Modes alternatifs de règlement des différends dans un contexte parlementaire
Après avoir appris la découverte de 215 tombes anonymes sur le terrain d’un ancien pensionnat à Kamloops, en Colombie-Britannique, les membres d’une famille ont placé des chaussures d’enfants à l’entrée de l’Assemblée législative de l’Ontario en mémoire des victimes. Or, le mémorial gênait l’accès à l’entrée de l’Assemblée législative. Des membres du Service de protection de l’Assemblée législative de l’Ontario (SPAL), ignorant tout de la découverte des tombes et de la création de mémoriaux commémoratifs semblables dans les assemblées législatives du pays, ont approché la famille pour demander que les chaussures soient déplacées vers un endroit plus approprié. La famille, qui s’apprêtait à organiser une cérémonie de purification, a refusé d’obtempérer et la discussion s’est rapidement transformée en un affrontement verbal qui a pris fin lorsque la sergente d’armes, qui s’est entretenue avec le député de la famille, a permis que le mémorial reste provisoirement en place. Préoccupés par le manque d’empathie de la part du SPAL à la lumière des événements survenus un peu partout au pays, certains députés provinciaux ont soumis une plainte écrite à la sergente d’armes. Après avoir rencontré la famille, le SPAL a accepté de participer à un processus de justice réparatrice. Dans cet article, les auteurs expliquent comment le SPAL, en outrepassant ses procédures opérationnelles habituelles et en participant à ce processus, a reconnu l’intérêt d’explorer des stratégies non conventionnelles de résolution des plaintes et a ainsi adopté un nouveau mécanisme de règlement des différends. L’article conclut en indiquant qu’un nouveau poste a été créé par l’Assemblée et que la personne qui l’occupera sera chargée de la liaison avec les peuples autochtones. L’article mentionne également que l’Assemblée est en train d’installer un mémorial permanent de chaussures autochtones dans l’enceinte du Parlement.
Jackie Gordon et Mike Civil
Au cours de l’été 2021, le public a appris qu’une communauté autochtone de Kamloops, en Colombie-Britannique, avait fait la découverte des restes de 215 enfants enfouis sur le site d’un ancien pensionnat autochtone.
Quelques heures après l’annonce, une famille s’est rendue sur le terrain de l’Assemblée législative de l’Ontario pour organiser une veillée et y déposer des chaussures d’enfants en mémoire des victimes. De la manière dont ces chaussures ont été placées, elles entravaient l’accès à l’entrée principale de l’Assemblée législative. Alors que des membres de la famille s’apprêtaient à tenir une cérémonie de purification, des agents de sécurité du Service de protection de l’Assemblée législative (SPAL) se sont approchés et leur ont demandé poliment de déplacer les chaussures vers un endroit plus approprié.
La famille a refusé et la situation a dégénéré en un affrontement verbal. Des amis de la famille, qui étaient également présents, ont contacté leur député au moyen des médias sociaux, qui a ensuite contacté la sergente d’armes pour lui demander si elle pouvait permettre que le mémorial (les chaussures) reste en place. Après une brève conversation, la demande a été approuvée et il a été conseillé aux agents de laisser les chaussures là où elles étaient. L’intégralité de l’interaction entre la famille et les agents qui ont répondu à l’appel a été enregistrée sur un téléphone portable, puis publiée sur les médias sociaux. Bien que les agents soient restés professionnels tout au long de leur interaction et qu’ils aient tenté d’appliquer une politique établie, leur manque de connaissance de l’actualité et des monuments commémoratifs similaires installés devant d’autres assemblées législatives du Canada a amené certains députés provinciaux à conclure que les agents avaient manqué d’empathie.
Ces députés ont par la suite soumis une plainte écrite au président de l’Assemblée, ce qui a donné lieu à une rencontre avec la famille, au cours de laquelle ils ont demandé à l’Assemblée d’envisager un processus de justice réparatrice pour résoudre le conflit, plutôt que le processus officiel de traitement des plaintes.
La réunion a été utile, dans la mesure où elle a permis à l’Assemblée d’entendre la famille raconter l’incident de vive voix et faire part de ses préoccupations concernant la réaction des agents. Toutes les personnes présentes ont convenu d’explorer la possibilité d’un processus de justice réparatrice pour aborder cette question. En outre, l’Assemblée a accepté de trouver et d’offrir une formation sur la compétence culturelle à tous les membres du Service de protection de l’Assemblée législative.
Après la réunion, une conversation préliminaire a eu lieu avec les agents concernés, afin de déterminer s’ils accepteraient de participer à un processus de justice réparatrice. Ils ont accepté volontiers, et les services d’un facilitateur professionnel de justice réparatrice ont été retenus. Le facilitateur s’est d’abord entretenu en privé avec les agents, puis avec les parties civiles.
Le rôle du facilitateur est d’écouter les parties, en prêtant attention aux principaux commentaires, et de guider la discussion vers une résolution. Le processus peut être très chargé en émotions et avoir des conséquences sur les participants, et tous peuvent concilier leurs doléances d’une manière différente ou ne rien concilier du tout. Le processus se fait dans la confidentialité et le respect des droits et du bienêtre de tous les participants. Il peut être très bénéfique pour toutes les parties prenantes, car elles peuvent être entendues et partager leur expérience.
Le Service de protection de l’Assemblée législative, en outrepassant ses procédures habituelles de fonctionnement et en participant à ce processus, a reconnu l’importance d’explorer de nouvelles stratégies de règlement des plaintes.
Le Service de protection de l’Assemblée législative a maintenant inclus un mode alternatif de règlement des différends dans sa politique de plaintes afin d’envisager de nouvelles stratégies, comme un processus de justice réparatrice, sur demande. Ce processus a permis à l’Assemblée de rétablir les relations avec la communauté et aux agents de voir la situation du point de vue des plaignants. En outre, il a également permis d’identifier des lacunes en matière de formation. L’équipe de supervision et de gestion du SPAL a suivi un cours complet de niveau universitaire sur les études autochtones et a lu le Rapport de synthèse sur la vérité et la réconciliation.
Le Mémorial de chaussures autochtones a été retiré en tout respect après la tenue d’une cérémonie de purification. Sous la direction du président de l’Assemblée législative, Ted Arnott, du greffier, Todd Decker, et de notre personnel chargé du protocole parlementaire et des relations publiques, une exposition commémorative permanente en l’honneur des victimes est en train d’être installée à l’intérieur de l’Assemblée législative.
De plus, le Bureau de l’Assemblée a récemment créé un nouveau poste, celui d’agent de liaison autochtone (Nokomis O’Brien). Bien qu’il n’en soit qu’à ses débuts, ce nouveau rôle aidera l’Assemblée et le SPAL dans les affaires impliquant les communautés autochtones, qu’il s’agisse d’événements spéciaux, de manifestations, de veillées ou de plaintes.
Cette expérience a permis de renforcer la sensibilisation culturelle du Service de protection de l’Assemblée législative, lui permettant de mieux comprendre les traumatismes et les pertes décrites dans le Rapport sur la vérité et la réconciliation.
Certes, il est parfois risqué de s’écarter des procédures opérationnelles habituelles, mais il en résulte parfois aussi des occasions de croissance. Ici, on a compris l’importance d’envisager d’autres façons de résoudre les plaintes de civils contre les agents, en tenant davantage compte de l’équité, de la diversité et de l’inclusion.