La parité des électeurs et la quête d’une représentation effective au Yukon
En 2018, un projet de loi visant à établir de nouvelles limites des circonscriptions électorales au Yukon à la suite des recommandations d’une commission de délimitation des circonscriptions électorales a été rejeté à l’étape de la deuxième lecture. Par conséquent, les limites des circonscriptions électorales dans le territoire demeurent les mêmes que celles établies en 2008, malgré les changements démographiques qui ont créé des écarts importants au sein de certaines de ces circonscriptions. La loi visant à établir les limites recommandées par une nouvelle commission de délimitation des circonscriptions électorales devra être adoptée d’ici le printemps 2025 si elle doit être en place à temps pour les prochaines élections générales (prévues pour le 3 novembre 2025). Dans le présent article, l’auteur décrit l’histoire des commissions de délimitation des circonscriptions électorales dans le territoire depuis l’avènement de la politique partisane, explique pourquoi les recommandations de 2018 n’ont pas été acceptées, et décrit les deux principaux facteurs à considérer que la nouvelle commission doit concilier, soit de garantir une représentation juste et efficace des collectivités rurales et d’assurer la parité des électeurs dans les districts de la région de Whitehorse.
Floyd McCormick
Introduction
Le 26 octobre 2023, le commissaire du Yukon a donné la sanction royale au projet de loi no 29, Loi modifiant la Loi électorale du Canada (2023). Conformément aux modifications adoptées ce jour-là, une commission de délimitation des circonscriptions électorales a été créée le 14 décembre 20231. Si le Yukon doit établir de nouvelles limites de circonscription pour ses prochaines élections générales (prévues pour le 3 novembre 2025), la loi établissant ces limites devra être en vigueur d’ici le printemps 2025.
La dernière fois que l’Assemblée législative du Yukon a tenté d’établir de nouvelles limites de circonscription, la loi habilitante – le projet de loi no ١٩, Loi sur la délimitation des circonscriptions électorales – a été rejetée à l’étape de la deuxième lecture, le 19 novembre 2018. Par conséquent, les limites des circonscriptions électorales actuellement en vigueur au Yukon sont celles établies dans la Loi sur les limites des circonscriptions électorales qui a reçu la sanction royale le 14 décembre 2008.
En ce qui concerne les limites des circonscriptions électorales du Yukon, la nouvelle commission devra tenir compte d’un certain nombre de facteurs, y compris le principe de l’égalité du pouvoir de vote (parité des électeurs)2. Le présent article vise à démontrer l’effet de la parité électorale sur le tracé des limites des circonscriptions électorales au Yukon. Pour ce faire, l’article 1) examinera le débat sur le projet de loi no 19 afin de déterminer le rôle que la parité des électeurs a joué dans le rejet du projet de loi; 2) situera la parité des électeurs dans le contexte plus large de l’examen des limites des circonscriptions électorales du Yukon depuis 1977; 3) proposera des idées sur la façon dont la nouvelle commission de délimitation des circonscriptions électorales et les députés provinciaux pourraient équilibrer l’exigence de parité électorale avec d’autres considérations importantes.
Le Yukon et son Assemblée
Couvrant une superficie de 482 443 kilomètres carrés, le Yukon est le plus petit des trois territoires du Canada, mais il est plus grand que Terre-Neuve-et-Labrador et le Nouveau-Brunswick réunis3. Statistique Canada estime la population du Yukon à 45 148 habitants, ce qui en fait le territoire le plus peuplé du Canada4. La population du Yukon est inégalement répartie. Environ 79 % des Yukonnais (35 770) vivent à Whitehorse, la capitale, ou à proximité. Aucune autre administration canadienne n’a une telle concentration de population dans une collectivité. Dawson City, la deuxième collectivité en importance, compte 2 370 habitants5.
Ce déséquilibre s’accentue. En août 2023, le Bureau des statistiques du Yukon a signalé que la population du Yukon avait augmenté de 8 598 entre le 30 juin 2013 et le 30 juin 2023. Près de 88 % de cette augmentation (7 528) a été observée dans la région de Whitehorse6.
Le Yukon a un conseil et une assemblée législative dont tous les membres sont élus depuis 1909. La reconnaissance des partis politiques dans la loi électorale et les règles de l’Assemblée législative a commencé avec l’élection générale de 1978. Le Yukon compte 19 circonscriptions électorales, dont 10 à Whitehorse, 7 circonscriptions rurales et 2 circonscriptions « résidentielles rurales » qui comprennent des électeurs qui vivent à l’intérieur et à l’extérieur de Whitehorse. La collectivité la plus septentrionale du Yukon, Old Crow, a sa propre circonscription, Vuntut Gwitchin. Cette circonscription compte environ 200 électeurs, beaucoup moins que toute autre circonscription, et n’est pas incluse dans le calcul du quotient électoral du territoire.
Le projet de loi no 19 a été déposé à la 34e Assemblée législative, alors que l’Assemblée comprenait 11 libéraux, six députés du Parti du Yukon (conservateurs) et deux néo-démocrates. Le 12 avril 2021, les Yukonnais ont élu la 35e Assemblée, qui comprend huit libéraux, huit députés du Parti du Yukon et trois néo-démocrates. L’appui du NPD au gouvernement libéral minoritaire est énoncé dans un accord de confiance et de soutien.
La parité des électeurs et le rejet du projet de loi no 19
En mai 2017, le Yukon a établi une commission de délimitation des circonscriptions électorales présidée par R.S. Veale, juge en chef de la Cour suprême du Yukon. Le Président Nils Clarke (Riverdale-Nord, Parti libéral) a déposé le rapport provisoire de la Commission à l’Assemblée le 20 novembre 2017, et le rapport final le 19 avril 20187.
Le gouvernement doit déposer un projet de loi pour mettre en œuvre les recommandations d’une commission de délimitation des circonscriptions électorales8. Cependant, les députés du gouvernement ne sont pas obligés d’appuyer le projet de loi et, dans ce cas-ci, ils ne l’ont pas fait. Le projet de loi a été rejeté par 11 voix contre 7. Dix libéraux et un député du Parti du Yukon ont voté contre le projet de loi; cinq députés du Parti du Yukon et deux néo-démocrates ont voté pour le projet de loi9.
Les députés libéraux ont donné trois raisons pour voter contre le projet de loi. La première était que la mise en œuvre du projet de loi ferait passer le nombre de circonscriptions de 19 à 20. En réponse à cette recommandation, le premier ministre de l’époque, Sandy Silver (Klondike, Libéral), a déclaré : « Je n’ai rencontré encore aucun un Yukonnais qui estime que la Chambre doit ajouter un autre député10 [traduction] ».
La deuxième raison est que la Commission n’a pas respecté la parité électorale. En se fondant sur les projections électorales figurant dans le rapport final de la Commission, les libéraux ont fait remarquer que, d’ici 2026, seulement 9 des 20 circonscriptions proposées respecteraient l’écart toléré de plus ou moins 25 % par rapport au quotient électoral que les libéraux ont qualifié de « norme canadienne ». Silver mentionne également que les commissions de délimitation des circonscriptions électorales de 2002 et de 2008 n’ont proposé que deux et quatre circonscriptions non conformes (respectivement). La Commission s’est écartée de la norme de parité des électeurs – en ce qui concerne les districts de Whitehorse par rapport aux districts ruraux et entre les districts de Whitehorse – en faveur de ce qu’elle estimait être une représentation plus effective. Néanmoins, M. Silver a conclu que « cette proposition semble nous mener dans la mauvaise direction en ce qui concerne les circonscriptions qui se situent à l’extérieur de cet écart de 25 %11 [traduction] ».
La troisième raison du rejet du projet de loi est l’absence de consultation publique sur le rapport final de la Commission. C’était particulièrement important, a dit M. Silver, parce que « la proposition que nous examinons aujourd’hui diffère considérablement du rapport provisoire qui a été présenté au public12 [traduction] ». Le rapport provisoire ne proposait que des modifications mineures à certaines limites existantes.
Le député du Parti du Yukon, Brad Cathers, a également voté contre le projet de loi. Il s’opposait à l’élimination des circonscriptions rurales. Ce projet de loi, a expliqué M. Cathers, aurait pour effet d’exclure environ 350 électeurs de son district (lac Laberge). Il a également mentionné que le manque de consultation sur le rapport final était un problème, puisque la proposition d’éliminer les circonscriptions résidentielles rurales s’est présentée tardivement dans le processus à un moment où il restait peu de temps aux électeurs du lac Laberge pour répondre13.
Le chef de l’opposition officielle de l’époque, Stacey Hassard (Pelly-Nisutlin, Parti du Yukon), s’est prononcé en faveur du projet de loi. Il ne voulait pas ajouter une autre circonscription. Cependant, en parlant de « représentation adéquate », il a dit : « Il est important, surtout pour les régions rurales du Yukon, de veiller à ce que leurs voix soient entendues ici à l’Assemblée [traduction]. » Il a aussi dit que toutes les personnes à qui il a parlé à Pelly-Nisutlin étaient en faveur des changements proposés14.
Abordant la question du manque de consultation publique, la chef du NPD de l’époque, Elizabeth Hanson (Whitehorse Centre), a souligné que les délais serrés de la Commission et le manque de possibilités de consultation publique sur le rapport final étaient des conditions établies dans la Loi électorale. Mme Hanson et d’autres députés qui ont voté en faveur du projet de loi ont également soutenu que la Commission avait rempli son mandat comme prévu dans la Loi électorale. L’Assemblée devrait donc appuyer le projet de loi visant à mettre en œuvre les recommandations d’un organisme non partisan qui avait analysé les enjeux en détail15.
Bien que les membres se soient plaints du manque de consultation sur le rapport final, aucun membre n’a suggéré de renvoyer le rapport final à un comité lorsqu’il a été déposé en avril 2018. De même, il n’a pas été question de renvoyer le projet de loi C-19 à un comité pour consultation publique.
L’écart de la Commission Veale par rapport à la parité des électeurs a évidemment joué un rôle dans le rejet du projet de loi no 19. Bien que certains députés se soient opposés à l’ajout d’un 20e district pour d’autres motifs également (coût), la recommandation de la Commission que le district supplémentaire soit un district rural a contribué à l’écart par rapport au seuil toléré. Une plus grande consultation publique aurait peut-être permis d’appuyer l’approche de la Commission en matière de parité électorale, ce qui aurait pu influer sur le sort du projet de loi no 19. Cependant, il reste à savoir si les limites proposées auraient pu résister à une contestation judiciaire.
Limites des circonscriptions électorales au Yukon : du consensus à la dissidence
Si nous plaçons le débat sur le projet de loi no 19 dans un contexte historique plus large, nous pouvons observer l’effet que la parité des électeurs a eu sur l’examen des limites des circonscriptions électorales une fois qu’il est devenu un facteur à prendre en considération.
En 1977, l’Assemblée était composée de 12 députés indépendants, dont cinq représentants Whitehorse et sept représentant les régions rurales du Yukon. Une commission de délimitation des circonscriptions électorales présidée par le juge H.C.B. Maddison a été créée cette annéelà. Les membres ont donné des directives à la Commission en prévision de l’adoption officielle par le système politique de la politique partisane du territoire et de l’adoption d’un gouvernement responsable. Les 16 circonscriptions électorales qui ont vu le jour à l’issue de ce processus (un débat sur l’orientation à donner à la Commission, le rapport de la Commission, le débat de l’Assemblée sur le rapport et la loi habilitante subséquente) comprenaient les éléments suivants :
Les limites ont été tracées de manière à encourager la participation des Autochtones aux élections territoriales et la représentation des Autochtones à l’Assemblée;
Conformément au point 1), la collectivité autochtone éloignée d’Old Crow aurait sa propre circonscription électorale;
Les limites de la ville de Whitehorse seraient respectées dans l’établissement des limites des circonscriptions électorales. Les districts seraient entièrement situés à l’intérieur ou à l’extérieur de Whitehorse;
Whitehorse aurait moins de la moitié des sièges à l’Assemblée (sept) même si elle comptait la majorité de la population et des électeurs du Yukon.
Il y avait un degré élevé de consensus sur ces points. Consensus ne voulait pas dire unanimité. Les députés ont exprimé des points de vue divergents sur la sagesse de la politique partisane, le nombre optimal de circonscriptions électorales et les limites précises de certaines circonscriptions, entre autres. La question de la parité des électeurs a été abordée, mais pas comme dans le cas du projet de loi no 19. Au cours du débat sur la motion visant à donner des directives à la Commission, la députée provinciale Eleanor Millard (Ogilvie) a déclaré que « la population est certainement un facteur, mais… il faut vraiment garder à l’esprit le ratio entre Whitehorse et les districts en périphérie… et une représentation égale de Whitehorse et des collectivités à l’extérieur de Whitehorse ne serait pas juste pour ces dernières [traduction] »16.
Plus tard, lors du débat sur la loi habilitante pour les nouvelles limites, Mme Millard s’est réjouie « que le principe de la représentation selon la population ait été pratiquement ignoré pour établir Old Crow comme circonscription à part entière…[traduction] »17. Aucun député n’a contredit ce point de vue.
Tous les députés, sauf un, ont appuyé le projet de loi malgré leurs préoccupations. Le député qui a voté contre le projet de loi l’a fait en raison de changements apportés à sa circonscription18. Tous les membres ont convenu qu’il était juste d’accorder la majorité des sièges aux régions rurales du Yukon.
L’Assemblée législative modifiait parfois les limites des circonscriptions en fonction du nombre d’électeurs. En 1984, par exemple, l’Assemblée législative a modifié les limites des districts des subdivisions de Whitehorse de Porter Creek et de Riverdale. Chaque subdivision avait deux circonscriptions et les modifications visaient à égaliser le nombre d’électeurs entre les circonscriptions de chaque subdivision19.Cependant, bien qu’une plus grande parité électorale ait été jugée équitable pour les circonscriptions de Whitehorse qui partageaient une limite, cette idée n’a pas été appliquée à l’échelle du territoire. Le consensus sur la surreprésentation des régions rurales du Yukon s’est dégagé au cours de quatre élections générales de 1978 à 1989.
En mai 1991, le juge Kenneth M. Lysyk a été nommé commissaire unique d’une nouvelle commission de délimitation des circonscriptions électorales. Les recommandations de M. Lysyk étaient très différentes de celles de la Commission de Maddison et le débat sur le rapport de Lysyk était beaucoup plus litigieux que ce qui s’était passé en 1977. Cette différence s’explique en grande partie par le fait que le mandat de M. Lysyk l’enjoignait à de tenir compte du [traduction] « principe de l’égalité du pouvoir de vote entre les circonscriptions électorales20 ». C’était une première pour le Yukon21.
Le mandat de M. Lysyk ne lui ordonnait pas d’accorder la primauté à la parité des électeurs par rapport à d’autres considérations. Cependant, c’était le premier critère de son mandat. De plus, en juin 1991, la Cour suprême du Canada avait statué : « La parité relative du pouvoir des électeurs est une condition primordiale de la représentation effective22 ». Dans la même décision, la Cour a qualifié la parité des électeurs de première condition d’une représentation effective (c’est nous qui mettons en italique)23.
Dans son rapport, M. Lysyk a souligné que « la Commission Act de 1991 ne précise pas de dérogation maximale admissible. Cependant, de récentes décisions judiciaires24 ont établi l’importance de l’égalité du droit de vote pour garantir la représentation effective garantie par la Charte canadienne des droits et libertés25 ».
Accorder la primauté à la parité des électeurs a distingué l’idée de M. Lysyk d’une représentation effective par rapport à l’accent mis sur l’équité qui caractérisait les processus de redécoupage antérieurs. Là où la parité électorale prévaut, la représentation suit la population. Autrement dit, les régions où il y a plus d’électeurs ont plus de représentants.
Les processus de redécoupage précédents avaient adopté une approche différente. Les députés provinciaux voyaient les circonscriptions électorales jouer un rôle dans la répartition du pouvoir et de l’influence politiques. Dans ce contexte, il était nécessaire de donner aux régions rurales du Yukon la majorité des sièges pour contrebalancer le pouvoir et l’influence de Whitehorse en raison de sa population plus nombreuse et de son statut de capitale. Cela peut sembler antidémocratique, mais la priorité n’était pas d’égaliser le pouvoir électoral pour les personnes ou les circonscriptions, mais plutôt d’établir et de maintenir un équilibre du pouvoir entre Whitehorse et les régions rurales. C’était une solution propre au Yukon. Toutefois, comme M. Lysyk l’a fait remarquer, cette approche signifie que « la carte électorale actuelle du Yukon affiche les écarts les plus importants par rapport à la parité électorale au Canada26 [traduction] ».
Conformément à son mandat, M. Lysyk a formulé trois recommandations générales et novatrices : 1) qu’il y ait plus de circonscriptions électorales que jamais (17); 2) que, pour la première fois, il y ait plus de circonscriptions électorales pour Whitehorse (huit) que pour les régions rurales du Yukon (sept) et 3) qu’une nouvelle forme de circonscription « résidentielle rurale [traduction] », soit créée.
Au cours du débat sur le projet de loi de mise en œuvre des recommandations de Lysyk, un seul député, Bill Brewster (Kluane, Parti du Yukon), a fortement appuyé le concept d’« une personne, un vote27 ». La plupart des députés ont accepté l’effet de la parité électorale sur les limites proposées ou ont démissionné. Les députés perçoivent la logique du principe, bien que certains soient en désaccord avec le résultat.
Le député du Parti du Yukon, Willard Phelps, a illustré ce dilemme. M. Phelps (un avocat) avait déjà soulevé des « préoccupations au sujet des impératifs constitutionnels concernant le principe “une personne un vote” parce qu’il “craignait sincèrement que les limites actuelles ne répondent tout simplement pas aux critères des impératifs constitutionnels établis en droit par les divers tribunaux28[traduction] ».
Pourtant, M. Phelps s’est vivement opposé à la proposition de M. Lysyk voulant que Carcross, Tagish, Teslin et Ross River fassent partie de la même circonscription électorale. Il a expliqué que « Ross River est à peu près aussi éloigné de Carcross, Tagish ou Teslin que deux collectivités au Yukon […] il s’agit d’une distance de plus entre Carcross et Ross River la plupart du temps de l’année que de Carcross à Dawson (ville)29 ». Il a ajouté que personne dans la circonscription électorale proposée de Ross River-Southern Lakes n’était d’accord avec cette configuration.
Abordant la dynamique du pouvoir à Whitehorse et dans les régions rurales, Piers McDonald (NPD), député du district rural de Mayo, a déclaré qu’il était facile pour les députés provinciaux « particulièrement pendant que nous siégeons, de répondre aux besoins et aux urgences [traduction] » de Whitehorse. Il a fait remarquer que Whitehorse abrite les médias d’information, les principaux organismes communautaires et territoriaux et les porte-parole de la plupart des organismes territoriaux30. M. McDonald aurait pu ajouter que les personnes les plus influentes de la fonction publique – les sous-ministres, les sous-ministres adjoints et d’autres – vivent également à Whitehorse. Même si les députés des régions rurales étaient majoritaires, la minorité de la population vivant dans les régions rurales du Yukon n’exerçait pas une influence disproportionnée sur les affaires publiques.
Quelles que soient leurs réserves personnelles, la majorité des députés ont voté en faveur de la loi habilitante. Comme l’a exprimé le leader du gouvernement à la Chambre, Art Webster (Klondike, NPD) : « Nous devons regarder la réalité en face ». M. Webster a mentionné la combinaison de facteurs à prendre en considération, y compris le nombre de circonscriptions électorales, le désir de conserver Old Crow comme circonscription électorale, les « contraintes juridiques… en respectant les écarts acceptables dans le pouvoir de vote [traduction] », et la part croissante de la population de Whitehorse. Il a conclu : « Je ne vois pas ce que nous pourrions nous attendre à ce que [Lysyk] recommande d’autre31 [traduction] ».
Les recommandations de M. Lysyk ont été un succès du point de vue de la parité des électeurs. Les résultats des élections générales de 1992 montrent que les 16 circonscriptions qui faisaient partie du quotient électoral se situaient dans la fourchette de plus ou moins 25 %32. Toutefois, pour atteindre ce succès, l’Assemblée a dû créer de grandes circonscriptions électorales rurales qui comprenaient des collectivités ayant peu en commun.
L’effet de la parité électorale sur les recommandations de M. Lysyk s’est poursuivi par l’entremise des commissions de délimitation des circonscriptions électorales qui ont présenté un rapport en 2002 et en 2008. Les circonscriptions résidentielles rurales demeurent, bien que les rapports de 2002 et de 2008 les aient incluses comme circonscriptions « rurales33 ». Whitehorse continue d’avoir plus de circonscriptions électorales que les régions rurales du Yukon. Whitehorse a obtenu un siège lorsque l’Assemblée est passée à 18 membres en 2002 et un autre lorsqu’elle est passée à 19 membres en 2011.
Les facteurs à prendre en considération par une commission de délimitation des circonscriptions électorales sont énumérés à l’article 419 de la Loi électorale. Ces facteurs reflètent l’idée qu’entretient la Cour suprême d’une représentation effective34. Cependant, la Commission Veale a adopté une approche différente en ce qui concerne la parité des électeurs. À ce sujet, la Commission Veale a déclaré : « Les facteurs de cette liste sont examinés ensemble, et non isolément. Il est donc important de noter que la population n’est pas le seul facteur à considérer dans la définition des circonscriptions électorales proposées et qu’elle n’est pas plus importante que les autres facteurs à considérer35 [traduction] »(pas d’italique dans l’original)
Accorder un poids égal à la population par rapport à d’autres facteurs n’est pas tout à fait la même chose que la position de la Cour suprême selon laquelle la parité relative du droit de vote est une condition principale (ou première) de la représentation effective et que les écarts par rapport à celle-ci doivent être justifiés36. En plaçant la parité des électeurs sur un pied d’égalité avec d’autres facteurs, la Commission Veale a pu formuler des recommandations rappellent la période antérieure à la Commission Lysyk, comme l’élimination des circonscriptions résidentielles rurales et la recommandation d’une plus grande représentation des collectivités rurales malgré l’effet sur la parité des électeurs. Mais comme on l’a vu, la plupart des députés n’étaient pas du même avis que la Commission Veale et ont rejeté le projet de loi no 19.
Après avoir rejeté le projet de loi no 19, la 34e Assemblée législative n’a pas examiné davantage les limites des circonscriptions électorales. Par conséquent, les élections générales de 2021 ont été tenues dans les circonscriptions électorales adoptées en 2008 et utilisées pour la première fois en 2011.
Il y a lieu de s’inquiéter de la mesure dans laquelle la Commission Veale s’est écartée du seuil toléré de plus ou moins 25 %. Mais le rejet du projet de loi no 19 n’a pas réglé le problème. Seulement 9 des 18 circonscriptions incluses dans le quotient électoral respectaient l’écart toléré en 2021. Porter Creek South, une circonscription de Whitehorse géographiquement compact dont la population électorale correspondait à 57,35 ٪ du quotient, était la circonscription la moins conforme. Seule la circonscription de Gwitchin Vuntut comptait moins d’électeurs. Porter Creek South est entouré de trois circonscriptions dont la population électorale était considérablement supérieure au quotient (Porter Creek Centre – 154,23 %, Porter Creek Nord – 125,72 % et Takhini-Kopper King – 132,50 %). Rien ne justifiait cette différence. Elle n’a existé que parce que l’Assemblée a rejeté le projet de loi no 19 sans aborder cette question avant les élections de 2021.
La parité des électeurs et l’avenir de la représentation effective au Yukon
Il n’y a pas de solution facile ou évidente aux défis que pose la délimitation des circonscriptions électorales au Yukon. Le consensus selon lequel les régions rurales du Yukon devraient avoir la majorité des sièges à l’Assemblée pour contrebalancer le pouvoir et l’influence politiques de Whitehorse n’existe plus. Toutefois, le besoin d’une représentation juste et efficace demeure. Il sera difficile d’atteindre cet objectif lorsque la parité des électeurs est légalement et politiquement nécessaire dans une administration où la répartition des électeurs est aussi inégale sur le plan géographique. En 1977, environ 60 % des Yukonnais vivaient à Whitehorse et dans les environs. Aujourd’hui, cette proportion avoisine les 80 %.
Cependant, même lorsque les tribunaux ont accordé la primauté à la parité des électeurs, ils ne l’ont pas fait de façon précise, prescriptive ou exclusive. Les tribunaux ont tenu compte d’une myriade de facteurs démographiques et géographiques lorsqu’ils ont évalué les circonscriptions électorales. Ils s’en sont également remis à l’Assemblée législative lorsque les écarts étaient manifestement raisonnables. De plus, ils ont tenu compte de tous les facteurs pertinents dans le contexte de la compétence en cause37. Autrement dit, le Yukon a la possibilité d’établir une série de limites qui ne sont pas strictement déterminées par ce qui s’est passé dans d’autres administrations.
À mon avis, le processus à venir devrait tenter de concilier deux objectifs : 1) assurer une représentation juste et effective des collectivités rurales et 2) assurer la parité des électeurs dans les circonscriptions de la région de Whitehorse.
En 2018, une majorité de députés ont adopté la position selon laquelle l’Assemblée devrait demeurer constituée de 19 députés et que l’écart toléré de plus ou moins 25 % devait être respecté. Compte tenu des tendances démographiques au Yukon, cette approche ne peut que réduire la représentation des régions rurales du Yukon. La réduction de la représentation rurale soulèverait des questions sur la viabilité de la circonscription autonome Gwitchin Vuntut. La Commission Veale y a fait allusion38. La réduction de la représentation rurale soulèverait également des questions sur la légitimité de l’Assemblée législative en tant qu’institution représentative à l’échelle du Yukon. Il est difficile d’imaginer qu’une évaluation objective aboutirait à moins que les sept districts ruraux qui existent actuellement. Peut-être que la nouvelle commission recommandera, à l’instar la Commission Veale, la création d’une autre circonscription rurale.
La parité des électeurs pour les circonscriptions électorales de la région de Whitehorse devrait signifier qu’il faut veiller non seulement à ce que les circonscriptions de Whitehorse et les circonscriptions résidentielles rurales (peu importe le nombre) soient conformes à la l’écart de plus ou moins 25 % toléré dans le territoire, mais aussi à ce que les différences entre ces circonscriptions soient minimes. Ce n’était pas le cas du projet de loi no 19. Les limites proposées dans ce projet de loi auraient eu pour effet que 5 des 11 circonscriptions électorales de Whitehorse dépassent l’écart d’ici 2026. Et bon nombre de celles respectant l’écart étaient sur le point d’être conformes. Le fait de maximiser le nombre de circonscriptions électorales qui respectent l’écart permettra aussi, bien sûr, de maximiser le nombre d’électeurs qui résident dans des circonscriptions électorales conformes.
Si toutes les circonscriptions de la région de Whitehorse peuvent être incluses dans les limites de l’écart toléré, elles représenteraient, avec les circonscriptions ruraux des Klondike (Dawson City) et Mount Lorne-Southern Lakes environ 84 % des électeurs du Yukon (selon les chiffres de 2021). Ce niveau élevé de conformité devrait permettre au Yukon de démontrer qu’il accorde toute l’attention voulue à la nécessité juridique et politique de la parité électorale lorsqu’il est raisonnablement possible de l’atteindre, tout en garantissant une représentation juste et effective des circonscriptions rurales moins peuplées. Cette approche permettrait également de rétablir une solution élaborée au Yukon pour relever les défis uniques du Yukon en matière de délimitation des circonscriptions électorales.
Notes
1 « Nomination de membres à la Commission de délimitation des circonscriptions électorales », gouvernement du Yukon, communiqué de presse no 23-531, https://yukon.ca/fr/news/nomination-de-membres-la-commission-de-delimitation-des-circonscriptions-electorales.
2 Voir l’article 419 sur la « Loi électorale » du Yukon, https://laws.yukon.ca/cms/images/LEGISLATION/PRINCIPAL/2002/2002-0063/2002-0063.pdf.
3 Statistique Canada, https://www150.statcan.gc.ca/n1/pub/11-402-x/2010000/chap/geo/tbl/tbl07-fra.htm.
4 Statistique Canada, Tableau 17-10-0009-01 Estimations de la population, trimestrielles.
5 Bureau des statistiques du Yukon, Bilan démographique, 2e trimestre de 2023, https://yukon.ca/sites/yukon.ca/files/ybs/fin-population-report-q2-2023.pdf.
6 Bureau des statistiques du Yukon, Bilan démographique, 2e trimestre de 2023, https://yukon.ca/sites/yukon.ca/files/ybs/fin-population-report-q2-2023.pdf.
7 Assemblée législative du Yukon, Hansard, 20 novembre 2017, p. 1703, https://yukonassembly.ca/sites/default/files/hansard/34-2-056.pdf et 19 avril 2018, p. 2 657, https://yukonassembly.ca/sites/default/files/hansard/34-2-088.pdf.
8 Yukon. Loi électorale, LRY 2002, ch. 63, art 418, https://laws.yukon.ca/cms/images/LEGISLATION/PRINCIPAL/2002/2002-0063/2002-0063.pdf.
9 Le 11e député libéral provincial était le Président qui n’a pas voté. Assemblée législative du Yukon, Hansard, 19 novembre 2018, p. 3 646 à 3 658 .
10 Assemblée législative du Yukon, Hansard, 19 novembre 2018, p 3 646, https://yukonassembly.ca/sites/default/files/hansard/34-2-117.pdf.
11 Assemblée législative du Yukon, Hansard, 19 novembre 2018, p. 3 647 .
12 Assemblée législative du Yukon, Hansard, 19 novembre 2018, p. 3 646 .
13 Assemblée législative du Yukon, Hansard, 19 novembre 2018, p. 3 652 à 3 653 .
14 Assemblée législative du Yukon, Hansard, 19 novembre 2018, p. 3 647 .
15 Assemblée législative du Yukon, Hansard, 19 novembre 2018, p. 3 647 à 3 650 .
16 Assemblée législative du Yukon, Débats et travaux, 25 avril 1977, p. 875, https://yukonassembly.ca/sites/default/files/inline-files/Debates-Proceedings-23-8-1977-04-25-Number-26.pdf.
17 Assemblée législative du Yukon, Débats et travaux, 28 novembre 1977, p. 311, https://yukonassembly.ca/sites/default/files/inline-files/Debates-Proceedings-23-9-1977-11-28-Number-14.pdf.
18 Assemblée législative du Yukon, Débats et travaux, 28 novembre 1977, p. 311.
19 Assemblée législative du Yukon, Hansard, 29 novembre 1984, p. 890.
20 L’hon. juge Kenneth M. Lysyk, Electoral District Boundaries Commission Report 1991, (rapport Lysyk) page vi.
21 Rapport Lysyk p. i.
22 Circ. électorales provinciales (Sask.) [1991] 2 R.C.S. 158, p. 160.
23 Cour suprême du Canada, ibid aux p. 183 e t184 .
24 Il cite ici le renvoi de la Saskatchewan.
25 Rapport Lysyk, p 1.
26 Rapport Lysyk p i.
27 Assemblée législative du Yukon, Hansard, 5 mai 1992, https://yukonassembly.ca/sites/default/files/hansard/27-3-010.html.
28 Assemblée législative du Yukon, Hansard. 5 mai 1992.
29 Assemblée législative du Yukon, Hansard, 5 mai 1992. Dawson City est à environ 600 kilomètres de Carcross.
30 Assemblée législative du Yukon, Hansard, 5 mai 1992.
31 Assemblée législative du Yukon, Hansard, 5 mai 1992.
32 Ces chiffres ont été compilés par l’auteur à partir du rapport du directeur général des élections sur l’élection générale de 1992, https://electionsyukon.ca/sites/elections/files/1992_general_election_2.pdf.
33 Rapport final de la Commission de délimitation des circonscriptions électorales du Yukon, janvier 2002, p. 21, et Rapport final de la Commission de délimitation des circonscriptions électorales du Yukon, mars 2008, p. 11.
34 Loi sur les élections, art. 419.
35 Commission de délimitation des circonscriptions électorales du Yukon, Rapport final (avril 2018) (Rapport final de la Commission Veale), p. 19, https://yukonassembly.ca/sites/default/files/inline-files/sp-34-2-58.pdf.
36 Cour suprême du Canada, op. cit., p. 160.
37 Voir la section « Jurisprudence » du rapport final de la Commission de délimitation des circonscriptions électorales du Yukon, janvier 2002, p. 6 à 13.
38 Commission de délimitation des circonscriptions électorales du Yukon, Rapport final (avril 2018) (rapport final de la Commission Veale), p. 36, https://yukonassembly.ca/sites/default/files/inline-files/sp-34-2-58.pdf.