Le gouvernement parlementaire à l’âge du populisme
« Tout le monde sait qu’à grande échelle, la démocratie est une absurdité pernicieuse, un pays ou même un comté ne peut pas être dirigé par une parcelle de politiciens égoïstes qui travaillent sur l’émotion populaire, qui excitent la foule. »
– Capitaine Jack Aubrey, Le blocus de la Sibérie1
Le capitaine Aubrey est le personnage central de la célèbre série de romans de l’auteur Patrick O’Brian, qui se déroule pendant les guerres napoléoniennes. Plus tard dans sa carrière navale, Aubrey est également député au Parlement britannique, représentant une « circonscription sous la coupe de particuliers ». Ces « circonscriptions » ou « bourgs pourris » étaient des sièges de la Chambre des communes occupés par un particulier qui contrôlait les droits de vote dans cette circonscription. L’Angleterre a aboli les « circonscriptions sous la coupe de particuliers » en vertu des Reform Acts (lois de la réforme) de 1832 et 1867.
La méfiance de Jack Aubrey à l’égard d’une démocratie populaire incontrôlée était typique de cette époque, en particulier à la lumière de la violence et des effusions de sang qui ont marqué la Révolution française. Pourtant, la crainte de Jack Aubrey des « politiciens de carrefour » reste une préoccupation constante. L’histoire regorge d’exemples de dirigeants politiques qui ont su stimuler le sentiment public dans l’intérêt d’objectifs politiques, pour le meilleur ou pour le pire. Pour chaque Winston Churchill appelant à la détermination publique face à des chances effrayantes, il y a des dirigeants antidémocratiques qui utilisent une rhétorique populiste pour attiser la peur et le ressentiment, notamment en retournant l’opinion publique contre les institutions et les normes gouvernementales établies.
Ces derniers temps, nous avons assisté à une vague de gouvernements anti-establishment et soi-disant « populistes » à travers le monde. Des États-Unis à la Grande-Bretagne, du Brésil à l’Inde, de l’Italie à Israël, les dirigeants politiques ont déployé des charmes populistes pour gagner le pouvoir et diaboliser l’opposition à leurs méthodes et à leur programme. Dans le présent article, j’examine le conflit entre le gouvernement parlementaire responsable et le populisme, et je me demande si le régime parlementaire canadien est également vulnérable au populisme ou s’il est peut-être particulièrement adapté pour éviter les excès antidémocratiques du populisme.
Fondements du régime parlementaire
Le modèle de Westminster est le fondement du régime canadien de gouvernement représentatif et responsable. Le Parlement a pour rôle principal de surveiller le pouvoir exécutif, rôle qui va au cœur de la question de savoir comment le pouvoir est légitimement exercé et tenu responsable dans une société démocratique. Comme le note C.E.S. Franks dans The Parliament of Canada, « [les] principales fonctions de la Chambre des communes sont de créer un gouvernement responsable et de tenir ce gouvernement responsable »2 [Traduction]. Notre régime est un régime de gouvernement « responsable » dans le sens où la législature est le moyen par lequel le gouvernement est surveillé, et le processus par lequel les gouvernements changent.
Il est également « responsable » dans le sens où les députés exercent un pouvoir et sont responsables de l’utilisation de ce pouvoir. Le système du cabinet parlementaire combine pouvoir et responsabilité, et il incombe au parti au pouvoir de répondre de ses décisions devant le Parlement et, en dernier ressort, devant les électeurs. La protection contre l’abus de l’autorité ministérielle réside dans la relation entre le Parlement et le gouvernement en place. Le Parlement est l’assemblée devant laquelle le gouvernement en place doit défendre ses décisions.
Les règles et les conventions sont la force motrice du régime parlementaire. Le bon fonctionnement de ce régime repose en grande partie sur les procédures et les précédents qui guident son travail. Le comportement humain, la volonté des parlementaires de respecter les règles et les procédures qui régissent leur conduite et de s’y conformer façonnent aussi ce régime. Cela confère à ces institutions une légitimité aux yeux du public. L’efficacité de ces institutions représentatives suscite la confiance du public dans la gouvernance du pays. L’absence de cette confiance peut être source d’insatisfaction et de désengagement. Il peut également encourager les tentatives d’adoption de mesures extra-parlementaires, ou un dirigeant prêt à contourner les procédures acceptées au nom de la « volonté publique ».
Bien que le Parlement englobe la Couronne, la Chambre des communes et le Sénat, la démocratie parlementaire est centrée sur la Chambre des communes élue. La Chambre des communes lie le peuple à ceux qui exercent le pouvoir et, ce faisant, « [elle] donne une expression institutionnelle au concept de communauté nationale »3. Dans le régime parlementaire, par exemple, le contrôle de l’exécutif incombe à la Chambre des communes. Pour gouverner, le parti au pouvoir doit bénéficier de la confiance de la Chambre. Si le gouvernement perd cette confiance, il doit démissionner. Dans un régime parlementaire, le premier ministre et les députés siègent au sein de la Chambre des communes plutôt qu’à l’écart, et sont donc soumis à un contrôle parlementaire et à la responsabilité. Leur droit de gouverner ne peut être dissocié du Parlement.
La Chambre des communes dépend à son tour de ce besoin de confiance pour exiger du gouvernement qu’il rende des comptes. Mais elle ne participe pas au gouvernement. Le contrôle parlementaire ne signifie pas un veto sur les actions du gouvernement, mais plutôt la responsabilité de l’exécutif devant le corps législatif. C’est le résultat essentiel de la « Glorieuse Révolution » de 1688 en Angleterre. Cette révolution a établi, une fois pour toutes, que la Couronne était soumise au contrôle du Parlement. Contrairement à ce qui s’est passé en France ou aux États-Unis, la création du Dominion du Canada en 1867 n’a pas été le produit d’un soulèvement populaire et n’a donc pas créé un « peuple ». En conséquence, le régime parlementaire adopté au Canada sur la base du modèle de Westminster n’est pas un « gouvernement par le peuple »4.
Malheureusement, « bien que notre constitution soit en principe similaire à celle de la Grande-Bretagne, de nombreux Canadiens ont tendance à considérer la Chambre des communes comme un congrès. Ils se trompent eux-mêmes »5. Cette mauvaise interprétation découle en partie de l’insuffisance de l’éducation civique au Canada sur les principes de base du régime parlementaire, ce qui conduit à la notion erronée, mais persistante, selon laquelle la Chambre des communes est élue pour gouverner. Cette mythologie persiste, même peut-être dans l’esprit de certains députés.
Conformément aux objectifs constitutionnels « de paix, d’ordre et de bon gouvernement », l’opposition officielle au gouvernement à la Chambre des communes porte délibérément le titre de loyale Opposition de Sa Majesté. Ce titre souligne la légitimité parlementaire et publique de l’Opposition au gouvernement en place. Il dénote également l’opposition au gouvernement, mais pas à l’État lui-même et pas dans l’intention de renverser l’État par des moyens non démocratiques.
John B. Stewart relève quatre fonctions exercées par la Chambre des communes. Premièrement, la Chambre peut empêcher l’exercice clandestin du pouvoir par le gouvernement. Deuxièmement, la Chambre peut tenir lieu de banc d’essai pour les politiques administratives et les propositions législatives du gouvernement. Troisièmement, la Chambre peut contraindre le gouvernement entre deux élections – rôle qui peut être joué à la fois par l’opposition et dans les rangs du caucus du gouvernement. Quatrièmement, la Chambre peut servir à informer et à éduquer l’électorat en testant des idées et des propositions en public6.
Les ministres du cabinet dans le régime parlementaire ne sont pas des ministres de la Chambre des communes. Ce sont des ministres de l’État. Cette distinction est un principe constitutionnel très réel qui a de véritables implications. En effet, « c’est l’un des principaux facteurs qui déterminent la façon dont le Canada est gouverné. Le pouvoir de la Chambre des communes découle en fin de compte, non pas de ce qu’elle peut faire indépendamment, mais de ce qu’elle peut empêcher »7.
Ces pouvoirs comprennent la dépense de fonds publics qui nécessite le consentement de la Chambre des communes, l’imposition de taxes et l’adoption de lois. Dans un gouvernement responsable, il peut y avoir un gouvernement seulement si la Chambre des communes le soutient et coopère avec lui. En conséquence, la Chambre a une fonction constitutionnelle sérieuse, non pas de gouverner, mais de soutenir un gouvernement ou, au contraire, de lui refuser ce soutien. Puisque, par convention, les ministres de l’État siègent physiquement à la Chambre des communes, ils ne peuvent pas éviter le contrôle de la Chambre et ont besoin de sa coopération permanente pour mener à bien les affaires de la Chambre. Cette coopération devient encore plus cruciale pour un gouvernement minoritaire. Le gouvernement doit soumettre ses activités administratives et législatives à la Chambre des communes sous la forme de votes de crédits, de motions de fond et de projets de loi.
La Chambre des Communes tient lieu de chambre électorale, donnant au gouvernement le pouvoir nécessaire pour le soutenir et stabiliser ainsi un gouvernement et, enfin, pour retirer sa confiance à un gouvernement qui ne mérite plus d’exercer le pouvoir8. Le débat parlementaire s’inscrit dans le cadre d’un ensemble de règles détaillées visant à assurer un contrôle démocratique efficace sur l’administration en place, sur la base de procédures et de conventions qui fournissent un objectif, une organisation et un ordre. Les organes législatifs sont traditionnellement maîtres de leurs propres procédures et de tels dispositifs extra-parlementaires ne peuvent donc pas les usurper.
Contrairement à la Chambre des communes, le Sénat canadien a été délibérément conçu comme un organe nommé ayant un rôle distinct dans le contexte d’un gouvernement responsable. Le Sénat a pour but de tenir lieu de contrepoids régional au principe de la « représentation par la population » et aux tendances potentiellement « radicales » de la Chambre des communes. Les Pères de la Confédération voulaient que le Sénat ne soit pas l’égal de la Chambre, mais un organe législatif secondaire, « ayant pour rôle de réviser la législation émanant de la Chambre des communes ainsi que de contenir et de retarder ses impulsions les plus dangereuses »9. Le Sénat se voulait ainsi un garde-fou contre le désordre qui a plongé les États-Unis dans la guerre civile.
Avec la Chambre des communes et le Sénat, il faut considérer le rôle du gouverneur général. L’un des principaux objectifs de cette fonction est de veiller à ce que le principe de gouvernement responsable ne fasse pas l’objet d’abus. La Loi constitutionnelle de 1867 attribue les pouvoirs de convoquer et de dissoudre le Parlement explicitement et uniquement au gouverneur général. Autrement dit, le pouvoir de proroger le Parlement est une prérogative de la Couronne. Le premier ministre seul ne peut donc pas proroger la Chambre des communes. Au lieu de cela, le premier ministre doit formellement conseiller au gouverneur général d’utiliser les pouvoirs investis dans cette fonction pour atteindre légalement ces objectifs.
Les pouvoirs de réserve du gouverneur général incarnent sa responsabilité constitutionnelle de veiller à ce que le premier ministre ait et continue à conserver la confiance de la Chambre des communes et ne tente pas de gouverner en l’absence de cette confiance. « En dernière analyse, c’est le gouverneur général qui s’oppose à une action politique sans principes qui menace de provoquer un coup d’État virtuel. Il est le protecteur ultime de l’ordre constitutionnel »10. Ce rôle est devenu une question centrale lors du débat sur la prorogation de 2008.
Qu’est-ce que le populisme?
De manière générale, le populisme est une approche de la politique qui fait appel aux besoins et aux aspirations du « peuple », groupe conçu comme étant défavorisé par rapport à « l’élite » qui a bénéficié socialement et économiquement de l’ordre politique en vigueur. Selon une vision élitiste du pouvoir, la démocratie fonctionne grâce à un groupe relativement petit, homogène et permanent qui exerce un pouvoir effectif dans cette société11. C’est la structure du pouvoir que le populisme cherche à remettre en cause.
Le populisme peut être une force politique positive. Les actions gouvernementales sont meilleures, comme l’a expliqué Jeremy Bentham, lorsqu’elles sont « conformes au principe d’utilité ou dictées par ce principe, lorsque, de la même manière, la tendance qu’elles ont à augmenter le bonheur de la communauté est plus grande que celle qu’elles ont à le diminuer »12. John Stuart Mill a ajouté à la conception de l’utilitarisme de Bentham en affirmant que « les actions sont justes en proportion, car elles tendent à promouvoir le bonheur »13. Ce point de vue va de pair avec l’hypothèse selon laquelle chaque individu connaît le mieux ses propres intérêts.
Un autre aspect du populisme est l’attrait de « l’étranger » politique qui n’est pas entaché par l’association avec des élites bien établies. Donald Trump, par exemple, a remporté l’investiture du Parti républicain pour la présidence et le poste de président, bien qu’il n’ait jamais occupé de poste élu à quelque niveau que ce soit.
Le populisme occupe une place importante dans l’histoire politique américaine. Il est lié à des mouvements populaires de masse qui ont servi à renverser des régimes non démocratiques; par exemple, l’effondrement du communisme dans toute l’Europe de l’Est en 1989, le mouvement Solidarité en Pologne et la « révolution de velours » dans l’ancienne Tchécoslovaquie. Plus récemment, la forte manifestation de soutien public au parti Sinn Fein lors des élections générales irlandaises de février 2020 a été décrite comme un soulèvement populiste contre les deux partis politiques (Fianna Fail, Fine Gael) qui ont dirigé le pays pendant plus d’un siècle, soulèvement alimenté par le mécontentement public sur des questions fondamentales telles que le logement, les soins de santé et l’inégalité sociale14. Le populisme, comme John Lennon aurait pu le dire, peut signifier « le pouvoir du peuple »15.
Le côté sombre du populisme
D’autre part, le populisme peut aussi être un écran de fumée pour l’autoritarisme. Selon Michael Ignatieff, « le populisme est un mouvement dans lequel vous utilisez la démocratie contre la démocratie »16. John Stuart Mill a mis en garde contre cette « tyrannie », à la fois légale et sociétale17. Le point de basculement, comme le prévient Ignatieff, a lieu lorsque le populisme se transforme en une « politique d’ennemis ». Candidat à l’investiture du Parti républicain et à la présidence en 2016, Donald Trump a mené une campagne populiste qui a ravi un grand nombre d’Américains, en particulier dans les communautés qui luttent contre les bouleversements économiques face aux changements technologiques et à la mondialisation. Cet attrait, cependant, reposait également fortement sur un programme isolationniste (« America First ») et xénophobe dans lequel le « déclin » du pays était dépeint comme la faute des « autres » (y compris les réfugiés et les immigrants). La campagne réussie de Trump a délibérément utilisé un langage de mécontentement et de privation de droits qui est souvent lié au populisme de droite.
Les partisans du retrait de la Grande-Bretagne de l’Union européenne ont employé des tactiques similaires. La campagne « Leave » menée avec succès lors du vote de 2016 a beaucoup joué sur les thèmes négatifs (« étrangers », europhobie) et la nostalgie de la « grandeur » perdue de la Grande-Bretagne parmi les démocraties occidentales.
Le côté sombre du populisme accepte également sans critique la validité de toute décision sur la base d’une majorité simple, avec peu ou pas de considération pour l’incidence sur des communautés particulières en l’absence d’autres protections juridiques. Dans ce scénario, la voix la plus forte l’emporte.
Dans leur récente étude, How Democracies Die, Levitsky et Ziblatt énumèrent quatre signes avant-coureurs d’un comportement antidémocratique : un engagement faible ou hostile aux normes et aux procédures démocratiques, un déni de la légitimité des opposants politiques, une volonté de restreindre les libertés civiles et la liberté d’expression, ainsi qu’une tolérance ou une promotion de la violence18. Si ces tactiques sont depuis longtemps liées à des régimes répressifs (Italie de Mussolini, Allemagne d’Hitler), des gouvernements nominalement démocratiques qui ne font aucune distinction entre la loyauté envers l’État et la loyauté envers le régime peuvent également les employer. Aux États-Unis, le président Donald Trump a utilisé les réseaux sociaux et un langage incendiaire pour dénoncer les critiques, y compris le Congrès et la presse grand public. Il a même qualifié les médias « d’ennemis du peuple », accusation liée à l’ère stalinienne dans l’exURSS. Dans un langage qui rappelle le maccarthysme des années 1950, Trump a également qualifié la récente procédure de destitution engagée contre lui de « chasse aux sorcières », de conspiration perpétrée par « l’État noir » et de « coup d’État » visant à renverser l’élection présidentielle de ٢٠١٦. Des tactiques similaires, utilisant un langage populiste pour exploiter le mécontentement public, ont permis l’émergence de régimes autocratiques dans le monde entier.
Pendant que divers gouvernements dans le monde sont aux prises avec la pandémie de coronavirus, il est légitime de craindre que des régimes autoritaires utilisent la crise pour invoquer des mesures antidémocratiques sous le couvert de lois « d’urgence » dans l’intérêt de la santé et de la sécurité publiques. En Hongrie, par exemple, le gouvernement d’extrême droite du président Victor Orban a suspendu toutes les élections, lui permettant de gouverner par décret et de contourner les institutions démocratiques et les tribunaux. Même dans des sociétés beaucoup plus démocratiques, l’utilisation d’une autorité étatique large et coercitive au nom de la lutte contre la pandémie mondiale a soulevé des questions sur les limites des libertés individuelles.
Sans utiliser le terme « populisme », John Stuart Mill a vu la menace pour la société démocratique dans son « principe de préjudice ». Comme l’a souligné Mill, « le seul but pour lequel le pouvoir peut être légitimement exercé sur tout membre d’une communauté civilisée, contre sa volonté, est d’empêcher de nuire à autrui »19. Mill prévient qu’une fois que les gens sont libres de faire leurs propres choix, ils risquent d’être pris par des attraits étroits pour l’intérêt personnel, faiblesse qu’un dirigeant peut exploiter au moyen d’attraits nominalement populistes pour ces intérêts personnels, tout en marginalisant ou en diabolisant ceux qui s’opposent à ce programme. Un tel programme entrave, voire menace, le développement intellectuel d’une société, les opinions de la majorité étouffant la créativité et la dissidence individuelles20. En conséquence, la règle du nombre se transforme en tyrannie de la majorité en l’absence d’autres protections politiques ou juridiques.
Dans un tel environnement, les institutions démocratiques sont vulnérables aux abus, et la société peut être effectivement ingouvernable. Les symptômes de cette ingouvernabilité sont notamment l’incapacité à former un gouvernement stable (voir le Royaume-Uni de 2017 à 2019 lors des négociations sur le Brexit), l’incapacité des gouvernements à adopter les lois fondamentales dont dépend le fonctionnement quotidien de l’État (comme une impasse budgétaire aux États-Unis lorsque le Congrès et le président refusent de coopérer), et plus grave encore, la corruption systématique des normes et des conventions constitutionnelles qui rendent les processus politiques aléatoires et arbitraires, peutêtre dans le but de marginaliser l’opposition politique (par exemple, les efforts du président Trump pour discréditer les articles de mise en accusation et les efforts du premier ministre israélien Benjamin Netanyahu pour éviter une inculpation pénale pour corruption, fraude et abus de confiance).
Il existe un autre symptôme important, mais souvent négligé de l’ingouvernabilité : un « canari dans la mine de charbon ». L’affaiblissement des partis politiques en tant qu’agents de l’engagement civique et de la participation publique à la vie politique du pays peut devenir problématique. Les partis « sont les forces organisatrices de la démocratie parlementaire[…] Si les partis continuent à décliner, les régimes politiques risquent de devenir au moins plus fluides, et au pire plus difficiles à gouverner »21. La fluidité signifie un affaiblissement de la responsabilité. Car « en concentrant les votes pour eux-mêmes, les partis politiques concentrent la responsabilité sur eux-mêmes »22. Les partis absents sont tous également responsables, ce qui est une autre façon de dire que personne n’est responsable.
La dévalorisation des institutions politiques va de pair avec la cristallisation du débat public. Les individus sont diabolisés, leurs motivations sont remises en question, l’expertise est dévalorisée et les preuves factuelles sont rejetées. Le populisme, à tort ou à raison, est lié à un anti-intellectualisme virulent, dans lequel les slogans remplacent la connaissance23.
Parlement et populisme
Le régime parlementaire de gouvernement responsable, comme nous l’avons précisé, fonctionne sur la base de règles, de procédures et de conventions. Toutefois, le bon fonctionnement de ces règles et procédures dépend en grande partie de l’accord et du soutien actif des députés. Mais que se passe-t-il lorsque ce n’est pas le cas? Au Royaume-Uni, berceau du gouvernement parlementaire responsable, le premier ministre Boris Johnson a ouvertement remis en question le droit des députés de contester la décision (en raison de la maigre majorité du référendum de 2016) de retirer ce pays de l’Union européenne. Cette remise en question du droit des députés est survenue en dépit de sérieuses préoccupations quant aux conséquences de l’absence d’accord sur les termes et les questions non résolues concernant d’autres questions économiques et politiques (par exemple, l’avenir de la frontière irlandaise, l’indépendance de l’Écosse). L’échec du Brexit signifierait le rejet de la « volonté du peuple », ont insisté Johnson et d’autres partisans du Brexit. La légitimité du Parlement luimême a été ouvertement remise en question. Le premier ministre Johnson a utilisé ce même argument lorsque son gouvernement conservateur minoritaire a demandé une prorogation extraordinairement longue du Parlement, de cinq semaines. La Cour suprême britannique a statué à l’unanimité que la Reine avait été amenée à agir illégalement lorsque le premier ministre lui a conseillé de suspendre le Parlement en déclarant que le gouvernement conservateur n’avait fourni « aucune raison, et encore moins une bonne raison », pour une telle attaque contre « les fondements de la démocratie »24.
Comme il convenait à l’environnement politique chaud de l’époque, le président de la Chambre des communes, John Bercow, a qualifié « d’outrage constitutionnel » la décision de Johnson de suspendre le Parlement. Pourtant, dans un langage remarquablement similaire, le leader du gouvernement à la Chambre des communes a dénoncé la décision de la Cour comme étant un « coup constitutionnel ». Le premier ministre Johnson, bien qu’il ait accepté de rencontrer la Chambre, n’a pas présenté d’excuses pour avoir tenté de mettre le Parlement sur la touche, dénonçant plutôt ce qu’il a prétendu être une « ingérence » de la Cour suprême. Il a accusé les députés anti-Brexit d’essayer de contrecarrer la décision du public lors du référendum, présentant effectivement le Parlement et la Cour suprême comme des obstacles à la volonté populaire25. Johnson et ses partisans ont même juré que le Brexit serait accompli « par tous les moyens nécessaires », expression popularisée par le militant américain des droits civils Malcolm X dans un discours de 196526. On a interprété ce discours comme une approbation de faire appel à tous les moyens, y compris la violence, pour apporter des changements sociétaux contre l’ordre politique établi.
Le cas du Canada
Est-ce que le régime parlementaire canadien est aussi vulnérable au type de populisme antidémocratique observé ailleurs? À l’inverse, y a-t-il quelque chose dans le cas du Canada qui pourrait le rendre plus apte à contrer la tendance autoritaire liée au populisme?
L’expérience historique du populisme au Canada a été largement régionale et centrée principalement sur l’Ouest du pays. Elle a pris la forme de mouvements et de partis politiques créés pour mettre en évidence les griefs de l’Ouest, rural et moins peuplé, contre l’Est, plus urbain, plus peuplé et plus influent sur le plan politique. Parmi les exemples, on peut citer les Cultivateurs unis de l’Alberta, le Parti Crédit social en Alberta et la Fédération du commonwealth coopératif en Saskatchewan. Au niveau fédéral, le Parti réformiste, basé dans l’Ouest, est né de circonstances similaires. À ses débuts, il parlait le langage du populisme et de l’aliénation régionale. Son programme mettait l’accent sur la responsabilité politique et la participation du public à l’élaboration des politiques publiques (par exemple, un Sénat élu, davantage de « votes libres » chez les députés en fonction des souhaits des électeurs plutôt que sur les exigences de la discipline de parti, et le recours plus fréquent aux référendums).
Bien que membre fondateur du Parti réformiste, l’ancien premier ministre Stephen Harper n’a guère transposé l’héritage du Parti réformiste dans sa direction du Parti conservateur fédéral. Au cours de son premier mandat (2006-2008), le gouvernement conservateur minoritaire de Stephen Harper a présenté un projet de loi prévoyant des élections à date fixe (Loi modifiant la Loi électorale du Canada), supprimant ainsi une prérogative stratégiquement importante du premier ministre. Cette loi est entrée en vigueur le 3 mai 2007. Cette initiative est devenue une victime précoce de la realpolitik lorsque le premier ministre a demandé et obtenu la dissolution de la Chambre des communes le 7 septembre 2008 pour déclencher des élections générales le 14 octobre 2008, une année entière avant que les premières élections à date fixe n’aient lieu. Interrogé sur cette apparente volte-face, le gouvernement a affirmé que la loi ne vise que les gouvernements majoritaires, bien que la loi ne fasse pas état de ce qualificatif.
En 2011, le gouvernement conservateur a présenté le projet de loi C7 (Loi sur la réforme du Sénat). Ce projet de loi prévoyait un mandat fixe de neuf ans pour les sénateurs et donnait aux provinces la possibilité d’organiser des élections pour choisir les représentants au Sénat. Le gouvernement a affirmé que les changements ne nécessitaient pas le recours à la formule générale d’amendement prévue par la Loi constitutionnelle de 1982 (sept provinces représentant au moins 50 % de la population). Dans une décision unanime, la Cour suprême du Canada a jugé le projet de loi C7 inconstitutionnel, après quoi le gouvernement a abandonné toute nouvelle tentative de réforme du Sénat qui nécessiterait inévitablement de longues négociations avec les gouvernements provinciaux pour parvenir à un amendement constitutionnel.
Malgré ces exemples, c’est le débat sur la prorogation de 2008 qui reste l’exemple le plus notable du conflit entre le Parlement et le populisme. Moins de deux mois après les élections générales du 14 octobre 2008, qui ont donné lieu à un deuxième gouvernement minoritaire dirigé par le Parti conservateur, le premier ministre Harper a dû faire face à une opposition unie prête à présenter une motion de censure et à proposer un nouveau gouvernement sur la base d’un accord écrit d’une coalition de l’opposition composée des libéraux et du Nouveau Parti démocratique (le Bloc Québécois ayant accepté de soutenir la coalition, mais refusait d’y participer en tant que membre). Au lieu de cela, le 8 décembre 2008, Harper a demandé à la gouverneure générale de proroger la Chambre des communes. Cette demande a finalement été acceptée, permettant au gouvernement d’éviter une défaite presque certaine à la Chambre des communes et la perte de son mandat. La prorogation a duré jusqu’au 26 janvier 2009.
De nombreux débats publics et universitaires ont eu lieu sur la question de savoir si la gouverneure générale avait le choix et, le cas échéant, si elle avait pris la bonne décision en accordant la demande de prorogation. Ce qui est clair, c’est que le premier ministre et le gouvernement conservateur ont cherché à justifier la prorogation en termes populistes, en prétendant que les actions des partis d’opposition, y compris la coalition proposée, étaient « illégales » ou « inconstitutionnelles » ou que la tentative de défaire le gouvernement et de le remplacer était « antidémocratique ». Le premier ministre Harper a en outre insisté sur le fait que seul « le peuple » pouvait décider du sort du gouvernement lors d’une élection. Pourtant, cet argument est contraire à l’un des principes fondamentaux du gouvernement parlementaire responsable, à savoir que le gouvernement doit conserver la confiance de la Chambre. L’invocation par le gouvernement Harper de la « démocratie » et du « peuple » était un attrait de nature partisane; le premier ministre a notamment affirmé qu’il avait lui-même un mandat pour gouverner qui ne pouvait lui être retiré que par une élection générale27. Cet argument était faux, car le premier ministre (en tant que député) n’est pas directement élu par le grand public, mais seulement par les électeurs de sa circonscription. La prétention de Harper à un « mandat » est également faible si l’on considère que le vote populaire combiné des partis d’opposition a dépassé celui des conservateurs au pouvoir.
Par sa tactique, le gouvernement conservateur a menacé de faire entrer la fonction de gouverneur général dans l’arène de la politique partisane et aurait très bien pu faire de la gouverneure générale une cible si cette dernière avait choisi de refuser la demande de prorogation de Harper. Dans de telles circonstances, selon C.E.S. Franks, « la gouverneure générale aurait été reconnue, avec la coalition [de l’opposition], comme l’une des ennemies de la démocratie »28. Par sa décision d’accorder la prorogation, la gouverneure générale Michaëlle Jean a probablement épargné à la fonction de gouverneur général et à elle-même un tel sort. Contrairement à l’exemple britannique, aucun tribunal n’a examiné la question de savoir si la gouverneure générale a accordé une prorogation du Parlement sur la base d’un avis illégal du premier ministre. En tout cas, par ses actions, le premier ministre Harper « a sapé la bonne conduite de la démocratie parlementaire, d’abord en prenant des mesures délibérées dans le sens de la démocratie populiste et ensuite en créant une confusion sur le rôle de la Chambre des communes dans le maintien ou le renvoi du gouvernement en place »29. Harper est resté impénitent, suggérant plus tard que ses actions ont « sauvé la fédération »30.
Le Parlement du Canada à l’âge du populisme
Le débat sur la prorogation de 2008 est un exemple de gouvernement prêt à déformer les principes fondamentaux du régime parlementaire canadien, au moyen du langage « populiste », tout en cherchant à discréditer d’autres institutions (la Chambre des communes, le bureau du gouverneur général, la Cour suprême) dans l’esprit du public. Pourtant, le Canada a réussi à éviter dans une large mesure le genre de rhétorique xénophobe qui a empoisonné le débat public dans d’autres démocraties occidentales. Une figure polarisante, mais tout de même très populaire, comparable à Donald Trump aux ÉtatsUnis, à Marine Le Pen en France ou à Matteo Salvini en Italie, n’a pas encore émergé.
Cependant, certains observateurs mettent en garde le fait que le Parlement manque à ses obligations envers ses citoyens et risque de perdre sa légitimité politique parce qu’il n’a plus la capacité de demander des comptes au gouvernement31. De telles préoccupations ne sont pas nouvelles. Il y a une quarantaine d’années, l’ancien chef du Parti progressiste-conservateur, Robert Stanfield, a déploré le fait « que le gouvernement parlementaire responsable n’est pas adapté à ce qu’on lui demande de faire, que le gouvernement et le Parlement sont surchargés au point que nous avons un mauvais gouvernement et que le Parlement ne peut pas faire face au gouvernement »32. Cependant, le fait qu’aucun leader ou qu’aucune faction politique n’ait émergé au Canada pour exploiter avec succès l’incapacité perçue du Parlement à tenir le gouvernement responsable n’est pas une raison de se reposer sur ses lauriers.
Les principes fondamentaux du gouvernement parlementaire responsable n’ont pas changé. Pourtant, diverses idées de réforme visant à renforcer le rôle du Parlement sont, dans une certaine mesure, des arguments populistes contre le gouvernement responsable. Le régime parlementaire signifie un gouvernement au sein du Parlement, mais pas par le Parlement33. Comme le fait remarquer C.E.S. Franks, la rhétorique de la réforme s’inscrit dans une appréciation erronée de la différence entre l’ambition « centrée sur le Parlement » de nombreuses propositions de réforme et la réalité « centrée sur le pouvoir exécutif » du processus parlementaire. Le changement est indissociable d’une bonne compréhension du fonctionnement du Parlement et de la nature du gouvernement responsable dans un régime parlementaire. Toute réforme potentielle doit tenir compte « des questions de pouvoir politique, de qui le détient et à quelles fins, est-ce que le pouvoir est destiné à une collectivité ou à un particulier, est-ce que le pouvoir a été utilisé et devrait l’être »34.
L’approche du gouvernement fédéral face à la pandémie de COVID-19 est un exemple récent. Lorsque le gouvernement libéral minoritaire dirigé par le premier ministre Justin Trudeau a mis en œuvre des mesures économiques d’urgence, notamment des dispositions permettant au gouvernement d’agir pendant des mois sans débat ni approbation parlementaires, les partis d’opposition ont tout fait pour empêcher ces pouvoirs extraordinaires. Le gouvernement a été contraint d’ouvrir ces politiques à un examen parlementaire complet. En conséquence, le Parlement a joué l’un de ses rôles essentiels, c.-à-d. contrôler l’utilisation du pouvoir exécutif et veiller à ne pas abuser ni sacrifier le contrôle et le débat parlementaires. Même si la Chambre des communes, tant au Canada qu’en Grande-Bretagne, a eu recours à des réunions au moyen de la technologie Zoom pendant la pandémie, l’importance du contrôle parlementaire (physique ou virtuel) demeure inchangée. Ce contrôle profite autant aux ministres qu’aux partis d’opposition. L’absence prolongée de séances parlementaires régulières pendant la pandémie soulève des questions troublantes sur la responsabilité réelle du gouvernement à un moment où un tel contrôle est le plus urgent. Le recours à la prorogation par le gouvernement Trudeau en août 2020, ainsi que sa décision extraordinaire en octobre 2020 de transformer en question de confiance une motion visant à créer un comité parlementaire pour enquêter sur la controverse relative à l’organisme caritatif UNIS et déposée par des partis d’opposition, démontre encore une fois le rôle nécessaire du Parlement pour contrôler l’action arbitraire du gouvernement visant à éviter l’examen public.
Il y a beaucoup à dire pour un régime, quelles que soient ses lacunes, qui assure la stabilité et la continuité, ainsi que les contrôles nécessaires sur l’action du pouvoir exécutif. En ce sens, le régime parlementaire canadien de gouvernement responsable joue un rôle important en tant que bouclier protecteur contre la tendance potentiellement antidémocratique du populisme et constitue une rupture essentielle avec le pouvoir exécutif débridé, ainsi qu’avec d’autres aspects (histoire, démographie) qui sont propres au cas canadien. Les règles, les procédures et les conventions qui régissent le Parlement, tant les affaires du Parlement que celles de ses membres, assurent l’ordre, la prévisibilité et la légitimité, tant aux yeux des députés qu’à ceux du public.
Le populisme offre un antidote apparemment attrayant au mécontentement du public à l’égard d’institutions politiques jugées trop décalées par rapport aux demandes populaires. En période d’anxiété et de méfiance, le public peut se tourner vers une figure semblable à celle d’Howard Beale, « un prophète en colère qui dénonce les hypocrisies de notre époque »35. En période de bouleversement et de perturbation, l’attrait de la stabilité offert par « le sauveur à cheval » peut présager la répression36. Lorsque le populisme tient lieu d’écran de fumée pour des mesures décidément non démocratiques, nous pouvons apprécier davantage le Parlement et son rôle dans le contrôle de la main de fer de la manipulation et des excès du pouvoir exécutif.
Notes
1 Patrick O’Brian, Le blocus de la Sibérie, Presses de la Cité, Paris, p. xx, 1997.
2 C.E.S. Franks, The Parliament of Canada, University of Toronto Press, Toronto, p. 269, 1987.
3 David E. Smith, The People’s House of Commons – Theories of Democracy in Contention, Université de Toronto, Toronto, p. 5, 2007.
4 David E. Smith, The People’s House of Commons – Theories of Democracy in Contention, Université de Toronto, Toronto, p. 91, 2007. De temps en temps, des efforts sont déployés pour greffer des instruments populistes sur le régime parlementaire – tels que les référendums et les rappels. David E. Smith fait toutefois remarquer que ces initiatives « sont considérées comme une intrusion aussi bien dans les prérogatives politiques du Parlement que dans les prérogatives constitutionnelles de la Couronne ». David E. Smith, The Constitution in a Hall of Mirrors: Canada At 150, University of Toronto Press, Toronto, p. 88, 2017.
5 John B. Stewart, The Canadian House of Commons: Procedure and Reform, McGill-Queen’s University Press, Montréal, p. 3, 1977.
6 John B. Stewart, The Canadian House of Commons: Procedure and Reform, McGill-Queen’s University Press, Montréal, p. 16, 1977.
7 John B. Stewart, The Canadian House of Commons: Procedure and Reform, McGill-Queen’s University Press, Montréal, p. 10, 1977.
8 J.R. Mallory, The Structure of Canadian Government, Macmillan, Toronto, p. 243, 1977.
9 C.E.S. Franks, The Parliament of Canada, University of Toronto Press, Toronto, p. 187, 1987.
10 Brian Slattery, « Why the Governor General Matters », Parliamentary Democracy in Crisis, éd. Peter H. Russell et Lorne Sossin, University of Toronto Press, Toronto, p. 88, 2009.
11 J. Roland Pennock, Democratic Political Theory, Princeton University Press, Princeton, New Jersey, p. 162-163, 1979.
12 Jeremy Bentham, An Introduction to the Principles of Morals and Legislation, Clarendon Press, Oxford, p. 3, 1823.
13 John Stuart Mill, « Utilitarianism », Classics of Western Philosophy, 2e éd., Steven M. Cahn, Hackett Publishing, Indianapolis, Indiana, p. 983, 1985. « La protection contre la tyrannie du magistrat ne suffit donc pas; il faut aussi se protéger contre la tyrannie des opinions et des sentiments dominants, contre la tendance de la société à imposer, par d’autres moyens que les sanctions civiles, ses propres idées et pratiques comme règles de conduite à ceux qui s’y opposent, à entraver le développement et, si possible, à empêcher la formation de toute individualité qui ne serait pas en harmonie avec ses voies, et à obliger tous les personnages à se modeler sur le modèle qui lui est propre. Il y a une limite à l’interférence légitime de l’opinion collective avec l’indépendance individuelle, et trouver cette limite, et la maintenir contre tout empiètement, est aussi indispensable à la bonne marche des affaires humaines que la protection contre le despotisme politique. » John Stuart Mill, « On Liberty », Classics of Western Philosophy, 2e éd., Steven M. Cahn, Hackett Publishing, Indianapolis, Indiana, p. 1023-1024, 1985.
14 Paul Waldie, « Sinn Fein scores breakthrough in Irish election », Globe and Mail, p. A5, 10 février 2020.
15 John Lennon, « Power to the People », Apple Records, 1971.
16 Michael Ignatieff, « What causes populism? », Université Esade, Barcelone, 5 novembre 2019.
17 « La volonté du peuple… signifie pratiquement la volonté de la partie la plus nombreuse ou la plus active du peuple – la majorité, ou ceux qui parviennent à se faire accepter comme la majorité. » John Stuart Mill, « On Liberty », Classics of Western Philosophy, 2e éd., Steven M. Cahn, Hackett Publishing, Indianapolis, Indiana, p. 1023, 1985. Walter Bagehot s’est également inquiété de la meilleure façon « d’empêcher les politiciens du parti, pour des raisons purement opportunistes, de faire des concessions à la démocratie qui remplaceraient le gouvernement par l’ignorance et les chiffres bruts du gouvernement par la discussion ». R.H.S. Crossman, « Introduction », Walter Bagehot, The English Constitution, Fontana, Londres, p. 7, 1964.
18 Steven Levitsky et Daniel Ziblatt, How Democracies Die, Broadway, New York, p. 23-24, 2018.
19 John Stuart Mill, « On Liberty », Classics of Western Philosophy, 2e éd., Steven M. Cahn, Hackett Publishing, Indianapolis, Indiana, p. 1027, 1985.
20 « Le propre bien d’une personne, qu’il soit physique ou moral, n’est pas un mandat suffisant. Cette personne ne peut être légitimement contrainte à faire ou à s’abstenir parce qu’il vaut mieux pour elle qu’elle le fasse, parce que cela la rendra plus heureuse, parce que, de l’avis d’autrui, il serait sage, voire juste, de le faire. Il y a de bonnes raisons de lui faire des remontrances, de la raisonner, de la persuader ou de la supplier, mais pas de la contraindre ni de la traiter de tous les maux au cas où elle agirait autrement. » « On Liberty », Classics of Western Philosophy, 2e éd., Steven M. Cahn, Hackett Publishing, Indianapolis, Indiana, p. 1027, 1985.
21 « Coalitions of Chaos », The Economist, p. 51, 3 août 2019. C.E.S. Franks en rajoute et décrit les partis politiques comme « les plus importants déterminants du contrôle et de l’utilisation du pouvoir dans le régime parlementaire canadien »; The Parliament of Canada, University of Toronto Press, p. 35, Toronto.
22 J.A. Corry et J.E. Hodgetts, Democratic Government and Politics, 3e édition (révisée), p. 224, 1963.
23 Ce phénomène n’est pas nouveau. Il a troublé John Stuart Mill en son temps. « Le mal particulier de faire taire l’expression d’une opinion est que cette action vole la race humaine, la postérité ainsi que la génération actuelle, ceux qui sont en désaccord avec l’opinion, encore plus que ceux qui la défendent. Si l’opinion est juste, ces derniers sont privés de la possibilité d’échanger l’erreur contre la vérité. Si l’opinion est fausse, ils perdent, ce qui est un avantage presque aussi grand, la perception plus claire et l’impression plus vivante de la vérité, produite par sa collision avec l’erreur. » « On Liberty », Classics of Western Philosophy, 2e éd., Steven M. Cahn, Hackett Publishing, Indianapolis, Indiana, p. 1031, 1985. Les mêmes avertissements seront lancés par Sinclair Lewis dans son roman de 1935, Impossible ici (It Can’t Happen Here), publié en pleine montée du fascisme en Europe.
24 « Supreme Court: Suspending Parliament was unlawful, judges rule », BBC News, 24 septembre 2019.
25 « The Reckoning », The Economist, p. 12, 28 septembre 2019.
26 « Nous déclarons notre droit sur cette terre d’être une personne, d’être un être humain, d’être respecté en tant qu’être humain, de se voir accorder les droits d’un être humain au sein de cette société, sur cette terre, en ce jour, et nous entendons lui donner vie par tous les moyens nécessaires. » Malcolm X, « By Any Means Necessary », Malcolm X: Speeches and Writings, Pathfinder Press, New York, 1992. En juin 2016, le député travailliste britannique Jo Cox, défenseur de l’Union européenne et de l’immigration, a été brutalement assassiné par Thomas Mair, jardinier au chômage de 53 ans, qui accusait les politiciens à l’esprit libéral et les médias traditionnels des problèmes du monde et avait ciblé Cox à titre de « collaborateur » et de « traître » à la race blanche. Boris Johnson lui-même a été accusé d’incitation à l’intolérance et de recours à la politique par messages codés. À titre de ministre des Affaires étrangères en 2018, il a fait remarquer que, en ce qui concerne les femmes musulmanes portant des burqas, il était « absolument ridicule que les gens choisissent de se promener en ressemblant à des boîtes aux lettres ». « Boris Johnson faces criticism over burka ‘letterbox’ jibe », BBC News, 6 août 2018.
27 Peter Aucoin, Mark D. Jarvis et Lori Turnbull, Democraticizing the Constitution: Reforming Responsible Government, Edmond Montgomery, Toronto, p. 92, 2011. « La demande de Harper de suspendre le Parlement pour éviter un vote de confiance en décembre 2008 était un abus flagrant de ce pouvoir pour des raisons politiques qui ne servaient aucun objectif public. » Peter Aucoin, Mark D. Jarvis et Lori Turnbull, Democraticizing the Constitution: Reforming Responsible Government, Emond Montgomery, Toronto, p. 102, 2011. « Parmi les autres demi vérités et fausses déclarations de Harper et de son parti, on peut citer l’affirmation selon laquelle la coalition de l’opposition serait un gouvernement “illégitime”, alors que son gouvernement est “légitime”. C.E.S. Franks, « To Prorogue or not to Prorogue: Did the Governor General Make the Right Decision? », Parliamentary Democracy in Crisis, éd. Peter H. Russell et Lorne Sossin, University of Toronto Press, Toronto, p. 38 39, 2009. Les distorsions comprenaient l’affirmation du gouvernement selon laquelle la coalition incluait le Bloc Québécois, dont le programme vise l’indépendance du Québec, ce qui n’était pas le cas. Mais cette impression a suffi à provoquer un sentiment anti québécois, notamment chez les partisans du Parti conservateur qui vivent dans l’Ouest.
28 C.E.S. Franks, « To Prorogue or Not to Prorogue: Did the Governor General Make the Right Decision? », Parliamentary Democracy in Crisis; éd. Peter H. Russell et Lorne Sossin, University of Toronto Press, p. 45, 2009.
29 Jennifer Smith, « Parliamentary Democracy versus Faux Populist Democracy », Parliamentary Democracy in Crisis, éd. Peter H. Russell et Lorne Sossin, University of Toronto Press, Toronto, p. 175, 2009. Si ce point de vue semble indûment alarmiste, il suffit de souligner l’attaque partisane du gouvernement conservateur contre le juge en chef de la Cour suprême du Canada lorsque, en mars 2014, la Cour a rejeté la nomination par le premier ministre Harper du juge en semi retraite de la Cour fédérale Marc Nadon. En réponse, le gouvernement a laissé entendre, sans fournir de preuve, que le juge en chef avait indûment cherché à « interférer » dans la nomination de Nadon en tentant d’en parler directement au premier ministre. Il y a eu de nombreuses spéculations sur le fait que le rejet de la nomination de Nadon, lié à d’autres décisions de la Cour suprême qui n’avaient pas suivi la voie du gouvernement, avait provoqué cette attaque sans précédent contre l’intégrité personnelle et professionnelle du juge en chef. Le 30 décembre 2009, Harper a de nouveau eu recours à la prorogation, suspendant le Parlement pendant deux mois jusqu’au 3 mars 2010. Dans cette affaire, les critiques ont fait valoir que le gouvernement conservateur cherchait délibérément à éviter le contrôle parlementaire sur son traitement des informations relatives à la gestion par l’armée canadienne de la garde du personnel militaire afghan fait prisonnier par les soldats canadiens. Harper a également exprimé son soutien à la tactique de prorogation de Boris Johnson. Paul Waldie, « Johnson’s Brexit approach is ‘absolutely correct’, Harper tells U.K. Tories », Globe and Mail, 2 octobre 2019.
30 Paul Waldie, « Johnson’s Brexit approach is ‘absolutely correct,’ Harper tells U.K. Tories », Globe and Mail, 2 octobre 2019.
31 Donald Savoie, « Our political institutions are failing: The next Parliament must save them », Globe and Mail, p. O1, O8, 21 septembre 2019.
32 Robert L. Stanfield, « The Present State of the Legislative Process in Canada: Myths and Realities », The Legislative Process in Canada: The Need for Reform, éd. W.AW. Neilson et J.C. MacPherson, Institut de recherche en politiques publiques, Butterworth and Co, Toronto, p. 42, 1978.
33 C.E.S. Franks, The Parliament of Canada, University of Toronto Press, Toronto, p. 10, 1987.
34 C.E.S. Franks, The Parliament of Canada, University of Toronto Press, Toronto, p. 258, 1987.
35 Network, réalisateur : Sidney Lumet, scénariste : Paddy Chayefsky, 1976.
36 Samuel E. Finer, The Man on Horseback: The Role of the Military in Politics, Routledge, Oxford, 2002.