Diversité raciale lors des élections fédérales de 2011 : candidats et députés issus des minorités visibles
Les élections fédérales de 2011 se sont démarquées à plusieurs égards. Le Parti libéral a recueilli le plus petit nombre de sièges de sa longue histoire. Le Nouveau Parti démocratique a fait élire le plus grand contingent de députés à ce jour, ce qui lui a permis de former l’opposition officielle pour la première fois. L’élection directe d’un candidat du Parti vert a été une autre première. À l’issue des élections, la diversité raciale et de genre au sein du Parlement avait atteint des niveaux records. Une fois les votes comptabilisés, 76 femmes s’étaient taillé une place à la Chambre des communes, donc sept de plus qu’en 2008. L’article porte principalement sur la représentation des minorités visibles, qui a également atteint un sommet lors des élections de 2011.
Dans l’ensemble, 28 députés des minorités visibles ont été élus en 20111, soit 9,1 % de l’ensemble des membres de la Chambre des communes (308); un résultat qui est légèrement supérieur aux 21 députés élus en 2008 (6,8 % de tous les députés). Le tableau 1 présente un contexte élargi et regroupe des données comparables remontant aux élections de 1993, année où des députés des minorités visibles ont été élus pour la première fois en nombre significatif. Une telle perspective longitudinale donne du poids à la signification des résultats des élections de 2011. D’abord, le nombre de députés des minorités visibles n’a pas toujours augmenté d’une élection à l’autre et, en effet, si l’on considère deux paires d’élections, soit 1997-2000 et 2006-2008, il a réellement diminué, ce qui rend d’autant plus remarquable l’amélioration constatée entre 2008 et 2011. Ensuite, l’élection de sept députés des minorités visibles de plus en 2011 mérite notre attention en raison de la faible augmentation constatée entre certaines paires d’élections : par exemple, il s’est ajouté seulement deux députés entre 2004 et 2006.
Ceci étant dit, il est possible d’adopter une perspective plus modérée sur l’incidence des élections de 2011 en matière de diversité, selon laquelle ces élections n’ont pas changé grand-chose au fait que les minorités visibles demeurent considérablement sous-représentées au Parlement par rapport à leur présence dans la population générale. Le tableau 1 illustre également ce point de vue important, car il indique les pourcentages des minorités visibles (en augmentation croissante) dans la population, de même que les rapports entre le pourcentage des députés des minorités visibles au Parlement et des minorités visibles dans la population. Selon ce calcul, un rapport de 1 signifie que la présence des minorités visibles à la Chambre des communes correspond à sa part dans la population. Un rapport de 0,5 signifierait que le niveau de représentation est seulement la moitié de « ce qu’elle devrait être » compte tenu du pourcentage dans la population. Comme on peut le constater, le rapport de 2011 se rapproche de ce niveau, soit 0,482; autrement dit, il aurait fallu élire 59 députés des minorités visibles pour éliminer complètement le déficit de représentation. De plus, l’écart n’a pas diminué beaucoup en 2011 par rapport aux élections précédentes. En effet, malgré une réduction par rapport aux élections de 2008 (rapport de 0,39), il est le même que celui des élections de 2004 et de 2006. Élément encore plus frappant, on constate que le rapport pour 2011 est virtuellement le même qu’en 1993 (0,47); six élections plus tard, la représentation des minorités visibles n’a pas progressé.
En résumé, la représentation des minorités visibles à la suite des élections de 2011 revêt tant des aspects positifs que négatifs. De vastes forces contraires agissent, les unes en faveur d’un accroissement de la représentation et les autres, en obstruction à celui-ci.; il n’est donc pas surprenant que la hausse soit plus graduelle qu’impressionnante. D’une part, le nombre de candidats de minorités visibles peut être stimulé par l’intensification de la concurrence pour obtenir les votes des nouveaux Canadiens, dont la majorité fait partie du groupe des minorités visibles; cette situation a incité les partis à envisager la nomination d’un plus grand nombre de candidats issus de minorités visibles. D’autre part, les effets de l’antériorité et diverses formes de discrimination résiduelle contribuent au statu quo.
1993 | 1997 | 2000 | 2004 | 2006 | 2008 | 2011 | |
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Tous les députés | |||||||
Nombre | 13 | 19 | 17 | 22 | 24 | 21 | 28 |
% | 4,4 | 6,3 | 5,6 | 7,1 | 7,8 | 6,8 | 9,1 |
% de minorités visibles dans la population | 9,4 | 11,2 | 13,4 | 14,9 | 16,2 | 17,3 | 19,1 |
*Rapport entre le % de députés et le % dans la population | ,47 | ,56 | ,42 | ,48 | ,48 | ,39 | ,48 |
Par parti* | |||||||
BQ | — | — | — | 9,1 | 16,7 | 14,3 | 3,6 |
PCC | 7,7 | 26,3 | 29,4 | 31,8 | 25,0 | 38,1 | 42,9 |
Lib | 92,3 | 68,4 | 70,6 | 59,1 | 54,2 | 42,9 | 7,1 |
NPD | — | 5,3 | — | — | 4,2 | 4,8 | 46,4 |
(N) | (13) | (19) | (17) | (22) | (24) | (21) | (28) |
* Pourcentage des colonnes.
Source: Pour les données de 1993-2008, voir Jerome H. Black, « Candidats et députés des minorités visibles: Mise à jour basée sur les élections fédérales de 2008 », Revue parlementaire canadienne. vol. 34, no 1, 2011, p. 30-34. Les données de 2011 sur les députés ont été colligées par l’auteur; pour l’estimation du recensement concernant l’année 2011, voir le texte. |
Députés de minorités visibles dans les partis
Il est évident que la solide performance inattendue du NPD, désignée familièrement sous le vocable de « vague orange », a grandement contribué à faire augmenter le nombre de députés issus de minorités visibles. Le nombre de sièges obtenus par le parti par rapport à 2008 a presque triplé, et ce résultat a entraîné l’élection de 13 députés de minorités visibles, soit le plus grand nombre de tous les partis. Au tableau 1, le pourcentage correspondant à ce nombre est indiqué; donc, parmi les 28 membres de minorités visibles élus comme députés en 2011, 46,4 % étaient des membres du NPD. Les pourcentages des élections antérieures qui y figurent font ressortir l’ampleur du mouvement amorcé pour le NPD lors des élections de 2011. Dans aucune des élections antérieures, le parti n’avait réussi à faire élire plus d’un membre de minorité visible. La performance du Parti conservateur, l’élection de 12 députés de minorités visibles, a également grandement contribué à l’accroissement du total. Dans ce cas cependant, le résultat s’inscrit dans une tendance à la hausse presque systématique au sein de ce parti (ainsi que de ses formations antérieures), car les pourcentages de tous les députés de minorités visibles de ce parti pour la période de 1993 à 2008 sont passés de 7,7 % à 38,1 %. En 2011, le parti a atteint son apogée lorsque ce pourcentage a atteint 42,9 %.
La situation des libéraux et du Bloc Québécois soulève la question suivante: la faible performance de ces partis aux élections de 2011 a-t-elle limité l’élection potentielle d’un nombre plus élevé de députés de minorités visibles? D’un côté, la réponse qui semble s’imposer est oui. Après tout, la mauvaise fortune de ces deux partis ne constitue que l’envers du succès des conservateurs et du NPD; plus précisément, bon nombre de leurs candidats sortants issus de minorités visibles ont été défaits. Les libéraux n’ont fait élire que deux membres de minorités visibles (7,1 % de tous les députés de minorités visibles), tandis qu’en 2008, ils en avaient fait élire neuf (42,9 %). Cependant, le déclin du parti n’est pas nouveau. Leur part de membres de minorités visibles chute de manière constante, du sommet de 92,3 % en 1993.3. Cependant, la dégringolade qui a suivi en 2011 donne à réfléchir. En ce qui a trait au BQ, il n’a fait élire qu’une poignée de députés de minorités visibles aux élections les plus récentes, soit 16,7 % et 14,3 % en 2006 et en 2008, trois personnes à chaque élection, mais une seule en 2011.
Un autre raisonnement permettrait de mieux expliquer le rôle possible qu’aurait joué la défaite des libéraux et du BQ dans la réduction du nombre de députés des minorités visibles. Si les nouveaux députés des minorités visibles du Parti conservateur et du NPD ont défait les députés sortants des minorités visibles du Parti libéral et du BQ élus lors des élections de 2008, « l’effet de remplacement » signifierait alors que les pertes électorales globales des deux partis n’ont presque pas eu d’incidence sur le nombre total de députés. En général, cet effet de remplacement ne s’est pas produit. Parmi les 18 députés des minorités visibles élus pour la première fois en 2011, seulement cinq ont défait un député sortant de minorités visibles. Si le Parti libéral et le BQ avaient eu de meilleurs résultats, même modestes, ils pourraient avoir conservé un plus grand nombre de sièges occupés par des membres de minorités visibles, et, de ce fait, contribué à la hausse de la représentation des minorités visibles.
Candidats issus de minorités visibles et leur parti
La tautologie selon laquelle les chances d’élection d’un plus grand nombre de candidats issus de minorités visibles augmentent avec le nombre de candidats de ces origines nous impose d’étudier ce dernier point. Les données sur les candidats ont toujours permis de comprendre la représentation des minorités visibles, et les données sur les élections de 2011 ne font pas exception à la règle. En même temps, la relation entre le nombre de candidats et le nombre de députés n’est pas directe, mais dépend de nombreuses variables – dont certaines ont déjà été mentionnées – qui expliquent l’élection d’un plus ou moins grand nombre de membres de minorités visibles. Nous nous concentrons ici sur les possibilités de gain des partis. Bien que les candidats des meilleurs partis aient de meilleures chances de l’emporter, le facteur le plus déterminant est la compétitivité ou les perspectives électorales des partis des candidats dans les circonscriptions où les candidats se présentent. Même si les partis les plus importants peuvent, par définition, gagner dans un plus grand nombre de comtés, les grands écarts entre les régions au chapitre des appuis du parti signifient que tous les partis ont leurs points forts et leurs points faibles.
2004 | 2006 | 2008 | 2011 | |
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Tous les candidats (%) | 9,3 | 9,0 | 10,1 | 9,7 |
Par parti (%) | ||||
BQ | 6,7 | 7,8 | 10,7 | 8,0 |
PCC | 10,7 | 8,1 | 9,8 | 10,1 |
Lib | 8,4 | 11,0 | 9,8 | 9,1 |
NPD | 9,4 | 7,8 | 10,7 | 10,4 |
Source : Pour les données de 2004-2008, voir Jerome H. Black, « Candidats et députés des minorités visibles : Mise à jour basée sur les élections fédérales de 2008 », Revue parlementaire canadienne.vol. 34, no 1, 2011, p. 30-34. Les données de 2011 sur les candidats ont été colligées par l’auteur. |
En temps normal, le résultat antérieur obtenu dans une circonscription sert de fondement pour juger des chances d’un parti aux prochaines élections. Il va sans dire que les partis recrutent et nomment les candidats en tenant compte des circonstances relatives à la compétition et s’attendent à une corrélation approximative entre le résultat antérieur et le résultat de la prochaine élection. Bien sûr, on sait que des éléments imprévus viendront agir sur le résultat, mais peu de personnes avaient anticipé les résultats surprenants des élections de 2011. De nombreux candidats libéraux et du BQ ont connu la défaite dans des circonscriptions où ils étaient habituellement considérés comme favoris, sinon assurés de la victoire. D’autre part, un grand nombre de candidats du NPD ont été élus dans des comtés dans lesquels le parti n’avait pas de chance réaliste de l’emporter. Cela est particulièrement vrai au Québec, où un nombre considérable de députés de minorités visibles ont été élus dans des circonscriptions où leur parti tirait péniblement de l’arrière en 2008. Ce qui a eu une réelle importance pour ces députés n’était pas tant les perspectives électorales du parti, mais le simple fait qu’ils avaient été nommés candidats.
Quel est donc le nombre exact de candidats issus de minorités visibles qui ont été nommés par le parti et par les autres partis concurrents? Comment les chiffres actuels se comparent-ils à ceux des élections antérieures? De plus, quel est le portrait fidèle de la concurrence entre les partis en 2011? Même si les marges électorales obtenues en 2008 ont une pertinence moindre sur les résultats de 2011, cela ne signifie pas qu’elles sont complètement insignifiantes. Quoi qu’il en soit, examiner les chances de succès électoral fournit de l’information sur les intentions des partis en ce qui a trait à la promotion des minorités visibles dans les circonscriptions présentant des chances de succès. Selon les données recueillies sur les élections précédentes, il est aussi probable que, dans l’ensemble, les partis présentent aux élections autant de candidats de minorités visibles que d’autres candidats dans les comtés qui leur sont favorables. Également, l’égalité de traitement varie d’un parti à l’autre et d’une élection à l’autre. Où se situent les élections de 2011 par rapport à cette caractérisation?
Les réponses à ces questions portant sur les candidats débutent au tableau 2, qui indique le pourcentage global de candidats issus de minorités visibles qui ont été nommés par les partis en 2011. Encore une fois, les données des trois élections précédentes sont présentées en guise de contexte. Les élections de 2004 constituent un point de départ adéquat parce qu’elles se sont produites après la fusion du parti de l’Alliance canadienne et du Parti progressiste-conservateur et qu’ainsi, après cette date, les principales formations politiques en présence sont les mêmes. De plus, les élections de 2004 marquent une montée en flèche de la nomination de candidats de minorités visibles dans les principaux partis politiques, soit le double (9,3 %) de leur présence en 2000.
Il s’avère que les pourcentages n’ont pas augmenté considérablement depuis ce temps. Ils ont baissé à 9 % en 2006, puis augmenté à 10,1 % en 2008; de même, les chiffres bruts sous-jacents affichent la même variation modeste, soit 93, 90 et 101, pour ces années respectives. Les élections de 2011 ont suivi la même tendance quant à la faiblesse de l’écart : dans l’ensemble, les principaux partis ont nommé 97 candidats de minorités visibles, soit 9,7 % des bassins de candidats combinés. Par conséquent, de ce point de vue global, les données indiquent que la situation a essentiellement stagné en ce qui a trait à l’avancement de la représentation des minorités visibles parmi les candidats. Il va sans dire que la croissance modeste du nombre de députés issus de minorités visibles en 2011 ne peut simplement s’expliquer par une augmentation correspondante du nombre de candidats de minorités visibles.
Le tableau 2 indique également les pourcentages de minorités visibles séparément pour chacun des quatre grands partis, ce qui illustre l’écart déjà implicite entre les partis et les différentes élections, mais ne permet pas de dégager de tendances communes ou continues. Durant la période des élections de 2004-2008, seul le BQ a nommé un plus grand nombre de candidats chaque fois pour atteindre 10,7 %; toutefois en 2011, le pourcentage ne dépassait pas 8 %. Quant au Parti conservateur et au NPD, les pourcentages ont diminué entre 2004 et 2006 pour augmenter en 2008, tandis que l’inverse s’est produit chez les libéraux. Aux élections de 2011, les pourcentages pour chacun des partis ne différaient pas considérablement de ceux de 2008.
Même si elles sont instructives, ces données ne permettent pas d’approfondir l’approche de sélection des candidats de minorités visibles adoptée par les partis, car elles incluent les candidats nommés de nouveau. En effet, les députés sortants sont habituellement nommés de nouveau, par conséquent, les autres considérations relatives au recrutement et à la nomination ont moins d’importance. Si l’on considère seulement les nouveaux candidats, on peut s’attarder à leurs caractéristiques, notamment leurs origines ethnoraciales, au moment de leur sélection ou avant. La tendance des nouveaux candidats connait également des hauts et des bas. En 2004, 72 membres de minorités visibles des quatre principaux partis se sont présentés; ce nombre a baissé à 53 en 2006, puis est remonté à 66 en 2008. Enfin, en 2011, les mêmes partis ont désigné 65 membres de minorités visibles. La dernière élection ne constitue donc pas une exception à cet égard.
Le tableau 3 présente des données pertinentes propres aux trois principaux partis4. Les deux premières lignes indiquent le nombre et le pourcentage de candidats de minorités visibles pour tous les nouveaux candidats. Par exemple, en 2004, les conservateurs ont nommé 25 membres de minorités visibles, ce qui représente 12 % des nouveaux candidats du parti. La troisième ligne donne le pourcentage de candidats de minorités visibles qui se sont présentés dans des circonscriptions gagnables (où le parti a remporté l’élection précédente ou s’il l’a perdue, l’a fait par une marge d’au plus 10 %). En ajoutant les données de la quatrième ligne, soit le pourcentage de candidats ne provenant pas de minorités visibles, on peut comprendre dans quelle mesure les partis favorisent de manière sérieuse et équitable la candidature de membres des minorités visibles. Ainsi, lors des élections de 2004, le Parti conservateur a présenté 28 % de leurs candidats de minorités visibles et 40 % de candidats non issus de minorités visibles dans des circonscriptions gagnables, ce qui indique un léger parti pris en défaveur du premier groupe.
2004 | 2006 | 2008 | 2011 | |
---|---|---|---|---|
Parti conservateur | ||||
Minorités visibles | 25 | 16 | 19 | 20 |
% de minorités visibles | 12 | 9,2 | 11,2 | 13,4 |
% minorités visibles dans des circonscriptions favorables* | 28 | 6 | 32 | 25 |
% non issu de minorités visibles dans des circonscriptions favorables * | 40 | 22 | 23 | 23 |
Parti libéral | ||||
Minorités visibles | 16 | 20 | 16 | 18 |
% de minorités visibles | 9,4 | 13,2 | 7,8 | 9,1 |
% minorités visibles dans des circonscriptions favorables * | 38 | 15 | 6 | 39 |
% non issu de minorités visibles dans des circonscriptions favorables * | 36 | 36 | 30 | 12 |
NPD | ||||
Minorités visibles | 26 | 13 | 27 | 26 |
% de minorités visibles | 9,8 | 7,3 | 12,3 | 12,0 |
% minorités visibles dans des circonscriptions favorables * | 4 | 8 | 7 | 8 |
% non issu de minorités visibles dans des circonscriptions favorables* | 2 | 5 | 8 | 5 |
* Les circonscriptions favorables sont définies comme étant celles dans lesquelles le parti a gagné l’élection précédente ou l’a perdue par une marge d’au plus 10 % . |
Une perspective générale qui se dégage des données de 2004 et 2008 est que les partis individuels, si l’on en juge par le nombre de nominations et les considérations de gain, n’ont pas fait preuve de cohérence dans l’avancement de la représentation des candidats de minorités visibles. En général, un accroissement des efforts de promotion lors d’une élection est suivi de leur affaiblissement à la suivante. Cela ne veut pas dire que cette action est délibérée. Ces tendances en dents de scie reflètent plutôt les aléas résultant des initiatives prises par les partis dans différentes circonscriptions, en réponse à des facteurs locaux et sans l’appui de lignes directrices du parti national. Il en résulte des fluctuations quelque peu erratiques dans la représentation globale des minorités visibles au fil des élections.
Toutefois, cette incohérence semble avoir pour conséquence de limiter la représentation des minorités visibles en deçà des possibilités. Cela est attribuable à la différence de vigueur des efforts de promotion consentis par les différents partis. Cette situation s’applique particulièrement au Parti conservateur et au Parti libéral, qui ont dominé lors des élections de 2004 et de 2008. En 2004, les conservateurs ont présenté un plus grand nombre de nouveaux candidats de minorités visibles que les libéraux (25 comparativement à 16), mais les libéraux ont présenté ces candidats dans des circonscriptions gagnables (38 % comparativement à 28 % pour les conservateurs). Aux élections suivantes, les libéraux disposaient d’un avantage quant au nombre (20 par rapport à 16), mais les deux partis n’ont fait qu’une faible promotion de ces candidats dans des circonscriptions gagnables. Les conservateurs n’ont présenté que 6 % de leurs candidats de minorités visibles dans ces circonscriptions alors que les libéraux en ont présenté 15 %. De plus, comme nous pouvons le constater, les deux partis ont présenté un plus grand nombre de candidats non issus des minorités visibles dans des circonscriptions favorables. Aux élections de 2008, les conservateurs ont à la fois haussé leur nombre de candidats de minorités visibles (jusqu’à 19) et les ont présentés dans des circonscriptions qui leur offraient les meilleures chances (32 % par rapport à 23 % pour les candidats non issus de minorités visibles). Cependant, les efforts des libéraux ont diminué encore plus, tant en ce qui a trait au nombre de candidats (baisse à 16) qu’à la présentation dans des circonscriptions favorables (seulement 6 %).
Pour sa part, les antécédents du NPD à cet égard sont quelque peu incohérents durant cette même période. En 2004, ils ont recruté 26 membres de minorités visibles comme nouveaux candidats (9,8 %), mais seulement 13 (7,3 %) lors de l’élection suivante; le nombre de candidats a de nouveau augmenté en 2008 (il a plus que doublé pour atteindre 27 (12,3 %)). En ce qui concerne les circonscriptions gagnables, le statut de parti minoritaire du NPD a considérablement limité sa capacité à présenter un plus grand nombre de candidats dans de telles circonscriptions; toutefois, en règle générale, la présentation des candidats a été répartie également entre les candidats issus de minorités visibles et non visibles.
Les élections de 2011 ne se conforment pas au modèle décrit ci-dessus, car aucun des trois partis n’a affaibli son soutien aux candidatures de membres de minorités visibles. Les conservateurs et le NPD ont essentiellement maintenu le même niveau d’engagement dont ils avaient fait preuve en 2008, tandis que les libéraux ont consolidé leur approche. Les conservateurs ont nommé un membre de minorités visibles de plus qu’en 2008 (20 par rapport à 19; pourcentages respectifs de 13,4 % et de 11,2 %). Le nombre de membres de minorités visibles nommés par le parti dans les circonscriptions favorables sur le plan électoral a été plus faible en 2011 (25 %) qu’en 2008 (32 %), mais l’écart est faible; cependant les données de 2011 correspondent au pourcentage de candidats non issus de minorités visibles (23 %). Les efforts de promotion du NPD sont également demeurés stables en 2011. Ce parti a présenté en 2011 seulement un candidat de minorités visibles de moins qu’en 2008 (26 par rapport à 27), et le même pourcentage de minorités visibles dans des circonscriptions gagnables lors des deux élections.
Toutefois, les deux partis se distinguent au niveau de l’incidence de leurs efforts sur la représentation finale des minorités visibles aux élections de 2011. Parmi les 20 candidats des minorités visibles nommés par le Parti conservateur, seulement trois ont été élus. Par contraste, dix des 26 nouveaux candidats des minorités visibles du NPD l’ont remporté dans leur comté et constituent la majorité du contingent de députés de minorités visibles. En ce qui a trait aux libéraux, une hausse a été enregistrée sur tous les plans entre 2008 et 2011 : les nominations sont passées de 16 à 18 (7,8 % à 9,1 %) et, fait remarquable, 39 % des candidats ont été choisis pour se présenter dans des circonscriptions gagnables par rapport à 6 % en 2008. L’ironie de la situation est, bien sûr, que cet engagement renforcé correspond à une période où les libéraux étaient en voie d’essuyer un échec électoral. Tout de même, cela n’enlève rien au fait qu’il s’agit d’une amélioration notable, sur le plan des intentions.
Résumé
Le fait que les trois partis ont soit maintenu, soit accru leurs efforts en 2011 constitue l’un des résultats (quelque peu) positifs à souligner concernant la promotion des candidatures des minorités visibles. Du côté négatif, dans l’ensemble, les partis ont nommé moins de candidats des minorités visibles en 2011 qu’en 2008, ce qui en fait une élection négligeable à cet égard. De plus, la légère amélioration du nombre de députés des minorités visibles en 2011 n’est pas entièrement liée au nombre de candidats et, particulièrement aux circonstances favorables. Assurément, la victoire électorale majoritaire des conservateurs a permis la réélection en toute facilité de sept des huit députés sortants des minorités visibles – l’un d’entre eux ayant choisi de ne pas se présenter en 2011 – et l’ajout de cinq nouveaux députés dans des comtés d’une riche diversité (quatre dans la région de Toronto et un à Vancouver). En ce qui a trait au NPD, ce n’est pas parce qu’il a présenté des candidats des minorités visibles dans des circonscriptions gagnables que le parti s’est retrouvé avec le plus grand nombre de députés des minorités visibles. C’est plutôt parce qu’un grand nombre de candidats l’ont emporté en surfant sur la vague orange. Soulignons le rôle central du Québec: neuf des 13 députés de minorités visibles ont été élus dans cette province, en délogeant un député libéral et huit députés bloquistes. La hausse spectaculaire du NPD est particulièrement évidente dans ces huit circonscriptions, alors que le parti avait obtenu en moyenne seulement 13 % des votes en 2008, résultat qui le plaçait loin derrière le BQ par une marge moyenne de 31 points de pourcentage5. Encore une fois, le simple fait de nommer des membres des minorités visibles dans ces circonscriptions a été le facteur prévalent. De plus, l’augmentation globale du nombre de députés de minorités visibles entre 2008 et 2011 peut raisonnablement être associée aux gains du parti au Québec. Si les élections s’étaient déroulées conformément aux tendances historiques (avec le NPD en quatrième place et un faible résultat au Québec), il est probable que l’écart relatif au nombre de députés aurait été plus faible.
En fin de compte, même si les élections de 2011 constituent un record en matière de diversité raciale au Parlement, la représentation en fonction de la population n’a pas augmenté et est demeurée au même niveau qu’il y a 20 ans. La réalité est que le nombre de députés des minorités visibles élus s’est maintenu à un nombre suffisant pour éviter de creuser l’écart de représentation, mais insuffisant pour le réduire.
Notes
1 Ce nombre exclut les personnes d’origine chilienne. Maintenant, Statistique Canada inclut les Chiliens et les Argentins dans la sous-catégorie des minorités visibles de l’Amérique latine, mais il ne les incluait pas au moment où l’auteur a mené sa première étude sur les députés de minorités visibles. Pour assurer l’uniformité des données, ces deux groupes originaires de l’Amérique latine n’ont pas été inclus parmi les données sur les membres de minorités visibles. Par souci d’exhaustivité, il est à noter qu’une personne d’origine chilienne et une autre d’origine argentine ont été élues respectivement en 1993 et 2004 (puis réélue en 2006 et en 2008).
2 Les données estimatives pour 2011 proviennent de Statistique Canada, Enquête nationale auprès des ménages de 2011, Catalogue no99-004-XWE, publié le 9 mai 2013.
3 Voir Jerome H. Black, « The 2006 and 2008 Canadian Federal Elections and minority MPs, Canadian Ethnic Studies, vol 41, no. 1-2, 2009, pp.69-93.
4 Des résultats partiels sur le BQ, pour la période de 2004-2008, figurent dans Jerome H. Black,
« Candidats et députés des minorités visibles : Mise à jour basée sur les élections fédérales de 2008 », Revue parlementaire canadienne, vol. 34, no 1, 2011, p. 30-34. En 2011, le parti a nommé un seul nouveau candidat issu de minorités visibles.
5 Ces circonscriptions ont une population de minorités visibles inférieure à la moyenne. En général, les partis nomment des candidats issus de minorités visibles de façon disproportionnée dans diverses circonscriptions. Pour une discussion sur la sagesse de présenter des candidats de minorités visibles dans des circonscriptions relativement homogènes, voir Jerome H. Black, « Les élections fédérales de 2006 et les candidats issus de minorités visibles : toujours pareil? », Revue parlementaire canadienne, vol. 31, no 3, 2008, p. 30-36.