Participation du public au processus de redécoupage : réflexion
La Constitution du Canada exige que les circonscriptions électorales fédérales fassent l’objet d’un examen après chaque recensement décennal pour tenir compte des changements démographiques. Ce processus, connu sous le nom de redécoupage, compte deux étapes : la représentation et la révision. La participation du public est une étape essentielle du processus de révision. La Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales stipule que chaque commission de délimitation des circonscriptions électorales doit tenir au moins une audience publique dans la province après qu’elle a élaboré une proposition initiale de carte. Cet article propose une réflexion sur la participation du public au dernier processus de redécoupage. Les données contenues dans ce document sont tirées des rapports de 2022 des 10 commissions de délimitation des circonscriptions électorales; des données obtenues dans le cadre du redécoupage de 2012 sont également utilisées pour fournir un contexte. Le point de départ de l’analyse sera le travail réalisé par John Courtney; ce dernier tire plusieurs conclusions au sujet de la participation du public dans son analyse approfondie des commissions de délimitation des circonscriptions électorales avant 1994. Puisqu’il s’est écoulé près de 20 ans depuis la publication des ouvrages en question, nous avons maintenant la possibilité de revenir sur ces conclusions en utilisant les processus les plus récents.
Tamara A. Small
À la prochaine élection fédérale, qui devrait avoir lieu en 2025, la Chambre des communes verra son nombre de sièges passer de 338 à 343, des hausses ayant été accordées en Alberta (3), en Ontario (1) et en Colombie-Britannique (1). La Loi constitutionnelle de 1867 exige que les circonscriptions électorales fédérales fassent l’objet d’un examen après chaque recensement décennal pour tenir compte des changements démographiques au sein de la population canadienne. Ce processus, connu sous le nom de redécoupage, nécessite l’intervention d’un grand nombre d’acteurs politiques. Le directeur général des élections joue un rôle clé dans la première étape. Sous la direction du Parlement, il applique la formule de représentation (ou deux formules dans le présent cas) afin d’établir la nouvelle répartition des sièges. Cette première étape du processus de redécoupage de 2022 s’est déroulée à la fin de 2021. La deuxième étape, soit la révision, demande de revoir les limites des circonscriptions électorales dans les provinces ou d’en dessiner de nouvelles. Les principaux acteurs sont les membres des commissions de délimitation des circonscriptions électorales indépendantes; on compte une commission par province. Chaque commission est composée de trois membres, soit un juge et deux autres commissaires. Le personnel d’Élections Canada offre du soutien à chaque commission sous la forme d’une aide administrative et technique. L’étape de révision a commencé au début de 2022, tandis que le travail des 10 commissions a pris fin à l’automne 2023. À l’étape de révision, un autre groupe important d’acteurs politiques entre en scène : les membres du public. Des milliers de personnes d’un peu partout au Canada prennent l’initiative de fournir leurs commentaires sur les propositions préliminaires soumises par leur commission de délimitation des circonscriptions électorales respective. En règle générale, ce sont des commentaires négatifs en ce sens que les citoyens critiquent les modifications apportées à leur circonscription par la commission dans sa proposition initiale et espèrent que certaines modifications seront apportées1.
Le présent article propose une réflexion sur la participation du public au dernier processus de redécoupage. Les données contenues dans ce document sont tirées des rapports de 2022 des 10 commissions de délimitation des circonscriptions électorales; des données obtenues dans le cadre du redécoupage de 2012 sont également utilisées pour fournir un contexte. Le point de départ de l’analyse sera le travail réalisé par John Courtney2; ce dernier tire plusieurs conclusions au sujet de la participation du public dans son analyse approfondie des commissions avant 1994. Puisqu’il s’est écoulé près de 20 ans depuis la publication des ouvrages en question, nous avons maintenant la possibilité de revenir sur ces conclusions en utilisant les processus les plus récents.
Audiences publiques : selon le droit et dans la pratique
Au Canada, il arrive couramment que l’on permette à des citoyens ou à des intervenants d’exposer leur point de vue sur un processus d’élaboration de politiques. Des possibilités de ce genre peuvent être offertes pour un éventail de raisons. Parfois, la loi oblige la tenue d’un processus de participation du public et d’intervenants; à d’autres occasions, c’est plutôt le gouvernement qui veut s’assurer de la légitimité de certaines de ses mesures3. Dans le présent cas, c’est la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales de 1985, qui régit la deuxième étape, qui exige la participation du public. Plus précisément, l’article 19 de la Loi stipule que chaque commission de délimitation des circonscriptions électorales doit tenir « au moins une séance dans cette province pour entendre les observations des intéressés ». Au sens de la Loi, les députés sont des « intéressés » et peuvent prendre part aux audiences. Les audiences publiques se tiennent relativement tôt à l’étape de révision. Le public a le droit de formuler des commentaires avant la production de toute proposition finale de carte de circonscription élaborée par les commissaires. En fonction des commentaires reçus lors des audiences publiques, les commissaires pourraient revoir leur carte, et c’est habituellement ce qui se produit. Toutefois, puisqu’il s’agit d’un processus indépendant, ils ne sont nullement obligés d’accepter les opinions exprimées par le grand public ou par des députés. La Loi exige également qu’un avis public des réunions soit publié dans la Gazette du Canada, le journal officiel du gouvernement du Canada, et dans un journal local au moins 30 jours avant la tenue d’une audience.
Les règles officielles établies dans la Loi représentent le strict minimum en ce qui a trait aux échanges que les commissions doivent avoir avec le public. Dans la pratique, les avis publics des réunions sont publiés dans une multitude de journaux et de médias dans toute la province. Par exemple, le Rapport de la Commission de délimitation des circonscriptions électorales fédérales pour la province de l’Ontario4 mentionne que, outre les médias traditionnels, la Commission a communiqué avec d’autres organisations ontariennes, parmi lesquelles on trouvait notamment : des organismes et des gouvernements autochtones; des municipalités et des associations locales; la Chambre de commerce de l’Ontario, des entreprises associées et des conseils du travail; les facultés de droit et les départements de sciences politiques. La Commission cherchait à joindre le plus grand nombre d’Ontariens possible.
Par ailleurs, on semble prendre de plus en plus conscience du nouveau paysage médiatique dans la stratégie de publicité mise en œuvre pour faire connaître le processus de redécoupage. Les recherches menées par Brin et Charlton5 montrent que le lectorat hebdomadaire des journaux communautaires est d’environ 14 pour cent. Ces recherches démontrent également qu’Internet et les médias sociaux constituent désormais les principales sources d’information des Canadiens. Par conséquent, ce ne serait plus une stratégie particulièrement efficace si l’on décidait de se concentrer uniquement sur les médias traditionnels pour informer les gens au sujet des audiences et des modifications apportées aux cartes. En 2012 et en 2022 également, on comptait deux sites Web centralisés, un dans chaque langue officielle, utilisés pour le processus de redécoupage. En plus de fournir des renseignements généraux, chaque commission provinciale de délimitation des circonscriptions électorales disposait de sa propre section lui permettant d’annoncer ses audiences publiques. En effet, ces sites Web constituent les principales sources de données sur la participation des Canadiens qui sont utilisées dans la présente analyse. En 2022, les médias sociaux ont été utilisés pour la première fois; il y avait un compte Twitter, Facebook et Instagram dans chaque langue officielle. Conformément à l’usage que fait le gouvernement du Canada des médias sociaux, ces comptes ont servi à communiquer de l’information de façon unidirectionnelle à propos du travail des commissions, y compris pour annoncer les audiences publiques. Il n’était pas possible de transmettre des commentaires écrits sur les propositions de cartes en passant par les médias sociaux.
Tableau 1. Audiences publiques tenues
en 2012 et en 2022
|
2012 |
2022 |
||
|
En personne |
En personne |
Virtuel |
Les deux |
Alb. |
15 |
22 |
1 |
23 |
C.-B. |
23 |
26 |
1 |
27 |
Man. |
3 |
2 |
2 |
4 |
N.-B. |
11 |
8 |
1 |
9 |
T.-N.-L. |
9 |
11 |
1 |
12 |
N.-É. |
6 |
8 |
1 |
9 |
Ont. |
31 |
12 |
11 |
23 |
Î.-P.-É. |
1 |
2 |
1 |
3 |
Qc. |
21 |
17 |
3 |
20 |
Sask. |
12 |
12 |
1 |
13 |
TOTAL |
132 |
120 |
23 |
143 |
Dans le cadre du processus de redécoupage de 2022, les audiences publiques ont eu lieu entre mai et octobre 2022. Le tableau 1 présente un sommaire du nombre d’audiences publiques, par province, en 2012 et en 2022. Pour le dernier processus de révision, on a recensé au total 143 audiences publiques à l’échelle du pays. En 2022, quatre audiences qui étaient planifiées (au Manitoba et au Nouveau-Brunswick) ont été annulées, car aucun avis pour la présentation d’observations n’avait été publié. Comme le montre le tableau 1, dans la pratique, la plupart des commissions ont tenu beaucoup plus d’audiences que la seule audience qu’elles étaient dans l’obligation de tenir. Les commissions ont plutôt tendance à organiser des audiences publiques dans différents centres partout dans leur province pour offrir aux membres du public de nombreuses occasions de donner des présentations en personne. Le recours élargi aux audiences virtuelles est l’une des innovations observées en 2022. Plusieurs rapports indiquent les raisons pratiques et techniques de cette innovation. Par exemple, dans le Rapport de la Commission de l’Ontario, on mentionne « la capacité des membres du public à utiliser la technologie des réunions à distance à partir de leur domicile ou d’installations communautaires, l’efficacité des audiences à distance et la possibilité de restrictions sur les réunions en personne dans le contexte de la pandémie6 » comme motifs pouvant expliquer le recours répandu à des audiences virtuelles. En effet, on a recensé presque autant d’audiences en personne que d’audiences virtuelles. Si l’on compare 2012 à 2022, on peut affirmer que les audiences virtuelles étaient habituellement utilisées comme complément. Même s’il y a eu huit audiences en personne de moins, on a tout de même compté 16 audiences de plus en 2022. À cet égard, la technologie a permis d’offrir aux personnes du public davantage d’occasions de prendre part au processus. Cela concorde avec l’usage croissant que l’on fait des technologies numériques dans le cadre des activités de participation des citoyens et des intervenants avec les gouvernements au Canada7.
Participation aux audiences publiques
Les Canadiens peuvent soumettre un mémoire à leur commission respective de deux façons. Premièrement, ils peuvent donner une présentation orale en s’adressant directement aux commissaires. En vertu de la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales, il faut adresser un « avis obligatoire pour la présentation d’observations » au secrétaire de la commission dans les 23 jours suivant la publication du dernier avis d’audience. Toutefois, si les commissaires décident que cela est dans l’intérêt public, ils pourraient entendre des observations n’ayant pas fait l’objet d’un avis. Bien que ce point ne soit pas mentionné dans la Loi, il existe un deuxième moyen pour le grand public de prendre part au processus. En effet, il est possible de transmettre un mémoire écrit par courrier postal ou par courriel.
Dans quelle mesure les citoyens ont-ils participé au processus en 2022?
Remarque : Le tiret indique qu’aucun nombre n’a été fourni dans le rapport.
Le tableau 2 résume les taux de participation signalés lors des deux redécoupages selon le type de mémoire. Lorsqu’il est question de la participation de la population aux audiences publiques, l’une des premières affirmations faites par Courtney8 dans le livre intitulé Commission Ridings se rapporte aux taux de participation. Voici ce qu’il écrit :
Le nombre exact de participants et les taux de participation n’ont pas toujours été consignés ou publiés; il est donc impossible de savoir précisément combien d’individus ont su profiter de l’invitation largement diffusée auprès du grand public d’assister à une audience et de présenter un mémoire ou de témoigner devant une commission. Les données disponibles démontrent que le nombre de participants et de mémoires présentés aux commissions n’a jamais été élevé9.
J’arrive à des conclusions semblables en me basant sur un examen systématique des rapports traitant des exercices de redécoupage de 2012 et de 2022. Pour ce qui est du processus le plus récent, le nombre total de mémoires, sans égard au type de mémoire, s’élevait à environ 6 100. Il est entendu qu’il s’agit d’une estimation. Étant donné que chaque commission fonctionne de façon indépendante des autres, les commissions présentent toutes leurs données sur les audiences publiques très différemment. Par exemple, le Rapport de la Commission de TerreNeuveetLabrador énumère simplement toutes les personnes (nom, lieu et poste, si cela est pertinent) ayant assisté à chaque audience. Le Rapport de la Colombie-Britannique fournit un tableau très utile qui indique le nombre de présentateurs, ainsi que le nombre de participants par audience. Le Rapport du Québec indique ce qui suit : « La Commission a reçu plus de 300 commentaires et mémoires et 161 personnes, dont 34 députés, 16 préfets et 41 élus municipaux, sont intervenues devant elle lors des audiences publiques10 ». Puisqu’il n’existe pas de tableau ou de rapport type contenant ce genre d’information, il est difficile de tirer des conclusions catégoriques par rapport à la participation citoyenne au processus. De plus, tout chiffre rond inscrit dans le tableau n’est probablement pas le chiffre exact. Pour les deux années, les données sur les mémoires écrits manquent de précision par comparaison avec l’information sur les présentations en personne. Néanmoins, nous pouvons constater que les mémoires écrits sont beaucoup plus courants que les présentations orales. En 2022, le rapport était de 4 pour1.
Si l’on compare les deux périodes, la participation semble légèrement plus faible en 2022 par rapport à 2012; l’écart est d’environ cinq pour cent. En ce qui a trait aux présentations en personne, les chiffres sont plus déplorables. Il y a eu une baisse de 21,5 pour cent dans le nombre de présentations en personne en 2022 par comparaison avec l’exercice de redécoupage antérieur. Une fois de plus, cela fait ressortir l’importance des mémoires soumis par écrit. Toutefois, il semble y avoir un niveau de participation plus élevé dans l’ensemble par comparaison avec l’analyse de Courtney dans laquelle il indique que le nombre de mémoires soumis par des membres du public à l’ensemble des dix commissions fédérales s’élevait à 928 dans les années 1980 et à 641 dans les années 199011. Qu’est-ce qui pourrait expliquer les différences entre les deux exercices de redécoupage? Serait-ce que les Canadiens d’aujourd’hui s’intéressent tout simplement davantage aux délimitations des circonscriptions électorales qu’il y a 20 ans? Nous pouvons probablement envisager que la technologie est l’une des raisons expliquant cette différence. Conformément à ce qui a déjà été indiqué, les deux exercices récents de redécoupage dont il est question dans la présente analyse sont survenus à une époque où l’on utilise grandement Internet et d’autres technologies numériques. Dans le secteur de la politique, l’un des avantages de la technologie numérique est le fait qu’elle simplifie le processus de participation et le rend plus efficace. Ainsi, envoyer un courriel à une commission est beaucoup plus facile que de lui envoyer une lettre par la poste. En lien avec ce phénomène, mentionnons le « clictivisme » qui fait référence à la « simplification des processus participatifs en ligne12 ». Les technologies numériques peuvent faciliter le travail des groupes communautaires et des groupes d’intérêt en leur permettant d’échanger des modèles ou de se transmettre des sujets de discussion que les membres peuvent utiliser ou communiquer rapidement. Le Rapport de l’Alberta a d’ailleurs abordé ce point (voir ciaprès). Bien qu’il n’y ait pas de lien avec la technologie, le Rapport de la Nouvelle-Écosse13 mentionne que la Commission a reçu « des centaines de cartes postales […] pour exprimer leur opposition à certaines modifications des limites des circonscriptions14 », ce qui est révélateur d’une coordination dans l’approche en matière de participation.
En quoi la participation citoyenne à l’étape de révision n’est pas suffisamment « forte » comme l’a exprimé Courtney? Il est difficile de répondre à cette question puisqu’il n’existe pas de recueil des taux de participation aux activités de consultation gouvernementales. Cela dit, Justin Longo a réalisé une analyse fascinante de sept exercices de participation d’envergure entrepris par le gouvernement fédéral entre 1997 et 2017. Il signale des taux de participation variant entre moins de 1 000 personnes à plus de 300 000 Canadiens. Il est entendu que certains facteurs tels que le sujet de la consultation, le type d’activité de consultation et l’utilisation de la technologie peuvent avoir une incidence sur les taux. Cela dit, si nous utilisons le travail de Longo comme mesure de référence, nous pouvons affirmer que le niveau de participation du public au processus de redécoupage se situe quelque part au milieu.
Courtney mentionne ensuite ce qui suit :
Les commissions des provinces les plus grandes entendent rarement plus de quelques centaines de personnes, tandis que les provinces les plus petites reçoivent parfois au plus quelques dizaines de participants. Par ailleurs, il est évident que les chiffres varient d’un exercice de révision des limites à un autre et d’une région à une autre à l’intérieur d’une même province selon le niveau d’inquiétude du public à propos des répercussions possibles des propositions sur une région ou une circonscription en particulier15.
En raison des différences dans la façon dont les rapports présentent les données, il devient très difficile de vérifier la mesure dans laquelle cette affirmation tient la route. C’est sans surprise que nous pouvons constater que c’est la province la plus grande qui a reçu le plus grand nombre de mémoires, et de loin. La dernière colonne du tableau 2 tente d’évaluer les différences entre les deux redécoupages. Je présente ici le changement en pourcentage dans le nombre total de mémoires entre ces deux années. Conformément à ce qui a déjà été mentionné, on observe une légère diminution de 5,4 pour cent dans le pourcentage global pour les deux types de mémoire. Toutefois, il y a un écart considérable dans la participation entre les provinces selon ce qui est inscrit au tableau; une seule province, soit le Manitoba, présente des taux très similaires pour les deux années. La Nouvelle-Écosse, même si elle arrive au septième rang pour la taille de sa population, a présenté le cinquième plus grand nombre de mémoires en personne en 2022. En effet, on a relevé une hausse de 1 000 pour cent dans la participation par rapport à 2012, alors que seulement 99 personnes avaient pris part au processus dans son ensemble. Cela pourrait être le signe que les préoccupations au sujet des modifications des limites sont plus vives en NouvelleÉcosse. Parallèlement, c’est en Nouvelle-Écosse que s’est tenue la campagne concertée d’envoi de cartes postales. La Saskatchewan a évolué dans le sens opposé entre 2012 et 2022, alors que le nombre de mémoires a diminué de 94 pour cent. Même si nous nous concentrons uniquement sur la participation en personne aux audiences publiques, la baisse se situe à près de 60 pour cent. Il ne fait aucun doute que l’exercice de redécoupage de 2022 était moins intéressant ou préoccupant pour les résidents que l’exercice antérieur.
Il faut se rappeler que la Loi sur la révision des limites des circonscriptions électorales considère que les députés sont des « intéressés » et leur permet de participer à l’étape des audiences publiques. À ce sujet, Courtney souligne que la participation « provient presque invariablement de maires, de conseillers et d’autres élus, de candidats vaincus et des dirigeants d’un parti dans la circonscription tirant profit de cette occasion pour exprimer leur opinion à propos des limites proposées pour la circonscription électorale16 ». Cette affirmation s’applique toujours dans le cas du présent exercice de redécoupage. Tous les rapports, sauf celui de l’Î.-P.-É., font parfois référence à la participation de politiciens aux audiences publiques. Dans plusieurs petites provinces, ce sont des politiciens qui ont participé davantage au processus. Conformément à ce qui a déjà été mentionné, le Rapport de T.-N.-L. énumère le nom et le poste des participants; à partir de cette information, nous avons établi que 48 pour cent des présentations en personne étaient faites par des individus du milieu de la politique, dont des députés, d’anciens députés, des agents de dotation et des politiciens locaux. En utilisant un processus semblable consistant à passer en revue chaque mémoire écrit se trouvant sur la page Web de la Commission du NouveauBrunswick, nous constatons que, alors que 61 pour cent des mémoires provenaient de « personnes du grand public », 19 pour cent des mémoires avaient été soumis par des maires; par ailleurs, quatre députés en poste avaient également rédigé un mémoire.
Évidemment, les députés en poste ont un intérêt direct pour la question des modifications aux limites des circonscriptions. Comme l’affirment Eagles et Carty, les députés « ont tendance à se voir comme des intéressés et comme des tiers experts dans le cadre de l’exercice d’élaboration des cartes et croient avoir quelque chose de substantiel à offrir17 ». Les rapports révèlent que des députés ont effectivement pris part au processus en 2022. Toutefois, compte tenu du manque de cohérence dans la déclaration des données sur les mémoires soumis, nous ne disposons pas des chiffres exacts pour l’ensemble des 10 provinces. Certaines Commissions, comme celles du Québec (voir ci-dessus), du Manitoba et de l’Alberta, notent précisément le nombre de députés et le type de participation. Le Manitoba a eu droit à des présentations écrites ou orales, ou dans les deux formats dans certains cas, de la part de près de 80 pour cent des députés en poste de la province; en Alberta, des présentations en personne ont été données par 12 députés en poste. Dans d’autres rapports, comme ceux de l’Ontario et de la C.-B., on parle de la participation des députés en termes plus généraux, mais sans donner de chiffres précis. L’une des discussions les plus intéressantes avec des députés qui ont eu lieu en 2022 est tirée du Rapport de la Commission de délimitation des circonscriptions électorales fédérales pour la province de l’Alberta18, alors que, dans une section intitulée « Mise au point », on décrit ce qui semblaient être des « efforts calculés d’un député en particulier pour que la Commission laisse intactes les limites électorales actuelles19 ». Après la présentation d’un mémoire en personne par le député lors d’une audience publique, la Commission a reçu un « grand nombre » de courriels qui « reprenaient les arguments » de ce député. Il est important de mentionner que les députés ont à nouveau l’occasion de soumettre leur opinion une fois que le rapport a été envoyé au Parlement. Ils peuvent soumettre des objections écrites à un rapport. Le grand public peut seulement prendre part à la première étape du processus.
Dans quelle mesure la participation du public joue-t-elle un rôle important dans le processus de redécoupage? Bien qu’il soit difficile d’en quantifier les effets, le commentaire suivant tiré du Rapport de la Commission de délimitation des circonscriptions électorales fédérales pour la province de la Colombie-Britannique20 laisse entendre que la participation est très importante :
Les audiences et les déplacements vers les lieux d’audience ont permis aux commissaires d’enrichir leur connaissance collective de la Colombie-Britannique. La Commission a tâché d’intégrer une grande partie des avis reçus dans la carte électorale proposée dans le présent rapport. Elle a notamment cherché des solutions pour éviter des limites traversant des cours d’eau et divisant des collectivités. Bien qu’il soit impossible de rendre compte de toutes les observations dans le présent rapport, elles ont toutes été prises en considération. Le rapport apporte donc des modifications importantes à la Proposition étudiée lors des audiences publiques.
Les rapports apportent aussi la preuve que les commissaires tiennent compte de certains commentaires des gens dans le cadre de leur travail. Voici deux exemples qui sont brefs :
Québec : Finalement, plusieurs citoyens se sont plaints de la longueur des noms que portent les circonscriptions au Québec. Ils ont invité la Commission à faire un effort additionnel pour les raccourcir, y allant même de leurs suggestions. La Commission a pris acte de ce souhait et propose maintenant plusieurs noms allant en ce sens, un bon nombre de ces noms provenant des suggestions faites par des citoyens.
Saskatchewan : Certains intervenants qui plaidaient en faveur de circonscriptions mixtes insistaient sur la communauté d’intérêts découlant des habitudes des consommateurs – par exemple les achats, la consultation de médecins ou dentistes, ou le travail. La Commission est d’accord avec la commission de 2012 qu’il s’agit de liens importants entre communautés qui devraient être entretenus, mais qui n’établissent pas une communauté d’intérêts à des fins électorales fédérales.
Revenons à Courtney. Il nous rappelle la théorie derrière la création de 10 commissions provinciales au lieu d’une seule commission nationale, soit que les commissions locales sont « plus susceptibles de bien connaître les communautés locales, leur histoire, les changements démographiques et la géographie d’une province21 ». De tels commentaires, en plus des dix rapports qui reconnaissent la contribution de l’ensemble des Canadiens ayant participé au processus en soumettant un mémoire écrit ou en assistant à une audience en personne et qui leur font part de leur gratitude, indiquent que les véritables détenteurs de ce savoir local sont les gens qui vivent dans ces communautés. La participation de la population canadienne au processus de redécoupage n’est peut-être pas vaste, mais elle porte à conséquence.
Notes
1 Courtney, John C. Commissioned Ridings Designing Canada’s Electoral Districts, Montreal-Kingston, McGillQueen’s University Press, 2001 [en anglais].
2 Ibid; Courtney, John C., Elections, Vancouver, UBC Press, 2004 [en anglais].
3 Longo, Justin, « The Evolution of Citizen and Stakeholder Engagement in Canada, from Spicer to #Hashtags », Canadian Public Administration, vol. 60, no 4, p. 517-537, 2017, https://doi.org/10.1111/capa.12229 [en anglais].
4 « Rapport de la Commission de délimitation des circonscriptions électorales fédérales pour la province de l’Ontario », Redécoupage des circonscriptions fédérales de 2022, 2023, https://redecoupage-redistribution-2022.ca/com/on/index_f.aspx.
5 Brin, Colette et Sébastien Charlton, « Digital News Report 2022: Country Data Canada », Reuters Institute for the Study of Journalism, 2022, https://reutersinstitute.politics.ox.ac.uk/digital-news-report/2022/canada [en anglais].
6 « Rapport de la Commission de délimitation des circonscriptions électorales fédérales pour la province de l’Ontario », Redécoupage des circonscriptions fédérales de 2022, 2023, p. 17, https://redecoupage-redistribution-2022.ca/com/on/rprt/on_rprt_f.pdf.
7 Longo.
8 Courtney, 2001.
9 Ibid, p. 127 [traduction].
10 « Rapport de la Commission de délimitation des circonscriptions électorales fédérales pour la province de Québec », Redécoupage des circonscriptions fédérales de 2022, 2023, p. 10, https://redecoupage-redistribution-2022.ca/com/qc/rprt/qc_f.pdf.
11 Courtney, 2001, p. 134.
12 Halupka, Max, « Clicktivism: A Systematic Heuristic », Policy & Internet, vol. 6, no 2, p. 115-132, 2014 [traduction].
13 « Rapport de la Commission de délimitation des circonscriptions électorales fédérales pour la province de la Nouvelle-Écosse », Redécoupage des circonscriptions fédérales de 2022, 2023, https://redecoupage-redistribution-2022.ca/com/ns/index_f.aspx.
14 bid, p. 12.
15 Courtney, 2001 [traduction].
16 Courtney, 2001, p. 126 [traduction].
17 Eagles, Munroe et R. Kenneth Carty, « MPs and Electoral Redistribution Controversies in Canada, 1993-96 », Journal of Legislative Studies, vol. 5, no 2, p. 77, 1999 [traduction].
18 « Rapport de la Commission de délimitation des circonscriptions électorales fédérales pour la province de l’Alberta », Redécoupage des circonscriptions fédérales de 2022, 2023, https://redecoupage-redistribution-2022.ca/com/ab/index_f.aspx.
19 Ibid, p. 30.
20 « Rapport de la Commission de délimitation des circonscriptions électorales fédérales pour la province de la Colombie-Britannique », Redécoupage des circonscriptions fédérales de 2022, 2023, p. 15, https://redecoupage-redistribution-2022.ca/com/bc/index_f.aspx.
21 Courtney, 2004, p. 53 [traduction].
Tableau 2. Mémoires soumis en personne et par écrit aux commissions provinciales
de délimitation des circonscriptions électorales fédérales en 2012 et en 2022
|
2012 |
2022 |
|
||||
|
In-Person |
Written |
Total |
In-Person |
Written |
Total |
% of change |
AB |
154 |
383 |
537 |
127 |
511 |
638 |
18.8 |
BC |
354 |
600 |
954 |
211 |
1 000 |
1 211 |
26.9 |
MN |
59 |
18 |
77 |
28 |
43 |
71 |
-7.8 |
NB |
– |
– |
70 |
37 |
66 |
103 |
47.1 |
NL |
24 |
3 |
27 |
27 |
13 |
40 |
48.1 |
NS |
42 |
57 |
99 |
104 |
1 000 |
1 104 |
1 015.2 |
ON |
509 |
569 |
1 078 |
462 |
1 899 |
2 361 |
119.0 |
PE |
– |
– |
– |
2 |
1 |
3 |
– |
QC |
237 |
144 |
381 |
161 |
215 |
376 |
-1.3 |
SK |
230 |
3 000 |
3 230 |
95 |
99 |
194 |
-94.0 |
TOTAL |
6 453 |
1 254 |
4 847 |
6 101 |
-5.5 |
Remarque : Le tiret indique qu’aucun nombre n’a été fourni dans le rapport.