Textes fondateurs : les mots qui ont façonné le Canada
Puisant dans la collection de Bibliothèque et Archives Canada, la Bibliothèque du Parlement a organisé et préparé une exposition qui met en lumière six des plus importants documents de l’histoire du Canada et du Parlement. Dans cet article, l’auteure donne un aperçu des contextes dans lesquels ces textes ont été rédigés et nous fait découvrir certains détails intéressants sur les documents eux-mêmes.
Introduction
Pour souligner le 150e anniversaire de la Confédération, la Bibliothèque du Parlement a inauguré une exposition intitulée Textes fondateurs : les mots qui ont façonné le Canada le 9 mars 2017.
La Bibliothèque s’est associée à Bibliothèque et Archives Canada pour présenter six documents essentiels ayant contribué au développement social, politique et territorial du Canada.
- l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (1867) ;
- le premier discours du Trône du Canada (1867) ;
- la Proclamation des Territoires du Nord-Ouest(1869) ;
- le Statut de Westminster (1931) ;
- la Déclaration canadienne des droits(1960) ;
- la Proclamation de la Loi constitutionnelle de 1982.
Comme l’indique le titre évocateur de l’exposition, ces documents marquent d’importantes étapes dans l’évolution constitutionnelle du Canada.
Les documents sont accompagnés d’écrans tactiles interactifs qui offrent des détails importants sur chacun des textes et qui les rattachent à des thèmes historiques plus larges. Une grande ligne du temps interactive donne aussi aux visiteurs une vue d’ensemble des moments charnières de l’histoire canadienne et parlementaire.
L’Acte de l’Amérique du Nord britannique (1867)
L’exposition commence par un aperçu de certains événements clés ayant mené à la Confédération et à l’adoption de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique (AANB). En vertu de cet Acte, le Parlement du Canada gouverne et légifère pour maintenir « la paix, l’ordre et le bon gouvernement ». Ces valeurs intrinsèques de la démocratie canadienne sont toujours aussi pertinentes aujourd’hui qu’elles l’étaient en 1867.
En dépit du fait que l’AANB était une loi britannique, son contenu a été élaboré par les représentants des colonies du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse et du Canada-Uni. Cela se reflète dans son esprit empreint d’une volonté d’arriver à un compromis : un compromis entre la majorité et une minorité linguistique désireuses de conserver sa langue, sa religion et son identité ; un compromis politique entre d’anciennes colonies indépendantes désireuses de s’unir dans un contexte politique nordaméricain en pleine transformation tout en conservant un certain nombre de pouvoirs vis-à-vis des forces centralisatrices. Ces compromis sont toujours au cœur de la fédération canadienne et se reflètent dans son fonctionnement.
La copie de l’AANB qui est exposée à la Bibliothèque a appartenue à Sir. John A. Macdonald.
Promulgué le 29 mars 1867, l’AANB est entré en vigueur le 1er juillet. La première élection générale au Canada a eu lieu le 20 septembre 1867.
Le premier discours du Trône du Canada
Le jeudi 7 novembre 1867, le gouverneur général du Canada, Sir Charles Stanley Monck, le 4e vicomte Monck, a ouvert la première session du Parlement du Canada. Quelques jours auparavant, il avait écrit à son fils Henry, âgé de 18 ans, qu’il ouvrirait bientôt la première session du Parlement et note que ce sera « a great function ». Il mentionne également qu’un régiment de cavalerie de Montréal lui servira d’escorte.
Dans son discours, le gouverneur général rappelle aux parlementaires les responsabilités qui leur incombent :
l’Acte d’Union, tel qu’adopté par le Parlement impérial, vous impose et confère le droit de réduire en pratique le système de gouvernement à qui il a donné l’existence, de consolider ses institutions, d’en harmoniser les détails administratifs et d’adopter les dispositions législatives propres à assurer à une constitution, nouvelle à quelques égards, une épreuve entière, raisonnable et libre de tous préjugés.
Il a aussi parlé d’expansion territoriale et du budget et a conclu en offrant ses souhaits pour le nouveau pays :
je fais de ferventes prières pour que vos aspirations se dirigent vers de tels objets élevés et patriotiques, et que vous soyez doués d’un tel esprit de modération et de sagesse, qu’il vous fasse tourner la grande œuvre qui vient d’être accomplie, à votre bonheur et à celui de votre postérité, et la rende un nouveau point de départ dans l’avancement moral, politique et matériel du peuple du Canada.
Par la suite, le gouverneur général a lu son discours une seconde fois en français, un rappel des droits linguistiques garantis à l’article 133 de l’AANB.
Les premières pages des copies anglaise et française du discours — écrites par deux différents greffiers — font partie de l’exposition.
Une fois rentré à sa résidence officielle à Ottawa, Monck a pris la plume pour écrire à son fils au sujet de la cérémonie qui venait de se dérouler. Il lui promet de lui faire parvenir le compte rendu de la procédure et une copie de son discours. Il explique, entre autres, qu’il a demandé aux dames de s’asseoir vers l’avant et aux parlementaires de porter une tenue de soirée. Il affirme que « the whole thing looked very pretty » et mentionne que l’ouverture du Parlement a donné lieu à des soirées et de nombreux dîners auxquels il a assisté assidûment.
La Proclamation des Territoires du Nord-Ouest (1869)
Poursuivant son désir d’expansion, le gouvernement du Canada négocie l’achat de la Terre de Rupert, ce vaste territoire appartenant à la Compagnie de la Baie d’Hudson. À titre de ministre des Travaux publics, l’hon. William McDougall avait joué un rôle important dans les négociations.
À l’automne 1869, McDougall devait se rendre au Fort Garry pour assumer ses nouvelles fonctions à titre de lieutenantgouverneur des Territoires du Nord-Ouest. Or, lorsqu’il a tenté de passer la frontière à la hauteur de Pembina (sur le territoire actuel du Dakota du Nord) pour se rendre au Fort Garry, un groupe de Métis armés lui ont interdit le passage. Il est resté un mois à Pembina avec ses enfants et quelques membres de sa suite.
McDougall croyait que le transfert de la Terre de Rupert de la Compagnie de la Baie d’Hudson au Canada devait se faire le 1erdécembre 1869. Il ignorait que le gouvernement du Canada avait repoussé la date en raison des problèmes politiques dans la colonie de la rivière Rouge. Ainsi, selon certaines sources, McDougall aurait traversé la frontière en pleine nuit le 30 novembre 1869, et, entouré de quelquesuns de ses proches collaborateurs, a lu à haute voix la Proclamation des Territoires du Nord-Ouest. Quoi qu’il en soit, cette proclamation n’a pas eu l’impact désiré. Bien au contraire, elle a envenimé les relations avec les Métis qui ont riposté en créant un gouvernement provisoire pour négocier directement avec le gouvernement. Certains historiens croient que le Proclamation est un des éléments qui a mené à l’éclatement de la résistance de la rivière Rouge.
La Proclamation constitue l’une des nombreuses étapes de l’évolution territoriale du Canada. L’exposition examine les modifications apportées aux frontières de 1867 à 1999, année de création du territoire du Nunavut.
Le Statut de Westminster (1931)
L’exposition se tourne ensuite vers le XXe siècle, époque lors de laquelle le Canada a subi de profondes transformations, notamment au plan politique. Avant la promulgation du Statut de Westminsteren 1931, le Canada légiférait de manière indépendante en ce qui a trait aux affaires intérieures. Or, en matière de relations extérieures, Ottawa se tournait vers Londres.
Durant l’entre-deux-guerres, le Canada et Terre-Neuve, comme d’autres colonies, ont participé à des conférences impériales. Essentiellement, elles portaient sur la pleine liberté juridique des anciennes colonies. Les décisions qui ont été prises en 1926, 1929, et en 1930 ont été ratifiées en 1931 par la signature du Statut de Westminster. Ce statut a également jeté les bases du Commonwealth.
La copie du Statut de Westminster qui est exposée est une télécopie photographique de l’original qui est conservé à la Chambre des Lords à Londres. En comparant le Statut de Westminster à d’autres documents produits à la même époque, on s’aperçoit qu’ils comportent tous deux éléments inscrits à la main. Dans un premier temps, on peut lire « le Roy le veult ». Il s’agit d’une expression normande prononcée par le greffier des Parlements (Clerk of the Parliaments) dans la Chambre des Lords pour signifier que le projet de loi a obtenu la sanction royale. Dans un deuxième temps, on voit la signature d’Edward Hall Alderson, greffier des Parlements au moment de l’adoption du Statut de Westminster.
Le Statut de Westminster est un document fondamental qui témoigne de l’évolution politique du Canada depuis 1867 ainsi que sa participation à la création du Commonwealth.
La Déclaration canadienne des droits (1960)
Dans le contexte du mouvement des droits civiques aux États-Unis et celui de la décolonisation en Afrique et en Asie, la question des droits de la personne prend une dimension importante sur la scène politique canadienne. Ainsi, en 1960, le Parlement canadien adopte la Déclaration canadienne des droits. Il s’agit de la première loi fédérale à établir officiellement les droits fondamentaux de tous les Canadiens.
La Déclaration garantit : le droit à la vie et à la liberté, le droit à l’égalité, à la liberté de religion, à la liberté de parole et d’association ainsi que la liberté de la presse. La Déclaration canadienne des droits marque une étape décisive pour le Canada et pour la défense des droits de l’homme partout dans le monde. La Déclaration est toujours en vigueur aujourd’hui, mais la majorité de ses dispositions ont été remplacées par la Charte canadienne des droits et libertés adoptée en 1982.
La Déclaration canadienne des droits de 1960 est un document remarquable par son contenu, mais aussi par sa présentation. C’est l’artiste Yvonne Diceman (née Roberts) qui a réalisé la calligraphie et l’enluminure. Les droits garantis par la Déclaration sont représentés dans quatre dessins. L’imagerie et le symbolisme illustrent bien le texte et l’esprit de la Déclaration. L’artiste a accordé une place importante à l’édifice du Centre, le siège du Parlement canadien. La rivière des Outaouais, représentée par deux traits bleus, coule derrière le Parlement et se mêle aux motifs ornementaux. Au-dessus de la signature de Mme Diceman, on aperçoit un castor. L’enluminure ne comporte pas d’élément héraldique, mais les motifs de celle-ci se marient parfaitement, tant par le choix de couleur que la composition, aux armoiries du Canada.
Née en Angleterre, Mme Diceman a servi dans la Women’s Auxiliary Air Force lors de la Seconde Guerre mondiale. C’est à ce moment qu’elle a rencontré et, en 1945, a épousé M. Harold Alonzo Diceman, un jeune adjudant-maître de l’Aviation royale canadienne. Jeune épouse de guerre, elle a reçu sa formation d’artiste au Canada. Au cours de sa carrière, elle a réalisé la calligraphie et l’enluminure d’autres documents canadiens, dont les Livres du Souvenir qui se retrouvent dans la chapelle de la tour de la Paix et la Proclamation du drapeau canadien. Quant à M. Harold Diceman, il était un membre fondateur de la Société royale héraldique du Canada et il en a été fait compagnon en 1979.
La Proclamation de la Loi constitutionnelle de 1982
Le point culminant de l’exposition est la Proclamation de la Loi constitutionnelle de 1982, qui donne au Canada sa pleine indépendance par rapport à la Grande-Bretagne, notamment en lui attribuant le pouvoir de modifier sa constitution. La Charte canadienne des droits et libertés qui y est enchâssée atteste des valeurs qui sont de la plus haute importance pour les Canadiens.
La Proclamation de la Loi constitutionnelle de 1982 qui est exposée à la Bibliothèque est une copie de celle qui a été signée par la reine Elizabeth II, le premier ministre Pierre Elliott Trudeau, André Ouellet, le registraire général du Canada et Jean Chrétien, ministre de la Justice à l’époque, devant l’Édifice du Centre, le 17 avril 1982. Il n’est guère difficile de la reconnaître, car on y voit des traces de gouttelettes, un rappel qu’une pluie fine tombait sur Ottawa cette journée-là.
Une deuxième copie de la Proclamation avait également été signée par Sa Majesté et les dignitaires canadiens. Il est bien notoire qu’en 1983 un individu a intentionnellement déversé de la peinture rouge sur ce document en guise de protestation. Ce qui est peutêtre moins connu est le fait que seule la signature de Jean Chrétien est recouverte de peinture rouge et, de ce fait, elle est la mieux préservée des quatre. Curieusement, ce n’était pas prévu que M. Chrétien signe la Proclamation !
Conclusion
Textes fondateurs : les mots qui ont façonné le Canadaoffre aux visiteurs une chance unique de voir six documents d’importance dans l’histoire canadienne et parlementaire, réunis en une seule exposition. Les visiteurs qui effectuent une visite guidée du Parlement peuvent voir l’exposition qui sera ouverte jusqu’à la fin décembre 2017.