Est-ce que les interventions des députés d’arrière-ban sont sexospécifiques?

Article 5 / 13 , Vol 43 No 4 (Hiver)

Est-ce que les interventions des députés d’arrière-ban sont sexospécifiques?

Introduction

Même si les parlements du monde entier accueillent davantage de femmes, les législatures peuvent demeurer des institutions sexospécifiques1. Il est largement prouvé que les femmes sont plus susceptibles que les hommes de siéger dans les comités parlementaires qui traitent de questions stéréotypées féminines, telles que la santé, la protection sociale et l’éducation, et moins susceptibles de siéger dans les comités qui traitent de questions stéréotypées masculines, telles que l’économie, les finances et la défense2. Il est également prouvé qu’elles prononcent moins d’allocutions au Parlement que les hommes3. Dans le présent article, nous examinons une autre forme de sexospécificité et nous nous demandons si les femmes d’arrièreban du Parlement canadien sont plus susceptibles que les hommes d’aborder des questions stéréotypées féminines et moins susceptibles d’aborder des questions stéréotypées masculines lorsqu’elles interviennent dans la période des questions et les affaires émanant des députés.

Sexe et discours

Il y a un certain nombre de raisons de s’attendre à ce que les interventions des députés d’arrière-ban dans ces lieux soient sexospécifiques. Tout d’abord, il existe des incitations à la carrière. De nombreuses études ont montré que les électeurs sont susceptibles d’attribuer des compétences en matière de questions sur la base du sexe d’un politicien4. On présume que les femmes sont plus compétentes pour traiter des questions stéréotypées féminines alors que les hommes seraient plus compétents à l’endroit de questions stéréotypées masculines. En conséquence, la direction du parti peut avoir une incitation stratégique à encourager les femmes membres à intervenir sur des questions stéréotypées féminines dans des tribunes plus publiques afin de démontrer la compétence du parti à traiter ces questions. À l’inverse, les femmes membres peuvent être moins susceptibles d’être sélectionnées pour intervenir sur des questions stéréotypées masculines pour lesquelles on peut présumer qu’elles sont moins compétentes. Étant donné le degré de discipline de parti au Parlement canadien, les femmes d’arrière-ban sont fortement incitées à se conformer aux souhaits de la direction du parti. Si elles accordent de l’importance à l’avancement professionnel, elles ne voudront pas risquer une sanction ou une mise de côté lorsqu’il s’agira de choisir les députés d’arrière-ban pour occuper des postes clés. Comme l’a expliqué un ancien député, « un député loyal peut devenir président de comité, leader parlementaire, secrétaire parlementaire ou ministre. Les députés insubordonnés peuvent être relégués sur les banquettes arrière, se voir refuser l’autorisation de voyager à l’étranger, être expulsés du caucus ou se voir interdire de se présenter aux prochaines élections »5.

Nous ne devons cependant pas supposer que les femmes ont nécessairement besoin de carottes ou de bâtons pour intervenir sur des questions stéréotypées et féminines. Plutôt que d’être le résultat d’une pression exercée par la direction du parti, cela pourrait être une question de choix. Les femmes peuvent estimer qu’elles ont le devoir de s’exprimer sur des questions qui sont considérées comme particulièrement préoccupantes pour les femmes. Ces questions vont au-delà de ce qui est traditionnellement considéré comme des « questions féminines » (telles que le choix en matière de procréation, la violence contre les femmes et le harcèlement sexuel) pour inclure des questions stéréotypées comme la santé, la protection sociale et l’éducation. Les femmes peuvent même craindre une sanction électorale si elles ne répondent pas aux attentes des électeurs concernant les compétences et les priorités des femmes politiques en matière de questions6. Elles peuvent également être plus enclines à donner la priorité à ces questions parce qu’elles sont plus susceptibles que les hommes d’être venues en politique en provenance de domaines tels que les soins de santé, le travail social et l’éducation. La socialisation et les expériences de vie des hommes et des femmes peuvent également jouer un rôle7.

Il est possible, bien sûr, que les interventions des députés d’arrière-ban à la période des questions et des affaires émanant des députés ne soient pas sexospécifiques. Les femmes d’arrière-ban peuvent être aussi susceptibles que les hommes d’aborder des questions stéréotypées de nature masculine, tout comme les hommes peuvent être aussi susceptibles que les femmes de soulever des questions stéréotypées de nature féminine8. Les femmes peuvent en arriver à un compromis difficile. Pour progresser dans leur carrière parlementaire, elles doivent également être réélues. Cela peut les inciter à aborder des questions stéréotypées de nature masculine afin de vaincre les préjugés des électeurs concernant les compétences des femmes politiques en matière de questions qui pourraient réduire leurs chances d’une réélection. Pour leur part, les hommes sont incités à intervenir sur des questions stéréotypées féminines, étant donné que la moitié de leurs électeurs seront des femmes. En effet, des questions telles que la santé, l’éducation et la protection sociale ne concernent pas seulement les femmes; leurs électeurs masculins peuvent également s’intéresser à ces questions.

Cela peut expliquer pourquoi les études sur le discours législatif ont donné des résultats mitigés. Par exemple, une étude portant sur sept parlements européens a révélé que les femmes parlementaires des pays nordiques prononçaient moins d’allocutions sur des questions stéréotypées masculines que les hommes, même si ces pays ont des parlements plus équilibrés que les autres démocraties post-industrielles9. Cependant, il n’y avait que peu ou pas de différence dans le cas des parlements tchèque, estonien, allemand et irlandais. En outre, même dans les trois parlements nordiques, les hommes ont prononcé autant d’allocutions que les femmes sur des questions stéréotypées. D’autre part, une analyse des débats en deuxième lecture des projets de loi à la Chambre des communes britannique a révélé que les femmes parlementaires étaient plus susceptibles que les hommes de participer aux débats sur les soins de santé (une question stéréotypée féminine), bien qu’elles soient tout aussi susceptibles que les hommes de prendre part aux débats sur les projets de loi de finances (une question stéréotypée masculine)10.

Notre étude

Pour savoir si les interventions des députés d’arrière-ban canadiens sont sexospécifiques, nous avons analysé toutes les interventions de la période des questions et des affaires émanant des députés au cours de la 42e législature, entre le 16 septembre et le 13 décembre 2018. Nous ne prenons en compte que les interventions des députés d’arrière-ban. En excluant les ministres, les critiques de l’opposition, les chefs de parti, le président de la Chambre et les autres présidents de séance, nous obtenons 197 députés. Il y avait 41 femmes (20,8 %) et 156 hommes (79,2 %). Il y avait aussi 47 députés conservateurs, 127 députés libéraux, 14 députés néo-démocrates et 9 députés du Bloc Québécois.

Nous avons choisi d’examiner à la fois la période des questions et les affaires émanant des députés parce que cela nous permet d’obtenir de meilleurs résultats sur la question de savoir si les femmes d’arrière-ban sont plus susceptibles d’aborder des questions stéréotypées féminines par choix ou parce qu’elles se conforment aux souhaits de la direction du parti. Il y a au moins deux raisons de s’attendre à ce que les interventions lors de la période des questions soient plus sexospécifiques que celles des affaires émanant des députés. Premièrement, la période des questions est une arène publique qui a pris une nouvelle importance dans une ère de campagne permanente : « la nature de la période des questions elle-même et la couverture médiatique dont elle fait l’objet indiquent qu’elle est devenue un événement médiatique »11. En conséquence, si un parti veut mettre en avant sa compétence dans le traitement des questions stéréotypées de nature féminine, la direction du parti est fortement incitée à sélectionner des femmes parlementaires pour poser des questions sur ces sujets. Après tout, la période des questions est un forum où le symbolisme l’emporte souvent sur la substance12. Deuxièmement, et de façon connexe, la période des questions est soumise à un contrôle beaucoup plus partisan que les affaires émanant des députés. En effet, les whips des partis fournissent généralement au président des listes de députés et l’ordre de reconnaissance suggéré13. La discipline de parti est telle que les députés qui accordent de l’importance à leur avancement professionnel seront prêts « à adopter toute forme de comportement demandé ou jugé utile pour le chef du parti »14.

Cela ne veut pas dire que les affaires émanant des députés sont sans importance. Au contraire, les députés ont plus de succès à faire adopter leurs lois et leur participation aux affaires émanant des députés peut avoir une incidence indirecte sur la politique du gouvernement15. De même, les affaires émanant des députés ne sont pas exemptes des contraintes de la discipline de parti. En effet, il est évident que les partis exercent un contrôle accru sur ce domaine16. Néanmoins, les affaires émanant des députés restent moins soumises à la discipline de parti que la période des questions. En conséquence, on peut s’attendre à ce que les interventions des députés d’arrière-ban soient plus susceptibles de refléter leurs propres préférences dans les affaires émanant des députés que dans la période des questions.

Pour voir s’il y avait des différences dans les types de questions abordées par les femmes et les hommes, nous avons élaboré une classification des questions stéréotypées masculines, stéréotypées féminines et sexoneutres. Les questions stéréotypées masculines comprennent la défense, l’armée, la criminalité, la sécurité nationale, les finances, l’économie, les affaires étrangères, le commerce international et l’agriculture. Les questions stéréotypées féminines concernent la culture, l’éducation, les enfants et les jeunes, la famille, le vieillissement et les personnes âgées, la santé, le bien-être, la pauvreté et l’égalité. Notez que les « questions féminines », telles que l’avortement et la violence sexuelle, ne sont pas classées comme étant stéréotypées féminines, car elles peuvent raisonnablement être attribuées aux femmes en raison de leur contenu. La catégorie sexoneutre comprend des questions telles que la science et la technologie, l’environnement, les sports, le travail et l’immigration.

Nous avons utilisé le logiciel Lexicoder (www.lexicoder.com) pour classer les interventions. Par exemple, une intervention comprenant des mots tels que « tarif » et « exportation » serait classée dans la catégorie « commerce international », question stéréotypée masculine, tandis qu’une intervention contenant des mots tels que « hôpital » et « cancer » serait classée dans la catégorie « santé », question stéréotypée féminine17. Nous avons consulté les transcriptions de toutes les interventions de la période des questions et des affaires émanant des députés à l’automne 2018 au moyen du site Web Nos communes accessible à https://www.noscommunes.ca/DocumentViewer/fr/chambre/dernier/debats.

Période des questions

Au cours de la période étudiée, les députés d’arrière-ban sont intervenus 722 fois au total pendant la période des questions. Ces interventions étaient beaucoup plus susceptibles d’aborder des questions stéréotypées masculines que féminines. Les questions stéréotypées masculines représentaient 48 % de ces interventions, tandis que 14 % seulement portaient sur des questions stéréotypées féminines; le reste portait sur des questions sexoneutres. Par rapport à leur nombre, les femmes ont fait dans l’ensemble plus d’interventions que les hommes. Les femmes ne représentent que 21 % des députés d’arrière-ban, mais elles sont à l’origine de 26 % des interventions. En moyenne, elles sont intervenues 4,6 fois, contre 3,4 fois pour les hommes.

Les femmes sont un peu plus susceptibles que les hommes d’intervenir lorsque le problème en question est stéréotypé masculin : la moyenne pour les femmes est de 1,8 contre 1,7 pour les hommes, bien que les interventions des hommes (50 %) portent davantage sur des problèmes stéréotypés masculins que celles des femmes (40 %). Les interventions sur les questions stéréotypées féminines sont beaucoup plus manifestement sexospécifiques : en moyenne, les femmes d’arrière-ban ont fait 1,3 intervention, contre seulement 0,3 pour les hommes. De même, 28 % des interventions totales des femmes, mais seulement 10 % des interventions des hommes, ont porté sur des questions stéréotypées de nature féminine. De plus, les hommes sont beaucoup moins susceptibles de traiter des questions stéréotypées féminines que les femmes de traiter des questions stéréotypées masculines. Il est donc clair que les femmes d’arrière-ban étaient plus susceptibles que les hommes d’intervenir sur des questions stéréotypées féminines. Cela dit, les femmes étaient toujours plus susceptibles d’aborder des questions stéréotypées masculines que des questions stéréotypées féminines. La conclusion selon laquelle les femmes d’arrière-ban étaient plus susceptibles que les hommes d’intervenir sur des questions stéréotypées féminines est valable, même si l’on tient compte d’autres facteurs tels que l’affiliation à un parti, la durée du mandat au Parlement et l’appartenance à une minorité visible18.

Il est intéressant de noter que cette conclusion est également valable lorsque nous examinons séparément les députés de chaque parti. Les conservateurs étaient confrontés à un « problème de femmes » : les données des sondages avaient indiqué que les femmes (25 %) étaient beaucoup moins susceptibles que les hommes (33 %) de voter pour les conservateurs aux élections de 201519. En conséquence, le parti a peut-être voulu que ses femmes d’arrière-ban interviennent sur des questions stéréotypées féminines afin de projeter une image favorable aux femmes. Il n’y avait que cinq femmes d’arrière-ban conservatrices dans la 42e législature, nous devons donc être prudents avant de tirer des conclusions. Néanmoins, il est frappant de constater que 95 % des hommes conservateurs n’ont pas fait une seule intervention sur des questions stéréotypées féminines. En revanche, trois des cinq femmes sont intervenues sur ces questions. Nous sommes confrontés à un problème de nombre similaire au sein du NPD. Il n’y avait que trois femmes d’arrière-ban du NPD. Compte tenu du programme politique du parti, on aurait pu s’attendre à ce que les députés d’arrière-ban du NPD soient aussi susceptibles d’intervenir sur des questions stéréotypées féminines, quel que soit leur sexe, mais ce n’est manifestement pas le cas. Neuf des onze hommes du NPD n’ont même pas fait une seule intervention sur ces questions, alors que les trois femmes ont abordé ces questions dans leurs interventions. Par ailleurs, plus de deux fois plus de femmes libérales (65 %) que d’hommes libéraux (28 %) sont intervenues sur des questions stéréotypées féminines. Les députés du Bloc étaient trop peu nombreux pour tirer des conclusions. Là encore, rien ne permet de penser que les femmes d’arrière-ban étaient moins susceptibles que les hommes d’intervenir sur des questions stéréotypées masculines. En effet, les femmes libérales (36 %) étaient plus susceptibles que les hommes libéraux (26 %) d’aborder ces questions et les cinq femmes conservatrices ont toutes abordé ces questions, contre seulement la moitié des hommes.

Affaires émanant des députés

Les députés d’arrière-ban sont censés jouir d’une plus grande autonomie lorsqu’il s’agit des affaires émanant des députés. Si les femmes intervenaient davantage que les hommes sur des questions stéréotypées féminines dans cette tribune, cela suggérerait que le schéma observé lors de la période des questions reflète les priorités des femmes et pas seulement la pression exercée par la direction du parti. Pour étudier cette possibilité, nous avons mené une analyse parallèle des interventions dans les affaires émanant des députés.

Les députés d’arrière-ban sont intervenus 222 fois dans cette tribune. Par rapport à leur nombre total, les femmes d’arrière-ban étaient presque aussi susceptibles que les hommes d’intervenir dans les affaires émanant des députés, les femmes représentant 19 % du total des interventions et les hommes 81 %. En moyenne, les femmes d’arrière-ban ont fait 1,1 intervention, tandis que la moyenne pour les hommes était de 1,2. Les interventions dans les affaires émanant des députés étaient beaucoup plus susceptibles que celles de la période des questions de traiter des questions stéréotypées féminines (43 %) et beaucoup moins susceptibles de traiter des questions stéréotypées masculines (13 %).

En moyenne, les femmes d’arrière-ban sont intervenues 0,63 fois sur des questions stéréotypées féminines, alors que la moyenne pour les hommes était de 0,44. La différence est encore plus faible pour les questions stéréotypées masculines, soit 0,16 fois pour les hommes contre 0,10 pour les femmes. Toutefois, par rapport à l’ensemble de leurs interventions, les femmes sont beaucoup plus susceptibles que les hommes d’intervenir sur des questions stéréotypées féminines : 63 % des interventions des femmes dans les affaires émanant des députés ont porté sur des questions stéréotypées féminines, contre seulement 38 % pour les hommes. Par ailleurs, 14 % des interventions des hommes, mais seulement 9 % des interventions des femmes portaient sur des questions stéréotypées de nature masculine.

La tendance des femmes à intervenir plus fréquemment que les hommes sur des questions stéréotypées féminines semble de toute évidence plus faible dans les affaires émanant des députés que dans la période des questions. Cela correspond à l’attente selon laquelle les interventions dans ce domaine seraient moins sexospécifiques. Toutefois, le fait que les interventions des femmes sur des questions stéréotypées féminines soient plus nombreuses, même dans un lieu moins soumis à la discipline de parti, suggère que les femmes d’arrière-ban ne se sont pas contentées de succomber aux pressions de leur parti pour s’exprimer sur ces questions pendant la période des questions.

Lorsque nous ventilons les résultats par parti, nous constatons une fois de plus que les femmes libérales (45 %) étaient plus susceptibles que les hommes libéraux (29 %) d’aborder des questions stéréotypées féminines, mais le déséquilibre entre les sexes est moins important que lors de la période des questions. Il convient également de noter que les femmes étaient moins susceptibles d’aborder ces questions dans le cadre des affaires émanant des députés que pendant la période des questions, ce qui soulève la possibilité qu’elles subissent une certaine pression pour intervenir sur des questions stéréotypées féminines pendant la période des questions. Les députés conservateurs d’arrière-ban étaient beaucoup moins susceptibles que leurs collègues libéraux d’aborder ces questions. En effet, aucune des femmes conservatrices n’est intervenue sur des questions stéréotypées féminines. Étonnamment, étant donné que le parti est présumé s’approprier des questions telles que les soins de santé et l’aide sociale, seulement 9 % des interventions des hommes du NPD ont porté sur des questions stéréotypées féminines, bien que deux des trois femmes aient abordé ces questions. Il y avait peu de différences entre les partis en ce qui concerne les questions stéréotypées masculines et peu de différences entre les sexes.

Discussion de clôture

Nous avons choisi d’examiner les interventions de la période des questions et des affaires émanant des députés afin de mieux comprendre le rôle du genre dans le fonctionnement quotidien du Parlement canadien. La question motivante était de savoir dans quelle mesure le Parlement pouvait être qualifié d’institution sexospécifique. Les résultats présentés ici donnent lieu à une réponse nécessairement nuancée. D’une part, il n’y a guère de preuves concrètes que les femmes d’arrière-ban sont moins susceptibles que les hommes de traiter de questions stéréotypées masculines, comme les finances, l’économie et l’armée. En outre, même pendant la période des questions, les femmes étaient plus susceptibles d’aborder des questions stéréotypées masculines que féminines. D’autre part, tant pour la période des questions que pour les affaires émanant des députés, les femmes étaient plus susceptibles que les hommes d’intervenir sur des questions stéréotypées de nature féminine, telles que la santé, l’éducation et la protection sociale.

La comparaison des interventions des députés d’arrière-ban lors de la période des questions et des affaires émanant des députés constitue une révélation. La division du travail entre les sexes sur les questions stéréotypées de nature féminine était beaucoup plus évidente dans le premier cas que dans le second. Comme explication plausible, les partis sont incités à exploiter les perceptions sexospécifiques des électeurs concernant les compétences des politiciens en matière de questions en affectant leurs femmes députées d’arrière-ban à l’examen de questions stéréotypées en fonction de leur sexe dans un lieu qui attire généralement beaucoup l’attention des médias. Le caractère médiatique de la période des questions signifie également que le comportement des députés d’arrière-ban est beaucoup plus soumis à la discipline de parti dans ce domaine.

Cependant, même dans le cas des affaires émanant des députés, où le comportement des députés d’arrière-ban est moins contraint, les femmes étaient plus susceptibles que les hommes d’aborder des questions stéréotypées féminines. La différence entre les sexes était plus faible, mais elle était non négligeable, ce qui suggère que les femmes ne suivaient pas simplement la ligne du parti lorsqu’elles intervenaient sur ces questions pendant la période des questions. Nous ne pouvons pas dire si leurs interventions reflétaient une socialisation sexospécifique, des expériences de vie, un sens du devoir de parler de questions jugées particulièrement importantes pour les femmes ou des préoccupations concernant leur réélection, mais il est probable qu’un mélange de ces considérations a joué un rôle.

Il existe, bien sûr, d’autres tribunes parlementaires qui peuvent présenter des preuves plus ou moins évidentes de l’existence d’une sexospécificité. Les études futures doivent examiner les affectations aux comités, la participation aux débats en deuxième lecture et les autres interventions à la Chambre afin de mieux comprendre dans quelle mesure le Parlement canadien peut être une institution sexospécifique. La façon dont nous jugeons les tendances observées lors de la période des questions et des affaires émanant des députés dépend beaucoup de la perspective. D’une part, on peut considérer comme une bonne chose que les femmes d’arrière-ban soulèvent des questions qui sont considérées comme plus préoccupantes pour les femmes que pour les hommes. D’autre part, il existe un risque de perpétuer les perceptions sexospécifiques des compétences des femmes en politique.

Notes

1 Catherine Bolzendahl, « Legislatures as gendered organizations: Challenges and opportunities for women’s empowerment as political élites », tiré de Amy C. Alexander, Catherine Bolzendahl et Farida Jalalzai (éd.), Measuring Women’s Political Empowerment across the Globe: Strategies, Challenges and Future Research, Palgrave Macmillan, Londres, p. 165-186, 2018.

2 Ibid.

3 Hanna Bäck et Marc Debus, Political Parties, Parliaments and Legislative Speechmaking, Palgrave Macmillan, New York, 2016.

4 Erin C. Cassese et Mirya R. Holman, « Party and gender stereotypes in campaign attacks », Political Behavior, vol. 40, p. 785-807, 2018.

5 Monique Guay, « La discipline de parti, la représentation des électeurs et les convictions personnelles », Revue parlementaire canadienne, vol. 25(1), p. 7-9, 2002.

6 Ibid.

7 Manon Tremblay, « Do female MPs substantively represent women? A study of legislative behaviour in Canada’s 35th Parliament », Revue canadienne de science politique, vol. 31(3), p. 435–465, 1998.

8 Amanda Clayton, Cecilia Josefsson et Vibeke Wang, « Quotas and women’s substantive representation: Evidence from a content analysis of Ugandan plenary debates », Politics & Gender, vol. 13(2), p. 276 304, 2017.

9 Bäck et Debus.

10 Ana Catalano, « Women acting for women? An analysis of gender and debate participation in the British House of Commons 2005-2007 », Politics & Gender, vol. 5, p. 79–98, 2009.

11 Kelly Blidook, « Symbole c. substance : Théâtre, carrières politiques et comportement parlementaire au Canada », Groupe canadien d’étude des parlements, vol. 2, 2010. Accessible à http://cspg-gcep.ca/pdf/KBlidook_Final-f.pdf.

12 Ibid.

13 Marc Bosc et André Gagnon, La procédure et les usages de la Chambre des communes, Troisième édition, 2017. Accessible à https://www.noscommunes.ca/About/ProcedureAndPractice3rdEdition/ch_11_1-f.html.

14 Blidook, p. 9.

15 Kelly Blidook, « Exploring the role of ‘legislators’ in Canada: Do Members of Parliament influence policy? », The Journal of Legislative Studies, vol. 16(1), p. 32-56, 2010.

16 Evan Sotiropoulos, « Les projets de loi émanant des députés sous les récents gouvernements minoritaires et majoritaires_», Revue parlementaire canadienne, vol. 34(3), 2011.

17 Une liste des questions et des mots liés à ces questions est accessible auprès des auteures.

18 Afin de tenir compte d’autres facteurs susceptibles d’expliquer la différence entre les sexes, nous avons régressé le nombre d’interventions sur des questions stéréotypées concernant le sexe, l’appartenance à un parti, l’appartenance à une minorité visible, le nombre d’années passées comme député et le nombre total d’interventions sur une question quelconque.

19 David Coletto, « The path to 2019: Women and the Liberal vote », Abacusdata, 2018. Accessible à https://abacusdata.ca/womenandtheliberalvote/.

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