La Salle des peuples autochtones au Sénat du Canada
Préoccupé par l’absence d’objets représentant les Autochtones dans les édifices du Parlement fédéral, l’auteur s’est efforcé, avec l’aide d’un groupe de sénateurs, d’acquérir des oeuvres d’art et des artéfacts autochtones et d’en faire don en vue de les exposer dans la salle du Comité des peuples autochtones du Sénat du Canada, de manière à assurer une représentation visible et concrète des cultures autochtones pour les parlementaires qui utilisent la salle ainsi que pour les visiteurs qui s’intéressent au Sénat et à son histoire.
L’hon. Serge Joyal, Sénateur
Les édifices du Parlement du Canada ont été
construits à compter de 1859 sur un territoire
non cédé appartenant aux Algonquins. À cette
époque, aucune représentation autochtone n’était jugée
d’importance pour être intégrée dans les nouveaux
édifices de la capitale. Jusqu’au tournant de l’an 2000,
très peu d’éléments du décor extérieur ou intérieur du
Parlement ne représentaient la présence séculaire des
peuples autochtones au pays et leur occupation de ces
vastes territoires, si ce n’est de petit bas-reliefs, discrets,
sculptés dans la façade de l’édifice du Centre en 1918 au
moment de sa reconstruction après l’incendie du 3 février
1916, ensuite les huit oeuvres architecturales d’artistes
autochtones en calcaire d’Indiana et pierre de savon
installées autour du Foyer de la Chambre des communes
commanditées par le Programme de sculptures des
peuples autochtones au début des années 1980, ainsi que
le buste du sénateur James Gladstone de la nation des
Gens-du-Sang (Pieds-Noirs), premier autochtone à être
nommé au Sénat en 1958, dévoilé en 2001 et installé dans
l’antichambre du Sénat.
La Salle des peuples autochtones
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Il aura fallu la construction et l’inauguration en 1997
du côté du Sénat, dans une ancienne cour intérieure,
d’une salle de comité moderne à laquelle on attribua le
nom de « Salle des peuples autochtones » pour qu’enfin
leur existence nominale soit reconnue dans la cité
parlementaire. Rappelons qu’il existait déjà, depuis les
années 1960, un Salon du Commonwealth du côté des
Communes et, depuis les années 1990, un Salon de la
Francophonie du côté du Sénat. Les deux communautés
linguistiques se trouvaient ainsi déjà bien présentes
dans les édifices du Parlement. Dans les années qui
suivirent son ouverture, la Salle des peuples autochtones
demeura pratiquement vide de toute référence directe
à la réalité autochtone. Aucune oeuvre ou artefact de
provenance autochtone qui puisse réellement faire droit
à leur histoire, à leur réalité culturelle ou à leur identité
ne s’y retrouvaient. Cette salle de comité moderne, où la
télédiffusion des séances était fréquente, ne rendait pas
visible la présence autochtone au Parlement.
Cette réappropriation, au sein de l’enceinte
parlementaire, d’un lieu significatif pour les peuples
autochtones, quoiqu’appuyée en principe par le comité
de la régie interne du Sénat, n’était pas accompagnée
d’une initiative de présentation d’oeuvres et artefacts
autochtones qui aurait été soutenue par la disponibilité
d’un budget permettant de donner un contenu réel à cette
salle, rendant ainsi honneur à son appellation.
Devant ce vide évident et, d’une certaine manière,
humiliant pour les autochtones, leur identité équivalant
en fait au néant, je pris personnellement l’initiative
d’acquérir, à compter de 2002, des oeuvres et artefacts
d’origine autochtone pour les offrir en don afin de rendre
tangibles et visibles les cultures autochtones aux yeux des
parlementaires occupant cette salle et à ceux des visiteurs
du Parlement intéressés par l’histoire des lieux et du site.
« Mère et enfant » par Henry Napartuk,
Inuit (Kuujjuarapik, Québec), 1963
Masque Aigle par Wayne Bell, Kwakiutl
(Colombie-Britannique), v. 2000
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Le comité de la régie interne du Sénat
autorisa que ces oeuvres offertes en
don soient présentées dans la Salle des
peuples autochtones en respectant deux
conditions : la première étant que les
oeuvres offertes devaient représenter un
panorama d’artistes autochtones issus
des diverses régions du pays afin que
l’on puisse apprécier la multiplicité et
l’originalité de ces diverses cultures; la
seconde condition, plus terre-à-terre, était
qu’il devait n’en rien coûter au Sénat. En
d’autres mots, il n’y aurait pas de budget
particulier pour rendre visible la présence
autochtone dans cette salle.
C’est donc essentiellement par des dons
privés d’oeuvres d’art que la Salle des
peuples autochtones devait prendre sa
signification. J’eus le privilège d’en offrir
au départ toutes les oeuvres. Par la suite,
d’autres sénateurs saisirent l’opportunité
qui leur était offerte de participer : la
sénatrice Thelma Chalifoux (d’origine
métisse), le sénateur Willie Adams
(d’origine Inuit), le sénateur Michael
Meighen et la sénatrice Nancy Ruth, tous
deux de l’Ontario, firent don d’une oeuvre
à leur retraite du Sénat.
1. Bad Medecine Woman par Daphne Odjig, Ojibwée (réserve
Wikwemikong, Ile Manitoulin, Ontario), 1974
2. « Inuksuk » par Ernie Kadloo, Inuit (Pondlet Inlet, Nunavut),
2009, donné par le sénateur Willie Adams
3. Wîhtikow II par Neal McLeod, Cri, (Nation crie de James Smith,
Saskatchewan) 2001
4. Indian Residential School 1934- École ou Prison? par Alanis
Obomsawin, Waban-Aki, (Odanak, Québec), 2004
5. Hebron Series #2 par Heather Igloliorte, Inuite (Happy Valley–
Goose Bay, Terre-Neuve-et-Labrador), 2002-03
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Une grande partie de l’ensemble de ces
oeuvres font référence à la mythologie,
aux rituels et aux valeurs spirituelles
particulières aux autochtones, ancrées
dans leur relation unique avec la terre,
le territoire et le lien singulier qu’ils
entretiennent avec la nature. Elles
expriment la vitalité et la renaissance de
l’expression culturelle des autochtones
et leur revendication d’une identité
différente, ancrée dans leurs us et
coutumes ancestrales.
D’autres oeuvres illustrent le sombre
épisode des pensionnats autochtones
au cours duquel 150 000 jeunes enfants
autochtones furent arrachés à leur famille
et forcés d’abandonner leurs langues,
leurs cultures, leurs coutumes et leurs
manières d’être distinctives; d’autres
mettent en exergue la dépossession
complète de leurs territoires ancestraux.
À cet égard, les oeuvres de l’artiste Waban-
Aki Alanis Obomsawin, Qu’est devenu
mon enfant? / Indian Residential School
1934 – École ou prison?, et de Heather
Igloliorte, artiste inuite de Terre-Neuveet-
Labrador, avec l’oeuvre Hebron Series
#2, sont des rappels troublants de ce qu’a
été la politique d’assimilation du Canada
à l’égard des autochtones pendant plus
d’un siècle et demi; sans compter l’oeuvre
puissante intitulée Wîhtikow II de l’artiste
cri Neal McLeod illustrant l’acculturation
des autochtones après des siècles de
politiques coloniales dévastatrices.
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Certaines des oeuvres équivalent à un véritable
manifeste d’affirmation identitaire, comme par exemple
l’oeuvre de l’artiste crie Jane Ash Poitras, Riel-Riel-Riel ou
celle intitulée Dumont – 1885 – Batoche de la même artiste,
rappelant la lutte des Métis de l’Ouest canadien pour la
reconnaissance de leurs droits à un territoire, ou encore la
reconquête de leur identité perdue comme l’oeuvre May
Tea? de l’artiste métis David Garneau ou bien l’oeuvre
troublante intitulée Parts de l’artiste ojibwé Carl Beam.
May Tea? par David Garneau, Métis (Edmonton, Alberta), 2002
Riel-Riel-Riel par Jane Ash Poitras, Crie, (Fort Chipewyan, Alberta), 2002
REVUE PARLEMENTAIRE CANADIENNE/ ÉTÉ 2019 11 Parts par Carl Beam, Ojibwé (
M’Chigeeng, île Matoulin, Ontario), v. 1995
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Plusieurs des objets et artéfacts offerts en don témoignent
de l’affirmation politique et sociale des peuples autochtones,
de leur survivance économique et de la lutte contre
l’assimilation de leur culture sous l’effet des pratiques
dominantes des colonisateurs.
Les mocassins en peau de chevreuil et la coiffure
de poils en crête restent toutefois les deux exemples
saisissants de l’appropriation de la culture autochtone
par les colons d’origine européenne. Ces vêtements sont
encore à ce jour toujours bien présents dans l’habillement
et la mode occidentale. Les mocassins, pour la simplicité
de leur confection et leur souplesse, ont traversé toutes les
générations et sont encore aujourd’hui l’apanage d’une
mode décontractée. Quant à la coiffure en crête ou « Mohawk
», prisée des parachutistes américains pendant la seconde
guerre mondiale en signe de refus de la peur du vide, elle
connaitra, grâce au mouvement punk, ses heures de gloire à
la fin des années 1970.
Et puis, qui peut demeurer insensible à l’esthétique de l’art
Inuit ou à celui des nations de la côte ouest – – comme les
nations Salish ou Haïda – devant la pureté de ligne étonnante
et le rendu si expressif de leurs oeuvres sculptées ou peintes?
Indian Drums par Allen Sapp, Cri des plaines (Red Pheasant Reserve, Saskatchewan), v. 1972
Boîte Mi’kmaq, provinces
maritimes, début du XXe
siècle
Paire de mocassins de jeune femme, probablement
mohawk, Forêts de l’Est, v. 1880
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Ce qu’il convient de souligner est que cette initiative de
rendre visible la présence de l’identité autochtone dans
une des salles de comité les plus utilisées au Sénat a été
essentiellement due à l’action de sénateurs individuels
qui étaient convaincu(e)s du bien fondé de la nécessité de
procéder immédiatement à rendre visible la place unique
des autochtones au Canada, bien avant la présentation en
2008 des excuses officielles du gouvernement fédéral aux
victimes des pensionnats autochtones, au dépôt du rapport
de la Commission de vérité et réconciliation du Canada en
2015 et à la reconnaissance sans réserve par le gouvernement
fédéral, en 2017, de la Déclaration des Nations Unies sur les
droits des peuples autochtones.
Il y a vingt ans, l’initiative prise par des sénateurs était
bien d’avant-garde : plusieurs qui étaient informés du
projet doutaient même qu’il y ait suffisamment d’artistes
autochtones actifs dans les différentes régions du pays pour
orner la Salle des peuples autochtones!
Lorsque je pris sur moi de réunir un ensemble d’oeuvres
représentatives, je m’informai auprès des galeries d’art qui
pouvaient représenter des artistes autochtones, comme la
Guilde canadienne des métiers d’art à Montréal; j’écumai
les catalogues de ventes aux enchères pour identifier les
oeuvres d’artistes autochtones comme, par exemple, Alex
Janvier, Daphne Odjig, Norval Morrisseau, ou encore Allen
Sapp. Je visitai des galeries à Vancouver pour acquérir des
masques de la Côte Ouest. Je pris directement contact avec
certains artistes eux-mêmes pour commander des oeuvres
originales comme, par exemple, celles de Jane Ash Poitras,
ou encore celles de Glenna Matoush, Heather Igloliorte, John
Paul Murdoch, Alanis Obomsawin, Patrice Awashih, David
Garneau, Ellen Gabriel ou encore Neal McLeod.
Toutes ces oeuvres acquises furent offertes en don au
Fonds Canadiana des résidences officielles pour être prêtées
à long terme au Sénat à compter de 2005. La coopération
enthousiaste du Groupe de travail consultatif sur les oeuvres d’art
du Sénat, et en particulier de son ancien président le sénateur
Wilfred P. Moore, facilita la présentation des oeuvres dans la
salle, et également la publication d’un dépliant explicatif sur
l’origine et la signification de ces oeuvres, remis gratuitement
aux visiteurs du Parlement.
Béluga par Yvonne Kanayuq Arnakyuinak, Inuit
(Baker Lake, Nunavut), 1975
Raven par Eugene Alfred, Tuchtone/Tinglit (Mayo,
Yukon), 2003
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Toute cette initiative connut un dénouement
heureux lorsqu’une cérémonie ancestrale,
consacrée aux masques traditionnels, à l’initiative
de la sénatrice d’origine crie Lillian E. Dyck,
eut lieu dans la Salle des peuples autochtones
le 14 décembre 2017, présidée par le grand chef
à la retraite de la nation Mohawk à Akwesasne,
Kanentakeron (Michael Mitchell), membre de la
société des Hadu’i, qui confirma le caractère sacré
de la salle où se retrouvaient autant d’exemples de
la présence d’identités et de cultures autochtones
bien vivantes qui prenaient finalement toute leur
place au sein même de l’enceinte du Parlement du
Canada.
Masque Pug Wees par Joe Peters Jr., Kwakiutl
(Colombie-Britannique), 1984
Le Sénat remercie la Commission de la Capitale Nationale pour le prêt de ces oeuvres d’art Autochtones, un don au Fonds
Canadiana à la Collection de la Couronne des Résidences Officielles par l’Honorable Serge Joyal, Senateur, c.p., o.