Les bibliothèques législatives et parlementaires au Canada : deux cents ans de service, de soutien et d’information

Article 3 / 15 , Vol 43 No. 1 (Printemps)

Les bibliothèques législatives et parlementaires au Canada : deux cents ans de service, de soutien et d’information

Les bibliothèques législatives et parlementaires ont beaucoup évolué depuis leurs débuts modestes (et parfois informels). Dans le présent article, les autrices retracent l’histoire de ces bibliothèques, elles décrivent leurs rôles et leurs fonctions, exposent certaines des difficultés auxquelles ces dernières sont confrontées et s’intéressent à leur développement futur. Les bibliothèques législatives et parlementaires sont toutes le reflet unique de l’histoire et des besoins locaux, mais elles ont aussi des responsabilités communes envers les parlementaires et les employés des assemblées législatives, étant donné qu’elles accomplissent le travail nécessaire à la démocratie parlementaire. Les autrices soulignent comment la création de l’Association des bibliothécaires parlementaires au Canada/Association of Parliamentary Libraries in Canada (ABPAC/APLIC) a permis aux bibliothèques parlementaires canadiennes de se concerter pour cibler et mettre en commun des pratiques exemplaires. Elles concluent en disant que ces bibliothèques continueront à surveiller les tendances, à évoluer et à s’adapter aux nouvelles technologies en préparant l’avenir.

Vicki Whitmell et Sarah Goodyear

Contexte et historique

La création des bibliothèques législatives et parlementaires1 au Canada, qui s’est échelonnée de la fin des années 1700 jusqu’au début des années 1900, correspond à la fondation des bibliothèques législatives dans d’autres démocraties de type occidental. Conçues pour aider et informer les députés dans l’élaboration de politiques, les débats, l’adoption de mesures législatives, la surveillance du gouvernement et la représentation de leurs concitoyens, ces bibliothèques continuent à offrir des services de recherche et de référence spécialisés et novateurs ainsi qu’à acquérir et à conserver de vastes collections diversifiées de documents imprimés et électroniques. Elles s’emploient toutes à répondre aux besoins d’information courants et à long terme des parlementaires.

C’est l’Assemblée nationale française qui a créé la première bibliothèque parlementaire en 1796. Quatre ans plus tard, la formidable Bibliothèque du Congrès a vu le jour pour servir le Congrès des États-Unis. Aujourd’hui, au Canada, l’ensemble des provinces et des territoires (sauf le Yukon) disposent d’une bibliothèque législative, et le Parlement fédéral a la Bibliothèque du Parlement. Comme le montre notre chronologie des événements, l’histoire particulière de chacune des bibliothèques reflète la maturation politique de leur administration et leur entrée dans la Confédération.

Il semble donc approprié que la première bibliothèque législative au Canada ait été créée à l’Île-du-Prince-Édouard, lieu où la Confédération est née. La création de la bibliothèque a coïncidé avec la formation de l’Assemblée législative en 1773, mais elle n’a pas eu de locaux permanents avant son déménagement au deuxième étage de l’édifice Colonial (appelé maintenant Province House), à Charlottetown, en 1847. Le Nouveau-Brunswick a créé sa bibliothèque en 1841, mais cette dernière fonctionnait de façon informelle depuis la création de la province en 1784. La bibliothèque législative de la Nouvelle-Écosse a été créée en 1862, même si l’assemblée achetait des textes de loi et des journaux d’autres administrations dès 1758. Les origines de la bibliothèque de l’Assemblée législative de Terre-Neuve remontent à 1835. De 1933 à 1949, soit lors de la Commission de gouvernement de Terre-Neuve, elle est démantelée. En 1949, après l’entrée de Terre-Neuve dans la Confédération, on recrée la bibliothèque.

Dans les années 1790, des collections de livres font leur apparition dans les assemblées législatives du Haut-Canada et du Bas-Canada. Le Haut-Canada a commencé à financer officiellement sa bibliothèque en 1816 et il a embauché son premier bibliothécaire en 1827. Dans le Bas-Canada, en 1802, l’Assemblée législative a adopté une résolution visant à créer une bibliothèque, et le premier bibliothécaire a été embauché en 1829. Les deux bibliothèques fonctionnaient indépendamment jusqu’à ce que les Canadas s’unissent pour former la province du Canada en 1841. À ce moment-là, le nouveau gouvernement a acheté des deux assemblées législatives leurs collections respectives. La nouvelle bibliothèque a accompagné l’Assemblée législative de la province du Canada, qui, pendant plus d’une décennie, s’est déplacée entre Kingston et Montréal, puis entre Toronto et Québec, avant de trouver des locaux permanents à Ottawa, en 1867, en tant que Bibliothèque du Parlement.

La bibliothèque législative de la Saskatchewan a été créée en 1876 en tant que Bibliothèque du gouvernement du Nord-Ouest. Il s’agissait d’une collection pour la consultation courante qui se déplaçait avec l’administration territoriale. Après 1905 et la création des provinces de la Saskatchewan et de l’Alberta, elle est devenue la bibliothèque législative de la Saskatchewan. L’Alberta a reçu une compensation de 6 113,25 $ pour créer une nouvelle bibliothèque pour la province.

En 1858, la Colombie-Britannique a voté des crédits pour la création d’une bibliothèque, mais on fait habituellement remonter les origines de cette dernière à un deuxième vote tenu en 1863, étant donné qu’on ne sait pas trop si l’argent accordé en 1858 a été dépensé. Le premier bibliothécaire permanent a été nommé en 1863.

Pour le Manitoba, la date de création de sa bibliothèque législative est le 5 novembre 1870, même si, ce jour-là, on a seulement transféré les documents de bibliothèque de la résidence du lieutenant-gouverneur aux bureaux du gouvernement. Le transfert visait à créer une bibliothèque provinciale, et, au cours de la première session de la première législature, le Conseil législatif a formé un comité pour étudier la création d’une bibliothèque. La première mention d’un rapport destiné à l’Assemblée législative au sujet de la bibliothèque remonte à 1875.

En 1973, l’exécutif des Territoires du Nord-Ouest a approuvé la création d’une bibliothèque gouvernementale, qui a par la suite été transférée à l’Assemblée législative en 1992. La plus récente bibliothèque législative du Canada est celle de l’Assemblée législative du Nunavut. Les préparatifs ont commencé avant la création du territoire, mais la bibliothèque a ouvert ses portes en 1999.

Rôles

Les bibliothèques législatives permettent d’avoir accès à tous les aspects d’une question, d’un débat et d’une politique. Grâce à leurs collections et à leurs services, elles recueillent des informations fiables provenant de sources vérifiables et exactes, garantissant que les informations qu’elles fournissent sont en général impartiales, objectives et non partisanes.

Chaque bibliothèque législative ou parlementaire est le reflet unique de l’histoire et des besoins locaux. Les services et les collections des bibliothèques correspondent aux questions et aux politiques relevant de la compétence de leur gouvernement. Les bibliothèques personnalisent leur travail en partie en enregistrant, en indexant et en mettant à disposition les publications de l’Assemblée législative ou du Parlement ainsi que les documents gouvernementaux publiés par les ministères, les organismes, les conseils et les commissions de la province ou du territoire. Les spécialistes, que ce soit des bibliothécaires ou des analystes, fournissent des informations, des examens, des séances d’information, des cahiers de presse, des rapports, des documents de base et des analyses sous diverses formes et sur une vaste gamme de sujets. La confidentialité, l’impartialité, la rapidité et la précision sont les principes fondamentaux du service.

Certaines bibliothèques législatives existent uniquement pour servir les parlementaires, tandis que d’autres ont aussi le mandat de servir le public. Or, même si une bibliothèque législative n’est pas ouverte au public (visite ou utilisation), elles sont nombreuses à mettre à disposition en ligne leurs catalogues ou leurs collections électroniques.

La Bibliothèque du Parlement et les assemblées législatives de l’Ontario et du Québec disposent de départements de recherche spécialisée, qui fournissent des recherches approfondies et des études comparatives aux députés. Les départements offrent aussi directement aux comités législatifs des analyses et des services de production de rapport.

Avec les initiatives modernes de gouvernement et de Parlement ouverts, qui font la promotion d’une transparence accrue des informations et des données gouvernementales et législatives, les bibliothèques législatives ont souvent un rôle à jouer pour faire en sorte que les publications et les informations provenant de leur assemblée législative et les informations créées, recueillies ou enregistrées par cette dernière sont offertes en formats numériques trouvables facilement.

Collaboration

En collaborant et en échangeant de l’information, les bibliothèques, peu importe le type, aident leurs utilisateurs. Les bibliothèques législatives ne font pas exception. Depuis les premiers jours, les bibliothèques législatives du Canada travaillent de concert. L’Association des bibliothécaires parlementaires au Canada/Association of Parliamentary Libraries in Canada (ABPAC/APLIC) a été officiellement constituée en 1975. Les premiers travaux de la nouvelle association ont été notamment l’officialisation des échanges de publications officielles entre les provinces et la création de systèmes de dépôt pour les publications des gouvernements provinciaux. Les deux initiatives ont contribué à préserver ces documents précieux à long terme.

Les conférences annuelles de l’ABPAC/APLIC permettent aux bibliothèques de se tenir au courant des activités et des projets, de découvrir les nouvelles techniques et approches pour servir les députés, de discuter des difficultés, d’examiner les changements dans le monde de l’édition et celui des technologies ainsi que leurs répercussions et leur utilité possibles pour les produits et services des bibliothèques, et d’apprendre les uns des autres.

Les bibliothèques échangent aussi de l’information par le biais de leurs gestionnaires de liste de diffusion (listservs). Ces forums permettent à chaque bibliothèque d’obtenir rapidement des réponses aux questions en matière de lois ou de politiques qui touchent à plusieurs administrations canadiennes. Cet outil permet à tout le monde de répartir la charge de travail et de fournir rapidement et efficacement des informations exactes aux députés.

Chaque année, les membres de l’ABPAC/APLIC remplissent aussi un sondage sur leurs services, leur personnel et leurs ressources. Cette mesure aide le groupe dans son ensemble à cerner les tendances et les pratiques exemplaires et permet aux bibliothèques de comparer ce qu’elles offrent par rapport à leurs homologues des autres assemblées législatives du pays.

L’une des plus importantes initiatives lancées récemment par l’association est la création et l’entretien du Portail des PGPE (Portail des publications gouvernementales et parlementaires électroniques : http://www.gallopportal.ca) : une base de données accessible au public où on peut faire des recherches plein texte et qui répertorie les publications gouvernementales et les textes législatifs détenus par les bibliothèques législatives canadiennes. Le portail a permis de réaliser des gains de rendement et des économies et d’accroître la disponibilité des documents législatifs et gouvernementaux. Il a atteint ses objectifs initiaux, soit :

  • aider les parlementaires en trouvant et en fournissant l’information dont ils ont besoin pour prendre des décisions éclairées;
  • réduire les efforts en double au sein des bibliothèques législatives, universitaires et publiques relativement aux activités de collecte de données et contribuer aux efforts de collecte nationale;
  • faciliter les recherches entre les différentes administrations.
  • Le portail continue à évoluer avec la technologie et à mesure que les besoins des bibliothèques législatives et des législateurs changent.

Les consultations et la coopération entre les bibliothèques législatives en vue d’améliorer les services aux parlementaires vont au-delà des frontières canadiennes. Les membres de l’ABPAC/APLIC jouent un rôle dans la Section des services de bibliothèque et de recherche parlementaires de la Fédération internationale des associations et institutions de bibliothèques (IFLA). Les parlements évolués, comme ceux au Canada, ont la responsabilité d’aider les jeunes parlements, et la section de l’IFLA offre des conseils et des solutions pratiques aux parlements qui entament la création de leur bibliothèque ou de leurs services de recherche.

Difficultés

Il peut être difficile de répondre aux besoins de parlementaires et d’employés d’assemblées législatives très sollicités. Les bibliothèques sont conscientes que les députés sont souvent surchargés d’information et elles cherchent donc des façons de fournir la bonne information, au bon moment et sous la bonne forme. Pour ce faire, il faut établir une sorte de partenariat avec les députés, qui ont souvent besoin d’aide pour préciser la nature de l’information qu’ils souhaitent obtenir. Pour leur part, les bibliothèques législatives doivent mieux comprendre comment les députés utilisent l’information qu’ils reçoivent et comment cela pourrait changer au quotidien et au fil du temps.

Les coûts des journaux, des publications, des livres et des bases de données fiables et rigoureux ne cessent d’augmenter, alors les bibliothèques législatives doivent continuellement trouver des façons de collaborer entre elles et avec d’autres bibliothèques pour mettre leurs ressources en commun et réduire les coûts. De nombreuses bibliothèques législatives canadiennes font partie de consortiums d’achat qui permettent de réduire les coûts des licences et des abonnements.

Les nouveaux députés ne savent peut-être pas où s’adresser pour trouver l’information sur la multitude de sujets avec lesquels ils doivent rapidement se familiariser. Les bibliothèques sont l’un des rares services offerts par les assemblées législatives que les députés ont le loisir d’utiliser ou non. Faire comprendre aux députés que les services qu’ils reçoivent d’une bibliothèque législative sont plus spécialisés et beaucoup plus complets que ceux offerts par une bibliothèque publique ou universitaire peut prendre un certain temps. La promotion des services des bibliothèques s’effectue à l’aide de visites individuelles, de séances de formation et de campagnes de marketing de portée générale.

Il est souvent difficile de mesurer l’incidence du travail des bibliothèques législatives et de déterminer l’utilisation que font les députés des renseignements et des produits qu’elles fournissent. Étant donné qu’il existe une multitude de sources d’information, les bibliothèques législatives doivent se concentrer sur ce qu’elles font le mieux et ce dont on a le plus besoin. Les bibliothèques jouent un rôle important pour faire comprendre aux députés et à leurs employés comment utiliser efficacement leurs services, leurs ressources et leur personnel, surtout dans un monde où on ne peut pas toujours se fier à l’information non filtrée.

L’avenir

Malgré des défis constants, les bibliothèques législatives du Canada ont prouvé leur utilité pour les députés et les parlements au cours des deux derniers siècles. En effet, le nombre de fois où les députés, qu’ils fassent partie du gouvernement ou de l’opposition, les utilisent le prouve. L’appui et l’engagement soutenus que les députés accordent d’emblée aux bibliothèques le prouvent aussi, à l’instar de la façon dont ces dernières gèrent comment l’information est utilisée, conservée et diffusée dans les parlements.

Les bibliothèques législatives et parlementaires du Canada continueront à évoluer au rythme des besoins des députés et à adopter les nouvelles technologies. Elles continueront aussi à appuyer les parlementaires dans la prestation de services à la population, la prise de décisions éclairées ainsi que l’exercice de leur rôle en matière d’élaboration des politiques, de confection des lois et de surveillance des affaires publiques.

Notes

1 Pour les fins de cet article, « bibliothèque législative » désigne toute bibliothèque qui sert une assemblée législative provinciale ou territoriale ou le Parlement à Ottawa.

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