De grandes demandes à saveur législative

Article 11 / 11 , 46 No. 2 (Été)

De grandes demandes à saveur législative

Les parlementaires travaillent tellement fort qu’on dit souvent d’eux qu’ils sont « mariés à leur travail ». Certains espèrent malgré tout trouver le grand amour et sceller leur union en cours de mandat… peut-être même dans la Chambre! Une demande en mariage serait-elle considérée comme une motion acceptable, selon Bourinot? Pourrait-il y avoir un nouvel Acte d’Union? Qui portera les alliances? Un page parlementaire? Bien sûr, aucune de ces questions n’a vraiment d’importance pour les deux personnes qui, le temps d’un instant, deviennent le centre de l’attention de tous les députés dans la Chambre. Même si nous nous faisons sans cesse rappeler que la période des questions n’est pas une « période des réponses », lorsqu’un parlementaire demande la main de sa partenaire à l’Assemblée, tout le monde attend avec impatience une réponse définitive. Dans cet article, l’auteur décrit quelques occasions lors desquelles l’amour éternel s’est taillé une place entre articles du Règlement.

Charlie Feldman

Ceux qui croient que la galanterie n’existe plus ont peut-être oublié certains moments particulièrement romantiques gravés à tout jamais dans le hansard. En effet, au moins deux parlementaires canadiens se sont levés pendant les débats, bague à la main, pour faire la grande demande, passant d’un avis de motion à une demande en mariage, donnant ainsi un tout nouveau sens à l’idée de jumeler des motions.

En mai 2022, Rick Glumac, député à l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique, a demandé la main de sa conjointe, assise à la tribune, en pleine déclaration. Les applaudissements et les acclamations des collègues qui ont suivi l’ont empêché d’entendre la réponse de Haven Lurbiecki, et il a dû quitter l’Assemblée pour en avoir le cœur net1. L’heureux couple a donné beaucoup d’entrevues par la suite.

Certains médias ont laissé entendre que la demande faite en Colombie-Britannique était une première au pays, mais c’est faux. Le jour de la Saint-Valentin, en 2018, un député de l’Assemblée nationale du Québec, Éric Lefebvre, a demandé en mariage sa conjointe, Geneviève Laliberté, alors dans la tribune2. Avant de faire la grande demande, M. Lefebvre a rendu hommage aux conjoints et aux conjointes des députés de l’Assemblée, qui les épaulent au quotidien. Il s’est ensuite excusé au président parce qu’il allait déroger du protocole en s’adressant à la tribune. Une fois la demande faite et les applaudissements calmés, le Président s’est empressé de dire : « Je ne veux pas m’immiscer dans votre vie personnelle, mais ça prendrait une réponse! », et elle a dit « oui ».

Il convient également de noter que, quelques années plus tôt, un autre Canadien était passé à deux doigts de faire de même. Selon un article de presse, le député Guy Lauzon souhaitait faire sa demande en mariage à la Chambre en 2004 (nous ne savons pas si c’était en pleine session), mais il en a été empêché par un débat d’urgence3. Il aurait fait la grande demande dans la salle à manger parlementaire.

L’œuvre de cupidon a réussi à s’immiscer dans les assemblées législatives du monde entier. En effet, des demandes en mariage de parlementaires à des observateurs dans la tribune peuvent être trouvées dans les archives des assemblées législatives de presque tous les États américains. Aussi romantiques que puissent être ces demandes en mariage, l’une des premières faites par un parlementaire en pleine séance a, au contraire, mal tourné.

En 1949, E. A. Snow, représentant de l’État de l’Idaho, a demandé si la « Dame d’Ada » (Mme Miller) accepterait de répondre à une question. Il lui a demandé si elle voulait l’épouser, et, selon la plupart des articles de presse, elle est devenue rouge et s’est assise, laissant la question sans réponse (selon certains articles, elle se serait même précipitée hors de la Chambre). Le Président a jugé la question « suggestive » et n’a pas demandé de réponse. Mlle Miller est ensuite venue au sol pour accepter la proposition inattendue.

Quelques mois plus tard, Mme Miller s’est mariée, mais avec un autre homme. Il semble que ce soit le journaliste Sandor S. Klein, auteur d’un article sur ces fiançailles insolites, qui a finalement retenu l’attention de Mme Miller. Certains médias avaient passé sous silence sa réaction, décrivant la scène comme une histoire d’amour inspirante4. Mme Miller aurait demandé à rencontrer M. Klein pour se plaindre du texte qu’il avait rédigé sur ses fiançailles avant que l’amour entre eux s’épanouisse5. 

Un député de la Chambre des représentants d’Australie a fait les manchettes en 2017 lorsqu’il a demandé en mariage son conjoint de même sexe alors que les députés débattaient d’égalité en matière de mariage. Le Président a précisé, pour le Journal des débats, qu’un « oui » avait été entendu de la tribune et a ajouté « Félicitations. Bravo, mon ami »6.

Un député italien a demandé sa compagne en mariage en plein débat en 2019. Même si ses collègues ont applaudi son grand geste, celui-ci s’est attiré les foudres du Président de la Chambre des représentants (pour entorse au protocole). La demande de mariage a fait la une des journaux du monde entier, mais certains membres de la presse italienne ont découvert qu’il s’agissait en fait d’un coup visant à épater la galerie. Le couple était déjà fiancé et le lieu du mariage avait été réservé depuis longtemps.

Nous serions loin de nous douter qu’autant de parlementaires sont de grands romantiques. Pourtant, comme le prouvent certaines pages du hansard, travailler d’arrache-pied, sans aucun doute, ne signifie pas nécessairement faire une croix sur la marche nuptiale.

Notes

1 Assemblée législative de la Colombie-Britannique. Hansard (en ligne), 11 mai 2022. Sur Internet : <URL: https://www.leg.bc.ca/documents-data/debate-transcripts/42nd-parliament/3rd-session/20220511pm-Hansard-n204#204B:1355> [en anglais seulement].

2 Assemblée nationale du Québec. Journal des débats (en ligne), 14 février 2018. Sur Internet : <URL: https://www.assnat.qc.ca/fr/travaux-parlementaires/assemblee-nationale/41-1/journal-debats/20180214/213475.html#_Toc506477715>.

3 Saunders, Terri. « The better halves ». Cornwall Standard-Freeholder, 30 décembre 2005, p. 4.

4 Life Magazine (en ligne), 14 mars 1949, Sur Internet : <URL: https://books.google.ca/books?id=gU0EAAAAMBAJ&lpg=PA40&ots=0a0yErdEFm&dq=%22e.a.%20snow%22%20%22edith%20miller%22%20proposal&pg=PA40#v=onepage&q=%22e.a.%20snow%22%20%22edith%20miller%22%20proposal&f=false> [en anglais seulement].

5 Sullivan Daily Times, vol. 51, no 143 (20 juillet 1949), p. 5 [en anglais seulement]

6 Chambre des représentants de l’Australie. Hansard (en ligne), 12 avril 2017. Sur Internet : <URL: https://www.aph.gov.au/Parliamentary_Business/Hansard/Hansard_Display?bid=chamber%2Fhansardr%2F72ab0aa3-c3f2-48e1-b365-7e7ac525ceb6%2F&sid=0091> [en anglais seulement].

Top