La réduction de sièges au Parlement : tenir compte du contexte

Article 6 / 13 , Vol 42 No 3 (Automne)

La réduction de sièges au Parlement : tenir compte du contexte

Dans cet article, l’auteure explique pourquoi la population ne serait pas nécessairement mieux servie si elle était représentée par un moins grand nombre d’élus. Elle expose les multiples aspects caractérisant le travail dans les circonscriptions et explique comment la configuration géographique, particulièrement dans les régions rurales ou nordiques, peut constituer un obstacle lorsque vient le temps, pour un élu, de communiquer avec ses citoyens et d’écouter leurs préoccupations. Selon l’auteure, bien que les avancées technologiques facilitent la communication avec les citoyens, il n’en demeure pas moins que les régions ne disposent pas toutes de réseaux de communication adéquats. En outre, l’économie que représenterait l’abolition de sièges n’est pas aussi significative qu’on pourrait le penser : les simples députés ont beaucoup plus de responsabilités que ce que l’on croit, et la réduction de sièges au Parlement ne faciliterait pas nécessairement la tâche aux partis lorsque viendrait le temps de trouver tous les candidats nécessaires pour l’ensemble des circonscriptions. Pour conclure, l’auteure soutient qu’il faudrait d’abord changer le système lui-même, et se pencher ensuite sur la réduction ou l’augmentation du nombre de représentants au sein du système.

Les élus accomplissent beaucoup de travail dans l’ombre, loin du regard de tous. Ce qui se passe dans la Chambre de l’Assemblée législative n’est que la pointe de l’iceberg; le public n’est pas nécessairement conscient des multiples aspects caractérisant le travail dans les circonscriptions. Ce que le public voit par l’abolition de sièges, c’est un nombre réduit de politiciens. Ce qu’il ne peut voir, cependant, c’est le préjudice que cela porte à notre démocratie.

Diminuer le nombre de parlementaires ne réduit pas la charge de travail : au contraire, le travail se trouve réparti entre moins d’élus, ce qui est bien loin d’être une solution. Les membres des comités législatifs, par exemple, accomplissent beaucoup de travail de fond.

Dans une province de petite taille comme Terre-Neuve-et-Labrador, les simples députés n’ont pas nécessairement assez de ressources pour bien défendre et représenter leurs électeurs ou pour creuser les enjeux soulevés au Parlement. Pour tout personnel, ces députés ont un adjoint de circonscription. Le caucus peut prêter main-forte pour la recherche, mais cette aide n’est pas offerte aux députés indépendants. Parfois, les députés doivent effectuer leurs recherches eux-mêmes par manque de personnel de soutien. La situation à Ottawa est bien différente, car les députés du Parlement ont de nombreuses ressources à leur disposition.

Le parlementaire qui doit représenter une plus grande circonscription se trouve aux prises avec un plus grand volume d’appels de citoyens, ce qui peut lui amener une surcharge de travail. Si personne ne répond aux appels des citoyens, cela constitue un problème pour la démocratie : plus les citoyens se sentent déconnectés de leurs représentants, plus ils se détachent du système. Ultimement, la réduction du nombre d’élus porte atteinte au processus démocratique.

Dans un pays aussi vaste que le Canada, les grandes circonscriptions font parfois face à de grands défis. Certaines circonscriptions rurales couvrent d’énormes territoires, parfois très isolés. Ma circonscription était située à cinq minutes du Parlement, mais j’avais un pincement de cœur pour mes collègues qui devaient prendre l’avion pour rentrer chez eux et faire encore deux heures de route pour participer à un événement. De plus, aux quatre coins d’une région rurale, les besoins peuvent varier considérablement : ici on dispose de services de transport public et d’un accès aux soins de santé, là-bas, il n’y a rien. Comment le député d’une vaste circonscription rurale peut-il déterminer quelles sont ses priorités? Un manque d’homogénéité à l’intérieur d’une circonscription peut nuire à sa juste représentation et à la défense de ses intérêts. Dans une ville, on ne trouve pas ce genre d’écarts. En fait, chaque circonscription est unique; il n’y a pas de circonscription type.

Ceux qui affirment que les nouvelles technologies de communication améliorent la représentation oublient une chose : les citoyens veulent un contact direct. Dans certaines régions rurales ou éloignées du Canada, notamment à Terre-Neuve-et-Labrador, on manque encore de réseaux de communication adéquats. Vous ne pouvez pas vous attendre, lorsque vous vous déplacez au Labrador, à trouver une connexion Wi-Fi pour votre portable. De nombreux endroits dans la province n’ont même pas de couverture cellulaire digne de ce nom : il vous faut parfois trouver un endroit précis en altitude afin de pouvoir utiliser votre téléphone.

Les technologies de communication font une grande différence, c’est vrai. Mais il est faux de présumer que leur accessibilité dans les régions éloignées est la même que dans les villes. L’amélioration des communications doit être vue comme un outil d’engagement citoyen plutôt que de réduction du nombre d’élus, réduction qui appauvrit les liens avec les citoyens.

La technologie améliore le travail des parlementaires de diverses façons, notamment au sein des comités multipartites. Réunir tous les membres d’un comité peut s’avérer compliqué lorsque ceux-ci sont dans leur circonscription respective; la téléconférence rend possible la réunion. La technologie ne devrait pas se traduire par la réduction du nombre de membres au sein des comités. Elle signifie plutôt qu’il est désormais possible de réunir plus facilement les membres, et en plus grand nombre.

La décision de réduire le nombre de députés d’une assemblée législative ne devrait pas être fondée sur l’économie qu’elle représente. Le plus important, c’est de répondre aux besoins des citoyens; le rôle des parlementaires est de veiller à ce que ces besoins soient entendus et qu’on y réponde. Les parlementaires représentent les citoyens auprès des ministères et du Parlement. Les économies que l’on suppose sont rarement réalistes. Par exemple, si une circonscription est trop vaste, il faut normalement prévoir un bureau de circonscription supplémentaire. L’idée qu’un nombre réduit de circonscriptions permet de présenter une meilleure liste de candidats occulte plusieurs facteurs.

Nous devons mieux sensibiliser les jeunes à notre système politique, notamment par la mise en place de cours d’éducation civique à l’école secondaire. Les jeunes ont besoin d’apprendre ce qu’est la gouvernance et de se projeter en tant que citoyens contribuant au bien de la communauté. Certains obstacles nuisent à la participation citoyenne, notamment le manque de services de garde, ou encore le manque de ressources financières, l’équité financière amenant l’équité des candidatures. Un candidat face à un parti qui en promet davantage que l’autre choisira le parti le mieux financé, et ce, même si ce n’est pas le parti qui correspond à ses positions. Ce sont toutes sortes de facteurs systémiques qui empêchent les gens de se présenter à une élection. À Ottawa, on tente, au moins en apparence, d’offrir à tous les partis politiques un financement électoral équitable. Par ailleurs, l’obligation légale sur les élections à date fixe n’est pas toujours respectée, ce qui constitue un autre problème. Des élections précipitées peuvent prendre les partis de l’opposition au dépourvu et nuire au recrutement de candidats.

La perception selon laquelle les simples députés travaillent peu s’applique davantage aux députés du parti au pouvoir. Il s’agit là d’une critique de la manière dont le gouvernement dirige l’État plutôt que du nombre d’élus lui-même. Le gouvernement pourrait réunir les élus plus souvent afin de leur permettre de mieux se pencher sur les projets de loi et de débattre.

Ainsi, les députés d’arrière-ban seraient davantage investis. Lire des notes d’allocutions préparées par des membres du personnel plutôt que d’avoir du temps pour étudier une question et en débattre véritablement démontre que le problème tient au système. En le changeant, les médias couvriront davantage les idées des témoins et le contenu des rapports de comités. Des députés mieux informés prendront davantage la parole au caucus. Dans un petit caucus d’opposition, l’oisiveté n’existe pas. C’est vrai pour quiconque fait partie de l’opposition. Personne ne se tourne les pouces.

En conclusion, au lieu de discuter du nombre de députés au Parlement, parlons plutôt de la manière de mieux mobiliser chacun des élus, surtout de l’arrière-ban. Il serait vain de tenter de trouver le chiffre magique quant au nombre d’élus, car trop facteurs entrent en ligne de compte. Il faut voir les choses dans leur contexte.

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