L’histoire du Parlement virtuel
En mars 2020, au moment où il devenait évident que la pandémie de COVID 19 allait bouleverser la vie des Canadiens sous de nombreux aspects, les députés et l’Administration de la Chambre des communes ont commencé à discuter de la façon de poursuivre les travaux parlementaires dans de telles circonstances exceptionnelles. Dans l’article qui suit, l’auteur, l’honorable Anthony Rota, president de la Chambre des communes, explique comment les membres du Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre (PROC) ont uni leurs efforts afin de déterminer la manière de reprendre les séances parlementaires dans le respect des protocoles de santé et de sécurité, tout en maintenant les droits et les privilèges des parlementaires. Il souligne que les relations qu’entretiennent depuis longtemps les membres de l’Administration de la Chambre des communes ont grandement aidé à passer sans délai en mode hybride et virtuel pour la tenue des séances. En s’appuyant sur les expériences d’autres parlements et sur l’infrastructure technique mise en place au fil des ans, l’Administration de la Chambre des communes a rendu possible ce qui semblait impossible. L’auteur conclut en soulignant que, grâce à la modernité et à l’agilité de l’Administration, les députés ont pu transformer la manière dont ils s’acquittent de leurs responsabilités parlementaires pendant la pandémie, tout en honorant l’histoire et la tradition de la Chambre des communes.
L’hon. Anthony Rota
Le 13 mars 2020, en raison de l’épidémie de COVID-19 au Canada, la Chambre des communes a adopté à l’unanimité une motion afin d’ajourner ses séances jusqu’au 20 avril 2020.
Tout le pays s’est retrouvé en confinement, et nos vies se sont arrêtées. On s’est vite rendu compte que les travaux réguliers de la Chambre ne reprendraient pas de sitôt. Dans les coulisses, l’Administration de la Chambre des communes avait déjà entamé des discussions avec les députés pour trouver un moyen de les amener à travailler ensemble de nouveau, et leur permettre de venir en aide à leurs électeurs.
Le 24 mars, la Chambre a été rappelée afin d’autoriser deux comités permanents, celui de la santé et celui des finances, à se réunir par téléconférence ou vidéoconférence pour recevoir des témoignages au sujet de la COVID-19.
Le 11 avril, la Chambre des communes a été rappelée une nouvelle fois pour ajouter (entre autres) le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre (PROC) à la liste des comités pouvant se réunir. Ce comité a reçu le mandat d’étudier comment les députés pouvaient remplir leurs fonctions parlementaires pendant l’ajournement de la Chambre.
Le rappel de la Chambre ne s’était produit qu’une douzaine de fois depuis la Confédération.
La Chambre a été rappelée six fois durant l’été pour adopter des lois d’urgence qui soutiendraient les Canadiens pendant la période de confinement jusqu’à la prorogation du Parlement le ١٨ août.
Le Comité permanent de la procédure et des affaires de la Chambre a entrepris son étude et, dans le mois suivant, il a tenu neuf réunions et entendu 38 témoins, y compris moi-même. En tant que directeur général de l’Administration, je me suis présenté à quatre reprises devant le Comité pour en éclairer les discussions et les décisions.
Lors de mes témoignages, j’ai affirmé que l’Administration de la Chambre restait déterminée à fournir tout le soutien opérationnel nécessaire pour que les députés puissent siéger et tenir des réunions dans le format de leur choix et d’une manière qui respecte les protocoles de santé et de sécurité et qui maintient leurs droits et leurs privilèges parlementaires.
Il y avait des principes que le Comité devait garder à l’esprit dans son évaluation des différentes options visant à permettre au Parlement de siéger.
Tout modèle devait respecter les droits, les immunités et les privilèges de la Chambre et de ses députés.
Les députés devaient avoir accès à l’interprétation simultanée en anglais et en français.
Tous les députés devaient pouvoir participer.
Et toute modification apportée aux règles et aux pratiques de la Chambre (Règlement) devait garantir la validité, sur le plan juridique, des travaux de la Chambre.
Enfin, toute solution devait atténuer les changements aux règles et aux pratiques de la Chambre à ce qui était temporairement nécessaire à sa mise en œuvre.
En conséquence, le Comité a discuté d’un certain nombre d’options et a présenté deux rapports sur la question à la Chambre, le premier le 20 mai et le second le 21 juillet.
Le Comité a également demandé aux députés de nourrir des attentes raisonnables et de faire preuve de patience en attendant que la capacité technique de la Chambre augmente et s’améliore.
Dans ce contexte, des employés de tous les secteurs de l’Administration ont mis en commun leurs talents, leur ingéniosité et, surtout, leur détermination pour que les députés puissent poursuivre leur travail important, que ce soit en personne ou virtuellement depuis un autre endroit.
Et c’est là une histoire de relations entre les gens. Au cœur de l’Administration de la Chambre des communes se trouve un réseau de personnes entretenant depuis longtemps des relations personnelles et professionnelles complexes, et c’est grâce aux liens qui les unissent que les membres de cette organisation ont réussi l’impossible.
Un grand nombre de ceux et celles qui ont contribué à la création du Parlement virtuel font partie de l’Administration depuis des décennies. Il s’agit notamment des employés du secteur des technologies de l’information, des Services de la procédure, des Ressources humaines et des Finances.
Au fil des ans, ces personnes se sont croisées à d’innombrables reprises dans le cadre de leur parcours professionnel et, aujourd’hui, elles ont acquis une familiarité qui s’est révélée être un réel avantage lors des préparatifs du Parlement virtuel. Lorsque le temps est compté et que les délais sont serrés, il est utile de travailler avec des collègues de longue date et de confiance qui vous connaissent si bien qu’ils peuvent presque terminer vos phrases.
Avant même la pandémie, en fait, depuis les trois ou quatre dernières années, l’équipe des technologies de l’information a investi dans les infrastructures en technologie, car ils étaient conscients de l’importance de fournir aux députés des moyens de communiquer avec leurs électeurs. Il était tout aussi important de permettre à tous les employés de l’Administration de la Chambre de rester en contact avec le réseau de l’organisation, en tout temps et depuis n’importe où.
Cependant, lorsque la COVID-19 a obligé presque tout le monde à rester à la maison, il est devenu essentiel pour les employés et les parlementaires de communiquer de manière sûre et fiable avec la Chambre des communes et entre eux. Et bien sûr, il fallait agir vite.
Pour aider à décider de la meilleure façon de fournir à la Chambre un moyen sûr et efficace de travailler à distance, l’Administration a consulté des chefs de file de l’industrie, des partenaires nationaux et internationaux en matière de sécurité et plusieurs de ses homologues dans le but d’obtenir de l’information et des conseils. Prenant appui sur des relations qu’elle entretenait depuis longtemps avec des spécialistes partout dans le monde, l’équipe a rencontré quotidiennement des collègues de diverses assemblées législatives afin de discuter de stratégies et d’échanger des idées.
En plus d’être intéressantes, les approches adoptées par les différentes assemblées législatives ont parfois contribué à orienter les choix de notre Parlement.
De toute évidence, le Canada se devait de consulter la Chambre des communes du RoyaumeUni, qui avait pris la décision en avril d’organiser, tant pour la Chambre que ses comités, des réunions hybrides, et ce parce que le Président ne voulait pas interdire aux députés d’entrer dans la Chambre de Westminster, ce qu’il jugeait un « droit très ancien ».
Au sein de l’Assemblée nationale du Pays de Galles, une seule exigence nuisait à la mise en œuvre du Parlement virtuel, à savoir que les délibérations devaient être bilingues selon la loi. La Chambre des communes canadienne avait la même obligation.
L’équipe a également consulté le Parlement brésilien, qui fait face aux mêmes difficultés sur le plan géographique que le Canada et qui a été le premier parlement à organiser et à diffuser une séance plénière hybride.
En une semaine, les députés et les employés de l’Administration de la Chambre travaillant depuis leur domicile disposaient des outils nécessaires. En plus de pouvoir se connecter à distance aux réunions des comités, les députés trouvaient un moyen de rester en contact avec leurs électeurs, malgré les difficultés posées par la pandémie.
Depuis de nombreuses années, des témoins vivant à l’extérieur de la capitale comparaissent devant des comités parlementaires par vidéoconférence. Or, l’organisation de réunions auxquelles participeraient à distance des députés et des témoins était une tâche beaucoup plus ambitieuse.
Lorsque l’édifice de l’Ouest a été rénové pour en faire le siège provisoire de la Chambre des communes pendant la réhabilitation de l’édifice du Centre, les salles de comité ont été équipées de toute la technologie nécessaire pour organiser des vidéoconférences. En outre, toutes sortes d’employés, notamment des interprètes et des techniciens informatiques, ont été déployés afin de permettre à plus d’un comité d’accueillir des témoins par vidéoconférence.
Il s’agissait certes d’une réalisation impressionnante, mais peu de gens auraient pu prévoir à quel point il serait complexe de s’adapter aux effets de la pandémie et aurait pu imaginer toute la collaboration et la souplesse que cela exigerait. C’était une chose d’organiser et d’orchestrer une réunion au cours de laquelle quelques témoins allaient comparaître de manière virtuelle. C’en était une autre d’organiser une réunion à laquelle participeraient des députés et des témoins en personne et à distance.
Le 20 avril, la Chambre a accepté à l’unanimité de créer un comité spécial pour examiner la réponse à la COVID-19 au Canada. Composé de tous les députés et présidé par le Président de la Chambre des communes, le Comité spécial sur la pandémie de la COVID-19 (ou COVI) devait se réunir virtuellement. On ne saurait décrire à quel point il était difficile, des points de vue technologique et logistique, de préparer une telle réunion.
Pour que chaque député puisse assister aux réunions du comité COVI, l’Administration a dû faire l’inventaire des équipements technologiques et électroniques des bureaux de circonscription de chaque député. Elle a dû ensuite trouver, acheter et expédier tout équipement manquant au député à temps pour la réunion. Compte tenu de l’éloignement de certaines circonscriptions et de la pénurie mondiale de casques d’écoute, l’Administration a eu la chance de pouvoir faire appel à certains de ses partenaires du secteur privé pour l’aider et elle leur en est reconnaissante. Au fil des ans, elle a travaillé en étroite collaboration avec ces organismes extérieurs. Lorsqu’il a fallu obtenir un millier de casques d’écoute et les expédier rapidement dans tout le pays, ces partenaires ont joué un rôle déterminant.
L’Administration a déterminé que le logiciel Zoom, une fois intégré à l’infrastructure et aux systèmes actuels de la Chambre, était la meilleure plateforme pour répondre aux besoins des réunions du comité COVI, car ce logiciel permet l’interprétation simultanée et prévoit d’importantes mesures qui permettent aux députés de l’utiliser en toute sécurité.
Une fois de plus, l’Administration s’est appuyée sur ses précieuses relations avec des partenaires externes, laissant le soin à d’autres parlements de tester le logiciel Zoom, observant le processus et appliquant les conclusions dans le cadre de ses préparatifs.
Il a fallu trois semaines pour permettre aux comités de se réunir par vidéoconférence, notamment pour intégrer la technologie dans toutes les salles de comité et mettre en place des mesures pour protéger la confidentialité et la sécurité des réunions à huis clos. L’Administration a dû procéder à l’interne à des activités de développement complexes et continues, à des simulations et à des tests techniques.
Pour se préparer à l’éventualité d’une réunion virtuelle de tous les députés, l’Administration a organisé des simulations à grande échelle avec ses employés.
En plus de faire appel à quelque 300 employés pour représenter les députés, l’Administration a eu recours à plus de 120 gestionnaires et employés des SNBI et des Services de la procédure pour mettre en place des réunions virtuelles.
Les 25 réunions du Comité spécial sur la pandémie de la COVID-19 ont été couronnées de succès, et plus de 300 députés y ont participé simultanément. Compte tenu de ces excellents résultats, la Chambre a accepté de poursuivre d’autres travaux de manière virtuelle, pendant la pandémie, pour toutes les affaires courantes de la Chambre.
Pendant les 13 semaines qui ont suivi l’ajournement de la Chambre, les employés de l’Administration ont travaillé sans relâche pour mettre sur pied un Parlement virtuel. C’était tout simplement la seule façon d’accomplir une tâche aussi colossale dans le temps alloué.
L’Administration a relevé le défi comme elle l’a toujours fait, avec l’esprit d’équipe qui la caractérise. Après tout, elle a pour raison d’être de répondre aux besoins en constante évolution des députés pour qu’ils puissent continuer à travailler au nom des Canadiens qu’ils représentent. Les employés de l’Administration ont leurs propres rôles et responsabilités, mais tous mettent leurs compétences au service des députés et de la Chambre des communes.
L’Administration a toujours hésité à prendre des risques, et c’est sans doute sur ce point qu’elle a dû le plus s’adapter. Cela ne veut pas dire qu’elle devait agir avec imprudence, mais plutôt qu’elle devait adapter la culture organisationnelle afin de prendre des risques calculés plus importants tout en continuant à fournir le meilleur service possible.
L’Administration s’est efforcée de gérer et d’atténuer les risques inévitables liés à la création d’un Parlement virtuel, et j’ai cherché à démontrer par l’exemple qu’il était possible de faire la transition sans trop de difficulté.
Par exemple, j’ai utilisé un casque pour présider les premières réunions du comité COVI et collaboré avec l’équipe des SNBI pour pouvoir le faire de chez moi. C’était mon espoir d’encourager les députés à adopter le concept de télétravail.
Il y a eu des difficultés d’adaptation, naturellement. Je me voyais régulièrement contraint de demander aux députés de se mettre en sourdine ou d’activer leur microphone volume, et moi-même ne voyais pas toujours la « main levée » d’un collègue qui essayait d’attirer mon attention.
De temps en temps, j’ai dû rappeler à un député qu’il y avait un code vestimentaire à respecter, même à la maison, ou que les accessoires n’étaient pas permis…
Toutefois, comme beaucoup de Canadiens, les députés ont appris à s’adapter au télétravail, et j’ai constaté qu’il était tout aussi facile et beaucoup plus sûr de présider les réunions depuis mon domicile en attendant que la Chambre reprenne ses réunions en personne.
Il était important pour moi que les députés comprennent que le Parlement virtuel risquait de trébucher à ses premiers pas, que les choses ne fonctionneraient pas parfaitement dès le début et mais que nous allions tirer des leçons de nos erreurs, et qu’ils sachent que l’on s’efforcerait d’améliorer le processus avec le temps.
Les députés vivent et travaillent dans tout le Canada. Étant donné l’étendue du pays, les vastes régions rurales et les multiples fuseaux horaires, il n’était pas évident pour eux d’obtenir un service Internet constant et fiable.
L’Administration a toutefois travaillé régulièrement avec les députés pour résoudre ces problèmes et, bien qu’il y ait eu quelques difficultés techniques au début (ce à quoi il faut s’attendre lorsqu’on organise des vidéoconférences pour des centaines de personnes), ces problèmes ont en grande partie été résolus.
Les députés de tous les partis ont adressé leurs remerciements à l’équipe qui, sous la direction des leaders parlementaires, a permis à la Chambre de se réunir une nouvelle fois.
****
Depuis les premiers jours de la pandémie, la manière dont les députés s’acquittent de leurs fonctions parlementaires a évolué de façon remarquable.
Depuis le 23 septembre, la Chambre des communes siège selon une formule hybride, comme l’a voulu la Chambre. Un nombre limité de députés sont présents à la Chambre, où ils doivent observer la distanciation sociale et respecter les mesures de santé en place, et d’autres se connectent sur le plan virtuel.
Plus tôt, les leaders parlementaires sont parvenus à une entente et ont demandé à l’Administration de préparer des propositions en vue de la mise en place d’un système sécurisé de votes pour les séances virtuelles. Le 28 septembre, la Chambre a procédé à un premier vote à distance.
Peu avant le retour de la Chambre le 23 septembre, l’Administration a procédé à plusieurs simulations de vote hybride d’abord avec ses employés, puis avec les députés. Comme pour les premières réunions virtuelles, il y a eu quelques pépins, mais l’Administration continue à améliorer les services aux députés. En dépit du dicton selon lequel le mieux est l’ennemi du bien, elle continue à viser l’excellence, comme elle l’a toujours fait.
De plus, à la suite d’une décision unanime de la Chambre, l’Administration a développé une application de vote à distance. Le 25 février, les leaders de tous les partis reconnus m’ont informé qu’ils la jugeaient prête à être utilisée. Le 8 mars, les députés participant à distance ont utilisé le système de vote électronique pour la première fois. Cettea pplication qui facilite encore plus le vote à distance des députés, sera disponible jusqu’au 23 juin.
La Chambre a dû s’adapter ces derniers mois, et cela ne représente qu’un chapitre d’une histoire beaucoup plus longue. La pandémie et les énormes difficultés qu’elle a soulevées et qu’elle continue de présenter pour l’institution ont eu du bon dans un certain sens.
La Chambre des communes a su relever certains des défis posés par la COVID-19. Il n’y a pas si longtemps, le télétravail était considéré avec scepticisme, mais au cours des derniers mois, il a fait ses preuves.
Les 338 députés utilisent désormais le logiciel Zoom pour participer à des réunions et à des événements sociaux avec leurs électeurs, et un certain nombre d’entre eux ont commencé à organiser des assemblées publiques locales virtuelles, avec beaucoup de succès.
Tout en honorant l’histoire et la tradition de la Chambre des communes, les députés ont misé sur la modernité et l’agilité de l’Administration pour transformer la manière dont ils s’acquittent de leurs responsabilités parlementaires pendant la pandémie.
En cette seconde session de la 43e législature, l’Administration de la Chambre des communes est prête à soutenir les députés, qui sont appelés à rédiger le prochain chapitre de leur histoire.