Examen des bureaux mandatés par la loi de Terre-Neuve-et-Labrador : réexamen des structures de contrôle

Article 4 / 11 , 46 no 4 (Hiver)

Examen des bureaux mandatés par la loi de Terre-Neuve-et-Labrador : réexamen des structures de contrôle

Les titulaires d’une charge créée par une loi jouent un rôle essentiel dans la structure parlementaire canadienne, même si on a dit qu’ils agissaient dans une « zone constitutionnelle parallèle », en soulignant leur développement essentiellement ad hoc. Dans cet article, l’auteur décrit une série d’événements chaotiques survenus à Terre-Neuve-et-Labrador, qui ont incité le ministre de la Justice et de la Sécurité publique de la province à lancer un examen du fonctionnement des bureaux mandatés par la loi. En tant que chercheur pour le juge Robert Fowler, chargé de mener cet examen, l’auteur explique comment une plus grande clarté des définitions, un contrôle accru et des processus de gestion des conflits et d’évaluation indépendante des fonctionnaires demandant le renouvellement de leur mandat figuraient parmi les recommandations générales du juge Fowler. Bien que l’auteur note que l’efficacité des recommandations proposées par l’équipe ne peut, et ne doit pas, être présumée, pas plus que leur mise en œuvre, la révision des bureaux mandatés par la loi avait pour but de réaffirmer le rôle des titulaires d’une charge créée par une loi dans la promotion de la bonne gouvernance. Cet article est basé sur l’analyse par l’auteur des documents cités et accessibles au public.

Gala Palavicini

En décrivant le rôle des titulaires d’une charge créée par une loi dans la structure parlementaire canadienne, Paul G. Thomas en fournit ce qui est peut-être la meilleure description. Les bureaux mandatés par la loi, affirme-t-il, « occupent une sorte de “zone constitutionnelle parallèle” »1.

Il est certain que ces organes parlementaires constituent une catégorie à part, fonctionnant indépendamment du gouvernement, et qu’ils sont souvent responsables de tâches essentielles du système politique, telles que les élections, ainsi que de la protection des droits individuels, comme le respect de la vie privée et les services bilingues, en veillant à ce que les politiques et les programmes du gouvernement soient conformes à la loi. Pourtant, malgré l’importance de ces fonctions, les titulaires d’une charge créée par une loi sont rarement définis de manière appropriée; ils se développent plutôt de manière pragmatique pour résoudre les problèmes au fur et à mesure qu’ils se présentent. Par conséquent, un problème récurrent se pose : l’absence d’un rôle défini par le législateur dans une structure de contrôle cohérente.

À Terre-Neuve-et-Labrador, ces défis ont été mis en évidence par une longue et chaotique saga administrative et politique mettant en scène des événements en apparence distincts, mais interreliés. À partir de ce qui était, à l’époque, un incident isolé impliquant un ministre des Affaires municipales et de l’Environnement, l’enquête a déclenché une série d’investigations qui se sont poursuivies sur plus de quatre ans et qui ont abouti aux élections provinciales controversées de ٢٠٢١. Organisée en pleine pandémie, l’élection a connu le plus faible taux de participation de l’histoire de la province, bien qu’elle ait été la plus longue et la plus coûteuse, en raison des difficultés liées à l’envoi de bulletins de vote par la poste. L’élection a ensuite suscité d’autres préoccupations, qui se sont traduites par des allégations de dénonciation visant le directeur général des élections et par une enquête ultérieure menée par le représentant des citoyens. Le point culminant de ces événements a finalement abouti à la décision de ne pas renouveler le mandat du directeur général des élections, ce qui a précipité la nécessité d’un examen approfondi des bureaux mandatés par la loi et de leurs structures de gouvernance.

En décembre 2022, le ministre de la Justice et de la Sécurité publique a annoncé la nomination de Robert Fowler, juge de la Cour suprême à la retraite, pour procéder à un examen des bureaux mandatés par la loi et à en faire rapport au ministère de la Justice et de la Sécurité publique avec les recommandations. L’examen, défini par son mandat, visait à réexaminer le recrutement et les compétences, la nomination, la période d’affectation, le renouvellement de la nomination, la rémunération, les rapports, la gestion des conflits, la supervision administrative et l’éventuelle fusion des fonctions ou des ressources. L’examen des bureaux mandatés par la loi a officiellement débuté en janvier 2023, après la constitution des équipes de recherche et des équipes juridiques, et a duré neuf mois. Au cours de cette période, l’équipe de recherche a mené plus de 30 entretiens et a reçu plus de vingt communications écrites. Le rapport final, avec ses 57 recommandations, a été remis au ministre de la Justice et de la Sécurité publique le 5 octobre 2023.

Pour comprendre le réexamen et les circonstances qui l’ont motivé, je présente brièvement dans cet article le contexte des bureaux mandatés par la loi de Terre-Neuve-et-Labrador. Ensuite, j’examine les événements qui ont précipité la nécessité de cette révision législative. Enfin, je présente un résumé des recommandations proposées dans le cadre de l’étude, en mettant l’accent sur les mesures destinées à affiner et à renforcer le contrôle et la gestion des bureaux mandatés par la loi à Terre-Neuve.

Quels sont les bureaux mandatés par la loi de Terre-Neuve-et-Labrador?

Bien que Terre-Neuve-et-Labrador soit la seule à utiliser le terme « statutory office », l’expression « Officer of Parliament » est souvent employée pour désigner les bureaux indépendants et mandatés par la loi d’un parlement. Le Vocabulaire de procédure parlementaire, par exemple, définit un « officer of Parliament » comme « un fonctionnaire responsable, devant une ou les deux chambres du Parlement, de l’exécution de fonctions prévues par une loi ». Ce terme est toutefois utilisé de manière vague et incohérente, sans qu’il existe de définition légale ou fédérale2. En fait, le terme est utilisé de manière interchangeable avec « Agents of Parliament », qui définit de manière large les organismes du Parlement, pour les distinguer d’autres fonctionnaires tels que le greffier ou le sergent d’armes. Pour l’essentiel, le consensus qui se dégage de la littérature indique qu’aucune définition établie ou unificatrice n’a été trouvée, et que leur identité et leur nature restent confuses dans la politique parlementaire3. Étant donné que nous nous concentrons sur Terre-Neuve-et-Labrador, et pour éviter toute complication, je ne ferai référence qu’à ces bureaux mandatés par la loi.

La difficulté de définir les bureaux mandatés par la loi au Canada s’explique en partie par le développement ad hoc de ces organismes publics. Souvent, tant au niveau fédéral que provincial, la création de ces bureaux a fait suite à un intérêt soudain pour le renforcement du contrôle parlementaire ou à des scandales gouvernementaux qui ont entamé la confiance du public. Inévitablement, chaque bureau mandaté par la loi a un mandat différent, supervise un domaine différent de l’administration et a besoin de pouvoirs différents pour s’acquitter de ses fonctions et de ses responsabilités. Par exemple, les bureaux mandatés de transparence ou de médiation, généralement chargés de veiller à ce que les services publics respectent la loi, doivent jouer un rôle quasi judiciaire. Au Canada, au niveau fédéral, on peut penser au commissaire aux langues officielles et au commissaire à l’information. Ces fonctions sont toutefois très différentes des bureaux mandatés par la loi dans le domaine démocratique ou législatif, qui sont davantage impliqués dans le fonctionnement du pouvoir législatif ou du système politique dans son ensemble. Par exemple, au niveau fédéral, le directeur général des élections et le commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique correspondent mieux à cette classification.

En dépit des variations ou de leur développement improvisé, les bureaux mandatés par la loi remplissent la fonction principale de responsabilisation du comité directeur et de sa bureaucratie. Ce contrôle vise également à protéger les droits individuels en garantissant que les services publics sont fournis dans le respect de la loi. Pour s’acquitter de leur devoir de contrôle, les fonctionnaires nommés doivent également se comporter de manière non partisane, objective et indépendante4. Par conséquent, les bureaux mandatés par la loi — indépendamment de leur mandat ou de l’étendue de leurs pouvoirs légaux — partagent des caractéristiques structurelles uniques qui les distinguent et qui garantissent leur indépendance, à savoir :

La création de bureaux mandatés par la loi est codifiée par le biais d’un processus parlementaire, plutôt que par un arrêté ministériel ou un décret du Cabinet. Cette loi-cadre définit les spécificités de leurs mandats, ainsi que leur nomination, leur durée, leur révocation et leur suspension.

La nomination et la révocation des titulaires d’une charge créée par une loi nécessitent une résolution parlementaire, quelle que soit la définition de la majorité parlementaire dans la loi.

Les titulaires d’une charge créée par une loi exercent leurs fonctions pour une durée déterminée, définie par la législation. Cette durée fixe garantit la continuité et les protège contre les changements inattendus.

En tant qu’organes parlementaires, les bureaux mandatés par la loi sont directement responsables devant le corps législatif et sont tenus de présenter un rapport annuel aux députés par l’intermédiaire du président.

Le processus de détermination des budgets et des effectifs est prévu par la loi et nécessite souvent un ordre du Cabinet. Cependant, les bureaux mandatés par la loi fonctionnent de manière indépendante, tant au niveau de la prise de décision que de la gestion de leur propre bureau.

À Terre-Neuve-et-Labrador, il existe sept bureaux mandatés par la loi, établis par une législation distincte et dirigés par le titulaire d’une charge créée par la loi : le Bureau du vérificateur général, le Bureau du directeur général des élections, le commissaire aux normes législatives, le Bureau du représentant des citoyens, le Bureau du défenseur des enfants et de la jeunesse, le Bureau du commissaire à l’information et à la protection de la vie privée, et le Bureau du défenseur des aînés. Le vérificateur général ne faisait pas partie de la révision et est généralement considéré comme distinct du reste des bureaux.

À l’instar d’autres juridictions, le Bureau du défenseur des enfants et de la jeunesse et le Bureau du défenseur des aînés jouent un rôle de défenseur, avec des pouvoirs d’enquête plus ou moins étendus. Le Bureau du représentant des citoyens, quant à lui, joue le rôle de médiateur, tandis que le commissaire à l’information et à la protection de la vie privée joue un rôle quasi judiciaire. Un aspect unique des bureaux mandatés par la loi à Terre-Neuve-et-Labrador est que le directeur général des élections et le commissaire aux normes législatives ont partagé le même fonctionnaire désigné pendant la majeure partie de la période écoulée depuis que le commissaire aux normes législatives a été nommé pour la première fois en 1993. Ils sont néanmoins considérés comme des bureaux distincts et sont actuellement occupés par deux fonctionnaires distincts à titre intérimaire.

Le chaos des rapports : les événements qui ont conduit à la révision

Les questions abordées par la révision des bureaux mandatés par la loi sont mieux comprises dans le contexte qui a conduit à la révision elle-même. En effet, les événements qui ont précédé l’examen soulignent le manque de définition des rôles et l’absence de mécanismes de contrôle appropriés.

En 2018, le renvoi du ministre des Affaires municipales et de l’Environnement de l’époque, Eddie Joyce, du Cabinet et du caucus libéral à la suite d’une plainte déposée auprès du commissaire aux normes législatives, Bruce Chaulk, a marqué le début de ce qui allait être une longue saga dans un véritable déluge de rapports. La plainte alléguait un comportement inapproprié, ce qui a donné lieu à une enquête sur les actions d’Eddie Joyce, qui a abouti au « rapport Joyce du 18 octobre » et au « rapport Joyce du 19 octobre ». Bien que les allégations de harcèlement et d’intimidation aient été rejetées, M. Joyce a été reconnu coupable d’avoir enfreint le code de conduite en influençant indûment le processus d’embauche d’un ami au sein du gouvernement5. Cela a incité M. Chaulk à recommander qu’Eddie Joyce soit réprimandé. La suspension a été proposée dans un amendement au cours du débat, mais elle n’a pas été adoptée. Un autre amendement, selon lequel M. Joyce devait suivre une formation concernant le respect en milieu de travail, a été adopté. Il a donc été réprimandé par la chambre d’assemblée, s’est excusé et a suivi une formation sur le respect en respect en milieu de travail, comme exigé. M. Joyce a été réélu en tant que membre indépendant lors de l’élection suivante de 2019.

En 2020, près de deux ans après le dépôt de la plainte initiale, M. Joyce a intenté une poursuite en diffamation contre plusieurs personnes, dont l’ancien premier ministre Dwight Ball, le président de la Chambre, et M. Chaulk, en tant que commissaire, pour la gestion de l’enquête. Parallèlement à cette action en justice, M. Chaulk a déposé le « rapport Joyce du 3 novembre », recommandant la suspension de M. Joyce pour non-respect persistant de l’obligation de divulgation de ses documents financiers. Le rapport déposé a été perçu par les médias comme trouvant son origine dans l’escalade du conflit entre M. Joyce et M. Chaulk. Le commissaire a affirmé que M. Joyce avait tenté de conditionner la divulgation de ses dossiers à la réponse du commissaire aux questions sur les rapports de 2018 et à l’enquête, tandis que M. Joyce a invoqué sa méfiance à l’égard de M. Chaulk pour justifier son refus6. Le rapport Joyce de 2020 n’a pas été traité avant la dissolution pour l’élection de 2021. En 2022, à la suite du dépôt du « rapport Joyce du 12 avril », qui était en substance le même que le rapport de 2020, le Président a nommé M. Gail Hamilton en tant que médiateur. Le 18 mai 2022, M. Hamilton fait savoir que M. Joyce avait rempli ses obligations légales de faire rapport en vertu de la House of Assembly Act dans le délai stipulé par une motion adoptée par l’Assemblée au début de ce mois.

Il convient de rappeler que, comme nous l’avons mentionné précédemment, une caractéristique unique des bureaux mandatés par la loi à Terre-Neuve-et-Labrador est que le directeur général des élections (DGE) et le commissaire aux normes législatives partagent le même fonctionnaire désigné. Par conséquent, alors que le procès de M. Joyce contre le commissaire aux normes législatives se poursuivait, M. Chaulk, en tant que directeur général des élections, était responsable de la gestion des élections provinciales de 2021.

S’il n’est pas question dans cet article (pas plus que dans l’étude ou son rapport) d’évaluer la gestion de l’élection elle-même, il est essentiel, dans le contexte de ce qui a suivi, de noter que l’élection a été entachée de scandales. Déclenchées de manière inattendue au milieu de la pandémie de COVID-19, les élections de 2021 ont été les plus longues et les plus coûteuses de l’histoire de la province, les problèmes liés aux bulletins de vote par correspondance ayant entraîné un taux de participation historiquement bas. Selon le PDG, un candidat de la circonscription de Humber Bay of Islands, où M. Joyce se présentait, aurait tenté d’intercepter des ensembles de bulletins de vote spéciaux. L’allégation n’est toutefois pas allée plus loin et CBC News a été informée par la suite qu’elle devrait déposer une demande d’accès à l’information pour obtenir de plus amples détails7.

Cette élection controversée a donné lieu à une motion de l’opposition visant à enquêter sur les procédures électorales de 2021 et à proposer la suspension de M. Chaulk de son poste de directeur général. La motion a toutefois été rejetée par 21 voix contre 17.

Les élections de 2021 allaient néanmoins refaire surface lorsqu’un rapport de dénonciation fut déposé auprès d’un autre bureau mandaté par la loi, le représentant des citoyens, M. Bradley Moss, faisant alors état d’allégations de mauvaise conduite au sein d’Élections Terre-neuve et Labrador. Ces allégations, formulées à l’encontre du PDG Bruce Chaulk, portaient sur des questions d’intimidation, de harcèlement, de mauvaise gestion flagrante et de népotisme. Parmi les 39 allégations, 10 furent corroborées et présentées dans le rapport final du représentant des citoyens8.

L’enquête sur les élections de 2021 qui s’en est suivie a donné lieu à une deuxième saga et des rapports supplémentaires. Après que M. Moss a soumis le rapport final au Président, comme l’exige la législation, une certaine confusion s’est installée quant à la procédure à suivre pour les rapports dans lesquels un bureau mandaté par la loi avait enquêté sur un autre. Contournant entièrement le pouvoir législatif et restant souvent silencieux sur son existence, le rapport a été transféré du Bureau du Président au Cabinet, puis à la Commission de gestion de la Chambre d’assemblée. Il a été décidé que le rapport serait soumis à l’examen d’un tiers, le juge à la retraite Derek Green. Entre-temps, M. Chaulk a été suspendu de ses fonctions de directeur général des élections et de commissaire aux normes législatives9.

L’évaluation par le juge Green de l’enquête du représentant des citoyens sur M. Chaulk et sur les élections de 2021 a révélé que sept des dix allégations formulées à l’encontre de M. Chaulk justifiaient des mesures supplémentaires et que les trois allégations de planification préélectorale et de népotisme pouvaient justifier une révocation. Cependant, M. Green a également jugé l’enquête du représentant des citoyens « peu fiable » et « injuste sur le plan de la procédure »10. Non seulement M. Chaulk n’a pas eu l’occasion de poser des questions ou de contester les preuves, mais le représentant des citoyens a refusé de communiquer à M. Green l’identité des principaux plaignants mentionnés dans le rapport, bien que l’anonymat lui ait été garanti.

À la suite de l’examen de M. Green, M. Chaulk a été rétabli dans ses fonctions de directeur général des élections, mais sa suspension en tant que commissaire aux normes législatives s’est poursuivie. Le 12 décembre 2022, dix jours seulement avant que le juge ne rejette les poursuites engagées contre lui par le député à la Chambre d’assemblée, Eddie Joyce, et n’accorde les dépens à M. Chaulk, le gouvernement provincial a annoncé que M. Chaulk ne renouvellerait pas son mandat de PDG et de commissaire aux normes législatives, bien qu’il soit éligible à un second mandat11.

En gardant à l’esprit ces événements sans précédent, c’est seulement maintenant que nous pouvons revenir sur l’événement qui a immédiatement précédé l’examen des bureaux mandatés par la loi. Le 8 novembre 2022, la commissaire aux normes législatives par intérim récemment nommée, Ann Chafe, a déposé un rapport final alléguant que le représentant des citoyens, Bradley Moss, avait commis des fautes de gestion graves au cours de son enquête contre M. Chaulk, en divulguant intentionnellement des informations confidentielles et en suivant les procédures d’autres juridictions. Elle a également recommandé à Moss de présenter des excuses écrites à M. Chaulk, au président et au greffier de la Chambre d’assemblée, pour avoir fourni à des dénonciateurs des informations qui ont porté atteinte à leur réputation et leur ont causé du stress. Le représentant des citoyens a non seulement nié toutes les allégations, mais il a également refusé de s’excuser, arguant que cela porterait atteinte à son indépendance en tant que titulaire d’une charge créée par la loi12.

L’examen des bureaux mandatés par la loi et les recommandations

La nature incontestablement chaotique de ces événements s’est reflétée dans le cadre global du mandat de l’examen. En essayant de comprendre ce qui aurait pu empêcher ces problèmes ou ce qui aurait pu améliorer la situation, le mandat du ministre pour l’examen a pris une tournure globale. Les domaines concernés sont le recrutement et les compétences, la nomination, la titularisation, le renouvellement de la nomination, la rémunération, l’établissement de rapports, la gestion des conflits, la supervision administrative et l’éventuelle fusion des fonctions et des ressources. La structure générale de l’examen suggérait qu’en trouvant des solutions, il serait possible également d’identifier les problèmes qui ont causé le chaos en premier lieu. Une « meilleure » procédure de nomination aurait-elle permis d’éviter des situations de mauvaise gestion ou des problèmes de procédure? Est-il possible de gérer et de prévenir les conflits entre les organes statutaires? Et ce déluge de rapports, qui a causé tant de confusion, était-il nécessaire?

La révision structurelle, confiée au juge Robert Fowler, aujourd’hui à la retraite, a tiré précisément au cœur de notre première discussion : les bureaux mandatés par la loi sont établis, peut-être trop souvent, sans définitions suffisantes de leur rôle et avec un manque important de mécanismes de contrôle. Ces problèmes, qui s’enracinent dans des lois d’habilitation ambiguës, ne conduisent pas seulement à des épisodes chaotiques comme celui décrit précédemment, mais ils peuvent aussi affaiblir l’indépendance des bureaux mandatés par la loi, compliquer leur capacité à aider le législateur et nuire à la confiance du public. Mais surtout, les lacunes législatives liées aux bureaux mandatés par la loi menacent le fonctionnement du corps législatif lui-même et peut-être même le système politique, si l’on considère les tâches délicates des bureaux mandatés, tels que ceux du directeur général des élections et du commissaire aux normes législatives. À bien des égards, la révision 2023 des bureaux mandatés par la loi a constitué la première tentative de comprendre le rôle global de ces bureaux au sein du pouvoir législatif et de déterminer si les mécanismes existants garantissaient l’indépendance des bureaux mandatés par rapport au comité directeur. Ce type d’examen n’est toutefois pas propre à Terre-Neuve-et-Labrador; selon une analyse juridictionnelle préparée par la bibliothèque législative provinciale, des examens similaires ont été effectués au Nouveau-Brunswick et dans les Territoires du Nord-Ouest.

L’examen n’étant pas une mission de recherche de fautes, il n’y aurait guère de raison d’émettre des hypothèses sur la manière dont les recommandations de l’examen permettraient de remédier aux problèmes ayant motivé cet examen. Au contraire, dans ses 57 recommandations, l’examen a tenté d’aborder principalement les multiples domaines touchés par le mandat en essayant de mieux définir les rôles des bureaux mandatés par la loi et en proposant des mécanismes de responsabilisation. Ce faisant, l’examen n’a toutefois pas prescrit ce que ces rôles devraient être ni les mandats spécifiques de chaque bureau, à quelques exceptions près. Elle s’est plutôt attachée à définir le rôle des bureaux mandatés par la loi par rapport au pouvoir législatif et aux membres de la Chambre d’assemblée, par le biais d’une commission permanente, qui pourrait garantir leur indépendance tout en soulignant leur rôle de subordination par rapport au pouvoir législatif.

Les titulaires d’une charge, conformément à leur loi-cadre, sont sans équivoque responsables devant le corps législatif, qui est chargé de veiller à ce que ces fonctions soient exercées de manière appropriée. La création d’un comité permanent vise également à éviter toute confusion autour des rapports, notamment en ce qui concerne leur destination et leur traitement. En effet, l’intention de la révision n’était pas d’indiquer au législateur ce qu’il devait faire dans toutes les circonstances possibles, mais plutôt de lui fournir un cadre flexible sur lequel il pourrait s’appuyer pour traiter les questions qui se posent.

Le « Comité permanent des bureaux mandatés par la loi » proposé, dont la composition reflète celle de la Commission de gestion de la chambre d’assemblée, impliquerait un nouveau cadre pour la supervision et la gestion des bureaux mandatés. Tout d’abord, la commission permanente serait habilitée à publier des annonces pour les postes de titulaires de charges créées par une loi et à contrôler le processus de recrutement, d’évaluation et de recommandation des candidats à l’Assemblée. Le processus de recrutement impliquerait des consultations avec diverses entités concernées afin de mettre en place un processus de sélection inclusif et éclairé. Cette proposition représente un changement important dans le processus de nomination. Au moment de la rédaction du présent document, les titulaires d’une charge créée par une loi sont nommés par un vote à majorité simple à la Chambre d’assemblée, après que le gouvernement, avec l’approbation du cabinet, a présenté une proposition de résolution à la Chambre, afin d’approuver le candidat qu’il privilégie. Le candidat est préalablement sélectionné par le Cabinet, à partir d’une liste de candidats potentiels préparée par la Commission indépendante sur les nominations nommée par le Cabinet. Il convient de noter que la liste préparée par la Commission indépendante sur les nominations n’est pas contraignante.

Le comité serait également habilité à élaborer des plans d’urgence en collaboration avec les titulaires d’une charge existants pour les situations de démission, d’incapacité, de maladie ou de révocation. En particulier, le comité aurait la possibilité de suspendre temporairement un titulaire dans des conditions spécifiques, notamment en cas d’incapacité ou d’allégations de manquement à la déontologie. Ainsi, les plaintes relatives au comportement ou à la capacité des titulaires d’une charge sont transmises au greffier de la Chambre d’assemblée pour évaluation, et la commission en est informée afin de prendre les mesures appropriées, qui peuvent consister en un licenciement, un avertissement ou une audition en vue d’une éventuelle révocation. Pour gérer les conflits, le comité permanent peut également désigner un arbitre indépendant.

Enfin, la commission permanente serait chargée de procéder à l’évaluation des performances avant le renouvellement d’un mandat, en garantissant la confidentialité et en veillant à ce que les évaluations soient terminées avant la prochaine séance du Parlement. Ce processus pourrait impliquer l’engagement de services externes pour garantir des évaluations impartiales. De même, la commission assumerait le rôle principal dans le traitement, la réception et l’examen des rapports déposés par les bureaux mandatés par la loi. Par conséquent, le mandat du comité permanent impliquerait l’examen et l’évaluation de ces rapports, en veillant à ce qu’ils soient conformes aux normes prescrites, aux pratiques éthiques et aux responsabilités légales. En outre, la commission serait habilitée à convoquer des réunions ou des auditions au cours desquelles les rapports pourraient être présentés, ce qui permettrait aux titulaires d’une charge créée par une loi de clarifier et de contextualiser leurs conclusions ou leurs préoccupations, et de veiller à ce que les questions pertinentes soient portées à l’attention de la Chambre d’assemblée.

L’examen a également permis de formuler des recommandations supplémentaires, dont beaucoup sont axées sur les mandats spécifiques de chaque bureau, dans le but de mieux définir l’étendue de leurs mandats. Il est important de noter que l’étude recommande également de séparer les rôles du directeur général des élections et du commissaire aux normes législatives, car leurs responsabilités combinées pourraient conduire à des conflits d’intérêts. La recommandation comprenait l’élargissement du rôle du commissaire aux normes législatives pour traiter les plaintes de dénonciation et de harcèlement dans les organes législatifs et exécutifs, dans un rôle plus proche de celui du commissaire fédéral à l’éthique et à l’intégrité.

Conclusion

Les titulaires d’une charge créée par une loi sont indispensables au système parlementaire canadien. Ils occupent des postes critiques qui garantissent le bon fonctionnement du pouvoir législatif et protègent les droits individuels. Malgré leur importance, ces agents opèrent souvent dans le cadre d’une législation d’habilitation ambiguë, sans rôles clairement définis ni structures solides de responsabilité et de contrôle. Les risques posés par ces insuffisances ont été mis en évidence de manière flagrante lors des événements tumultueux qui ont marqué la vie politique à Terre-Neuve et au Labrador. Les titulaires d’une charge créée par une loi s’efforcent de s’acquitter de leurs responsabilités, entravés par l’impossibilité de présenter leurs conclusions directement à la Chambre d’assemblée. En outre, la confusion entourant les rapports souligne la nature précaire de leur indépendance, tandis que les conflits entre les bureaux mandatés par la loi et les députés ont conduit à une escalade de conflits d’intérêts.

Dans ce contexte difficile, l’examen des bureaux mandatés par la loi a cherché à formuler des recommandations visant à recentrer le rôle des titulaires d’une charge créée par la loi au sein du corps législatif en proposant la création d’une commission permanente. Ce nouvel organe parlementaire est également envisagé comme un moyen de garantir la responsabilité et le contrôle.

Bien que l’on ne puisse et ne doive pas présumer de l’efficacité de ces recommandations ni de leur mise en œuvre, la révision des bureaux mandatés par la loi espérait atteindre un objectif plus noble : réaffirmer le rôle des titulaires d’une charge créée par une loi dans la promotion de la bonne gouvernance. Cet objectif nécessite très certainement le développement de structures législatives plus complètes qui soutiennent et supervisent ces bureaux de manière appropriée.

Notes

1 Paul G. Thomas, « Le passé, le présent et l’avenir des fonctionnaires du Parlement », Administration publique du Canada, 2003, vol. 46, no 3, p. 288.

2 Ibid.

3 Jeffrey Bell, « Les agents du Parlement : Un nouveau pouvoir? », Revue parlementaire canadienne, 2006, printemps, p. 15.

4 Jack Stilborn, « The Officers of Parliament : More Watchdogs, More Teeth, Better Governance? », dans How Ottawa Spends, 2010-2011 : Recession, Realignment, and the New Deficit Era, Bruce Doern et Christopher Stoney (éds.), 2010, presses universitaires McGill-Queen’s, p. 243-260.

5 Stephanie Tobin, « Eddie Joyce crossed line by lobbying to get friend a government job, report finds », CBC News (en ligne), 23 octobre ٢٠١٨.

6 CBC News, « MHA Eddie Joyce should be suspended for withholding financial records : commissioner », CBC News (en ligne), 3 novembre ٢٠٢٠.

7 Darrell Roberts, « Calls growing to make secret Elections N. L. report public, as government stays silent », CBC News (en ligne), 19 mai ٢٠٢٢; Patrick Butler, « Elections N. L. says candidate attempted to « intercept » ballots at post office », CBC News (en ligne), 8 février ٢٠٢٢.

8 Darrell Roberts, « Bruce Chaulk back in as chief electoral officer — but review says further actions still possible », CBC News (en ligne), 21 octobre ٢٠٢٢.

9 CBC News, « Bruce Chaulk suspended as chief electoral officer; investigation underway into Elections N. L. », CBC News (en ligne), 28 juin ٢٠٢٢.

10 Darrell Roberts, « Bruce Chaulk back in as chief electoral officer — but review says further actions still possible », CBC News (en ligne), 21 octobre ٢٠٢٢.

11 Mike Moore, « Bruce Chaulk won’t return as N. L. » s chief electoral officer », CBC News (en ligne), 12 décembre ٢٠٢٢.

12 VOCM News, « No Apologies From Citizens’ Rep Following Legislative Standards Commissioner Report », VOCM News (en ligne), 17 novembre ٢٠٢٢.

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