prises par les ministres sur les conseils de leurs fonctionnaires, laissant les députés sur la touche. Le vrai pouvoir est désormais exercé par les ministres, qui poursuivent la tradition d’ingérence politique dans les activités quotidiennes du gouvernement. Comme la politique est tellement omniprésente et que les ministres continuent d’intervenir directement dans le travail du gouvernement, le sobriquet qui s’applique le mieux pour décrire ces titulaires de portefeuille est celui de « bricoleurs23 ». Les pouvoirs étant de plus en plus concentrés entre les mains des ministres et des fonctionnaires, le rôle des simples députés est de plus en plus marginalisé.

On a pu, pour la première fois, constater la marginalisation du rôle traditionnel des députés quand le gouvernement provincial a modernisé la fonction publique, au début des années 1970. À l’époque, pour entreprendre un processus de développement communautaire dans le contexte de son ambitieux programme de développement, le gouvernement accordait tous les marchés de l’État à un organisme indépendant. Les députés estimaient que les employés du développement communautaire avaient usurpé leurs rôles et leurs responsabilités. Le premier ministre Alex Campbell a déclaré alors : « Il y a donc eu un affrontement entre la perception traditionnelle du rôle de l’élu et du rôle des employés d’un organisme qui n’étaient investis d’aucune responsabilité constitutionnelle, qui n’avaient pas eu à se faire élire et qui n’avaient de comptes à rendre qu’à leur patron. » Le contrat allait finalement être annulé, notamment à cause de la multiplication des critiques des députés d’arrière-ban et des ministres à l’endroit de l’organisme.

En général, la grande majorité des lois est proposée par le gouvernement. Les projets de loi d’initiative parlementaire sont rares. À moins qu’ils ne portent sur des questions de nature administrative, comme des modifications aux lois constitutives d’organisations non gouvernementales, ils ne sont jamais adoptés. Lors de la session de l’automne 2008, un député ministériel d’arrière-ban, Alan McIsaac, a déposé un projet de loi d’initiative parlementaire visant à modifier la Revenue Tax Act, afin que la taxe de vente soit intégrée au prix de vente, pour permettre aux consommateurs de connaître tout de suite le montant total de leurs achats. Le projet de loi fut renvoyé au Comité permanent des affaires communautaires et du développement économique, qui tint des audiences publiques sur la question. Bien que ce comité ait recommandé de ne pas adopter cette formule, l’initiative signale peut-être la montée d’un plus grand militantisme chez les simples députés.

En marche vers l’avenir

Il n’y a jamais eu de véritable tentative de réforme de l’Assemblée législative provinciale. Hormis quelques modestes réformes apportées au fil des ans aux règles et aux pratiques procédurales, les seuls changements importants sont intervenus en réaction à des causes externes et pas nécessairement pour promouvoir les intérêts de l’Assemblée législative elle-même. La décision de réduire le nombre de députés, prise à l’occasion de la réforme électorale du début des années 1990, est attribuable davantage à la volonté de diminuer la taille globale du gouvernement qu’à la nécessité de protéger le rôle de l’Assemblée législative. Ces dernières années, on doit la seule et unique réforme aux travaux d’un comité spécial chargé d’examiner les questions relatives au fonctionnement de la législature de sorte à la rendre plus efficace, efficiente et responsable.

Le rapport de 1995 contient un certain nombre de recommandations touchant à la structure et aux pouvoirs des comités, au soutien offert aux députés qui y siègent et à l’élection du président de l’Assemblée. Il avalise en principe l’entrée de la télévision à l’Assemblée législative, à condition que celle-ci n’ait pas à payer la note. Il se prononce contre la tenue de deux sessions par an. (Les deux sessions annuelles ont été décrétées en 1997 par le gouvernement nouvellement élu.) Le comité a convenu que cette réforme ne donnerait pas lieu à une augmentation du nombre de votes libres. Il a fait très justement remarquer au passage que les présidents considèrent tous les votes comme étant « libres » et qu’il aurait fallu, à cet égard, aborder la question sous l’angle d’une réforme du système de partis et de caucus que sous celui de la réforme législative. Le comité a reconnu que l’Assemblée législative de l’Île-du-Prince-Édouard n’a pas suivi le rythme des changements adoptés ailleurs, et il a ouvertement douté de sa capacité, opérationnelle et procédurale, à tenir le gouvernement responsable. Néanmoins, il n’a proposé aucune recommandation de réforme importante qui aurait été susceptible de véritablement régler ces faiblesses.

Au fil des ans, on a souvent posé la question de savoir si l’Île-du-Prince-Édouard mérite son statut de province; dans la négative, l’Île perdrait son assemblée législative. D’aucuns soutiennent que l’union des Maritimes conférerait plus de poids aux assemblées législatives dans la conduite des affaires de la région, mais cette proposition — qui court depuis 1864, soit depuis la conférence de Charlottetown — est trop persistante pour s’éteindre, mais trop chancelante pour prendre pied. Il serait possible de raviver et d’éclairer les délibérations en accordant un personnel plus nombreux et d’autres ressources aux députés et aux comités, mais, à cause de la prédominance du cabinet et de la solidarité du caucus, le jeu n’en vaudrait pas la chandelle, ne serait-ce qu’à cause des coûts supplémentaires de chauffage et d’électricité que cela représenterait.

La vraie réforme doit émaner des députés eux-mêmes. Même si l’Île-du-Prince-Édouard possède une culture et des traditions politiques bien à elle, elle a des enseignements à tirer des autres provinces et des territoires qui ont bénéficié de l’action plus résolue de leurs députés. Cela n’arrivera à l’Île-du-Prince-Édouard que si les députés commencent à se percevoir comme des législateurs et non comme des chiens de salon, des fouineurs ou des esprits brouillons.

Notes

  1. Ian Stewart, « A damned queer parliament », dans Gary Levy et Graham White, dir., Provincial and Territorial Legislatures in Canada, Toronto, University of Toronto Press, 1989, p. 14.
  2. Photocopie d’une lettre (non signée) de Whitehall à Patterson, 8 juin 1784 (citée par Frank MacKinnon dans Government of Prince Edward Island, Toronto, University of Toronto Press, 1951, p. 18).
  3. Huntley à Gladstone, 22 avril 1846, Prince Edward Island Public Archives and Records Office (cité par Frank MacKinnon, ibid., p. 79).
  4. Huntley à Stanley, 22 avril 1845, Prince Edward Island Public Archives and Records Office (cité par Frank MacKinnon, ibid., p. 73).
  5. Frank MacKinnon, ibid., p. 43.
  6. W. Ross Livingston, Responsible Government in Prince Edward Island: a triumph of self-government under the Crown, University of Iowa Studies in the Social Sciences, vol. IX, no 4, 1931, p. 59.
  7. Francis W.P. Bolger, Prince Edward Island and Confederation, Charlottetown, St. Dunstan’s University Press, 1964, p. 118.
  8. Minister defends ridings », The Guardian, 28 octobre 1992.
  9. David C. Docherty, Legislatures, Vancouver, UBC Press, p. 137.
  10. Jeannie Lea, « Le plébiscite de l’Île-du-Prince-Édouard sur la réforme électorale », Revue parlementaire canadienne, vol. 29, no 1 (printemps 2006), p. 4.
  11. Peter McKenna, « Opting Out of Electoral Reform – Why PEI Chose the Status Quo », Options politiques, vol. 27, no 5 (juin 2006), p. 59.
  12. John Crossley, « Who Governs Prince Edward Island? A Profile of Members of the Legislative Assembly, 1966-1996 », communication présentée à l’occasion de la réunion annuelle de l’Association canadienne de science politique, juin 1996, p. 1.
  13. Ibid.
  14. John Crossley, « Picture This: Women Politicians Hold Key Posts in P.E.I », dans Jane Arscott et Linda Trimble, dir., In the Presence of Women: Representation in Canadian Governments, Toronto, Harcourt Brace, 1997.
  15. David C. Docherty, op. cit., p. 34.
  16. Olive Crane, « Point de vue de l’Île-du-Prince-Édouard sur les femmes en politique », Revue parlementaire canadienne, vol. 29, no 3 (automne 2006).
  17. Doug Boylan, « Musings on the Role and Functioning of the House », communication présentée lors du forum intitulé « Minding the House: the Legislative Assembly, 1893-1993 », Institute of Island Studies, p. 4.
  18. The Guardian, 14 novembre 1978.
  19. Graham White, «Ontario: A legislature in adolescence », dans Gary Levy et Graham White, dir., Provincial and Territorial Legislatures in Canada, Toronto, University of Toronto Press, 1989, p. 29.
  20. « Premier takes heat for clerk jobs merger », The Guardian, 12 décembre 1996.
  21. Frank MacKinnon, « Big Engine, Little Body », dans Martin Robin, dir., Canadian Provincial Politics: The Party Systems of the Ten Provinces, 2e éd., Scarborough (Ontario), Prentice Hall of Canada, p. 245.
  22. Martin Dorrell, « PEI legislature failing Islanders », The Guardian, 14 décembre 1993.
  23. Peter E. Buker, « The Executive Administrative Style in Prince Edward Island: Managerial and Spoils Politics », dans Luc Bernier, Keith Brownsey et Michael Howlett, dir., Executive Styles in Canada, Toronto, University of Toronto Press, 2005, p. 114.
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