L’importance de débattre d’enjeux se société au Parlement: La Loi concernant les soins de fin de vie

Article 1 / 10 , Vol 37 No 3 (Automne)

Vol 37 No 3L’importance de débattre d’enjeux se société au Parlement: La Loi concernant les soins de fin de vie

Ces temps-ci, les parlements sont souvent critiqués pour leur excès de partisannerie; il leur est néanmoins possible de servir de tribunes exceptionnelles pour examiner de manière approfondie de grands enjeux sociaux, et d’arriver à dégager de larges consensus. En prenant comme exemple le processus entourant la Loi concernant les soins de fin de vie adoptée récemment au Québec, l’auteur montre comment les législateurs peuvent se pencher sur des questions de société importantes et controversées et en débattre de manière constructive, avec la participation active de la société civile. Il conclut en proposant que les autres législateurs du Canada suivent l’exemple de la Finlande et de la France en créant des comités spéciaux chargés d’étudier ce genre de questions.

Quand ils y mettent tous leurs efforts, les parlementaires sont capables de créer des tribunes exceptionnelles pour examiner de grands enjeux sociaux de manière approfondie, sereine et non partisane. De telles initiatives, qui devraient être plus fréquentes à mon sens, favorisent les vastes consensus qui font progresser la société. Elles permettent également de redorer l’image des parlements, trop souvent perçus comme des lieux de débats partisans. Les discussions qui ont eu lieu dernièrement au Québec au sujet de sa nouvelle Loi concernant les soins de fin de vie sont un exemple récent de l’avantage de débattre de ce genre d’enjeu social.

La Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité

La Loi concernant les soins de fin de vie a été adoptée par l’Assemblée nationale du Québec en juin 2014. Cette loi, basée sur le respect, la compassion et la compréhension de la personne en fin de vie, porte notamment sur les droits relatifs aux soins de fin de vie et prescrit les conditions permettant à une personne d’obtenir l’aide médicale à mourir. Le débat sur l’euthanasie et le suicide assisté a cours au Québec depuis une trentaine d’années et les tribunaux ont, à quelques reprises, eu à se prononcer sur le sujet.

Il a pris plus d’importance en 2009, avec un rapport du Collège des médecins du Québec, qui invitait la société, le corps médical et les législateurs à se demander si l’euthanasie pouvait, en certaines circonstances de souffrances exceptionnelles, être une dernière étape appropriée dans un continuum de soins de fin de vie. Au même moment, les résultats de sondages réalisés auprès de la population en général et auprès des médecins en particulier ont démontré un appui de plus de 70 % à une forme bien encadrée d’aide médicale à mourir.

C’est dans ce contexte que, le 4 décembre 2009, les députés de l’Assemblée nationale ont adopté à l’unanimité une motion visant à créer une commission spéciale pour étudier la question de mourir dans la dignité.

La Commission était présidée par un député de la formation ministérielle, et la vice-présidence était assurée par une députée de l’opposition officielle, auteure de la motion. Le mandat de la Commission visait l’analyse des divers enjeux entourant la fin de vie, dont, bien sûr, l’euthanasie et le suicide assisté. Elle devait en outre examiner d’autres questions d’intérêt telles que les soins palliatifs, la sédation palliative, le refus et l’arrêt de traitements et la planification des soins de fin de vie en cas d’inaptitude.

Il s’en est suivi, pendant une période de quatre années et demie, un processus d’étude et de consultation rigoureux. Il convient de souligner que cette Commission spéciale a exercé son mandat sur une période couvrant trois législatures, avec deux partis différents au pouvoir et quatre partis politiques représentés à l’Assemblée nationale.

Les travaux de cette Commission ont été caractérisés par une approche ciblée et la volonté d’offrir à tous les citoyens qui le souhaitaient la possibilité de faire connaître leur opinion.

La Commission a d’abord reçu en auditions publiques une trentaine d’experts de différentes disciplines (notamment de la médecine, du droit, de l’éthique, de la sociologie et de la psychologie). Elle a ensuite publié un document de consultation dans le but d’informer la population et de faciliter sa participation.

En effet, les membres de la Commission ont tenu à consulter le plus grand nombre de citoyens possible. Tout a été mis en œuvre pour leur permettre de s’exprimer soit par l’intermédiaire d’un mémoire, d’une demande d’intervention sans mémoire, d’un commentaire ou en répondant au questionnaire en ligne.

La Commission a reçu 273 mémoires au total. Elle s’est déplacée aux quatre coins du Québec pour aller à la rencontre de tous ceux qui voulaient intervenir. Ainsi, de septembre 2010 à mars 2011, 239 personnes et organismes ont été entendus pendant 29 journées d’auditions publiques tenues dans 8 villes. De plus, une centaine de citoyens ont pu s’exprimer pendant les périodes de micro ouvert.

Plus de 6 500 personnes ont rempli le questionnaire en ligne et quelque 16 000 commentaires ont été formulés par courriel, par télécopieur, par la poste et sur le questionnaire en ligne.

On constate donc que les citoyens ont pu facilement donner leur avis sur cet enjeu des plus délicats. Les auditions se sont déroulées avec sérieux et sérénité, et toujours dans le respect de l’opinion contraire.

L’approche rigoureuse des parlementaires s’est poursuivie en juin 2011, lorsque quatre membres de la Commission ont réalisé une mission d’étude aux Pays-Bas et en Belgique, deux pays où certaines formes d’assistance à la mort sont autorisées, ainsi qu’en France, où un débat intense a lieu depuis plusieurs années.

Ils ont assisté à 21 rencontres avec des parlementaires, des représentants des principaux ministères concernés, des médecins et des infirmières, des intervenants en soins palliatifs, des éthiciens et des juristes.

Tout au long de son mandat, la Commission avait une équipe de recherchistes à sa disposition, notamment pour structurer et étudier l’ensemble de l’information à l’aide d’un logiciel d’analyse qualitative (NVivo). L’équipe a aussi participé à la rédaction de l’ensemble des documents publiés par la Commission.

Le rapport déposé à l’Assemblée nationale par la Commission le 22 mars 2012, après 51 séances de travail, contenait 24 recommandations adoptées à l’unanimité. Pour l’occasion, les neuf membres de la Commission, représentant les quatre formations politiques, ont tenu une conférence de presse afin d’exposer leurs recommandations à la population. Le rapport a fait l’objet d’une grande couverture médiatique, comme d’ailleurs l’ensemble des travaux de la Commission spéciale, et le sérieux de la démarche et la qualité du rapport de la Commission ont été qualifiés d’exemplaires par la population et les observateurs de la scène politique.

Les parlementaires de tous les partis impliqués dans les travaux de la Commission peuvent être fiers du travail accompli.

La Loi concernant les soins de fin de vie

En juin 2013, un peu plus d’une année après le dépôt du rapport de la Commission spéciale, la ministre déléguée à la Santé et aux Services sociaux a présenté le projet de loi 52.

Celui-ci s’inspire largement des recommandations de la Commission, tant sur les soins palliatifs, sur les directives médicales anticipées que sur les conditions très strictes pour obtenir une aide médicale à mourir. Ainsi, seule une personne majeure et apte à consentir aux soins pourra en faire la demande. Elle devra être en fin de vie, atteinte d’une maladie grave et incurable, se trouver dans un état de déclin avancé et irréversible de ses capacités et vivre des souffrances constantes et intolérables que la médecine ne peut soulager.

Ce projet de loi a été étudié par la Commission de la santé et des services sociaux qui a tenu des auditions publiques à l’automne 2013, au cours desquelles 55 groupes ont présenté leur opinion. Ensuite, de novembre 2013 à janvier 2014, l’étude détaillée a duré sur près de 52 heures, ce qui a conduit à l’adoption unanime de 57 amendements.

Toutefois, en mars 2014, alors que le projet de loi était sur le point d’être mis aux voix pour son adoption, l’Assemblée nationale a été dissoute, mettant un terme à la 40e législature. Au début de la 41e législature, en mai 2014, après une entente entre les quatre formations politiques représentées à l’Assemblée nationale, les députés ont unanimement consenti à ce que le projet de loi soit réintroduit à l’étape du processus législatif où il en était rendu à la fin de la 40e législature.

De manière symbolique – mais il faut le souligner –, ce projet de loi a été présenté par deux coauteurs, soit le ministre de la Santé et des Services sociaux et la députée de l’opposition officielle représentant la circonscription de Joliette (celle-là même qui avait présenté la motion initiale en décembre 2009, qui avait été vice-présidente de la Commission spéciale et qui, en tant que ministre déléguée aux Services sociaux, avait présenté le projet de loi 52).

Le vote s’est tenu le 5 juin 2014. Fait à noter : les parlementaires ont pu voter librement, c’est-à-dire faire leur choix en fonction de leurs convictions profondes. C’est ainsi que 94 députés se sont exprimés en faveur de l’adoption du projet de loi, tandis que 22 ont voté contre.

Même si la Loi est maintenant sanctionnée, ce débat, au demeurant tout à fait sain, continue de faire des vagues dans la société québécoise.

Autres exemples de débats non partisans sur des enjeux de société

L’exemple du processus ayant conduit à l’adoption du projet de loi 52 prouve que les parlementaires peuvent lancer des débats non partisans sur de grands enjeux de société et que des résultats concrets peuvent en découler. D’ailleurs, au Québec, il y a d’autres initiatives parlementaires dans le cadre desquelles la collaboration a été tout aussi exemplaire.

Voici trois mandats menés à bien récemment à la suite de démarches communes; chacun a donné lieu à des rapports énonçant des conclusions et des recommandations adoptées à l’unanimité :

  • la problématique du bronzage artificiel et du cancer de la peau a été étudiée à la suite du dépôt d’une pétition de citoyens. Les recommandations de la Commission ont mené à des modifications législatives pour, entre autres, interdire l’accès aux salons de bronzage aux personnes de moins de 18 ans;
  • des parlementaires se sont intéressés au phénomène de l’itinérance au Québec. Ils ont publié un document de consultation, ont reçu près de 150 mémoires et ont entendu une centaine de personnes lors d’auditions tenues dans quatre villes du Québec. Les 33 recommandations de la commission ont guidé la rédaction de la politique gouvernementale;
  • la protection des épargnants au Québec dans le secteur des fonds communs de placement a fait l’objet d’un examen de la part d’une commission parlementaire. Pour ce mandat, les parlementaires ont aussi publié un document de consultation. Ils ont reçu 35 mémoires et 140 avis. Trente personnes et organismes ont été entendus lors des auditions publiques. Les recommandations de la commission ont conduit à des modifications législatives visant à renforcer la protection des investisseurs québécois et leur confiance dans le secteur financier.

Il est intéressant de souligner qu’en moyenne, six mandats de cette nature sont menés à bien chaque année au Québec. Plusieurs mènent à des modifications significatives aux lois et aux politiques gouvernementales.

On voit donc qu’à l’Assemblée nationale, les parlementaires étudient plus souvent qu’on ne le pense des enjeux de société dans un esprit de collégialité, bien au-delà de toute partisannerie, dans le seul souci de l’intérêt commun. Tout cela prouve que les députés peuvent provoquer des discussions de fond qui mènent en fin de compte à des réformes constructives.

Déjà, au début de la 41e législature, des commissions se sont donné des mandats de ce genre. Prenons l’exemple de la Commission des relations avec les citoyens. Ses membres étudieront au cours des prochains mois deux enjeux de taille, soit le phénomène de la pauvreté chez les jeunes enfants et la problématique des aidants naturels, ces personnes qui prodiguent des soins à leurs proches.

De plus, tout récemment, le gouvernement donnait le coup d’envoi à son programme de lutte contre l’intimidation en annonçant le début d’une consultation en ligne. Il s’agit là d’un autre enjeu de taille qui gagnerait à faire l’objet d’un débat axé sur des valeurs autres que partisanes.

Conclusions et considérations futures

Selon moi, il serait utile que les parlementaires s’entendent pour créer une commission spécialement axée sur les grands débats de société, à l’image peut-être de ce qui existe en France et en Finlande.

En France, le Sénat a en effet créé la Délégation sénatoriale à la prospective. Cette entité est chargée de réfléchir aux transformations de la société et d’entretenir des relations avec les autres structures de prospective françaises et étrangères.

Le Sénat français s’est d’ailleurs inspiré de la Commission pour l’avenir du Parlement de Finlande. Celui-ci a instauré, avec cette Commission, une procédure régulière de réflexion et de concertation sur l’avenir du pays.

À mon avis, il ne doit pas y avoir de sujet tabou, les députés doivent choisir des thèmes qui touchent les gens et qui pourront être étudiés dans le contexte le plus approprié, celui du Parlement.

 

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