Créé il y a 50 ans, le hansard de l’Alberta demeure fondamentalement le même
À l’occasion du 50e anniversaire du hansard de l’Alberta, un jalon franchi en mars 2022, le bureau s’est plongé dans l’époque qui a précédé la création du compte rendu officiel des travaux de l’Assemblée législative de l’Alberta et s’est penché sur les anciennes méthodes et sur leur évolution au fil des ans. Il est apparu évident que l’histoire de la création du hansard, menée par J. Peter Swann et sa petite équipe, valait la peine d’être racontée. Bien des choses ont changé, mais les pratiques de base établies alors sont toujours appliquées 50 ans plus tard. Le présent article dresse la chronologie de la création du hansard de l’Alberta, d’après les archives de M. Swann et son rapport intitulé A Report Relating to the Publication of the Proceedings of the Legislative Assembly of Alberta.
Janet Schwegel
L’Alberta fut l’une des dernières provinces à produire un compte rendu officiel. On avait pourtant soulevé la question à l’Assemblée dès 1919, en en soulignant « la haute importance et la nécessité pressante 1 ». Le premier ministre provincial avait alors répliqué que, puisque le coût en serait considérable et que relativement peu de personnes consulteraient le compte rendu une fois celui-ci publié, il n’était pas nécessaire de doter l’Assemblée législative d’un hansard.
Bien avant la création d’un hansard officiel, le personnel de la Bibliothèque à l’Assemblée législative découpait des articles de journaux qu’il réunissait en un recueil, le Scrapbook Hansard. Ce recueil fait état des grandes questions d’actualité de 1906 à 1971 qui ont été abordées dans les discours du Trône, les discours sur le budget, divers projets de loi et les discussions législatives.
En 1965, l’Assemblée législative a demandé au gouvernement d’installer du matériel d’enregistrement sonore à la Chambre, et le greffier s’est vu enjoint de produire le compte rendu exhaustif des discours prononcés par chaque député durant le discours du Trône, les débats sur le budget et d’autres délibérations sur instruction de l’Assemblée législative. La transcription d’autres discours et déclarations était aussi fourni aux députés sur demande. Le premier exemplaire d’une transcription était offert sans frais aux députés et aux membres de la Tribune de la presse. Tout exemplaire additionnel coûtait cinq cents la page.
En 1971, on procédait à la transcription de la plupart des délibérations, surtout celles de la période des questions orales. Il ne s’agissait toutefois pas d’un hansard proprement dit. En effet, ce compte rendu n’était ni exhaustif, ni à point nommé, ni rendu public. Dans une note de service, le greffier adjoint de l’Assemblée législative de l’Alberta énonce les services de transcription offerts à l’époque. Il mentionne les difficultés de transcription éprouvées au cours de l’année précédente et propose que trois ou quatre sténographes « répondent aux demandes » au lieu de les anticiper et que la transcription « automatique » soit limitée et effectuée « sur instruction de la Chambre ». Le greffier fait observer que « la situation est légèrement chaotique en ce moment et un grand nombre de documents sont produits inutilement ».
Un éditorial de 1971 publié dans le Calgary Herald donne une description équivoque des transcriptions, qui sont « souvent indigestes et jamais populaires », mais qui ont « une valeur inestimable pour tous ceux qui examinent le déroulement du gouvernement, de façon synchronique ou rétrospective ». La création du hansard en Alberta était un élément de la plateforme des partis politiques qui faisait rêver les médias locaux. En 1971, William F. Gold, le rédacteur en chef adjoint du Calgary Herald, a par ailleurs fait observer que de 1957 à 1962 :
les mots prononcés à la Chambre n’étaient ni consignés ni enregistrés de manière officielle. Les questions litigieuses donnaient lieu à des désaccords sans fin à propos de qui avait dit quoi. On soutenait souvent que les propos avaient été déformés. En y regardant de plus près, on constate que chaque partie avait raison, ou tort, environ la moitié du temps. Les seules personnes qui en ont vraiment pâti, ce sont les citoyens, constamment tiraillés entre des assertions contradictoires sans avoir accès à un document faisant autorité.
M. Gold a ajouté :
Il est essentiel pour le citoyen intelligent que certains domaines reposent sur la confiance, sur une base à laquelle il peut se fier. Dans les affaires provinciales, un hansard imprimé peut combler ce besoin […] Le fait est que les ressources fiscales et humaines de l’Alberta sont trop étendues et importantes pour qu’on puisse repousser encore longtemps la création d’un hansard adéquat. Par « adéquat », j’entends « imprimé ».
(À l’époque, on employait parfois le terme « hansard » pour faire référence aux enregistrements des délibérations.)
En novembre 1971, le gouvernement a annoncé par communiqué le lancement d’une étude sur la possibilité d’améliorer et d’élargir la publication des délibérations de l’Assemblée législative de l’Alberta. On prévoyait alors que le bureau du hansard serait mis sur pied le vendredi 13 octobre 1972.
Le gouvernement a chargé M. J. Peter Swann de ce projet. Dans ses notes, ce dernier indique qu’il devait :
préparer un rapport à l’intention du gouvernement de l’Alberta sur « toute question concernant la possibilité d’améliorer et d’élargir la publication des délibérations de l’Assemblée législative ». À l’heure actuelle, les délibérations sont enregistrées sur bande magnétique et seuls certains débats sont transcrits; le gouvernement ne publie pas de hansard.


Janice Connor, Amanda LeBlanc, Janet Schwegel et Charisse Steward.
Lorsque M. Swann a entrepris son projet de recherche, seules les provinces de l’Alberta et de l’ÎleduPrinceÉdouard n’avaient pas de hansard; elles comptaient respectivement 1,6 million et moins de 150 000 habitants. M. Swann a commencé ses travaux en communiquant avec les autres provinces. Il s’est heurté maintes fois à de « l’incrédulité […] quant à l’existence même d’un parlement qui ne publie pas de compte rendu exhaustif ».
Dans la correspondance de décembre 1971 avec M. J.B. Poole, de la Bibliothèque de la Chambre des communes, on peut lire que la Chambre des communes « adopte lentement mais sûrement le recours aux terminaux d’ordinateur comme principaux outils des transcripteurs, qui se servent des programmes d’édition, de formatage et d’indexation pour créer un produit final utile ». Au même moment, l’entreprise Stenographic Machines Inc. travaillait aussi sur « des programmes pour interpréter la sténotypie et reconstruire un texte en langage naturel avec un taux d’exactitude de 98 % ». M. Swann remarque qu’« en supposant un taux d’efficacité raisonnable, [la sténographie informatisée] semble être le moyen logique de convertir les discours en textes écrits ».
Au départ, M. Swann devait produire le hansard de l’Alberta en octobre. Dans la première semaine de février 1972, on lui a toutefois demandé de mettre sur pied un bureau qui publierait un hansard quotidien pendant la séance du printemps, qui débuterait le 2 mars. Il disposait donc de trois semaines pour rendre le bureau opérationnel.
Même s’il tenait beaucoup à la sténographie informatisée, il a adopté un processus fondé sur une technique mise au point à l’Université Queen’s pour la Chambre des communes d’Ottawa. Il s’agissait notamment :
de taper d’emblée la transcription « dans » un ordinateur, de sorte que le texte brut y soit stocké dans un format lisible à la machine. L’ordinateur peut ensuite servir ultérieurement pour corriger ou modifier le texte et obtenir la présentation voulue ou lui donner une forme acceptable pour un autre appareil, tel qu’une photocomposeuse.
Il s’agit essentiellement du même processus encore employé 50 ans plus tard pour produire le hansard de l’Alberta.
M. Swann a conclu une entente pour connecter les terminaux d’ordinateur du bureau du hansard au centre de données du gouvernement de l’Alberta. Les terminaux, dont la livraison prenait normalement neuf mois, sont arrivés à Edmonton dans les deux semaines. Les services de dotation temporaire du gouvernement de l’Alberta ont recruté des audiotypistes comme transcripteurs du hansard. Le lundi matin de la semaine d’ouverture de l’Assemblée législative, quatre personnes avaient été embauchées, dont trois qui n’avaient jamais mis les pieds dans cette enceinte.
Le personnel était aussi composé d’une secrétaire-réceptionniste, d’un indexeur-chercheur et d’un sous-éditeur. M. Swann croyait que lui-même et le seul sous-éditeur pourraient assumer les responsabilités associées à la correction d’épreuves. Il a reconnu ultérieurement qu’il s’agissait là d’une erreur de sous-effectif et a décidé qu’il fallait trois personnes pour accomplir cette tâche. « Pour faire ce travail, il faut avoir un certain don. Il ne suffit pas de bien maîtriser la langue anglaise; en effet, avoir une opinion trop arrêtée sur ce qui constitue le style correct peut amener à commettre le péché capital de la surrévision. » Une fois que trois personnes ont été chargées de la sous-édition, le problème principal était « le manque d’uniformité entre les sous-éditeurs, et il est donc apparu très clairement qu’il fallait établir des normes stylistiques. De nombreuses heures ont été perdues lorsqu’un éditeur réexaminait et recorrigeait le travail déjà examiné et corrigé par un autre. »
Pour ce qui est du ton de la publication :
nous avons convenu comme règle non écrite que le hansard de l’Alberta devrait être conçu en ayant le lecteur à l’esprit, plutôt que d’en faire uniquement un miroir froid et peut-être cruel des mots qu’il contient. Nous avons donc adopté un style de rédaction qui, nous l’espérerions, permettrait au lecteur de comprendre le fil des événements rapportés par la publication, par l’emploi de titres et sous-titres descriptifs qui rendent compte de l’ordre des travaux et des sujets à l’étude.
La nouvelle publication a été annoncée dans sept grands quotidiens. Malgré le nombre restreint de personnes au fait de l’existence du hansard de l’Alberta, celui-ci a suscité un intérêt plus important qu’attendu. En effet, en décembre 1972, le bureau a distribué 950 exemplaires de chaque hansard produit et comptait environ 700 abonnés.
À la fin de la première session, M. Swann a conclu que :
la session du printemps s’est avérée une expérience très difficile pour tous ceux qui ont contribué au hansard de l’Alberta […] Ce système complètement nouveau, mis en fonction alors que nous étions désespérément mal préparés et que nous avions grandement sous-estimé l’effort humain requis dans ces circonstances, s’est presque totalement effondré à plusieurs reprises. Toutefois, nous avons su démontrer sa valeur et son applicabilité lors de la dernière semaine de la session, lorsque nous avons remis aux députés dès la séance suivante trois publications consécutives, dont deux qui comptaient chacune une séance double, soit en après-midi et en soirée. Nous aurions pu atteindre les mêmes résultats jusqu’à la fin de la session si le personnel n’avait pas été frappé, comme tout le monde, par la grippe qui courrait à Edmonton. Le fait que nous n’ayons pu soutenir ce rythme sans l’appui de l’ensemble de notre personnel d’expérience montre de façon consternante à quel point nous sommes vulnérables à la maladie et aux autres causes d’absentéisme. [Nous pouvons sympathiser, j’en suis sûre.]
À l’automne, toutefois, toutes les publications, sauf trois, ont été publiées dans les 24 heures.
M. Swann a expliqué ceci : « les procédures que j’ai choisies pour préparer le hansard de l’Alberta ont été validées par le fait qu’elles aient permis de produire un hansard en une nuit durant la session d’automne, par la disponibilité imminente du sténographe informatisé et par la comparaison favorable de nos besoins en main-d’œuvre avec ceux de Maurice Chazotte en ColombieBritannique. » Cela dit, la production du hansard de l’Alberta a été coûteuse et la qualité d’impression était mauvaise en raison de la piètre qualité de la présentation graphique offerte à l’imprimeur de la Reine. En décembre 1972, le Président « a décidé de se passer [des] services [de M. Swann] à titre d’éditeur du hansard de l’Alberta pour la session du printemps ».
En résumant son projet du hansard pour l’Assemblée législative de l’Alberta, M. Swann a précisé comment améliorer les conditions et les processus de production. Il a admis qu’on avait connu des problèmes associés à la mise en place de « nouvelles techniques novatrices dans la production du hansard » et a ajouté que la « photocomposition, et donc un produit de bonne qualité, sera possible au printemps, et de nouveaux terminaux d’entrée, malheureusement non disponibles avant le mois de mai, rendront la tâche des transcripteurs plus plaisante, plus efficace et plus économique ».
Même si les possibilités relevées par M. Swann n’ont pas abouti dans la courte période consacrée à son étude, ses efforts ont donné lieu à quelques pratiques clés qui sont toujours employées aujourd’hui. Cinquante ans plus tard, le hansard de l’Alberta s’appuie sur le même modèle de production de base, qui consiste à saisir du texte dans un ordinateur, puis à se servir de cet ordinateur et de programmes logiciels pour éditer et composer des documents. De plus, le hansard de l’Alberta utilise encore les titres et sous-titres pour orienter le lecteur, et le ton de la publication est uniforme.
Outre les aspects pratiques, l’histoire de la création du hansard de l’Alberta et de la façon dont il continue de fonctionner souligne toute l’importance d’avoir un personnel persévérant. Pour citer M. Swann, « l’efficacité du groupe chargé du hansard repose en grande partie sur le moral du personnel ».
Notes
1 Dans le présent article, toutes les citations sont des traductions libres.