Le Parlement à la loupe : la citation des témoignages parlementaires par la Cour suprême (2010-2020)

Article 4 / 10 , 45 No. 4 (Hiver)

Le Parlement à la loupe : la citation des témoignages parlementaires par la Cour suprême (2010-2020)

Les pouvoirs législatif et judiciaire du gouvernement sont étroitement liés. Les lois adoptées par le Parlement deviennent celles que le pouvoir judiciaire doit interpréter lorsqu’il statue sur les affaires pénales et civiles qui lui sont soumises. Toutefois, à quelle fréquence la plus haute instance du Canada cite-t-elle les débats et documents parlementaires dans ses décisions? La question se pose. Dans cet article, l’auteur examine les décisions de la Cour suprême du Canada (CSC) sur une période de dix ans qui citent au moins un document parlementaire. Sur les 720 jugements de la CSC pour cette période, 96 citent un document parlementaire (13,33 %). L’auteur examine quels types de documents sont cités et note également les complexités liées au décompte des citations et à la compréhension de la manière dont elles ont pu être utilisées par les juges. Il conclut en formulant des questions à l’intention des prochains chercheurs.

Charlie Feldman

Introduction

À quelle fréquence la Cour suprême du Canada (CSC) cite-t-elle les débats et documents parlementaires? Certaines publications parlementaires attirent-elles plus l’attention des juges que d’autres? Cette intersection particulière entre les pouvoirs législatif et judiciaire semble largement inexplorée, même si l’étude de la citation judiciaire − et de ce qui « fait loi »1 − demeure plus importante que jamais. En effet, l’automne dernier, l’Alberta Law Review a publié un ouvrage intitulé « The Most-Cited Law Review Articles of All Time by The Supreme Court of Canada »2.

La citation juridique a une longue histoire3 et on dit que le droit est le « berceau de l’étude de la citation »4. Cela dit, la pratique de la citation juridique n’est pas exempte de critiques5, y compris celles qui sont particulières au contexte canadien6, et l’étude de la citation comporte ses défis7. Néanmoins, les pratiques de citation judiciaire peuvent et devraient être examinées. De plus, elles peuvent faire l’objet d’une critique tout à fait légitime, comme l’illustrent de manière frappante les travaux récents sur la citation des pages Wikipédia par les tribunaux8. Mis à part les défauts, les échecs ou les faiblesses des citations (et de leur étude), la compréhension de la manière dont les tribunaux décident des affaires, vue à travers leurs citations, mérite d’être prise en considération.

Cette recherche montre que le pourcentage annuel de décisions de la CSC citant des documents parlementaires a augmenté entre 2010 et 2020.

Si cette tendance se poursuit, il sera de plus en plus important de prêter attention aux témoignages parlementaires cités pour surveiller les changements dans le comportement des tribunaux (ou, potentiellement, les changements dans le comportement des parlementaires tels que reflétés dans les décisions des tribunaux).

Cet article commence par une remarque historique concernant l’utilisation du hansard par les tribunaux. La méthodologie est ensuite présentée en deux parties : la première décrivant les témoignages parlementaires et la seconde détaillant la manière dont les citations ont été recensées. Enfin, l’auteur présente l’analyse et les résultats, ainsi que les questions relatives aux recherches à venir et une brève conclusion.

Remarque historique

Jusqu’à récemment, le hansard et d’autres documents parlementaires étaient jugés inadmissibles dans les procédures judiciaires9. Bien que l’origine précise de cette pratique en droit anglais soit contestée,10 les spécialistes s’accordent à dire que le hansard était généralement exclu par les tribunaux canadiens jusque dans les années 197011. L’utilisation élargie du hansard par la Cour a suscité un intérêt limité de la part des juristes12, essentiellement concentré sur les questions d’interprétation des lois.

De façon générale, les témoignages parlementaires ont été jugés peu fiables, notamment parce que les débats reflètent « les opinions et la compréhension de certains participants au processus législatif » plutôt que « les opinions et la compréhension du Parlement lui-même »13. Lorsqu’elle a assoupli son approche de l’admissibilité du témoignage parlementaire, la CSC a expliqué : « Malgré les nombreuses lacunes de la preuve des débats parlementaires, notre Cour a reconnu qu’elle peut jouer un rôle limité en matière d’interprétation législative. »14.

La perspective parlementaire précoce sur cette question peut surprendre ceux qui adhèrent à la traditionnelle position d’exclusion. L’une des rares personnes à avoir siégé à la fois au Parlement et à la Cour suprême du Canada, Charles Fitzpatrick (qui a été solliciteur général, puis juge en chef de la CSC de 1906 à 1918) aurait dit (à la Chambre des communes en 1899) :

Nous rendons des lois ici, et naturellement, nous tenons à ce que ces lois soient parfaitement comprises surtout des juges qui sont chargés de l’administration de ces lois et des avocats qui prennent part à cette administration.

Or, si nous voulons que les lois que nous établissons ici soient parfaitement comprises, il importe grandement, à mon avis, que les arguments et les éclaircissements apportés de part et d’autre au cours de nos délibérations sur les différents projets de loi dont la Chambre est saisie soient à la portée de tous ceux qui prennent part à l’administration de ces lois15

Bien que ce sentiment puisse être interprété de manière restrictive comme étant uniquement une question « d’accessibilité », il est probable que Fitzpatrick voulait que les juges aient non seulement accès aux débats parlementaires, mais qu’ils les utilisent. À cet égard, il faut dire que l’accessibilité aux documents parlementaires ne fait que s’améliorer avec le temps, notamment ces dernières années grâce aux projets de numérisation des archives parlementaires historiques16. Parallèlement, l’attitude des juges à l’égard de l’admissibilité des témoignages parlementaires a évolué17.

Que les parlementaires considèrent qu’ils « adressent la parole à la cour » ou non dépasse la portée de la présente étude. Le hansard contient des propos de parlementaires comme : « J’ose espérer que si les juges lisent ce que les politiciens et le législateur ont dit dans le contexte de l’étude d’un projet de loi, [ils comprendront] »18, ce qui témoigne de leur désir de voir les tribunaux lire leurs remarques. Le corollaire apparaît dans les critiques formulées à l’encontre des tribunaux qui ignorent le Parlement : « Si le juge avait lu les débats dans le hansard, il serait sûrement parvenu à une autre conclusion »19. Certes, on peut se demander si les juges et les parlementaires ont des attentes communes quant à la manière dont ils interagissent.

Pour leur part, les parlementaires ont offert leurs perspectives concernant ce que la Cour peut voir du Parlement. En 2010, un sénateur a déclaré à la Chambre haute que « ce qu’ils disent au Sénat est souvent cité dans nos tribunaux », et « [c]e que les députés disent à la Chambre des communes n’est jamais cité, mais ce que nous disons au Sénat l’est souvent »20. En 1983, un député, et avocat fiscaliste de profession, a présenté un avis similaire, qu’il a exprimé aux Communes comme un fait avéré : « Nous savons que les tribunaux ne tiennent absolument pas compte de ce que peuvent dire les députés, qu’ils soient de la majorité ou de l’opposition »21.

À une certaine époque, des statistiques venaient peut-être étayer ces opinions. Toutefois, la présente recherche brosse un tableau très différent de la pratique contemporaine des tribunaux. Par exemple, sur les 221 documents parlementaires cités par la CSC entre 2010 et 2020 (inclusivement), plus des deux tiers provenaient de la Chambre des communes. Comme l’indique l’illustration 1 ci-dessus, la Cour consulte régulièrement les témoignages parlementaires et l’ère de l’exclusion est clairement révolue. Cependant, quels témoignages parlementaires la Cour cite-t-elle et comment peut-on les évaluer?

Méthodologie partie I : définition du témoignage parlementaire

Dans cet article, l’expression « témoignage parlementaire » désigne les comptes rendus écrits22 des discussions et des décisions prises par le Sénat et la Chambre des communes ou par un comité parlementaire23. Le témoignage parlementaire comprend, par extension, les documents publiés par les décisions ou les pratiques de l’une ou l’autre des Chambres (y compris les documents parlementaires), mais il ne comprend pas les projets de loi.

Au sens large, l’objectif est de saisir les documents qui font l’objet d’un privilège parlementaire. Les textes législatifs sont certainement examinés par les tribunaux, bien qu’il y ait d’autres défis et questions concernant les renvois des tribunaux à la législation, en particulier lorsqu’elle est en cours d’examen par le Parlement et n’est pas promulguée24. Cependant, cette enquête particulière ne porte pas sur la législation, mais sur les témoignages parlementaires, dont une grande partie est liée à l’étude des projets de loi.

Pour les besoins de la présente recherche, les témoignages parlementaires renvoient précisément aux éléments suivants :

1. Les transcriptions des débats du Sénat ou de la Chambre des communes (connues sous le nom de « hansard », publiées sous le nom de « Débats »).

2. Les transcriptions des comités du Sénat ou de la Chambre des communes, ou des deux Chambres (publiées sous le titre « Témoignages » ou « Délibérations »).

3. Les comptes rendus des décisions du Sénat ou de la Chambre des communes (publiés sous le nom de « Journaux »).

4. Les procès-verbaux des réunions des comités (publiés sous le nom de « Procès-verbaux »).

5. Les documents parlementaires (en règle générale, les documents déposés au Sénat ou à la Chambre des communes).

6. Les rapports des comités (traditionnellement, ils étaient imprimés dans les Journaux, mais ils sont maintenant enregistrés en tant que documents parlementaires).

7. Les compilations ou les reformulations de tout élément de ce qui précède provenant d’une source parlementaire (à l’exception des manuels de procédures)25.

Le point sept concerne les publications antérieures du Sénat et de la Chambre des communes, comme les Votes et délibérations (publication de la Chambre des communes de 1868 à 1994) et Procès-verbaux des délibérations du Sénat (publiés de 1868 à 1996)26. Il recense également les témoignages et les procès-verbaux des comités qui sont cités dans un volume relié dont le titre commence par « Procès-verbaux et témoignages » suivi du nom du comité. En termes simples, l’objectif est de saisir chaque publication, autre que les projets de loi, du Sénat, de la Chambre des communes ou d’un comité mixte des deux Chambres, quel que soit le nom qu’elle ait pu porter à l’époque.

En outre, le point sept comprend le Règlement du Sénat, le Règlement de la Chambre des communes, les documents « État des travaux de la Chambre » et « Progrès de la législation », ainsi que le Feuilleton et le Feuilleton des Avis. Aucun de ces documents ne semble avoir été cité par la Cour au cours des 15 dernières années, bien qu’il soit peut-être utile de noter que plusieurs affaires de la Cour suprême du Canada mentionnent (sans citation) qu’un projet de loi particulier est « mort au Feuilleton ».

Il convient de noter que les publications rédigées par le personnel de la Bibliothèque du Parlement, comme les résumés législatifs et les documents d’information, sont également exclues, bien qu’elles aient été citées par la CSC à plusieurs reprises27. De même, les articles provenant de fonctionnaires et d’agents du Parlement sont exclus, sauf s’ils sont cités dans un document parlementaire28.

Il est important de noter que le même témoignage parlementaire peut se trouver à plusieurs endroits. Par exemple, le procès-verbal d’une réunion de comité peut se trouver individuellement en ligne, faire partie d’un volume publié de Procès-verbaux et témoignages, ou être inclus dans le rapport d’un comité qui est lui-même déposé comme document parlementaire. Cette recherche suit l’exemple de la Cour, même si le document pourrait être attribué à une source différente

Méthodologie partie II : identification des citations de la CSC

La recherche de citations de tribunaux pour la présente étude a commencé par le catalogage de toutes les entrées du site Web de la CSC répertoriées sous la rubrique « Jugements de la Cour suprême » pour la période de 2010 à 2020 inclusivement. Des informations ont été recueillies pour chaque affaire et il a été déterminé si des documents parlementaires figuraient dans la liste des « Doctrines et autres documents cités » de la Cour.

L’utilisation de la liste des « Doctrines et autres documents cités » de la Cour résout les problèmes du décompte qui se poseraient autrement en raison de certaines incohérences dans les pratiques de la CSC. Par exemple, tous les débats parlementaires d’une session peuvent être réunis en un seul ouvrage et peuvent donc être cités comme une même source avec de nombreux renvois de page. Cependant, chaque jour de séance pourrait être cité séparément, produisant ainsi un document distinct. Dans la plupart des cas, la Cour utilise une citation unique pour chaque jour de séance parlementaire. Toutefois, lorsque plusieurs jours sont cités par la Cour dans un même ouvrage, cet ouvrage les traitera comme une seule entrée afin de suivre l’exemple de la Cour.

Cette approche présente une faiblesse importante : la rubrique « Doctrines et autres documents cités » ne fournit pas une représentation complète des renvois de la CSC aux documents parlementaires. En effet, il peut y avoir des renvois dans le texte à des actions ou à des documents parlementaires qui ne sont pas accompagnés d’une citation explicite de la Cour. En outre, comme l’a fait remarquer un juriste à propos de la Haute Cour d’Australie : « Il y a une grande différence entre ce que la cour lit et ce qui peut l’influencer, et ce que la cour daigne citer »29.

Aucune documentation n’a pu être trouvée pour expliquer les raisons pour lesquelles la Cour choisit de renvoyer à des documents sans fournir de citation30. De plus, il n’y a pas moyen de comptabiliser les cas où une citation renvoie à quelque chose qui pourrait également être cité à un document parlementaire31.

L’analyse détaillée de chaque document parlementaire cité dans la rubrique « Doctrines et autres documents cités » s’est avérée difficile étant donné la manière dont les documents sont parfois présentés par la Cour, ce qui reflète les difficultés plus générales liées aux styles de citations parlementaires32.

Par exemple, l’affaire R. c. Khill, 2021 CSC 37 comprend les entrées suivantes sous la rubrique « Doctrines et autres documents cités » :

Canada. Chambre des communes. Procès-verbaux et témoignage du Comité permanent de la justice et des droits de la personne, no 25, 1re sess., 41e lég., 8 mars 2012.

Canada. Chambre des communes. Comité permanent de la justice et des droits de la personne. Témoignages, no 18, 1re sess., 41e lég., 7 février 2012, p. 2, 9.

D’après l’utilisation qui en est faite dans le jugement, le premier et le deuxième renvoi concernent tous deux le même type de document, soit un témoignage de comité (une transcription), provenant du même comité, à un mois d’intervalle. Ces documents sont accessibles en ligne (il s’agit peut-être de la source du deuxième renvoi), mais ont été imprimés dans une collection plus large dont le titre (« Procès-verbaux et témoignages ») semble être reflété dans la première citation.

À partir de la première citation seulement, il est impossible de discerner si c’est le procès-verbal de la réunion ou le témoignage qui est cité. L’absence de renvoi aux pages signifie également que le texte du jugement doit être utilisé de manière plus extensive en conjonction avec la citation pour déterminer si l’ensemble du document est pertinent ou seulement une partie (par exemple, certaines interventions, un document qui est un « procès-verbal » ou un document qui est un « témoignage »).

En gardant cela à l’esprit, examinez le paragraphe du jugement qui renvoie au document :

En troisième lecture, le secrétaire parlementaire du ministre de la Justice a expliqué que la jurisprudence relative à l’ancien régime continuerait d’être pertinente, mais il a également affirmé que les changements apportés au droit applicable à la légitime défense sont « profonds, car ils remplacent du tout au tout les dispositions juridiques actuelles par d’autres, moins compliquées » (Débats de la Chambre des communes, vol. 146, n° 109, p. 7064 (Robert Goguen)). De plus, la question de savoir si le « rôle joué […] lors de l’incident » représentait un changement trop important par rapport au droit antérieur a été examinée en en deuxième lecture et en comité (Débats de la Chambre des communes, vol. 146, no 58, p. 3841 (hon. Irwin Cotler); voir aussi Chambre des communes, Procès-verbaux et témoignages du Comité permanent de la justice et des droits de la personne, no 25, 1re sess., 41e lég., 8 mars 2012). Des préoccupations relatives à la portée de l’expression ont été exprimées au Parlement, mais ce dernier a décidé de ne pas y donner suite33.

Si les locuteurs sont identifiés dans les citations des débats de la Chambre des communes (à noter qu’on ne mentionne rien sur la législature et la session), ce n’est pas le cas pour le document du comité cité. La réunion en question a duré un peu plus de deux heures et il est indiqué sur le site Web de la Chambre des communes qu’elle a comporté 324 interventions de 12 membres du comité et 32 interventions de deux témoins experts du ministère de la Justice qui étaient présents. Notamment, la phrase mentionnée dans le paragraphe « rôle joué […] lors de l’incident » n’apparaît nulle part dans la transcription. De même, la phrase ne figure pas dans le procès-verbal de cette réunion. Cette panoplie d’informations ne permet pas de confirmer avec certitude ce que le tribunal cite. Dans un cas comme celui-ci, la formulation « examinée […] en comité » est interprétée comme faisant référence aux discussions du comité consignées dans les témoignages plutôt que dans le procès-verbal.

Constatations générales : citations parlementaires

Le tableau 1 fournit des informations sur les citations de documents parlementaires par la CSC pour la période de 2010 à 2020. Si les chiffres sont arrondis, les moyennes et les pourcentages sont indiqués avec deux décimales.

Sur les 720 jugements de la CSC pour cette période, 96 ont cité un document parlementaire (13,33 %). Au total, 221 citations de documents parlementaires ont été recensées. Au cours d’une année donnée, entre 6,15 et 22,39 % des jugements ont cité un document parlementaire, avec une moyenne annuelle de 13,56.

Chambre de provenance

L’illustration 2 présente la répartition bicamérale des documents parlementaires cités par la CSC entre 2010 et 2020 inclusivement.

Comme il a été souligné dans l’introduction, la grande majorité des documents parlementaires cités à partir de la CSC provenaient de la Chambre des communes (75,57 %), comparativement au Sénat (21,72 %). Les comités mixtes représentent le reste (2,71 %).

Type de document

Si l’on exclut les documents des comités mixtes et tout type de document cité moins de trois fois34, la plus grande partie des citations de documents parlementaires concerne les débats en Chambre, suivis des témoignages des comités. Alors que les documents de la Chambre des communes sont cités plus souvent que ceux du Sénat dans le cas des transcriptions, les rapports des comités du Sénat sont pratiquement cités aussi souvent que ceux des comités de la Chambre.

Il convient de rappeler qu’un même document peut être cité par plus d’un jugement, bien que cela semble extrêmement rare pour tout autre document qu’un rapport de comité. Le rapport du comité le plus cité (mentionné dans six jugements au cours de cette période) est Les débiteurs et les créanciers doivent se partager le fardeau : examen de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, étude réalisée par le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce en 2003.

De même, il convient de remarquer qu’un même document peut être cité dans plus d’un motif de jugement. Un exemple frappant concerne la période juste après l’étude : R. c. Chouhan, 2021 CSC 26. L’arrêt Chouhan compte cinq ensembles de motifs. Une seule page du hansard est citée dans quatre de ces motifs; huit paragraphes différents du jugement citent la même page du hansard35.

Année du document

Bien que les documents parlementaires plus récents aient été cités en plus grand nombre que les documents historiques, la Cour a cité des témoignages parlementaires de toute l’histoire du Canada dans les décisions rendues entre 2010 et 2020 (inclusivement).

Défis et critiques

Citations manquantes

Le présent article se concentre sur la citation des témoignages parlementaires par la CSC. Pourtant, il existe des cas où les témoignages parlementaires semblent être consultés sans qu’une citation de la CSC y soit associée. Dans un cas en particulier, le « fait » parlementaire mentionné, associé à l’absence de citation explicite, soulève des questions et des inquiétudes quant à l’utilisation par la Cour des témoignages parlementaires.

Dans Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général), la majorité de la Cour écrit que « Le 1er mars 1871, le Parlement a pris un décret déclarant que tous les Métis avaient le droit de participer au partage des 1,4 million d’acres de terres promis à l’art. 31 de la Loi sur le Manitoba »36. Quel est le problème? Le Parlement n’adopte pas de décret; ceux-ci sont adoptés par le gouverneur en conseil. De plus, il n’y a aucune mention de ce décret dans les documents parlementaires du 1er mars 1871.

S’agit-il d’une erreur de la Cour ou d’une erreur dans une source sur laquelle la Cour s’est appuyée? Il est difficile de trancher en examinant uniquement le jugement, puisque la déclaration de la Cour ne contient aucune citation. De plus, la Cour n’inclut pas le décret dans la liste des « Lois et règlements cités » ni aucun document parlementaire dans la liste des « Doctrines et autres documents cités ».

Les recherches révèlent que le décret sur ce sujet, daté du 1er mars 1871, a été pris par le gouverneur en conseil37. La Chambre des communes, à ne pas confondre avec le Parlement38, a été informée le jour suivant par son Président, ce qui est consigné dans les Journaux de la Chambre des communes. La Chambre a examiné le décret (et les questions connexes) le 6 avril 1871 (comme en témoignent les Débats), et le décret lui-même a été publié comme document parlementaire l’année suivante39. Comme on le constate dans ce document parlementaire, le décret commence ainsi : « Le Gouverneur-Général transmet pour l’information de la Chambre des Communes, l’ordre en conseil ci-joint et le mémoire établissant […] des règlements concernant les terres publiques dans la province de Manitoba. »

En somme, l’information correcte aurait pu être trouvée en consultant l’une des trois sources de témoignages parlementaires : les Journaux, les Débats et un document parlementaire. Les motifs seuls ne permettent pas de savoir, compte tenu de l’absence de citation, si la Cour a consulté l’un ou l’autre de ces documents ou si elle a été induite en erreur par une ou plusieurs des parties ou peut-être par l’une des instances inférieures. En outre, l’erreur aurait également pu être évitée en examinant le décret lui-même. Cela revient à mettre de côté la question plus large : comment se fait-il que la Cour ne sache pas qu’un décret n’est pas un instrument parlementaire?

Tout le monde peut faire des erreurs, mais les motifs écrits (et les citations) n’existent pas en vase clos. Comme l’ont exprimé des spécialistes étudiant les pratiques de citation à la Haute Cour d’Australie :

Les motifs écrits, ainsi que la citation de l’autorité, constituent la meilleure documentation dont nous disposons sur le processus de réflexion qui sous-tend la façon dont les juges ont décidé d’une affaire. Lorsque ces motifs et les autorités citées sont examinés pour une cour d’appel sur une période considérable, cet exercice peut donner un aperçu non seulement des influences majeures sur l’évolution du droit commun dans un pays donné, mais aussi des tendances dans ce que les juges considèrent comme un raisonnement juridique légitime40.

L’examen des citations permet également de comprendre si un tribunal particulier connaît certaines sources et est capable de repérer certains types d’informations ou d’analyses.

Utilisation de matériel antérieur

Les citations de témoignages parlementaires peuvent être trompeuses quant à savoir si la source est réellement de province parlementaire. Considérez la citation suivante dans Caron c. Alberta, 2015 CSC 56 :

Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes, 1re sess., 1re lég., 4, 5, 6, 9 et 11 décembre 1867, p. 181, 183, 194-196, 200, 203, 205, 208, 222-225, 244, 254.

Si l’on met de côté l’enjeu de citer plusieurs jours, soulevé plus tôt (à savoir si cette citation doit être traitée comme la citation d’un seul document ou de cinq, étant donné que le hansard est un document distinct pour chaque jour de séance), cette citation concerne les premiers témoignages parlementaires. Quel est le problème? Bien qu’il semble s’agir d’une citation conventionnelle du hansard, il n’existait pas de rapport officiel autorisé de la Chambre des communes en 1867. En fait, le Parlement a explicitement décidé de ne pas rédiger de compte rendu littéral au cours des premières années afin de réduire les coûts41.

Aux premiers jours du Parlement, les journaux relataient les débats qui s’y déroulaient. Plusieurs années plus tard, un projet a été entrepris pour compiler ces coupures de presse sous forme de débats reconstitués42. Comme l’explique l’un des principaux spécialistes de ce domaine :

[L]es comptes rendus publiés par les journaux […] n’étaient pas textuels : ils rendaient à peu près le tiers des déclarations des députés et des sénateurs. Ce sont les journalistes qui en faisaient un résumé et leur impartialité n’était pas du tout garantie. Il arrivait même au premier ministre Macdonald, qui était pourtant généralement satisfait de ces comptes rendus, de s’inquiéter d’un certain manque de rigueur. Les Québécois se plaignaient que les journalistes anglophones refusent (ou qu’ils sont incapables) de faire un compte rendu des discours prononcés en français […]43.

Malheureusement, le renvoi précis de la Cour à ce document donne l’impression qu’il s’agit d’un compte rendu verbatim du Parlement :

La conception des « droits » avancée par le ministre est partagée par d’autres députés (voir, p. ex., les Débats, 4, 5, 6, 9 et 11 décembre 1867, p. 181, 183, 194-196, 200, 203, 205, 208, 222-225, 244 et 254).

La Cour ne semble pas reconnaître qu’elle renvoie à une collection bien ordonnée d’articles de journaux sur les débats de la Chambre, dont certains peuvent ne pas refléter ce qui a été dit dans l’une des deux langues, et la cite. C’est d’autant plus inquiétant que l’arrêt Caron lui-même portait sur les droits linguistiques.

Provenance parlementaire

Il est parfois difficile de savoir si la Cour est toujours parfaitement consciente qu’elle cite un document parlementaire. L’arrêt Caron comprend également des citations des deux articles suivants :

Canada. Documents de la session, vol. V, 3e sess., 1re lég., 1870, n° 12.

Canada. Comité spécial sur les causes des troubles du Territoire du Nord-Ouest en 1869-70. Rapport du Comité spécial sur les causes des troubles du Territoire du Nord-Ouest en 1869-70, Ottawa, I. B. Taylor, 1874.

En ce qui concerne la première, le texte contient de multiples renvois à ces « Documents de la session », mais ne reconnaît pas explicitement qu’il s’agit de documents déposés à la Chambre des communes et publiés selon les pratiques parlementaires.

De même, le « Comité spécial » était un comité de la Chambre des communes et son rapport se trouve dans les Journaux de la Chambre des communes pour la 3e législature, 1re session (vol. 8). Le renvoi textuel à cette citation dans le jugement ne permet pas de savoir si la Cour savait qu’il s’agissait d’un document parlementaire.

Il est possible que la présence de la marque d’un imprimeur externe sur la couverture et reflétée dans la citation (I. B. Taylor) soit partiellement responsable de toute confusion quant à sa provenance. Isaac Boulton Taylor était l’imprimeur engagé par le Parlement durant les premières années; ses pratiques de facturation ont donné lieu à un scandale et à une éventuelle poursuite44.

Dans le cadre d’une recherche ultérieure, devrait-on compter un élément qui est traité comme un document parlementaire alors qu’il n’en est pas vraiment un? Faut-il prendre en compte un document parlementaire qui est traité comme s’il provenait d’une autre source? (Pour la présente étude, chacun d’eux a été considéré comme un document parlementaire.)

Bien que l’affaire Caron soit évoquée ici pour les questions ci-dessus, elle contient également un renvoi à un document parlementaire particulièrement remarquable : une citation dans une seule langue. En effet, la version anglaise des motifs indique au paragraphe 15 que « in the Journaux de la Chambre des communes de la Puissance du Canada, the phrase “legal rights” is translated as “droits acquis” ». Dans aucun autre cas, il n’est apparu qu’une seule version linguistique d’un document parlementaire était citée par la Cour45.

Cas de renvoi

Question pour une prochaine étude dans ce domaine : il n’est pas clair si les jugements de renvoi doivent être considérés comme des jugements dans les litiges traditionnels. Tout d’abord, les renvois n’arrivent pas nécessairement à la Cour avec un dossier de preuves aussi complet qu’une affaire entendue initialement par un tribunal de première instance et examinée par une cour d’appel. Un renvoi signifie que la CSC ne bénéficie pas nécessairement des motifs des instances inférieures46, y compris ceux concernant les documents parlementaires. Enfin, les questions que le gouvernement pose à la Cour dans le renvoi peuvent nécessiter la mention de documents parlementaires d’une manière différente que dans un litige traditionnel47.

Pour sa part, le Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, 2020 CSC 17 est un renvoi du gouverneur en conseil concernant la constitutionnalité d’un projet de loi public du Sénat et est considérée comme le premier renvoi du gouverneur en conseil de l’histoire concernant un projet de loi fédéral non gouvernemental; il est notamment unique pour cette raison. D’un point de vue statistique, cette seule affaire est responsable de plus du double de citations de documents du Sénat que toute autre affaire. Fait extraordinaire, ce renvoi cite 17 documents parlementaires, alors que le nombre moyen de citations d’un document parlementaire est de 2,2 documents parlementaires.

Si le litige concernant ce projet de loi avait été porté devant le tribunal selon la procédure habituelle, l’utilisation des documents parlementaires dans le jugement aurait très bien pu être différente. Pour les besoins de l’article, ce renvoi est inclus dans l’analyse. Cependant, il se peut que les cas de renvoi (qui sont atypiques) doivent être traités séparément dans une prochaine étude des citations de témoignages parlementaires par les tribunaux.

Et le prix du parlementaire le plus cité va à…

Au cours des recherches qui ont mené au présent article, de nombreux esprits curieux ont voulu savoir quel parlementaire et quels débats sont les plus cités. Il est impossible de répondre à cette question avec une certitude quantitative, d’autant plus que certaines citations n’indiquent pas le nom du locuteur dont les propos sont pris en considération. De plus, la classification des locuteurs devient problématique lorsque les rôles changent au fil du temps. Par exemple, le rôle de ministre des Postes du Canada est devenu le ministre responsable de la Société canadienne des postes, qui, dans certains récents ministères, est devenu le ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux ou le ministre des Transports. L’identification dans le hansard n’est pas toujours utile pour déterminer en quelle qualité une personne s’exprime à un moment donné. Par exemple, le député Thomas Crerer a été ministre de trois ministères à la fois48.

En tenant compte de tout cela, observation anecdotique (néanmoins éclairée par les données recueillies) : lorsqu’un seul locuteur est identifié, il s’agit le plus souvent d’un ministre. Parmi les ministres, ceux qui sont associés à un portefeuille de la Justice sont les plus cités (ministre de la Justice, procureur général ou solliciteur général). Il en va de même lorsque des secrétaires parlementaires sont cités. Dans la plupart des cas, il s’agit d’un secrétaire parlementaire chargé de la justice. En général, les discours cités par ces acteurs sont leurs discours de deuxième lecture, mais la quantification des interventions pourrait être trompeuse étant donné l’évolution des pratiques parlementaires au fil du temps, notamment en ce qui concerne le recours au comité plénier à la Chambre des communes.

Lorsque des acteurs parlementaires qui ne sont pas ministres ou secrétaires parlementaires sont cités, il s’agit le plus souvent du parrain d’un projet de loi dont les propos sont pris en compte. Dans les comités, les témoins ministériels sont cités à peu près autant que les témoins non ministériels.

Questions pour les recherches à venir

Cet article se concentre uniquement sur les questions de citation : Que cite la Cour? À quelle fréquence cite-t-elle les documents parlementaires? Certes, il est important de comprendre pourquoi la Cour se tourne vers les documents parlementaires et de déterminer si elle doit les citer, mais ces questions dépassaient la portée de la présente recherche.

Le sujet mérite beaucoup d’autres études et écrits. L’objectif ici était tout simplement de fournir un cadre d’analyse et de documenter les pratiques actuelles. Il invite d’autres à contribuer à la compréhension collective des répercussions des travaux du Parlement sur l’examen par la CSC des questions dont elle est saisie. À cette fin, voici quelques propositions de questions pour de futures études.

Comment la CSC utilise-t-elle les documents parlementaires qu’elle cite?

Cette question comporte d’innombrables sous-questions. Par exemple, la CSC utilise-t-elle des sources parlementaires en conjonction avec d’autres sources pour des points particuliers ou s’appuie-t-elle entièrement sur des documents parlementaires pour certains enjeux? Les documents sont-ils utilisés à des fins d’intention législative ou d’histoire législative ou certains documents (comme les rapports de comités) sont-ils utilisés principalement pour établir des faits sociaux ou historiques? Dans quelles circonstances les témoins externes sont-ils cités? De plus, un document parlementaire serait-il le seul moyen d’obtenir cette information?

Les parlementaires croient-ils qu’ils « s’adressent aux tribunaux »?

Il serait utile de sonder le point de vue des parlementaires, en particulier ceux qui parrainent les projets de loi du gouvernement. Existe-t-il des contextes particuliers dans lesquels les parlementaires cherchent à attirer l’attention de la Cour? Dans l’affirmative, comment signalent-ils cette intention? La recherche corollaire serait d’établir si les parlementaires lisent les décisions judiciaires et s’ils considèrent que les tribunaux s’adressent à eux.

Que peut-on dire (le cas échéant) au sujet des documents parlementaires auxquels la Cour renvoie, sans toutefois les citer?

Pour illustrer ces propos, dans l’arrêt R. c. Poulin (2019 CSC 47) on peut lire : « Cette question n’a pas non plus été examinée au cours des débats de la Chambre des communes de 1980 à 1983 » (paragraphe 79). Le seul document parlementaire cité dans l’affaire est la transcription d’un comité mixte. Est-ce une indication que la Cour mène activement des recherches approfondies dans le hansard pour d’autres affaires? La Cour doit-elle déclarer les cas où elle l’a fait et n’a pas trouvé de documents pertinents? Faut-il s’attendre à ce que la Cour ait connaissance du dossier parlementaire et l’ait consulté?

Comment expliquer les différences entre la fréquence des citations du Sénat et de la Chambre?

Les statistiques reflètent-elles les préférences de la CSC ou les différences dans les citations des délibérations en Chambres et en comités peuvent-elles s’expliquer par d’autres facteurs, comme le nombre relatif de jours de séance ou d’heures de débat? Une chambre produit-elle plus de rapports de comité que l’autre? Y a-t-il quelque chose dans la manière dont les études sont menées dans l’une ou l’autre des Chambres qui peut expliquer la différence d’approche de la Cour?

Les affaires elles-mêmes révèlent-elles quelque chose sur l’attitude de la Cour à l’égard de l’utilisation des documents parlementaires?

Certains juges semblent-ils plus enclins à citer des documents parlementaires? Comment les différents motifs d’un même jugement interagissent-ils entre eux sur les questions relatives au hansard? Par exemple, un juge dissident fait remarquer : « Ce passage des débats reproduits dans le Hansard affaiblit la conclusion des juges minoritaires »49. Que dit la Cour (le cas échéant) au sujet de l’utilisation du hansard en général par opposition à l’examen du dossier parlementaire précis dans une affaire?

La Cour suprême traite-t-elle les documents et les témoignages parlementaires de la même manière que les tribunaux inférieurs dans la même affaire?

Pour illustrer la question, dans l’arrêt Carter c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 5, la CSC écrit : « De 1991 à 2010, la Chambre des communes et ses comités ont débattu pas moins de six projets de loi d’initiative parlementaire visant à décriminaliser l’aide au suicide. Aucun n’a été adopté. » La décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique qui est portée en appel devant la CSC ne fait aucune référence à ces projets de loi d’initiative parlementaire. Toutefois, la Cour suprême de la Colombie-Britannique écrit : « Depuis 1991, neuf projets de loi d’initiative parlementaire ont été déposés à la Chambre des communes en vue de modifier le Code criminel pour décriminaliser le suicide assisté ou l’euthanasie »50. Le fait que la Cour traite les témoignages parlementaires de la même manière que les autres tribunaux dans le même litige peut donner une idée des stratégies qui pourraient être efficaces en appel.

Quel est le pourcentage de citations de documents parlementaires par rapport au pourcentage total de citations?

La recherche a montré que le pourcentage d’affaires chaque année citant un document parlementaire augmente en moyenne; toutefois, le nombre de citations dans l’ensemble augmente-t-il de telle sorte que l’on ne peut tirer que des conclusions limitées de l’augmentation des citations parlementaires? Les autres types de citations augmentent-ils à un rythme similaire? Des facteurs autres que l’admissibilité des témoignages peuvent-ils être identifiés pour expliquer l’augmentation apparente des citations de documents parlementaires?

Pourquoi certains locuteurs sont-ils plus souvent cités?

Existe-t-il un lien entre la composition habituelle des affaires de la Cour et le portefeuille de la Justice qui pourrait expliquer les préférences de citation pour les acteurs associés à la justice au Parlement? Il faudrait approfondir les recherches pour déterminer si d’autres facteurs entrent en jeu. Les affaires impliquant une loi pénale fédérale, par exemple, sont-elles plus sujettes à donner lieu à la citation par la Cour du discours d’un ministre que, disons, les affaires impliquant des lois environnementales fédérales? Plus largement, les allocutions des parlementaires ayant une formation juridique sont-elles plus souvent citées que celles des autres parlementaires?

Comment les juges comprennent-ils et voient-ils les documents parlementaires?

Les juges et les juristes reçoivent-ils une formation sur la localisation des sources parlementaires? Trouvent-ils les débats utiles? Certains commentaires judiciaires sur ce point ont été trouvés51, mais des recherches supplémentaires pourraient être entreprises pour établir les perspectives judiciaires de l’utilisation et de l’utilité des documents parlementaires. Les juges de la CSC citent-ils des documents parlementaires différents (ou les utilisent-ils de manière différente) de ceux des autres acteurs judiciaires?

Si les éléments qui précèdent ont été présentés pour offrir des pistes de recherche, ils indiquent également un parcours à éviter. L’analyse bibliométrique des citations de documents parlementaires par les tribunaux ne devrait pas être utilisée d’une certaine manière pour évaluer le rendement du Parlement, à l’instar de la façon dont la bibliométrie est souvent utilisée dans le contexte universitaire pour mesurer l’impact de la recherche52.

Tableau 1 : Citation de documents parlementaires par la CSC (2010-2020) : vue d’ensemble

AnnéeJugements de la
CSC
Jugements citant un document parlementaireAutres
jugements
% citant un document parlementaireNombre de documents parlementaires
cités (total)
20106776010.4522
20116585712.318
201276106613.1620
2013736678.226
201478116714.1030
201569125717.3949
20165684814.2917
2017654616.156
2018595548.476
201967155222.3924
202045103522.2233
TOTAL7209662413.33221
MOYENNE (annuelle)65.458.7256.7213.5620.09

Conclusion

Comme nous l’avons remarqué dès le départ, le pourcentage annuel d’arrêts de la CSC citant des documents parlementaires semble être en hausse. Que nous réserve l’avenir? Il sera important de suivre les tendances et les pratiques dans ce domaine dans les années à venir, tant pour les juristes que pour les spécialistes des sciences politiques. Les prochaines pistes de recherche dans ce domaine sont apparemment illimitées. Pourquoi la Cour se réfère-t-elle de plus en plus aux documents parlementaires? Les témoignages parlementaires orientent-ils le tribunal d’une manière inédite? Les parlementaires doivent-ils préparer leurs interventions en pensant à un auditoire judiciaire? Seul le temps peut révéler les réponses à ces questions importantes et délicates qui se trouvent à la croisée de deux instances gouvernementales.

Notes

1 Peter J McCormick, Judicial Citation, the Supreme Court of Canada, and the Lower Courts: The Case of Alberta, 1996 34-4 Alberta Law Review 871. Voir également Peter J McCormick, Second Thoughts : Supreme Court Citation of Dissents & Separate Concurrences, 1949-1996, 2002 81-2 Canadian Bar Review 369. John Henry Merryman, The Authority of Authority: What the California Supreme Court Cited in 1950, Stanford Law Review, vol. 6, no 4, 1954, p. 613-673.

2 Yan Campagnolo et Camille Andrzejewski, (2022) 60:1.

3 R. Shapiro, Origins of bibliometrics, citation indexing and citation analysis: The neglected legal literature, JASIS, vol. 43 (1992), p. 337-339.

4 Shapiro, F. R. (1992). Origins of bibliometrics, citation indexing and citation analysis: The neglected legal literature, Journal of the American Society for Information Science, 43(5), p. 337-339.

5 Christopher A. Cotropia et Lee Petherbridge, Gender Disparity in Law Review Citation Rates, William & Mary Law Review 59, no 3 (février 2018), p. 771-812.

6 Danielle Lussier et Steven Stechly, Other Materials – Traitorous Love and Decolonizing the Canadian Guide to Uniform Legal Citation, 2022 53-2, Ottawa Law Review, 301.

7 Mary Whisner, My Year of Citation Studies, Partie 1, 110 Law Libr. J. 167 (2018)

8 Peoples, Lee F. The citation of Wikipedia in judicial opinions, Yale Journal of Law & Technology, vol. 12, annual 2009, p. 1. Jodi L. Wilson, Proceed With Extreme Caution: Citation to Wikipedia in Light of Contributor Demographics and Content Policies, 16 Vanderbilt Journal of Entertainment and Technology Law 857 (2020)

9 Graham Steele. (2017). Qui parle pour le Parlement? Le hansard, les tribunaux et l’intention du législateur, 2017 40-1 Revue parlementaire canadienne 6, 2017 Magyar, J. J. (2021). The slow death of a dogma? The prohibition of legislative history in the 20th century, Common Law World Review, 50(2-3), p. 120-154.

10 Magyar, J. J. (2020). Debunking Millar v. Taylor: The History of the Prohibition of Legislative History, Statute Law Review, 41(1), p. 32-58.

11 Il y a, bien sûr, des exceptions. Voir John J. Magyar, Hansard as an Aid to Statutory Interpretation in Canadian Courts from 1999 to 2010 LLM Thesis, Université Western Ontario (2011) à FN 111. En ligne : Magyar, John James, Hansard as an Aid to Statutory Interpretation in Canadian Courts from 1999 to 2010 (30 août 2011). Disponible sur le site SSRN au : https://ssrn.com/abstract=2233370 ou http://dx.doi.org/10.2139/ssrn.2233370

12 Beaulac, S. (1998). Parliamentary Debates in Statutory Interpretation: A Question of Admissibility or of Weight?, McGill Law Journal, 43, p. 287-324.

13 Ruth Sullivan, Construction of Statutes (Irwin Law, 2016, 3e éd), p. 262.

14 Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (RE) [1998] 1 RCS 27 à 35.

15 Débats de la Chambre des communes, 21 juin 1899, 8e législature, 4e session, vol. XLIX, p. 5757-5758.

16 Voir Beelen, K., Thijm, T. A., Cochrane, C., Halvemaan, K., Hirst, G., Kimmins, M., Lijbrink, S., Marx, M., Naderi, N., Rheault, L., Polyanovsky, R., et Whyte, T. (2017). Digitization of the Canadian Parliamentary Debates. Canadian Journal of Political Science/Revue Canadienne de Science Politique, 50(3), p. 849-864.

17 Voir la discussion dans R. c. Morgentaler, [1993] 3 RCS 463.

18 Témoignages, Comité permanent de la justice et des droits de la personne, 44-1, n° 66, 25 mars 2013.

19 Débats de la Chambre des communes (hansard), 37-2, n° 120, 16 septembre 2003.

20 Débats du Sénat (hansard), 3e session, 40e législature, volume 147, numéro 77, 13 décembre 2010.

21 Débats de la Chambre des communes, 32e législature, 1re session, vol. 20, 3 mars 1983, p. 23430.

22 En théorie, les enregistrements vidéo ou audio des activités parlementaires pourraient être utilisés par la Cour, mais il ne semble pas que cela se soit déjà produit.

23 Un comité du Sénat, de la Chambre des communes, ou un comité mixte.

24 Les pratiques entourant les mentions par la Cour de projets de loi qui ne sont pas devenus des lois sont examinées en partie dans Feldman, C. (2021). Examen judiciaire des dispositions en cours de révision par le législateur. Revue générale de droit, 51, p. 15-46.

25 Diverses éditions du classique La procédure et les usages de la Chambre des communes ont été citées par la CSC (par exemple, 2018 CSC 26, p. 18). Aux fins du présent travail, cet ouvrage est exclu, même s’il ne fait nul doute qu’il s’agisse d’un document extrêmement important dans le contexte parlementaire.

26 Selon le catalogue de la Bibliothèque du Parlement. Un gros merci à la Bibliothèque du Parlement pour son aide dans l’identification des types de documents parlementaires.

27 Voir, par exemple, Hinse c. Canada (Procureur général), 2015 CSC 35, [2015] 2 RCS 621.

28 Par exemple, le rapport d’un vérificateur général peut être cité au Bureau du vérificateur général. Toutefois, si le rapport est déposé au Parlement et cité par la Cour à ce document parlementaire, il sera considéré comme un document parlementaire cité de la présente étude.

29 Esau, A. J. (2014). Measuring Judicial Performance, Power, and Precedent: Some Reflections on the Empirical Studies of Peter McCormick on the Occasion of His Retirement, Manitoba Law Journal, 38(1), p. 191-210.

30 Pour une discussion générale sur l’importance des renvois et des citations dans le contexte juridique, voir Jeffrey Barnes, Cite Seeing : Citation in Legal Writing, 16 Law Context: A Socio-Legal J. 144 (1998-1999)

31 Par exemple, une copie de la Convention relative aux droits des personnes handicapées a été déposée dans le cadre du document parlementaire no 8532-402-57, mais dans Ward c. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse), 2021 CSC 43, la Cour cite le traité dans le cadre du Recueil des traités du Canada (ce qui est tout à fait logique).

32 En guise de récompense pour les amateurs de rigueur et pour donner du grain à moudre aux adeptes de subtilités, il est à noter qu’au cours de cette période, le Guide canadien de la référence juridique uniforme (Guide de McGill) a été modifié (dans la 9e édition) afin de fournir des styles de citations révisés pour les sources parlementaires. La Cour semble ne pas encore avoir adopté le style de citation simplifié et amélioré pour les sources parlementaires. Pour la plupart des types de sources, l’emplacement relatif de la législature et du numéro de la session est cohérent, alors que dans les éditions précédentes, pour les projets de loi, le Guide McGill indiquait la législature puis le numéro de la session, mais pour les citations de débats parlementaires, l’ordre était inversé, de sorte que la session apparaissait en premier. Cela constitue une amélioration notable.

33 R. c. Khill, 2021 CSC 37 à 110.

34 Au cours de la période observée, il y a eu un renvoi à chacun des documents suivants : un document parlementaire du Sénat, un document parlementaire de la Chambre des communes, un registre des procès-verbaux des comités de la Chambre des communes, les Journaux de la Chambre des communes et une édition des Votes et délibérations de la Chambre des communes. Il y a eu trois citations des Journaux du Sénat.

35 Canada. Chambre des communes. Débats de la Chambre des communes, vol. 148, no 300, 1re sess., 42lég., 24 mai 2018, p. 19605 est cité aux paragraphes 26, 27, 106, 108, 156, 162, 163 et 287 de R. c. Chouhan, 2021 CSC 26.

36 2013 CSC 14 à 33.

37 Décret 1871-0708.

38 L’article 17 de la Loi constitutionnelle de 1867 définit le Parlement comme suit : « Il y aura, pour le Canada, un parlement qui sera composé de la Reine, d’une chambre haute appelée le Sénat, et de la Chambre des Communes. »

39 Document parlementaire n° 20 dans Documents parlementaires, 1re législature, 4e session, Vol V.

40 Smyth, R., & Nielsen, I. (2019), The Citation Practices of the High Court of Australia, 1905–2015, Federal Law Review, 47(4), p. 655-695 [traduction].

41 Voir la Bibliothèque du Parlement en ligne : https://bdp.parl.ca/sites/PublicWebsite/default/fr_CA/HistoricalInformation/TheScrapbookDebatesoftheParliamentofCanada_fr?

42 Pour avoir accès à la discussion détaillée, voir David Farr. (1992). La reconstitution des premiers débats du Parlement du Canada. Revue parlementaire canadienne, 26,15(1), p. 26-32.

43 Ibid.

44 Hana K. Aach. Impressions : la petite histoire de l’imprimeur national, de l’époque des pionniers à l’année 1900, Ottawa, Centre d’édition du gouvernement du Canada, Approvisionnements et Services Canada, 1990.

45 Le titre anglais du document est « Journals of the House of Commons of the Dominion of Canada ».

46 Un renvoi devant la Cour peut être un appel d’un renvoi d’une cour provinciale, comme c’est le cas pour le Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, qui a commencé comme un renvoi au Québec. (Dans l’affaire d’un renvoi par le Gouvernement du Québec relativement à la constitutionnalité de la Loi sur la non-discrimination génétique édictée par les articles 1 à 7 de la Loi visant à interdire et à prévenir la discrimination génétique, 2018 QCCA 219). Malgré tout, cela signifie que la CSC est saisie d’un seul jugement d’un tribunal inférieur, et non de deux, comme c’est généralement le cas dans une affaire ayant suivi le processus de litige traditionnel.

47 Un exemple notable est un renvoi provincial que le gouvernement de l’Alberta a envoyé à sa Cour d’appel provinciale, lui demandant d’appliquer des faits à une motion de voies et moyens proposée qui était alors soumise à la Chambre des communes. Décret de l’Alberta no 1079/80 [en anglais seulement].

48 Il a occupé les fonctions de ministre de l’Immigration et de la Colonisation, de ministre des Mines, de ministre de l’Intérieur et de surintendant général des Affaires indiennes d’octobre 1935 à novembre 1936.

49 2016 CSC 29 à 124.

50 Carter v. Canada (Attorney General), 2012 BCSC 886 à 109 [traduction].

51 « Par ces commentaires, je ne veux en aucun cas manquer de respect aux députés ou aux politiciens en général. Cependant, à mon avis, lorsqu’on lit les débats parlementaires, on peut discerner les partis pris du locuteur, y compris ceux qui dépendent du fait que le locuteur soit un député du gouvernement ou de l’opposition. C’est sans doute, à mon avis, l’une des nombreuses raisons pour lesquelles les décisions judiciaires permettent l’admissibilité de tels débats en tant que témoignage au procès, mais mettent en garde quant à la valeur à leur accorder. [traduction] » Manitoba Metis Federation Inc. et al. v. Attorney General of Canada et al., 2007 MBQB 293 à 22.

52 Voir Rafael Ball, An Introduction to Bibliometrics: New Development and Trends, Chandos Publishing (2018) Chapitre 1 et 2.

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