Faire le saut d’un conseil municipal à l’Assemblée législative provinciale, expérience en poche

Article 2 / 11 , 46 No. 2 (Été)

Faire le saut d’un conseil municipal à l’Assemblée législative provinciale, expérience en poche

Il convient de noter qu’il n’est pas rare que des élus municipaux décident de se présenter à des élections provinciales. Même si chaque personne qui désire se porter candidate a ses propres raisons de vouloir faire le saut, l’expérience acquise au sein de conseils municipaux ou de conseils scolaires donne souvent envie d’occuper des postes plus importants. Dans cet article, l’auteure se sert de segments d’entrevues menées auprès de députés provinciaux qui ont déjà occupé un poste d’élu municipal afin d’analyser les raisons qui ont poussé ceux-ci à passer à la politique provinciale, ainsi que la pertinence de leur expérience à l’échelle municipale pour la préparation à leur nouveau poste et les différences qu’ils ont relevées entre les deux ordres de gouvernement. * Cet article est une version révisée d’un document de recherche du Programme de stages de l’Assemblée législative de l’Ontario (OLIP) publié en 2017.

Rachel Nauta

Lorsque la 43e législature de l’Assemblée législative de l’Ontario a commencé, l’été dernier, 36 députés nouvellement élus y ont siégé pour la première fois. Cependant, près de la moitié d’entre eux n’en étaient pas à leur premier rodéo dans une Chambre : 16 avaient déjà siégé à un conseil municipal ou à un conseil scolaire de près ou de loin.

Des partis politiques de toutes allégeances ont réussi à convaincre des élus municipaux de porter leurs couleurs. L’Assemblée législative est souvent composée de députés ayant déjà une expérience à un certain niveau en tant qu’élus politiques au sein de différentes administrations. D’anciens commissaires de conseil scolaire, conseillers municipaux, maires et même députés fédéraux1 saisissent des occasions de poursuivre leur carrière politique à Queen’s Park.

Au-delà de la notoriété associée à leur nom après leurs victoires électorales précédentes, l’expérience acquise dans d’autres ordres de gouvernement peut donner aux députés provinciaux un avantage sur les autres députés nouvellement élus, car ils connaissent déjà certains aspects du travail et les besoins de leur communauté.

Dans le présent article, inspirée en partie d’un document universitaire rédigé pour l’OLIP en 2017, et d’entrevues récemment menées auprès de trois députés provinciaux actuels (Andrew Dowie, Mary Margaret McMahon et Charmaine Williams) qui ont aussi une expérience municipale, l’auteure analyse les raisons qui ont poussé ceux-ci à passer à la politique provinciale, la pertinence de leur expérience à l’échelle municipale pour la préparation à leur nouveau poste,2 ainsi que les différences qu’ils ont relevées entre les deux ordres de gouvernement.

Analyse de la carrière des politiciens

L’éducation politique et la conviction de pouvoir réussir peuvent être des sources de motivation pour quelqu’un à se présenter aux élections3. Le choix de l’ordre de gouvernement auquel une personne se porte candidat dépend souvent de ses intérêts. Un député peut exercer ses fonctions dans plus d’une administration au cours de son cheminement politique.

Cependant, contrairement au parcours fréquemment suivi aux États-Unis, où l’exercice d’un mandat municipal ou étatique est considéré comme un premier pas avant le saut en politique fédérale, Doreen Barrie et Roger Gibbins ont constaté que : « les personnes qui ont des ambitions politiques au Canada ne voient pas les différents ordres comme une structure hiérarchique nationale… La structure des carrières politiques au Canada n’est pas intégrée, elle a deux voies. La carrière provinciale est une autre possibilité plutôt qu’une condition préalable à une carrière nationale4 » [traduction]. De même, les recherches de David Docherty sur les carrières politiques et les parcours qui mènent les personnes à atteindre la politique fédérale ont permis de démontrer que, même si les élus municipaux ont un intérêt à gravir les ordres de gouvernement, il manque la présence d’une hiérarchie naturelle à suivre pour concrétiser plus facilement cette ambition5.

Dans leur réflexion sur les différences entre les carrières politiques canadiennes et américaines, Mme Barrie et M. Gibbins amènent leurs lecteurs à se questionner : « Au Canada, peu de politiciens provinciaux font le saut en politique fédérale. Est-ce une question de choix et de préférence personnelle ou d’obstacles institutionnels et structurels à la mobilité de carrière relevés dans l’État fédéral canadien, mais pas dans les autres États fédéraux?6 » [traduction]

La majorité des documents qui existent sur le passage d’un ordre de gouvernement à un autre portent sur la transition de différentes administrations inférieures à la politique fédérale. Cependant, les recherches sur les élus qui passent de la politique municipale à la politique provinciale (et qui reviennent à la première) sont encore relativement rares.

Le chevauchement des compétences et les relations provinciales-municipales

Les gouvernements provinciaux et les administrations municipales se partagent de nombreuses responsabilités. Les deux ordres ont intérêt à assurer le bien-être des citoyens, tant social que physique, ce qui se traduit par des tâches de gouvernance interconnectées7. De plus, comme le gouvernement provincial finance en grande partie les municipalités, élabore des règles leur permettant de générer leurs propres fonds et crée les politiques régissant les opérations municipales, le fonctionnement d’un gouvernement provincial peut avoir une incidence importante sur l’administration municipale et vice versa.

Nous entendons souvent dire que les municipalités dépendent uniquement des provinces. Dans l’étude de 2017, une personne élue a expliqué : « Les municipalités ne peuvent rien faire à moins d’en avoir l’autorisation par une mesure législative de la province. Ce que les administrations municipales peuvent ou ne peuvent pas faire est très prescriptif; [le gouvernement de la province] établit les règles, les processus, les modèles de financement, etc. » [traduction] La distinction entre les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral semble plus nette parce qu’ils exercent des responsabilités et des pouvoirs définis par la Constitution. En vertu de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, 1867, les municipalités existent sous la discrétion et l’autorisation des organes provinciaux et n’ont pas de statut constitutionnel ou juridique en dehors des lois de la province8.

Malgré leur statut juridique de subordonnées, les administrations municipales sont responsables de nombreux services qui touchent la vie quotidienne des habitants (transport en commun, collecte des ordures, signalisation routière, contrôle de la circulation, parcs locaux et activités récréatives). « La politique la plus proche des citoyens est la politique municipale, car vous ne représentez qu’eux, a déclaré un député. « La sphère des préoccupations des élus municipaux est beaucoup plus partisane » [traduction].

Les administrations municipales sont notamment souvent les mieux placées pour superviser et offrir des services en raison de leur connaissance de la communauté locale et de ses besoins particuliers. La capacité des dirigeants d’une municipalité d’atteindre les résidants leur confère également un avantage pour faciliter la démocratie populaire9. Cette posture privilégiée a été soulignée par une personne élue qui a déclaré : « Si vous voulez travailler pour l’ordre du gouvernement le plus concret et le plus proche des citoyens, commencez par le gouvernement municipal, la politique dans sa forme la plus pure » [traduction].

Un autre député a fait remarquer :

« En politique municipale, votre opinion a un poids sur des centaines de petites et de grandes décisions qui ont une incidence sur la collectivité. À Queen’s Park, votre opinion a un poids sur des questions politiques plus générales et sur le budget provincial dans son ensemble. Certaines questions sont les mêmes, mais la relation directe avec les membres de la collectivité n’est pas aussi forte. En politique municipale, les élus peuvent se heurter à un mur si des questions municipales nécessitent de modifier des mesures législatives provinciales. En politique provinciale, je peux maintenant plaider en faveur de ces modifications afin que celles-ci permettent aux administrations municipales d’avoir un plus grand contrôle sur leur planification et le reste. » [traduction]

En outre, lorsque les élus municipaux sont confrontés à une question d’importance locale sur laquelle ils n’ont aucun contrôle, certains citoyens s’attendent tout de même à ce que leurs représentants locaux « fassent quelque chose ». Selon un député provincial, dans ces cas-là, même les élus municipaux ne peuvent pas faire grand-chose d’autre que de parler fort pour essayer de se faire entendre. Comme les gouvernements sont inondés de demandes de toutes les régions de la province (en appui ou en opposition à des politiques ou à des plans provinciaux), cela ne donne pas toujours de résultats concrets. Le député en question a donc décidé de profiter de l’occasion pour faire le saut et se présenter aux élections provinciales.

Au service de la collectivité et des électeurs

Lors d’une entrevue, une députée provinciale a raconté une anecdote sur son travail en politique municipale :

« J’ai récemment sorti un vieil imperméable et trouvé dans une poche la carte professionnelle que j’utilisais pendant mon mandat au conseil régional. Dessus, il y avait mon numéro de téléphone personnel. À cette époque, lorsque les citoyens m’appelaient, j’étais probablement plantée dans ma cuisine. Ma maison était mon bureau d’affaires. [Depuis mon saut en politique provinciale], j’apprécie mon bureau communautaire. Les gens peuvent venir me rencontrer. C’est hautement prioritaire. La vie politique peut facilement empiéter sur la vie personnelle. Certaines personnes diront que le travail accompli ici, à Queen’s Park, est beaucoup plus important que celui accompli dans la communauté, mais c’est le contraire. Je suis ici parce que les gens de la région m’ont élu. Ils sont ma plus grande priorité, ma plus grande responsabilité et ma loyauté. Il est très facile de l’oublier. » [traduction]

Les gens disent souvent que travailler à Queen’s Park est comme travailler dans une bulle, et que le travail accompli au quotidien dans le « palais rose » et ses environs n’a d’importance que pour ceux qui l’accomplissent. Comme le temps des députés est réparti entre Queen’s Park et leur circonscription, leur travail peut parfois sembler très passif aux yeux des membres de la collectivité locale. Beaucoup des députés provinciaux interrogés étaient conscients de cette perception. Une des personnes interrogées a fait remarquer que la politique municipale est beaucoup plus concrète (réparer un parc, construire une route, etc.) et une autre a expliqué que : « les projets ne sont pas tous tangibles en politique provinciale. Il vaut mieux mettre en place de bonnes politiques qui touchent l’ensemble de la population. Les éléments tangibles peuvent être importants, mais il est tout aussi important d’examiner les politiques que les gouvernements mettent en place. » [traduction] Bien entendu, la question de savoir si les électeurs sont conscients du travail d’élaboration des politiques, surtout si celles-ci n’ont pas d’incidence immédiate et perceptible sur leur vie, reste sans réponse.

Un troisième député provincial a souligné une différence majeure entre les types de travail effectués à chaque niveau :

« En politique municipale, nous pouvons provoquer des changements immédiatement. Les élus municipaux sont les plus accessibles aux électeurs parce qu’ils sont sur place… En politique provinciale, nous ne pouvons pas tout faire pour tout le monde, mais nous devons adopter une perspective communautaire pour améliorer la vie de ceux qui nous entourent et avoir la plus grande incidence possible. » [traduction]

Pour certains députés, les politiques adoptées à l’échelle municipale pourraient et devraient être adoptées dans toute la province. C’est un objectif qu’ils peuvent se fixer en tant que députés. Comme une des personnes interrogées l’a expliqué :

« L’une des raisons pour lesquelles j’ai présenté ma candidature aux élections provinciales est ma conviction que, lorsque nous cherchons une solution à un problème, il est plus logique et plus utile de partir d’un cas pour ensuite s’attaquer à une cause. Alors, dès mon arrivée ici, j’ai voulu changer la donne et élaborer des mesures législatives qui s’appliqueraient à l’ensemble de la province. Par cette méthode, au lieu d’aider une personne, je peux en aider des millions. C’est logique. » [traduction]

La définition du terme « local » prend un autre sens pour la plupart des élus qui accèdent à la politique provinciale. À l’exception de certains députés de la région du Grand Toronto dont les circonscriptions électorales peuvent se chevaucher en grande partie ou entièrement avec leurs quartiers municipaux, un conseiller municipal élu au gouvernement provincial représentera une circonscription qui peut englober toute son ancienne municipalité ou même différentes municipalités.

Au fil des interventions des députés dans des dossiers politiques et de leurs rencontres avec des acteurs des quatre coins de la province, leur définition du terme « local » peut changer encore. La définition pourrait finir par englober toute une région de la province ou même toute la province. La mondialisation amène une optique internationale, et les politiciens se rendent de plus en plus compte que les enjeux communautaires peuvent avoir une dynamique nationale ou mondiale.

Parlant de son rôle politique et du travail effectué dans son bureau de circonscription, une personne élue a affirmé « essayer de ne pas s’arrêter aux compétences qui relèvent de la responsabilité municipale et celles qui relèvent de la compétence fédérale. Lorsqu’un électeur s’adresse à nous, nous essayons de faire tout ce que nous pouvons pour l’aider. En toute honnêteté, cet électeur est notre priorité. » [traduction]

Une autre personne affirme avoir senti que sa responsabilité envers la communauté avait changé de façon inattendue à son arrivée à Queen’s Park :

« Je trouve que mes décisions ont maintenant une plus grande incidence sur la vie des gens. En politique municipale, lorsque les citoyens ont un problème qui concerne le gouvernement, nous ne pouvons rien faire pour le régler. Actuellement, en politique provinciale, nous nous arrêtons à cela : aider les gens à se frayer un chemin dans la bureaucratie gouvernementale. Je trouve qu’il est plus facile de servir les citoyens en tant que politicien provincial. Nous pouvons réellement faire quelque chose. Nous pouvons faire un suivi de la décision qui a été prise et qui a causé le problème et voir si elle peut plutôt être modifiée. En politique municipale, les demandes simples sont réglées de façon assez directe. Par exemple, si un citoyen se plaint d’un nid-de-poule, nous n’avons qu’à appeler les travaux publics pour qu’ils le réparent. C’est tout. Le citoyen pourrait le faire lui-même. En politique provinciale, lorsque les gens ont besoin d’aide, c’est parce qu’ils n’ont pas accès à l’oreille qui devrait les écouter. » [traduction]

Un autre député provincial estime que la façon dont les conseillers municipaux interagissent avec les citoyens peut être un élément important et utile à transposer pour servir en politique provinciale.

« J’ai appris la politique au conseil municipal : si les ordures de quelqu’un n’ont pas été ramassées, il faut appeler les travaux publics pour qu’ils s’en occupent. Ce genre de problèmes peut sembler minime, mais ils sont si importants pour les gens sur le plan individuel. J’applique cette norme de service à la politique provinciale. » [traduction]

Un regard neuf

En révisant mon ancien document de recherche sur l’OLIP en vue de sa publication, j’ai décidé de m’adresser à quelques députés actuels qui sont récemment passés de la politique municipale à la politique provinciale, cette fois-ci avec la permission de les nommer. J’ai demandé aux députés Andrew Dowie, Mary Margaret McMahon et Charmaine Williams de réfléchir aux différences entre le rôle de conseiller et celui de député.

 Andrew Dowie : Les types d’interactions d’un conseiller et d’un député sont très différents. En tant que conseiller municipal, j’étais souvent invité à contribuer aux reportages locaux, mais les occasions d’informer sur un sujet d’actualité sont rares maintenant que je suis député.

Les conseillers municipaux sont souvent critiqués pour les décisions qu’ils prennent et font périodiquement l’objet de fausses allégations d’influence indue, mais il y a relativement peu de détracteurs en ligne qui les critiquent et les insultent sans relâche à chaque initiative. La plupart des commentaires que reçoivent quant à eux les députés sont vulgaires, insultants et ancrés dans des opinions partisanes. Quelle que soit l’initiative proposée, ces commentateurs auront toujours quelque chose à redire et ne prendront jamais le temps d’analyser la valeur d’une loi.

En tant que député, la complexité des cas que je traite est plus grande, tout comme leur volume. Le nombre de courriels que le personnel de mon bureau reçoit a également augmenté de manière exponentielle. Généralement, ces messages sont rédigés dans un ton dérisoire et négatif et ne visent pas nécessairement à influencer l’orientation du gouvernement, mais plutôt carrément à soulever des objections.

La planification de la semaine en soi demande un grand effort. Les contraintes de temps du député sont beaucoup plus importantes et se font beaucoup plus sentir sur la famille ainsi que sur sa présence à la maison.

Mary Margaret McMahon : Même s’il y a beaucoup de ressemblances entre le rôle de conseiller municipal et celui de député provincial, il y a aussi plusieurs différences frappantes! En politique municipale, la charge de travail couvre tous les secteurs possibles, des nids-de-poule aux punaises de lit. C’est l’administration municipale qui a le plus d’influence sur la vie quotidienne. En politique provinciale, nous nous concentrons sur des portefeuilles précis, comme l’éducation et la santé. Dans mon centre communautaire (aussi appelé « bureau de comté » ou « bureau de circonscription »), nous sommes heureux d’aider nos électeurs de toutes les manières possibles. D’après mon expérience à l’hôtel de ville, les élus municipaux peuvent souvent les aider à résoudre des problèmes d’ordre municipal et provincial! Nous sommes là pour les servir.

L’Assemblée législative est beaucoup plus formelle. Ce rôle s’accompagne d’un ensemble de règles et de règlements plus stricts à respecter. Je pense à plusieurs petites choses, comme l’interdiction d’apporter un chai latte ou des collations dans la Chambre ou la tradition consistant à s’incliner devant le Président à votre entrée.

À l’hôtel de ville, les élus peuvent présenter un nombre infini de motions et prendre régulièrement la parole dans les commissions et lors des réunions du conseil, simplement en ajoutant leur nom à une liste et en allumant leur microphone. Les cadres supérieurs de la ville sont souvent présents lors des débats ou des réunions des comités pour répondre aux questions et faire des présentations. Ce format diffère beaucoup de celui de l’Assemblée législative.

Charmaine Williams : Je dirais que la plus grande différence que j’ai remarquée entre mon poste de conseillère et celui de députée, c’est qu’en tant que députée (et, dans mon cas, en tant que ministre du Cabinet), les décisions que je prends ont une incidence sur un bassin de personnes beaucoup plus grand. Je me réveille tous les jours avec le poids de savoir que chaque décision que je prends se répercute sur les personnes d’une province entière. Ce poids n’est pas une mauvaise chose. C’est une motivation qui me rappelle l’incidence du travail que je fais.

Aider les membres de leur communauté a peut-être été la motivation qui a amené les élus à se présenter pour siéger à Queen’s Park, mais, une fois entrés en poste, ils souhaitent aider toutes les personnes qui en ont besoin. Les normes de service et la défense des citoyens ne sont pas les seuls atouts que les conseillers municipaux apportent en politique provinciale. La transition vers la politique provinciale est apparemment plus facile pour les députés ayant une expérience préalable dans le domaine municipal que ce qu’elle devrait être normalement, puisqu’ils ont déjà acquis les compétences nécessaires à l’accomplissement de certaines tâches.

L’utilité d’une expérience antérieure en politique

Les députés provinciaux sont issus de tous les horizons, mais quelques emplois, carrières ou professions sont généralement surreprésentés par rapport à leur proportion dans la population active de la province. Il n’est pas rare que d’anciens élus municipaux arrivent à se tailler une place à l’Assemblée législative. Cette expérience passée vous a-t-elle aidé à remporter vos élections et à être efficace dès votre arrivée à Queen’s Park?

Andrew Dowie : Siéger au conseil municipal de la Ville de Tecumseh a été déterminant pour mon élection, et l’expérience que j’ai acquise m’a ensuite aidé à gérer les nombreux dossiers qui arrivent à notre bureau.

Mon expérience antérieure en tant qu’élu m’a aidé à mener une campagne efficace, à cibler les partisans, les donateurs et les fournisseurs de ma campagne, ainsi qu’à comprendre la différence entre la version de la campagne présentée par les médias et les rédacteurs d’opinion et ma propre version, en prenant le pouls de mes concitoyens.

Au sein du conseil municipal, j’ai pu établir ma notoriété, et les membres de la collectivité ont appris à me connaître et ont vu quel type de conseiller municipal j’étais. Être au courant de mon expérience et de mes attentes sur le plan des services a permis à beaucoup de gens de voir au-delà des étiquettes partisanes. J’ai également pris conscience du pouvoir qui m’a été confié et de la responsabilité qui m’incombe de prendre des décisions ainsi que d’examiner tous les aspects d’une question avant de voter. 

Mary Margaret McMahon : Absolument, mon rôle de conseillère municipale à Toronto m’a préparée au rôle de députée provinciale de Beaches—East York. 

Mes huit années passées à la mairie de Toronto m’ont appris à jongler avec un horaire rempli de réunions, d’événements, de tâches officielles, de lectures obligatoires, de signatures obligatoires et de bien d’autres choses encore, le tout sur une vaste gamme de sujets.

J’aime les gens, et la possibilité d’assister à tant d’activités différentes a été incroyablement stimulante et instructive. C’est le meilleur moyen de connaître les citoyens et leurs intérêts. Le transfert de ces connaissances et de cette expérience à mon rôle de députée provinciale a été extrêmement utile, car je ne suis pas partie de zéro. Même si certaines choses ont changé, et si certains habitants ont déménagé, je possède toujours une connaissance institutionnelle de notre quartier de l’est et des questions à l’échelle locale.

En tant que conseillère, j’ai rencontré des centaines de personnes : des membres du personnel compétents, intelligents et créatifs, des entrepreneurs avisés et d’autres politiciens de différents ordres de gouvernement, ayant des opinions politiques différentes. La collaboration est essentielle à l’élaboration de bonnes solutions aux problèmes qui touchent la vie quotidienne des citoyens, et le fait de consulter les membres de tels réseaux et de communiquer avec eux a permis d’aboutir à des résultats positifs. En tant que députée provinciale, j’ai la chance de pouvoir continuer à faire appel à ces formidables groupes d’agents de changement!

Mon ancien poste de conseillère municipale a été bénéfique à bien d’autres égards pour mon poste actuel de députée provinciale, comme pour la prise de parole en public, le respect des protocoles, et au-delà. Je considère que j’ai eu beaucoup de chance de pouvoir m’appuyer sur cette base en politique.

Charmaine Williams : En 2018, je suis devenue la première femme noire de l’histoire à être élue au conseil municipal de Brampton. Aussi enthousiaste que j’aie été à l’idée d’entamer un chapitre aussi grandiose, je savais que ma réussite dépendrait de ma capacité d’écouter les préoccupations de mes électeurs avec authenticité et de contribuer à la mise en œuvre de politiques susceptibles d’entraîner la création de changements positifs dans leur propre vie.

Le fait de siéger au conseil m’a montré ce qu’est la gouvernance et tous les éléments mécaniques nécessaires pour faire adopter des politiques audacieuses. Cette expérience m’a également préparée à la critique du public, indissociable de la vie politique.

Ce travail représente un défi pour de nombreuses personnes, mais surtout pour une femme noire qui entre dans un espace dans lequel sa voix est rarement représentée. Mon passage au conseil municipal de Brampton a été non seulement un honneur, mais aussi le point de départ de ma carrière politique. Mon temps et mon expérience m’ont permis de comprendre ce qu’il faut accomplir pour véritablement faire changer les choses pour les gens qui en avaient le plus besoin. Aujourd’hui, en tant que députée, les mêmes enseignements et ces mêmes principes m’aident beaucoup.

Le rôle des partis politiques

Même si les enseignements et les principes de la fonction d’élu municipal peuvent être transposés à d’autres fonctions électives, nous sommes confrontés à une différence importante dans une Assemblée législative provinciale ou fédérale : la partisanerie.

Les politiciens municipaux de l’Ontario sont élus indépendamment des partis politiques, et il n’y a pas de système de partis en place (même s’il existe des réseaux informels dans lesquels les membres de l’organisme local d’un parti peuvent soutenir tacitement un candidat ou travailler bénévolement pour celui-ci). Ainsi, la demande de collaboration et de coopération pour prendre des décisions et adopter des règlements est souvent plus importante.

De nombreux députés ayant une expérience à l’échelle municipale ont déclaré que des membres de partis politiques de toutes les idéologiques politiques et de tous les ordres les avaient abordés pour qu’ils se présentent, en raison de leur expérience de la vie publique et de la notoriété de leur nom dans la collectivité locale.

Un élu qui a occupé de nombreuses fonctions au sein de sa municipalité locale, notamment celles de conseiller, d’adjoint au maire et de maire, a été approché par un parti provincial pour se présenter, non pas en raison de son ardent désir à faire le saut, mais de sa réussite. Même s’il n’avait pas envisagé de se présenter aux élections provinciales, d’autres ont reconnu le potentiel en lui.

Dans le cadre de mon étude en 2017, 91 pour cent des députés provinciaux interrogés participaient à la politique partisane avant de se présenter aux élections provinciales. Si certains d’entre eux ont changé d’orientation partisane au cours de leur carrière,
83 pour cent ont entretenu des relations de longue date avec leur parti politique actuel : ils en étaient membres, travaillaient au sein d’une association de circonscriptions, faisaient du bénévolat, travaillaient pour des députés ou encore participaient à des campagnes et à des courses à la direction.

Cependant, peu importe les idéologies potentielles associées aux candidats municipaux, les politiciens municipaux se présentent toujours comme indépendants. Dans les Chambres municipales, les politiques partisanes ne franchissent pas le seuil de la porte.

Comme l’a fait remarquer un ancien maire devenu député,

« même aujourd’hui, des années plus tard, je ne pourrais pas vous dire à quel parti adhéraient les dix conseillers avec lesquels j’ai travaillé. Je pourrais faire une supposition assez juste, mais je pourrais tout de même me tromper. Il y avait des membres des trois partis reconnus à l’époque à l’Assemblée autour de la table, mais nous n’étions pas du tout concernés. » [traduction]

Un autre maire se rappelle l’annonce de sa démission pour se présenter aux élections provinciales et des questions sur le choix du parti qui ont suivi.

« Lorsque j’ai annoncé que je me présentais comme député du Parti conservateur, les médias m’ont demandé pourquoi j’avais choisi ce parti alors qu’il était si bas dans les sondages, autour de 18 %, et qu’il était le troisième parti de la Chambre. S’ils ne savaient pas que j’étais conservateur après 14 ans de présence à la mairie, c’est que j’avais bien effectué mon travail. » [traduction]

De plus, même si les valeurs partisanes sont toujours présentes chez les députés, la transition de politicien indépendant à politicien partisan peut représenter un défi d’adaptation. Un député provincial a parlé de son entrée en politique provinciale et de son adaptation à la nature partisane de son emploi :

« Il est difficile de s’habituer à la discipline du parti. J’ai remarqué, de manière anecdotique, que les personnes élues pour la première fois ici ont plus de facilité à respecter la discipline du parti; elles ne connaissent rien d’autre. Quand vous avez passé du temps à voter en fonction de votre propre réputation, c’est plus difficile. Parfois, on peut ne pas être d’accord avec la ligne de parti, mais il faut y adhérer lorsque la campagne est annoncée, et accepter de soutenir le programme, sinon on ne devrait probablement pas se présenter. En général, quand nous présentons une politique, elle ne changera pas beaucoup. En politique municipale, les choses peuvent changer très vite. » [traduction]

Alors que les membres des partis politiques se présentent publiquement comme un front uni, les députés apprennent souvent que la salle du caucus ressemble davantage à la salle du conseil municipal de leur expérience habituelle. Une prise de décision réussie au sein des partis politiques passe par un dialogue entre tous les membres; « la seule façon d’y parvenir consiste à fournir aux députés des occasions de perfectionnement personnel, à les mettre en valeur aux yeux du public et à créer un sentiment de camaraderie10 ».

Pour trois députés, nouvellement élus en 2023, siéger à Queen’s Park signifie qu’ils ne sont plus des collègues au conseil, mais plutôt, techniquement, des adversaires partisans. Les députés Michael Ford (York-Sud—Weston), Kristyn Wong-Tam (Toronto-Centre) et
Mary Margaret McMahon (Beaches—East York) ont tous siégé au conseil municipal de Toronto de 2014 à 2018.

Aujourd’hui, le député Ford est ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration au sein du gouvernement progressiste-conservateur, la députée Wong-Tam est porte-parole du Nouveau Parti démocratique pour les questions 2SLGBTQ+ et le procureur général, et la députée McMahon fait partie du groupe libéral des députés indépendants.

Les trois avaient tous des opinions politiques différentes, et n’ont pas toujours été d’accord au conseil, mais ils ont fait parler d’eux après les élections lorsqu’ils se sont réunis autour d’un café. Dans une photo de la rencontre publiée sur Twitter, @MichaelFordTO a écrit : « Même si nous ne siégeons pas du même côté de la Chambre, nous serons toujours appelés à collaborer et, surtout, à travailler ensemble pour tous les Ontariens. » [traduction]

Parmi les députés ayant une expérience municipale que j’ai interrogés dans le cadre de mes recherches en 2017, la collaboration et la coopération étaient les caractéristiques de l’administration municipale que les anciens conseillers aimaient le plus. Comme l’a déclaré un député :

« Lorsque d’anciens politiciens municipaux comme nous sont membres d’un comité, ils essaient toujours d’arriver à un consensus, comme au conseil municipal. Notre système parlementaire de Westminster ne ressemble pas à un conseil municipal, il n’y a pas de consensus… Ceux qui arrivent de la politique municipale essaient d’obtenir des résultats. Ils veulent montrer à leurs électeurs qu’ils essaient de travailler avec les autres pour améliorer leur communauté. Ils adoptent la même approche en tant que politiciens provinciaux. J’essaie souvent de trouver un terrain d’entente lorsqu’il est question d’un problème dans ma circonscription. » [traduction]

Même si de nombreux politiciens qui ont déjà de l’expérience en politique occupent les bancs de Queen’s Park, l’Assemblée législative peut également être un lieu formateur pour les députés qui souhaitent accéder à d’autres paliers du gouvernement.

Destination ou étape en cours de route?

Pour revenir à la question posée par Mme Barrie et M. Gibbins, nous avons demandé aux députés s’ils envisageraient de passer à la politique fédérale ou de revenir à la politique municipale afin de vérifier s’il s’agissait d’un choix personnel ou s’il existait des obstacles à l’avancement professionnel. De manière surprenante, la plupart des députés ont répondu qu’ils aimeraient faire un retour en politique municipale, mais peu ont manifesté un réel intérêt pour ce qui est de se présenter au fédéral. De nombreuses réponses qui ne fermaient pas complètement la porte à une transition vers la politique fédérale viennent probablement du vieil adage selon lequel en politique, « il ne faut jamais dire jamais ».

La plupart des personnes interrogées considéraient qu’un poste au gouvernement fédéral entraînerait un trop grand éloignement de leur domicile et des gens dans leur communauté. Comparant son poste actuel et son ancien poste, un député provincial interrogé a laissé entendre que : « à mon nouveau poste, je tiens davantage compte de l’optique provinciale que d’une perspective locale… Au lieu de m’attarder à un collège ou à un hôpital en particulier, je dois penser à l’ensemble du cadre de l’Ontario. » [traduction] En ce qui concerne le gouvernement fédéral, un autre député provincial interrogé a ajouté : « C’est l’ordre de gouvernement le plus loin des municipalités. Quand on pense au gouvernement fédéral, on pense à la poste, à la défense et à certaines choses du genre. En dehors des demandes de passeports et de quelques problèmes liés à l’ARC, les affaires du quotidien ne relèvent pas de la politique fédérale. » [traduction]

Un autre député provincial interrogé a fait écho à ces sentiments :

« À l’échelle provinciale, le portrait est plus global : les soins de santé ne se limitent pas à un seul hôpital; les infrastructures, les routes et les ponts ne se limitent pas à la seule route 17, par exemple. Les députés doivent donc un peu plus se plier en quatre. Au fédéral, on est vraiment plus coupé des gens, donc je ne voudrais pas faire de politique fédérale. » [traduction]

La relation étroite entre le gouvernement municipal et la population n’est pas un nouveau concept. Dans le cadre d’une étude électorale réalisée à Toronto, les électeurs ont été invités à classer les différents ordres de gouvernement selon l’incidence de chacun sur leur qualité de vie. Résultat : 30,1 % des personnes interrogées considéraient que les municipalités avaient la plus grande incidence, et 20,5 % les plaçaient en deuxième position11. Cette incidence peut également expliquer le désir des députés de retourner dans leur communauté et de continuer à faire de la politique municipale s’ils subissent une défaite électorale ou s’ils prennent volontairement leur retraite de Queen’s Park.

Lors des élections municipales qui se sont déroulées en Ontario à la fin de l’année 2022, de nombreux noms familiers figuraient sur les bulletins de vote. Plusieurs anciens députés de Queen’s Park ont réussi à se faire élire pour poursuivre leur carrière politique dans des administrations municipales dans l’ensemble de la province. Il s’agit notamment de :

Andrea Horwath, ancienne chef du Nouveau Parti démocratique et membre des 38 à 43e Assemblées législatives, qui a été élue mairesse de la Ville d’Hamilton;

Steven Del Duca, ancien chef du Parti libéral et membre des 40e et 41e Assemblées législatives, qui a été élu maire de Vaughan;

Patrick Brown, ancien chef du Parti progressiste-conservateur et membre de la 41Assemblée législative, qui a été réélu maire de Brampton;

Jeff Leal, membre des 38e et 41e Assemblées législatives, qui est devenu maire de Peterborough;

Gary Carr, ancien Président de l’Assemblée législative et membre des 35e à 37e Assemblées législatives, qui a été élu pour la cinquième fois président de la région du Halton;

John Tory, ancien chef du Parti progressiste-conservateur et membre de la 38e Assemblée législative, qui a été élu pour un troisième mandat en tant que maire de Toronto, avant de quitter son poste, en février. Les anciens députés Mitzie Hunter,
Giorgio Mammoliti et Anthony Perruzza figuraient parmi les candidats aux élections partielles municipales.

À l’échelle fédérale, les députés Yvan Baker, Michael Coteau, Han Dong, Helena Jaczek, Marie-France Lalonde, Yasir Naqvi, Jagmeet Singh et Charles Sousa ont acquis de l’expérience politique à Queen’s Park avant d’être élus à la Chambre des communes.

Notes

1 Quelques députés provinciaux actuels, soit Paul Calandra, Parm Gill, Ted Hsu et Greg Rickford, ont siégé à la Chambre des communes avant d’être élus à l’Assemblée législative de l’Ontario.

2 J’ai modifié certaines réponses pour en accroître la clarté.

3 Fox, R. L. et J. L. Lawless. « To Run or Not to Run: Explaining Nascent Political Ambition ». American Journal of Political Science (2005), p. 642–659.

4 Barrie, Doreen et Roger Gibbins. « Parliamentary Careers in the Canadian Federal State ». Revue canadienne de science politique, p. 138.

5 Docherty, D. C. « The Canadian Political Career Structure: From Stability to Free Agency ». Regional and Federal Studies, p, 185–203.

6 Barrie et Gibbins. p. 138.

7 Graham, K. A. et S. D. Phillips. « “Who Does What” in Ontario: The process of provincial-municipal disentanglement ». Administration publique du Canada (1998), p. 175-209.

8 Siegel, D. « Provincial-Municipal Relations in Canada: an Overview ». Administration publique du Canada (1980), p. 281-317.

9 Ibid.

10 Speaker, R. « Les caucus des partis à huis clos ». Revue parlementaire canadienne (1998), p. 4.

11 McGregor, R. M., A. A. Moore et L. B. Stephenson. « Political Attitudes and Behaviour in a Non-Partisan Environment: Toronto 2014 ». Revue canadienne de science politique (2016), p. 311-333.

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