« Le bureau du peuple » : Les bureaux de circonscription dans le Grand Nord
Dans le cadre de cette discussion en table ronde, trois députés territoriaux de circonscriptions rurales et du nord des Territoires du Nord-Ouest réfléchissent aux défis particuliers qui attendent les parlementaires appelés à exercer leur travail de député dans des collectivités éloignées. Ils expliquent que leurs bureaux doivent souvent s’adapter aux besoins des collectivités. À leurs yeux, un bureau de circonscription est un gage d’équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle, une source d’emplois locaux pour les régions qui en ont bien besoin et un lien de plus avec le siège du gouvernement. Les bureaux de circonscription sont aussi des instances de dernier appel pour les électeurs mécontents des décisions de l’administration.
RPC : Vous qui représentez un vaste territoire géographique, comment faites-vous pour décider de l’endroit ou des endroits où vous installerez votre ou vos bureaux de circonscription? Comment arrivez-vous à partager votre temps entre un endroit et un autre?
Menicoche : Il se trouve que la plus importante collectivité de ma circonscription est à Fort Simpson, là où j’habite, et c’est là où j’ai ouvert mon bureau de circonscription. J’effectue souvent trois tournées complètes des collectivités et j’en profite alors pour tenir des assemblées publiques quand je suis sur place. Je fais trois voyages par année. Entre ces voyages, les ministres se rendent dans les collectivités une ou deux fois l’an. Ce mode de fonctionnement fait partie intégrante d’un gouvernement de type consensuel. Chacune de ces collectivités a un chef, deux des collectivités de ma circonscription ont des maires et deux ont des présidents métis. Je traite avec 10 représentants élus. Dans une circonscription plus centrale, comme Hay River ou Inuvik, je peux avoir à traiter avec un grand chef et une organisation métisse, en plus du maire.
Nadli : Je représente quatre collectivités, dont la plus éloignée se trouve à environ deux heures et demie de route. La plus près est située à 45 minutes de route. Lorsque l’assemblée ne siège pas ou que je n’ai pas à participer à des séances de comité, je passe l’essentiel de mon temps dans ma collectivité d’origine, il était donc logique pour moi d’avoir un bureau de circonscription dans ma collectivité. J’ai aussi un bureau qui fonctionne à temps partiel dans la collectivité la plus éloignée. Lorsque je visite les collectivités de ma circonscription, je commence par celle qui est la plus éloignée.
Blake : Lorsque j’ai été élu député, j’ai décidé d’ouvrir un bureau à Fort McPherson, parce que c’est la collectivité la plus importante. Le bureau a toujours été à cet endroit et la population est contente de ce choix. Je suis moi-même originaire de Tsiigehtchic et certains se demandaient si je n’allais pas déménager mon bureau là bas. Beaucoup d’anciens s’arrêtent à mon bureau tous les deux ou trois jours pour savoir ce qui se passe ou pour me faire part de leurs préoccupations. Parce que nous sommes à Yellowknife pendant une centaine de jours par année en moyenne, je passe autant de temps chez moi dans ma famille. Durant l’été, nous disposons de beaucoup de temps pour nous déplacer dans notre circonscription. Je passe donc beaucoup de temps à Fort McPherson et je participe à de nombreuses activités à cet endroit et dans la collectivité d’Aklavik. Nous avons des jamborees durant la période de Noël et des célébrations auxquelles je contribue moi-même. Nous devons surveiller notre budget et comme je dois prendre l’avion pour me rendre à Aklavik, je dois vraiment choisir le bon moment pour y aller; par contre, on peut toutefois circuler en voiture l’hiver et cela aide beaucoup. De même, un rassemblement est organisé dans la région de la mer de Beaufort une fois l’an. J’y suis allé l’an dernier et j’ai vraiment aimé mon expérience.
RPC : Lorsque vous vous rendez dans des collectivités où il n’y a pas de bureau, où rencontrez-vous vos électeurs?
Blake : Il y a habituellement un aréna ou une salle que nous pouvons utiliser.
Menicoche : Même si elles sont petites, toutes nos collectivités disposent d’un aréna, d’une salle ou d’un bureau du conseil de bande doté d’installations pour tenir des réunions. De même, avant ou après les assemblées, nous nous rendons visiter les anciens dans leurs maisons ou leurs foyers et nous nous entretenons seul à seul avec eux. En fait, l’une des choses que j’ai constatées en traitant avec mes électeurs autochtones, c’est qu’ils n’utilisent pas le courriel, le téléphone ou même la poste. Ils préfèrent attendre que je leur rende visite pour me faire part de leurs besoins et de leurs préoccupations. Souvent, ils m’accueillent en disant : « Je vous attendais justement pour vous parler de ceci ou de cela » C’est intéressant.
RPC : L’ouverture de ces bureaux est elle assujettie à des lignes directrices? Comment décidez-vous du personnel dont vous avez besoin et du type de services que vous offrirez?
Nadli : L’ouverture de bureaux de circonscription vise à assurer la présence du député dans la collectivité et dans la circonscription. La conception est laissée à la discrétion du député, mais nous devons nous plier aux politiques et aux procédures de l’Assemblée législative. Comme je ne suis pas toujours à mon bureau, il est important que je puisse compter sur un employé de bureau d’expérience et sur une personne autonome au poste d’adjoint de circonscription (AC). Il est essentiel que la personne qui occupe ce poste comprenne la langue locale des Dénés Deh Gah Gotie. Nous nous efforçons de faire en sorte que notre bureau soit accessible au public, puisse venir en aide aux électeurs aux prises avec des préoccupations ou des problèmes particuliers et puisse aussi soutenir les collectivités dans l’organisation d’activités et de rencontres.
Blake : Il faut que la personne en poste au bureau soit en mesure de travailler avec tout le monde. Cela peut s’avérer difficile dans certaines petites collectivités. J’ai gardé à mon service l’AC de l’ancien député. Celle-ci m’a aussi aidé dans ma campagne, donc tout fonctionne bien. Elle a bon caractère et connaît très bien l’ensemble de la collectivité, de sorte que sa présence aide beaucoup. Parce que nos collectivités sont petites, nous connaissons habituellement davantage notre monde. Ça aussi, ça aide vraiment beaucoup.
Menicoche : Il n’y a pas de lignes directrices précises, mais nous devons respecter les limites de notre budget. J’ai quelqu’un en poste dans les petites collectivités qui agit comme personne-ressource auprès de celles-ci, mais il est également important d’avoir un bureau de circonscription central doté d’un AC compétent.
Blake : Un peu comme Kevin l’a mentionné, parce que je ne représente que trois collectivités, j’ai une personne-ressource dans chacune. Le salaire que je peux verser n’est que de 500 $ par mois, mais mes employés sont quand même contents parce qu’il s’agit d’un emploi à temps partiel. S’il y a quoi que ce soit qui se produit dans la collectivité, ils m’en informent. Si les gens ont des préoccupations, ils vont prendre le temps de s’asseoir avec eux pour en parler.
RPC : Les parlementaires qui représentent des circonscriptions urbaines peuvent habituellement ouvrir un bureau à un endroit facile d’accès pour leurs électeurs. À titre de député d’une région rurale, trouvez-vous qu’il est moins important d’avoir un lieu physique à partir duquel travailler dans votre circonscription que de disposer d’un budget de déplacement pour vous rendre dans les différentes collectivités de votre circonscription? Est ce que le travail s’effectue davantage par téléphone ou par courriel que par des rencontres en bonne et due forme avec les électeurs? L’existence d’un bureau fixe est-elle encore une nécessité?
Nadli : Il est important d’avoir un lieu physique et un bureau, non seulement pour séparer la vie professionnelle de la vie personnelle, mais aussi pour contribuer à l’économie locale grâce à la location de locaux et à la création du poste d’AC. Dans la plupart des collectivités du nord, le taux de chômage frise les 40 %. Selon la nature des préoccupations des électeurs, il est préférable de discuter des dossiers en personne plutôt que par téléphone ou par courriel. Pour ces raisons, je crois qu’il est nécessaire d’avoir un bureau fixe.
Menicoche : L’Assemblée législative a convenu qu’elle allait assumer le coût d’au plus cinq voyages par année dans chaque collectivité et cet argent n’est pas puisé dans notre budget de circonscription. Nous avons donc beaucoup d’occasions de nous déplacer pour rencontrer nos électeurs en personne.
RPC : Le nombre de dossiers que doivent traiter les employés des bureaux de circonscription des régions rurales et du nord est il sensiblement différent de celui de leurs homologues des régions urbaines? Les questions à régler sont-elles généralement les mêmes ou si vos bureaux ont à traiter des problèmes qui sont particuliers aux régions rurales et du nord?
Blake : Je crois qu’il y a beaucoup de dossiers à traiter dans nos collectivités en raison de notre taux de chômage, qui est de 35 %. De même, nos collectivités ne disposent pas des mêmes installations que celles dont disposent les collectivités plus importantes, de sorte que la demande, que ce soit dans le domaine de la santé ou de l’éducation, est plus forte. Il y a beaucoup plus de pression dans nos petites collectivités parce que le niveau de service est moindre.
Menicoche : Je suis assez d’accord. L’un des problèmes que nous partageons, c’est la difficulté de recruter des infirmières pour nos petites collectivités, alors que les députés qui représentent des agglomérations plus importantes n’ont pas probablement pas ce problème.
Blake : Outre le problème des infirmières, il y a aussi celui de la GRC. Certaines de nos collectivités n’ont pas de détachement de la GRC, de sorte que les résidents doivent agir comme premiers répondants. Cela met beaucoup de pression sur eux.
RPC : Comparativement à vos homologues des régions urbaines, vous est il plus difficile de garder en place vos bureaux et vos employés de circonscription?
Nadli : L’offre de locaux à bureaux est limitée dans les collectivités rurales.
Blake : Nos électeurs aimeraient qu’il y ait plus de bureaux, idéalement un dans chaque collectivité, mais nous n’avons pas l’argent pour financer ça. Nous disposons d’un budget d’à peu près 90 000 $, et il suffirait de doubler ce montant pour pouvoir faciliter la vie à nos électeurs en ouvrant davantage de bureaux. C’est quelque chose que les habitants de nos collectivités aimeraient avoir : un endroit à proximité où se rendre pour discuter de leurs préoccupations.
RPC : Dans beaucoup d’autres circonscriptions fonctionnant selon un système partisan, lorsque des députés provinciaux ou fédéraux quittent leurs postes ils ne transmettent pas leurs dossiers à leurs successeurs, et à moins que ceux ci n’appartiennent au même parti, les employés en place sont remplacés. Dans un gouvernement non partisan comme celui des Territoires du Nord-Ouest, lorsqu’un député est défait ou prend sa retraite, est il plus dans la tradition de garder les employés en place ou de renseigner le nouveau député sur les dossiers en cours?
Nadli : J’en suis à mon premier mandat et je n’ai pas eu l’occasion encore de vivre ce genre de transition, c’est à dire ce « passage du flambeau » entre le perdant et le gagnant à l’élection.
Blake : Je pense que ça varie d’un député à l’autre. L’ancien député de ma circonscription, qui a pris sa retraite après 16 années en poste, m’a vraiment beaucoup aidé et m’a prévenu de ce qui m’attendait. Ce qui est merveilleux avec le gouvernement de consensus, c’est que nous pouvons compter sur des attachés de recherche et que toute l’information transmise aux ex députés est gardée dans notre bibliothèque de recherche. Nous avons donc accès à toute l’information.
Menicoche : Les électeurs aiment traiter avec des AC compétents, c’est donc important que ceux ci soient bien informés.
RPC : Comment les habitants de vos circonscriptions perçoivent-ils en général ces bureaux? Les voient-ils comme un guichet unique pour accéder aux services gouvernementaux? Comme des endroits où ils peuvent s’adresser lorsqu’ils ont maille à partir avec l’administration? Comme des symboles tangibles du lointain siège du gouvernement territorial?
Nadli : Je crois que les habitants de ma circonscription voient notre bureau comme un endroit où s’adresser lorsqu’ils ont besoin d’aide pour régler un problème. Le « bureau du député » est une expression courante que j’entends pour désigner notre bureau situé à l’étage inférieur de l’édifice gouvernemental local. Il y a aussi un Bureau des services gouvernementaux qui est censé être un guichet unique à partir duquel le public est dirigé vers les différents services offerts par le gouvernement. Je pense que notre bureau fait office d’ombudsman à l’occasion. Je préfère voir notre bureau de circonscription comme le « bureau du peuple ».
Blake : Je voudrais revenir sur ce que Michael a dit. Le gouvernement a récemment créé des bureaux de services gouvernementaux dans nos collectivités et j’ai la chance d’avoir deux de ces bureaux dans les trois collectivités que je représente et j’en aurai bientôt un troisième. Ces bureaux seront très utiles pour beaucoup de nos électeurs qui pourront se faire aider pour remplir des formulaires de demande de subventions ou d’inscription à d’autres programmes et services. Par contre les portes de mon bureau de circonscription demeurent toujours ouvertes pour offrir ce même genre d’aide aussi.
Menicoche : Michael et Sonny ont fait mention des employés des services gouvernementaux. Dans les petites collectivités, ce sont des employés à temps partiel, mais ils peuvent répondre à certains besoins des électeurs qui veulent se prévaloir de services gouvernementaux ou qui ont des formulaires à remplir. Beaucoup de gens communiquent avec mon bureau parce qu’ils ont l’impression que les députés dans les Territoires du Nord-Ouest sont des intercesseurs. « Le gouvernement me refuse ceci ou cela, qu’est ce que je peux faire? Je fais appel à vous parce que lorsque j’essaie de m’adresser à l’administration ou au gestionnaire régional, je n’obtiens pas la réponse que je veux. » Nous sommes perçus comme une instance d’intercession – le bureau de dernier recours. Je leur dis que parfois, la réponse demeure négative, mais qu’en tant que député, je peux suivre le dossier pour eux. Ce que je constate, c’est que lorsque les gens n’obtiennent pas de réponse, ils ne savent plus quoi faire. S’ils obtiennent un « oui », le processus continue, s’ils obtiennent un « non », ils savent quoi faire, mais il faut à tout le moins leur fournir une réponse.
RPC : En conclusion, avez-vous quelque chose à ajouter concernant les problèmes ou les difficultés auxquels sont confrontés les députés des régions rurales et du nord lorsqu’ils font leur travail de circonscription?
Blake : Je pense que l’un des problèmes propres à nos petites collectivités est celui qui se pose lorsque des gens sont sur le point d’être expulsés. Cela arrive souvent dans nos circonscriptions. Nous sommes alors pas mal leur dernier recours. Bien souvent, les ministres se montrent souples et donnent la chance à la personne de convenir d’un plan de paiement. Les gens apprécient vraiment l’aide qu’ils reçoivent de leurs députés et des ministres dans ce genre de situation. Autrement, ils se retrouvent sans logis ou doivent trouver refuge chez des membres de leur famille. Je pense que c’est là l’une des principales difficultés de nos petites collectivités.