Durant l’année qui mènera à l’élection générale fédérale de 2019, le Groupe canadien d’étude des parlements a réuni des fonctionnaires du Parlement ainsi que des observateurs et des parlementaires intéressés pour examiner ce qui ressort de la présente législature et ce que pourrait réserver l’avenir. Dans le cadre de cette conférence très courue, quatre groupes de discussion ont exploré les changements et les défis que vivent les deux Chambres à la suite des récentes innovations procédurales et structurelles. Dans le présent article, l’auteur résume les travaux de chaque groupe de discussion et une partie de la discussion ayant suivi les présentations.
L’évolution de la relation bicamérale
Cathy Piccinin, greffière principale intérimaire du Bureau de la procédure et des travaux de la Chambre, au Sénat, décrit une série de changements qui se sont produits à la Chambre haute avant et durant la 42e législature. À l’arrivée au pouvoir des libéraux après l’élection de 2015, pour la toute première fois dans l’histoire du Canada, un gouvernement ne comptait aucun représentant au Sénat étant donné la décision du chef libéral Justin Trudeau d’exclure les sénateurs libéraux de son caucus en 2014. Peter Harder a par la suite été nommé représentant du gouvernement au Sénat. Devant le nombre sans précédent de sièges vacants à la Chambre haute, le premier ministre Trudeau a créé un nouveau processus de nomination pour la sélection de sénateurs indépendants. La composition du Sénat a par conséquent radicalement changé au cours des dernières années : les sénateurs conservateurs siègent toujours aux côtés des députés du parti, un groupe de sénateurs libéraux fonctionne comme un caucus partisan sans toutefois être rattaché aux libéraux de la Chambre des communes, des sénateurs indépendants provenant d’une multitude d’horizons se sont regroupés pour former un caucus, soit le Groupe des sénateurs indépendants (GSI), et d’autres sénateurs siègent de façon indépendante sans aucune affiliation à un parti politique.
Mme Piccinin explique que, en raison de ces changements, les travaux du Sénat sont devenus beaucoup moins prévisibles. Tout en soutenant qu’il conviendrait mal de recourir à des mesures pour évaluer les conséquences des amendements proposés pour justifier les travaux législatifs, elle juge utile de mentionner que, au cours de la présente législature, le nombre de propositions d’amendement faites par le Sénat par année a triplé et qu’on observe également une augmentation du nombre de projets de loi amendés. Cependant, d’après Mme Piccinin, le Sénat semble toujours respecter le pouvoir de la Chambre des communes de rejeter des propositions d’amendement en se gardant d’insister pour que celles-ci soient adoptées.
Reconnaissant l’absence de ministres dans ses rangs, le Sénat a commencé à inviter des membres du Cabinet pour répondre à des questions. Aucun changement n’a été apporté au Règlement pour tenir compte de cette pratique, qui est plutôt le fruit de négociations.
Mme Piccinin donne également plusieurs exemples de mesures législatives ayant été traitées de façon inhabituelle :
Projet de loi S-3 – Le Comité des peuples autochtones a décidé de rejeter le projet de loi et d’ajourner la séance pour ensuite faire volte-face et proposer de nombreux amendements.
Projet de loi C-49 – Si un sénateur insiste pour apporter un amendement, un comité doit être constitué pour le justifier. Dans ce cas-ci, le processus a été expéditif. Lorsque la Chambre des communes a rejeté la proposition d’amendement une seconde fois, le Sénat a laissé tomber sa proposition.
Projet de loi C-45 – Divers comités du Sénat ont discuté de l’objet du projet de loi (la légalisation du cannabis à usage récréatif), mais c’est le comité des affaires sociales qui en a étudié la teneur. Les leaders des partis et les facilitateurs au Sénat ont convenu de structurer le débat par thème à l’étape de la troisième lecture, un peu comme on l’a fait pour le projet de loi sur l’aide médicale à mourir. Cette organisation bonifiée a semblé plaire aux sénateurs.
Mme Piccinin conclut que le Sénat envisage désormais ses pouvoirs sous un angle plus multicentrique et signale que de nombreuses réalisations résultent de négociations entre les membres plutôt que de modifications officielles du Règlement.
Jeremy LeBlanc, greffier principal, Travaux de la Chambre et Publications parlementaires à la Chambre des communes, aborde quelques thèmes évidents qui se dégagent de la 42e législature (contraintes de temps pour le gouvernement, prérogatives financières et modifications procédurales) ainsi que leurs effets sur ce qui se passe à la Chambre basse. Il signale que le nombre de mesures législatives renvoyées à la Chambre des communes avec des propositions d’amendement du Sénat a augmenté de façon marquée (27 % des projets de loi ont été amendés) et que la Chambre des communes a rejeté toutes les propositions d’amendement dans seulement deux cas.
M. LeBlanc fait remarquer qu’il y a eu plus de cas où les deux Chambres se sont renvoyé la balle – quand une mesure législative fait plusieurs allers-retours entre les deux Chambres – et que le nombre de séances où des amendements du Sénat sont étudiés a également augmenté. Il explique que les contraintes de temps sont plus durement ressenties avant les longs ajournements.
Deux mesures législatives, soit les projets de loi C14 et C45, étaient complexes en ce sens qu’elles comportaient de nombreux aspects à prendre en considération, mais les ajustements, amendements et messages entre les deux Chambres ont été échangés rapidement. Selon M. LeBlanc, les projets de loi d’exécution du budget sont devenus nettement plus volumineux. Habituellement, il y en a deux par année et ils franchissent les étapes rapidement. Il est rare que le Sénat amende des projets de loi de nature financière, mais il l’a fait dans deux cas. Le projet de loi C-29, considéré comme un projet de loi omnibus, a suscité des inquiétudes, particulièrement au Québec, concernant des modifications législatives proposées à la Loi sur les banques. Un groupe de sénateurs indépendants a demandé à séparer cette partie du projet de loi principal, ce que le gouvernement a accepté à la Chambre des communes pour en accélérer l’adoption. Dans le projet de loi C44, le Sénat a proposé des amendements aux taxes d’accise. Le gouvernement les a rejetés, faisant valoir qu’il n’appartient pas au Sénat d’intervenir sur des aspects financiers, puis a ajourné. Même si le Sénat a accepté le rejet des amendements, les sénateurs ont réaffirmé croire que le Sénat peut insister pour que des amendements soient apportés à toute mesure législative de quelque nature que ce soit.
Durant la séance de questions et réponses avec les participants, une personne s’enquiert d’une obscure procédure, la « séance préparatoire » sur des mesures législatives entre les deux Chambres, à laquelle on a eu recours pour la dernière fois dans les années 1940. Mme Piccinin répond que ces séances n’ont pas souvent été réclamées. Till Heyde, greffier principal adjoint au Bureau de la procédure et des travaux de la Chambre au Sénat du Canada, indique que les greffiers à la procédure devront faire une recherche, mais que rien ne presse.
En réponse à d’autres questions des participants, Mme Piccinin signale que les aspects complexes sur le plan procédural de la nouvelle composition du Sénat obligent les greffiers à faire preuve de souplesse (le débat thématique à l’étape de la troisième lecture en est un exemple). M. Heyde explique qu’auparavant, les greffiers pouvaient prévoir avec certitude de 90 % à 95 ٪ du déroulement de la journée, alors que maintenant, avec la présence de nombreux nouveaux acteurs, ce degré de certitude est plutôt de l’ordre de 70 ٪ ou 75 %, voire beaucoup moins certains jours. Selon lui, « nous devons maintenant tenir compte de beaucoup plus de sénateurs », alors qu’avant, il suffisait de tenir compte du leader du gouvernement au Sénat et du chef de l’opposition. En général, les sénateurs sont beaucoup plus actifs et les nouveaux sénateurs, plus prompts à se renseigner sur leurs droits et privilèges.
Lori Turnbull, directrice de l’École d’administration publique de l’Université Dalhousie, ne manque pas de soulever des questions durant son survol des nouvelles tendances à la Chambre des communes et au Sénat. Elle se dit fascinée par la mainmise qu’exercent les partis politiques sur le Sénat depuis les dernières années étant donné que, une fois nommé, un sénateur a une meilleure sécurité d’emploi que le premier ministre qui le nomme. Elle relate qu’un sénateur à qui elle a demandé pourquoi les membres de la Chambre haute n’avaient pas exercé une plus grande indépendance lui a répondu que, « en politique, on fait partie d’une équipe ». Même si de nouveaux types d’équipe se forment, Mme Turnbull fait valoir que les nouveaux sénateurs sont encore choisis pour le rôle qu’ils jouent dans leur milieu. Selon elle, les sénateurs « veulent montrer qu’ils améliorent les choses, mais ils vivent toujours une crise de légitimité ». Elle pose la question suivante : « À qui les sénateurs doivent-ils rendre des comptes? Aux citoyens? Ce ne sont pas eux qui les ont choisis. Si on élisait les sénateurs, on aurait peut-être une réponse à cette question. »
Mme Turnbull mentionne avoir eu vent que, depuis l’élection de 2015, la Chambre et le Sénat adoptent des approches très différentes en matière de dotation. Les sénateurs semblent maintenant plus enclins à embaucher des avocats, ce qui l’amène à se demander si cette nouvelle tendance n’influerait pas sur leur manière de travailler.
Mme Turnbull ajoute que l’imprévisibilité croissante au Sénat a des répercussions sur le fonctionnement du gouvernement à la Chambre des communes. Le gouvernement sait maintenant avec moins de certitude s’il pourra tenir ses promesses. Cette incertitude peut constituer un problème dans un contexte de politique au détail. Mme Turnbull explique que, si les électeurs votent pour un produit et que le Sénat devient moins prévisible, le problème n’est pas que le parti est incapable de faire ce qu’il veut lorsqu’il forme le gouvernement à la Chambre, mais plutôt qu’il lui faut peut-être plus de temps que prévu. Au cours d’une séance de questions et réponses, un membre du public emploie l’analogie des partis dont le programme électoral est un contrat de service dans un environnement de politique au détail où le rôle du Sénat est de lire les petits caractères.
Mme Turnbull conclut en se demandant si nous reviendrons à un Sénat plus traditionnel dans dix ans. Elle en doute, car elle croit que nous avons « libéré la bête ».
Innovations à la Chambre des communes
Guillaume LaPerrière-Marcoux, chef de cabinet du greffier de la Chambre des communes, décrit la progression des plateformes de médias sociaux à la Chambre des communes. Cinq comptes Twitter (@NosCommunes, @CdcChambre, @CdcComités, @DiplomatieParl et @CdcPresident) et trois comptes Instagram donnent un aperçu de divers aspects de la Chambre, de ses comités et d’autres programmes. À ce jour, plus de 200 photos ont été publiées et ont attiré au total 10 000 mentions « J’aime » sur Instagram, et 8 000 gazouillis ont été affichés et ont recueilli plus de 4,4 millions d’impressions sur Twitter.
M. LaPerrière-Marcoux explique de quelle façon la Chambre des communes continuera d’innover et d’améliorer ses messages pour les adapter aux particularités de chaque type de média social. La Chambre envisage du contenu plus dynamique : publier moins de texte, mais plus d’images sur Twitter, entre autres en utilisant des GIF automatiquement diffusés lorsque visionnés en même temps qu’on fait défiler les fils Twitter.
Jeremy LeBlanc fait état des nouvelles règles concernant les projets de loi omnibus. Ce type de mesure législative, employé depuis longtemps, est devenu particulièrement controversé au cours des dernières années, surtout depuis la dernière législature. Certains projets de loi d’exécution du budget comportaient des centaines de pages, et certaines parties ne semblaient pas concerner directement le budget.
Le nouveau gouvernement a habilité le Président à diviser les questions aux fins du vote, mais les projets de loi d’exécution du budget font exception. Ceux-ci ne peuvent être divisés mais, à l’étape de la deuxième lecture, il peut y avoir plusieurs votes sur diverses questions.
M. LeBlanc cite un certain nombre de décisions rendues par le Président depuis la modification du Règlement. Il fait référence, par exemple, aux projets de loi C-69 et C-59. Le premier concerne les évaluations environnementales, et le second, présenté par le gouvernement, la sécurité nationale. Dans les deux cas, toutes les parties de ces projets de loi traitent d’un seul sujet, mais diverses parties pourraient vraisemblablement faire l’objet de votes distincts.
En ce qui concerne les projets de loi d’exécution du budget C63 et C74, le Président a dû examiner si certaines mesures qui y étaient proposées avaient été annoncées dans le cadre du budget. Dans un cas, il a divisé le projet de loi, mais dans l’autre, il a conclu que la partie en question avait été annoncée dans le discours du budget et que sa longueur n’avait rien d’inhabituel compte tenu de la complexité des amendements.
Aurelie Skrobik, stagiaire en 2017-2018 dans le cadre du Programme de stage parlementaire, s’est penchée sur le thème du populisme et des pétitions électroniques au Canada durant son stage. Ses travaux établissent une comparaison avec l’expérience britannique des pétitions électroniques et décrivent les différences dans la façon dont elles sont acceptées, étudiées et, éventuellement, débattues. Un article basé sur les travaux de Mme Skrobik sera publié dans un prochain numéro de la Revue parlementaire canadienne.
Christopher Cooper, professeur adjoint au département d’études politiques de l’Université d’Ottawa, analyse les nominations du premier ministre et la centralisation croissante des pouvoirs au sein du gouvernement. Il rappelle la thèse de Savoie : personne, du moins au sein du gouvernement, ne croit que le premier ministre soit encore le premier parmi ses pairs. Dans ses explications sur la centralisation croissante des pouvoirs, il évoque le cycle des médias de nouvelles, la personnalisation de la politique, la méfiance à l’égard de la fonction publique, le mécontentement suscité par le processus de délibération, l’influence des entreprises et le désir de compétence en matière de capacité de répondre aux besoins plutôt que de compétence neutre (par exemple, pouvoir tenir ses promesses).
Groupe de discussion sur la façon de créer un Parlement rassembleur
Jeanette Ashe, titulaire de la chaire du département de sciences politiques au collège Douglas, parle de ses recherches en cours sur les « Parlements tenant compte de la spécificité des sexes ». Diverses idées sont proposées pour créer un Parlement plus rassembleur, notamment : légiférer pour imposer des quotas; inciter les partis à recruter des femmes et obliger Élections Canada à recueillir des données sur la sélection des candidats.
Le premier ministre actuel se dit féministe, mais Jeanette Ashe se demande ce que cela signifie concrètement. Aujourd’hui, 27 % des députés sont des femmes, et ce pourcentage augmente lentement. Mme Ashe fait valoir qu’un Parlement tenant compte de la spécificité des sexes acquerrait davantage d’œuvres d’art mettant en scène des femmes et interdirait les comités formés de personnes d’un seul sexe ainsi que les groupes d’experts où tous les membres sont des hommes. Elle conclut que la législature actuelle tient davantage compte de la spécificité des sexes que la précédente, mais précise qu’il faut faire beaucoup plus.
Adelina Petit-Vouriot, analyste de la recherche à Samara Canada, croit que les Canadiens veulent un Parlement représentatif de la population. La démocratie à 360o, le bulletin de rendement de Samara concernant la Chambre des communes, comporte une section sur la diversité de la représentation. Mme PetitVouriot a axé sa présentation sur l’élection, l’autonomisation et la mobilisation des jeunes au sein de la démocratie parlementaire. Elle signale que l’âge moyen des députés est maintenant de 51 ans et que celui des membres du Cabinet est à peine moins élevé, soit 50,7 ans. Samara s’intéresse aux conseils jeunesse de circonscription et aux groupes consultatifs de jeunes afin d’analyser de quelles façons les jeunes participent à la démocratie parlementaire. Mme PetitVouriot mentionne que, souvent, la structure et les activités de ces groupes sont très différentes.
Manon Tremblay, professeure d’études politiques à l’Université d’Ottawa, indique que la composition de la Chambre des communes n’est pas représentative du nombre de femmes au Canada, mais qu’elle l’est un peu plus de la communauté LGBTQ. Des 338 sièges, cinq sont détenus par des personnes appartenant à la communauté LGBTQ. En comparaison, à la Chambre des communes du Royaume-Uni, 7 % des sièges sont occupés par des personnes ouvertement LGBTQ. De plus, selon Mme Tremblay, la « représentation émotionnelle » est un aspect important à prendre en considération. Elle donne comme exemples la nomination de Randy Boissonnault (conseiller spécial du premier ministre sur les enjeux liés à la communauté LGBTQ2) et les excuses officielles présentées aux personnes LGBTQ2 pour les torts historiques causés à la communauté.
Mme Tremblay se dit attristée que les Canadiens doivent donner des incitatifs aux partis politiques pour qu’ils établissent des listes de candidats plus représentatives et elle encourage le débat sur l’imposition de quotas pour assurer une représentation plus équitable. Durant la période de questions et réponses qui a suivi le groupe de discussion, un membre du public a demandé si la création d’un système de quotas risquait de provoquer un tollé. Mme Tremblay mentionne que, dans les années 1990, au RoyaumeUni, les listes restreintes du Parti travailliste sur lesquelles figuraient uniquement des femmes ont suscité beaucoup de critiques, mais elles sont mieux acceptées depuis quelques années, et d’autres partis envisagent aussi cette option.
Groupe de discussion sur la modernisation du Sénat
La sénatrice indépendante Diane Bellemare, qui siégeait initialement comme conservatrice à la Chambre haute, fait observer que les discussions sur la modernisation du Sénat ne datent pas d’hier, ayant été amorcées dans les années 1890. Depuis qu’elle a été nommée au Sénat, le sujet revient constamment puisque l’institution est en mode de crise. Même si elle appartenait au caucus d’un parti à son arrivée, la sénatrice savait qu’elle avait également un rôle constitutionnel à jouer. Elle a alors commencé à se renseigner sur le rôle du Sénat canadien et d’autres Sénats dans le monde afin de déterminer comment le moderniser efficacement.
La sénatrice Bellemare énumère six conditions qui, selon elle, sont nécessaires pour moderniser efficacement l’institution. Condition 1 : L’existence de plusieurs groupes ayant des opinions politiques en commun, soit le « caucus ». Dans la plupart des pays, il est rare de voir uniquement deux partis à la Chambre haute. Condition 2 : L’absence de partisanerie au sein de ces groupes ou caucus, qui doivent être plus indépendants. Condition 3 : L’existence d’un processus de nomination transparent, qui privilégie la sélection de sénateurs qualifiés non partisans. Condition 4 : L’application de politiques et de règles interdisant aux chefs de caucus ou aux facilitateurs de groupe de récompenser ou de punir des sénateurs pour leurs opinions. Condition 5 : Une vision commune du rôle constitutionnel des sénateurs au sein du Sénat canadien et des critères objectifs pour étudier des projets de loi de façon à mettre de côté leurs opinions et leurs sentiments. Condition 6 : La reconnaissance explicite par le gouvernement et la Chambre des communes des changements au Sénat par l’établissement d’un dialogue sincère et respectueux avec le Sénat et l’adoption des modifications applicables dans la Loi sur le Parlement du Canada.
Selon le sénateur libéral Art Eggleton, qui lance à la blague qu’il « obtiendrait son diplôme du Sénat » lorsqu’il sera forcé de prendre sa retraite à 75 ans (soit deux semaines après la conférence), il n’a jamais fait aussi bon travailler au Sénat. Il croit que le scandale des dépenses au Sénat et l’enquête du vérificateur général y sont pour quelque chose, mais que ce sont les sénateurs qui ont mis de l’ordre dans leurs affaires. Les Communications du Sénat se sont transformées pour permettre au Sénat de mieux faire connaître son travail. Il ajoute que les changements au processus de nomination améliorent les choses parce qu’une majorité de sénateurs n’est pas liée à un whip et que le rôle du Sénat n’est plus d’entériner sans discussion toutes les décisions du gouvernement.
Le sénateur Eggleton convient que des problèmes subsistent. Le projet de modernisation s’enlise cruellement. Le sénateur mentionne que, il y a deux ans, dix rapports ont été publiés, mais que, depuis, quatre de ces rapports figurent encore au Feuilleton, et ajoute que certains des changements apportés au Sénat pourraient ne pas être permanents, selon ce que décideront les prochains gouvernements. Il soutient que les conservateurs ont affirmé leur réel désir de conserver l’ancien système ou un système semblable – surtout la notion d’opposition officielle. L’idée d’un groupe d’opposition ne le dérange pas, mais il ne croit pas qu’il soit nécessaire d’appartenir à un caucus avec un whip associé à un parti politique. Il fait allusion à un sondage réalisé par Nanos dans Options politiques, qui a révélé que les Canadiens sont très favorables (84 % des personnes interrogées) à l’idée que les sénateurs votent de façon indépendante.
Le sénateur Eggleton conclut en disant qu’il est nécessaire de mettre à jour la Loi sur le Parlement du Canada. Le facilitateur du Groupe des sénateurs indépendants n’étant pas reconnu dans la loi actuelle, il n’est pas rétribué pour les responsabilités supplémentaires qui lui incombent et qui sont semblables à celles des chefs de caucus au Sénat, qui eux sont rémunérés en conséquence.
Le sénateur indépendant Marc Gold suggère d’appliquer trois critères pour évaluer la 42e législature : l’efficience, la prévisibilité et l’efficacité. Il propose d’améliorer l’efficience grâce à une meilleure planification entre le gouvernement, les représentants du Sénat et les autres intervenants. Certes, une structure mieux organisée permettrait aux sénateurs de travailler de façon plus efficiente, mais l’efficience ne devrait pas être le seul angle sous lequel examiner le mandat de la chambre de second examen objectif. Le sénateur Gold fait observer que, de l’avis d’observateurs, l’un des défauts du processus de nomination du gouvernement tient à son manque de prévisibilité. Or, le manque de prévisibilité est-il une mauvaise chose, demande-t-il? Voulons-nous vraiment d’un Sénat qui entérine sans discussion toutes les décisions du gouvernement? Le gouvernement est désormais tenu de faire preuve de vigilance et de s’intéresser à ce qui se passe au Sénat.
Enfin, pour être plus efficace, le sénateur Gold croit que le Sénat doit effectuer un examen raisonnable des projets de loi. Il prévient de ne pas confondre fermeté et efficacité. Il donne l’exemple de la Loi sur le cannabis, présentée par le gouvernement. Selon le sénateur, la qualité de l’examen réalisé par le Sénat, tant en comités qu’à l’étape de la troisième lecture, a rendu l’étude de la mesure législative beaucoup plus efficace. Le sénateur croit que, grâce à ses études approfondies, le Sénat améliore réellement le processus législatif. Il prévient que le processus est néanmoins fragile et indique que si le Sénat faisait preuve de plus de fermeté et proposait trop d’amendements, il risquerait de s’éloigner de son rôle. Le sénateur Gold mentionne qu’à l’intérieur du GSI, on réfléchit beaucoup à la question de savoir à quel moment il faut considérer que le nombre d’amendements est exagéré, et pourquoi. Il met également en garde contre l’hyperpartisanerie dans le processus de modernisation. Il conclut que « nous avons le devoir d’être humbles quand nous apportons des changements institutionnels fondamentaux », ajoutant que les réflexions froides et rationnelles occultent souvent la sagesse inhérente aux traditions.
Le sénateur conservateur Vernon White encourage les participants à se pencher sur le système de Westminster dans le cadre de leur examen de la modernisation du Sénat. Il est essentiel, selon lui, de savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va, et de ne pas perdre de vue, dans les discussions, le rôle historique que joue le Sénat comme porte-parole des régions.
Le sénateur White croit qu’on maintiendra probablement le processus de nomination actuel, mais qu’on devrait envisager d’autres solutions – par exemple, permettre aux provinces de nommer des candidats. Il ajoute que si, en plus, les personnes de tendance conservatrice sont exclues du processus actuel, mais pas celles de tendance libérale et progressiste, il y a un problème. Le Sénat n’est pas aussi représentatif qu’il le pourrait ou le devrait.
Le sénateur White insiste sur le fait que le Sénat doit faire contrepoids au pouvoir du premier ministre, surtout en situation de gouvernement majoritaire. Alors que se poursuit le projet de modernisation, le sénateur encourage la participation accrue des provinces et des territoires au processus de sélection des nouveaux sénateurs et aux discussions sur le Sénat de l’avenir. Après tout, dit-il, les provinces et les territoires ont participé à la création du Sénat.
Will Stos