Resserrer l’examen parlementaire des mesures législatives subordonnées : leçons tirées de l’Australie

Article 6 / 13 , Vol 42 No. 4 (Hiver)

Resserrer l’examen parlementaire des mesures législatives subordonnées : leçons tirées de l’Australie

Les mesures législatives subordonnées s’entendent de la délégation, par le Parlement, de ses pouvoirs législatifs au pouvoir exécutif, comme le Cabinet ou un ministre. Source ultime du pouvoir législatif, le Parlement a la responsabilité toute particulière de tenir l’exécutif à l’œil lorsqu’il légifère. Le comité d’examen fédéral de l’Australie, qu’on appelait auparavant Comité sénatorial permanent de la réglementation et des ordonnances et qu’on a depuis peu rebaptisé Comité sénatorial permanent d’examen des mesures législatives déléguées, a récemment mené une enquête afin de déterminer de quelle manière il pourrait améliorer le processus d’examen. En 2019, il a publié un rapport unanime auquel a souscrit le Sénat de l’Australie en novembre en modifiant son Règlement, conformément aux changements qui y étaient proposés. Le présent article donne un aperçu du comité d’examen de l’Australie et de l’enquête qu’il a menée. Il se penche ensuite sur le rapport et ses recommandations, qui offrent à d’autres pays, comme le Canada, la possibilité d’envisager des changements à leur examen parlementaire des mesures législatives déléguées.

Lorne Neudorf

Introduction

Les mesures législatives déléguées sont légion au Canada. D’ailleurs, l’Index codifié des textes réglementaires, un document de plus de 500 pages, dresse la liste des milliers d’ordonnances rendues et de règlements pris au fil des ans à l’échelle fédérale1. Le Canada est loin d’être le seul à privilégier les mesures législatives déléguées comme source importante de droit. Au Royaume-Uni, les mesures législatives déléguées ont récemment été décrites comme étant la « principale forme que prennent les lois dans la constitution contemporaine2 ». En Australie, elles comptent pour près de la moitié de toutes les lois fédérales3.

Les mesures législatives déléguées s’entendent de la délégation par le Parlement de ses pouvoirs législatifs au pouvoir exécutif, comme le Cabinet ou un ministre. Source ultime du pouvoir législatif, le Parlement a la responsabilité toute particulière de tenir l’exécutif à l’œil lorsqu’il légifère4. L’examen législatif contribue au respect des principales normes relatives à la responsabilisation et à la transparence dans le processus législatif, ces normes caractérisant inéluctablement toute société démocratique fondée sur la primauté du droit. La surveillance parlementaire revêt une importance toute spéciale dans le contexte des mesures législatives déléguées, dont l’établissement échappe aux garanties prévues dans le processus parlementaire ordinaire. En outre, le libellé des mesures législatives déléguées est souvent très vaste, pratique désormais courante dans la plupart des nouveaux projets de loi5. Dans certains cas, les textes législatifs, bien qu’inachevés, sont adoptés à toute vapeur par le Parlement, de sorte que d’importantes questions restent à régler plus tard au moyen de mesures législatives déléguées. L’examen parlementaire des mesures législatives déléguées fait donc contrepoids à l’une des principales sources du pouvoir exécutif. Il peut mettre en évidence les lacunes de rédaction, les atteintes aux droits civils et constitutionnels et l’utilisation inappropriée, par l’exécutif, des pouvoirs qui lui ont été délégués. Il peut aussi inciter fortement le gouvernement à régler les problèmes mis au jour et à prendre d’emblée ses précautions lorsqu’il adopte des mesures législatives déléguées.

Il s’agit maintenant de savoir en quoi l’examen mené par le Parlement peut être efficace, tout en tenant compte des contraintes liées au temps et aux ressources. Dans les pays de common law, cet examen est souvent confié à un ou plusieurs comités parlementaires. Ces deux dernières années, j’ai réalisé une étude comparative de la manière dont de tels comités examinent les mesures législatives déléguées. J’ai notamment visité les parlements nationaux du Canada, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et du Royaume-Uni. Les recherchent montrent qu’il existe une variété de modèles. Ceux-ci ont certes chacun leurs avantages et leurs limites, mais nous pouvons tirer de précieuses leçons de l’expérience des autres et les appliquer à nos processus d’examen afin de les réformer et de les améliorer.

Le comité d’examen fédéral de l’Australie, qu’on appelait auparavant Comité sénatorial permanent de la réglementation et des ordonnances et qu’on a depuis peu rebaptisé Comité sénatorial permanent d’examen des mesures législatives déléguées6, a récemment mené une enquête afin de déterminer de quelle manière il pourrait améliorer le processus d’examen. En juin dernier, il a publié un rapport unanime dans lequel il formulait 22 recommandations et proposait 11 mesures de suivi. Le Sénat de l’Australie a souscrit au rapport en novembre en modifiant son Règlement, conformément aux changements qui y étaient proposés. Le présent article donne un aperçu du comité d’examen de l’Australie et de l’enquête qu’il a menée. Il se penche ensuite sur le rapport et ses recommandations, qui offrent à d’autres pays, comme le Canada, la possibilité d’envisager des changements à leur examen parlementaire des mesures législatives déléguées.

Aperçu du comité d’examen de l’Australie

Établi en 1932, le comité d’examen de l’Australie est l’un des plus anciens comités d’examen parlementaire chargé de se pencher sur les mesures législatives déléguées dans les pays de common law. Il se compose de six sénateurs : trois viennent du gouvernement et trois viennent des partis de l’opposition ou sont indépendants. Il a pour rôle d’examiner tous les « instruments législatifs » déposés au Parlement et susceptibles d’être abrogés7.

Selon la loi australienne de 2003 sur la législation (Legislation Act 20038), les instruments législatifs sont ceux qui sont décrits ou enregistrés comme tel, ou qui sont adoptés en vertu de la compétence législative principale déléguée en vue de déterminer ce que contient une loi ou de la modifier (et non en vue de déterminer les cas et les circonstances où la loi s’applique)9. Dans ce dernier cas, l’instrument législatif doit aussi avoir une incidence sur un privilège, un intérêt, une obligation ou un droit10, l’idée étant qu’il doit réellement être de nature législative, en ce sens qu’il crée ou modifie une loi générale et non pas qu’il représente essentiellement l’acte administratif de prendre une ordonnance ou d’effectuer une désignation. Plusieurs exceptions existent11.

Les instruments législatifs abrogeables sont des textes législatifs visés par la procédure d’abrogation prévue dans la loi de 2003 sur la législation12. La procédure permet à l’une ou l’autre chambre du Parlement d’abroger un texte lorsqu’un sénateur ou un membre de la Chambre des représentants donne un avis de motion à cet effet dans les 15 jours de séance suivant le dépôt initial du texte devant la Chambre13. Si la motion est adoptée ou n’est pas examinée dans les 15 jours de séance suivant le dépôt de l’avis de motion, le texte législatif est abrogé et cesse d’avoir une portée juridique14. Outre la possibilité qu’ils soient abrogés, tous les instruments législatifs deviennent automatiquement caducs après une période de 10 ans, sauf exception15.

Le comité d’examen de l’Australie examine chaque instrument législatif abrogeable en fonction de critères précis : il vérifie notamment si le texte est conforme aux lois applicables, s’il nuit indûment à des libertés et à des droits individuels, s’il exclut de façon inappropriée tout examen du bien-fondé de décisions administratives de premier plan et s’il porte sur une question qu’il conviendrait mieux de traiter au moyen d’une loi principale16. Dans la pratique, ces critères sont appliqués de façon plus large que ne l’exige la simple lecture du Règlement, bien que le comité maintienne le cap sur l’examen des aspects techniques des textes et non pas de leur politique sous-jacente afin de préserver la nature impartiale de ses travaux.

Puisque la période pendant laquelle il est possible de donner un avis de motion en vue de l’abrogation d’un instrument législatif n’est que de 15 jours de séance, le comité doit s’acquitter de son travail assez rapidement de manière à faire rapport au Sénat et à lui donner le temps nécessaire pour étudier l’abrogation. Il fait aussi part de ses préoccupations aux ministères et organismes, qui peuvent lui répondre pendant la période d’abrogation, auquel cas tout avis de motion donné par le président est normalement retiré. Dans les situations où des préoccupations ne trouvent pas de réponse et où il reste peu de temps pour l’abrogation, le Président a l’habitude de donner un « avis de protection de la motion » d’abrogation, déclenchant ainsi la période de 15 jours de séance supplémentaires réservée à l’examen de la motion. Cette façon de faire peut en effet doubler le temps dont dispose le Sénat pour abroger un texte législatif et inciter le ministère ou l’organisme compétent à répondre aux préoccupations du comité, la possibilité d’abroger le texte étant remise à une période ultérieure17.

Certes, la dernière fois qu’il a abrogé un texte suivant la recommandation du comité remonte à 1988, mais le Sénat a toujours souscrit aux conseils du comité18. Le soutien indéfectible du Sénat à l’égard du travail du comité tient fort probablement à sa réputation bien méritée de comité impartial travaillant au maintien de l’intégrité du processus des mesures législatives déléguées et à la promotion de la qualité des résultats législatifs19. À titre de comité parlementaire, le comité représente aussi les intérêts légitimes des parlementaires dans le maintien de la surveillance et du contrôle de la législation. Notamment, les chambres du Parlement débattent plus souvent (et abrogent à l’occasion) des instruments législatifs lorsqu’un avis de motion d’abrogation est donné par d’autres sénateurs ou membres de la Chambre des représentants20.

Sur le plan des ressources, le comité est appuyé dans son travail par un secrétariat qui se compose de quatre employés auxquels se greffe un conseiller juridique (récemment, le comité a recruté un juriste universitaire). Sur le plan de productivité, le comité se réunit chaque semaine de séance du Sénat, généralement à huis clos. Il faut le féliciter pour la qualité et la fréquence de ses rapports. Dans un premier temps, le comité publie toutes les semaines le rapport sénatorial sur la surveillance des mesures législatives déléguées (Delegated Legislation Monitor)21, dans lequel il décrit en détail l’état des instruments législatifs et souligne ses préoccupations, ainsi que les mesures à prendre ou déjà prises. Le Monitor met désormais l’accent sur les instruments législatifs qui suscitent d’importantes préoccupations et pour lesquels le président entend donner un avis de motion d’abrogation, comme il en sera question ci-dessous. La correspondance officielle entre le comité et les organismes est publiée sur le site Web du comité par souci de transparence.

Dans un deuxième temps, le comité publie en ligne un rapport de vigilance sur les abrogations (Disallowance Alert)22, qui fait le point sur tous les instruments législatifs visés par un avis de motion d’abrogation donné par un sénateur ou un membre de la Chambre des représentants. L’Alert facilite le suivi de ces instruments. Il peut aussi servir à générer rapidement de l’information utile sur la procédure d’abrogation de manière plus générale, comme des données statistiques.

Dans un troisième temps, le comité publie tous les ans un index des instruments législatifs (Index of Instruments)23, qui dresse la liste codifiée de tous les textes législatifs représentant une source de préoccupations pour lui. L’Index recense les mesures prises par le comité et fait des recoupements entre la liste et les numéros antérieurs du Monitor qui fournissent de l’information plus détaillée sur des instruments législatifs en particulier.

Dans un quatrième temps, le comité publie plusieurs documents d’orientation dans lesquels il fournit des renseignements en langage clair aux ministères et organismes. Par exemple, les lignes directrices sur les consultations24 expliquent ce que le comité souhaite retrouver dans l’exposé des motifs de chaque instrument législatif pour lequel des consultations ont lieu, une exigence au titre de la loi de 2003 sur la législation25. Ainsi, selon les lignes directrices, l’exposé des motifs doit énoncer la méthode et l’objectif des consultations. Il doit aussi fournir la liste complète des noms des groupes et des particuliers consultés, souligner les problèmes mis en évidence au cours du processus de consultation et résumer tout changement apporté par la suite.

Enfin, le comité publie un rapport annuel dans lequel il brosse le portrait de ses activités au cours de l’année écoulée et en donne un aperçu statistique. Dans le rapport annuel de 201826, le comité indique s’il s’est réuni à 16 reprises et qu’il a examiné 1570 instruments législatifs27. Il a émis des réserves quant à 262 instruments législatifs, principalement pour assurer leur conformité avec les lois applicables (qui doivent être interprétées au sens large, de manière à comprendre toutes les exigences législatives et constitutionnelles)28. Le président a donné 37 avis de motion en vue de l’abrogation d’instruments législatifs, qu’il a tous retirés à l’exception de deux qui suivaient leur cours à la fin de l’année29. Le rapport fait aussi une analyse et donne un aperçu thématique des travaux du comité, ce qui s’avère fort utile pour relever les tendances et les problèmes persistants à l’égard de l’élaboration des mesures législatives déléguées.

L’enquête et les réformes subséquentes

Le 29 novembre 2018, le Sénat de l’Australie a demandé au comité d’examen de réaliser une enquête. Au titre de son mandat, le comité devait examiner son « efficacité continue, son rôle et son orientation future », et passer en revue ses compétences et critères d’examen30. Il devait aussi se pencher sur le cadre du contrôle parlementaire et de l’examen des mesures législatives déléguées de manière plus générale31. Notamment, il devait réaliser une étude comparative « sur le rôle et les compétences de comités parlementaires similaires, y compris ceux d’autres pays, ainsi que sur les pratiques qui y ont cours32 ». Au cours de l’enquête, le comité a constaté que ses critères d’examen n’avaient pas changé en près de 40 ans, tandis que le nombre et la complexité des mesures législatives déléguées avaient connu une forte croissance pendant cette période33. Il a aussi observé que d’autres pays avaient adopté de nouvelles pratiques et mesures novatrices desquelles il pourrait s’inspirer34.

Pendant la période des consultations, le comité a reçu, à sa demande, 14 mémoires35, qu’il a tous publiés dans leur intégralité sur son site Web36. Les mémoires provenaient de spécialistes du droit administratif et de constitutionnalistes, du Conseil parlementaire du Commonwealth (Commonwealth Parliamentary Counsel), des ministères et organismes fédéraux, des assemblées législatives étatiques, d’une société du barreau et du procureur général. Ils soulignaient l’importance du travail d’examen réalisé par le comité et formulaient des suggestions en vue de l’améliorer et de le simplifier. Pendant l’enquête, le président et le vice-président du comité se sont rendus en NouvelleZélande et au Royaume-Uni pour se familiariser avec les processus d’examen de ces pays.

Le comité a publié son rapport d’enquête le 3 juin 2019. Il y survole d’abord son travail d’examen37, puis se penche sur son avenir38. Plusieurs de ses recommandations visent à élargir la portée de ses compétences et de ses pouvoirs en matière d’examen. Par exemple, il recommande qu’on lui permette d’examiner les autres textes législatifs déposés au Sénat, c’est-à-dire ceux qui ne sont pas susceptibles d’être abrogés39. En outre, il préconise qu’on l’autorise explicitement à examiner l’ébauche des mesures législatives déléguées40 et qu’on lui accorde des pouvoirs accrus en matière d’enquête et de production de rapports41. Une bonne partie du rapport porte ensuite sur les critères d’examen du comité42. Au fil des ans, ceux-ci ont graduellement cessé d’être en phase avec le travail d’examen réel du comité. Ce dernier recommande donc l’établissement d’une série de nouveaux critères qui tiendraient compte de ses pratiques actuelles et qui répondraient à divers types de préoccupations soulevées en matière d’examen. Il propose que les nouveaux critères portent sur la conformité avec les lois applicables, la validité constitutionnelle, la définition adéquate des compétences administratives, la tenue de consultations appropriées, la qualité de la rédaction, la justesse de l’accès, l’indépendance de l’examen, la justesse du matériel explicatif et l’examen de « tout autre motif lié à l’examen technique des mesures législatives déléguées qu’il juge approprié43 ». Notamment, le comité envisage dans le rapport d’étendre son examen aux questions de politique pour ainsi poursuivre ses activités de manière impartiale, mais en rejette finalement l’idée44.

Au cours de l’enquête, le comité a passé en revue ses pratiques de travail actuelles en vue de les simplifier, de les accélérer et de les rendre plus efficaces45. Pour résoudre le problème du retard qu’accuse la correspondance avec les ministres, le comité a autorisé son secrétariat à communiquer directement avec eux en cas de problèmes sans grande importance46. Au besoin, il ordonnera la comparution de fonctionnaires et de ministres47. Au sujet de ses publications, le comité a résolu de simplifier son rapport Delegated Legislation Monitor pour que celui-ci mette l’accent sur les textes suscitant d’importantes préoccupations48. Il fera aussi régulièrement rapport au Sénat sur les engagements pris pour la résolution des préoccupations49. Les récents numéros du Monitor comprennent une liste des engagements ministériels. Il s’agit d’un important recensement des engagements pris par le gouvernement qui permet d’améliorer la reddition de comptes50. Au moment du dépôt des rapports au Sénat, le président présentera désormais une déclaration pour souligner les enjeux clés51. En outre, il prendra l’habitude de donner des avis de motion en vue de l’abrogation de tous les instruments législatifs suscitant d’importantes préoccupations afin que le Sénat dispose de plus de temps pour se pencher sur les enjeux soulevés52.

Le comité traite ensuite, dans le rapport, du cadre du contrôle parlementaire et de l’examen des mesures législatives déléguées. En ce qui concerne les projets de loi portant sur la délégation des pouvoirs législatifs, il explique le rôle de surveillance incombant au Parlement, la tendance qui consiste à déléguer une partie importante de la compétence législative et le recours aux dispositions Henry VIII qui autorisent la modification d’une loi principale par une législation déléguée53. Il demande au gouvernement de créer un organisme consultatif d’experts qui facilitera la rédaction des projets de loi portant sur la délégation des pouvoirs législatifs54 et qui veillera à ce que ces projets de loi ne puissent pas cheminer au Sénat avant que les dispositions qu’ils contiennent sur la délégation des pouvoirs ne soient examinées et ne fassent l’objet d’un rapport55. Le comité se penche aussi dans le rapport sur le recours aux exceptions pour empêcher l’examen parlementaire d’une législation déléguée et la procédure d’abrogation56. Il recommande au gouvernement de faire l’examen du régime des exceptions pour s’assurer que les mesures de protection appropriées sont en place et de rédiger des lignes directrices sur leur utilisation convenable57. Enfin, il recommande au gouvernement de reporter l’entrée en vigueur des instruments législatifs à ٢٨ jours après leur enregistrement, au lieu du jour suivant ce dernier, les exceptions n’étant possibles que dans de rares circonstances58. Au sujet de la caducité, il préconise l’établissement de critères et de nouvelles limites sur les exceptions59.

Enfin, le rapport évoque la façon de mieux sensibiliser et informer la population sur les questions liées à les mesures législatives déléguées. Le comité y recommande de former les sénateurs et leur personnel, ainsi que les autres fonctionnaires, sur les mesures législatives déléguées et son rôle d’examen, ainsi que celui du Sénat60. Il préconise aussi la création de nouveaux systèmes pour faciliter la recherche par les parlementaires d’informations codifiées à jour sur les instruments législatifs, y compris ses préoccupations61. En conclusion, le comité s’engage aussi à continuer de publier de nouvelles lignes directrices pour aider les autres à mieux comprendre son travail62.

Le 27 novembre 2019, le Sénat a adopté la plupart des réformes recommandées par le comité, qui exigeaient la modification du Règlement. Les médias se sont peu intéressés à la nouvelle et lorsqu’ils l’ont fait, ils se sont concentrés sur le nouveau pouvoir exprès d’examen de la constitutionnalité des mesures législatives déléguées. Le seul reportage de la ABC s’intitulait « Le comité sénatorial n’en fait qu’à sa tête et s’arroge le pouvoir de remettre en question la validité constitutionnelle des règlements ». (Senate committee goes rogue and gets powers to question constitutional validity of regulations). Il y est fait mention que les modifications ont été « adoptées à toute vapeur au Sénat » et qu’elles « pourraient empêcher… ou provoquer… une crise constitutionnelle63 ». L’article souligne à maintes reprises que le renforcement du rôle du comité à l’égard des questions constitutionnelles « n’a pas reçu l’aval du gouvernement64 ». Dans un article paru récemment dans une revue spécialisée, Stephen Argument, ancien conseiller juridique du comité, fait valoir que l’élargissement des critères d’examen « nécessitera des ressources supplémentaires », un sujet passé sous silence dans le rapport65.

Leçons à tirer

Le contexte dans lequel s’exerce la surveillance en Australie a de quoi susciter l’admiration. Il ne fait aucun doute que le comité d’examen prend son travail au sérieux et qu’il comprend l’importance des mesures législatives déléguées dans le système juridique contemporain. Pendant des décennies, il a excellé à examiner de près les mesures législatives déléguées, qui joue un rôle essentiel dans l’intégrité du processus législatif de toute société démocratique fondée sur la primauté du droit. Ses rapports fournissent de l’information de manière périodique et facilement accessible sur les instruments législatifs, soulignent les préoccupations soulevées lors des examens et décrivent les mesures prises par les ministères, organismes et ministres pour y répondre. Le comité ne craint pas de faire l’étalage de son pouvoir. Il n’hésite pas à proposer des avis de motion d’abrogation d’instruments législatifs au Sénat pour faire pression sur l’exécutif afin que celuici règle les problèmes. Il a créé un système efficace d’incitatifs et peut justifier son travail en tirant avantage des obligations découlant de la procédure d’abrogation. Les comités d’examen d’ailleurs, y compris le Comité mixte permanent d’examen de la réglementation du Canada, ont beaucoup à apprendre de l’expérience australienne66.

L’enquête réalisée dernièrement par le comité d’examen de l’Australie est précisément le genre de réflexion que doivent mener les comités parlementaires de temps à autre. Le rapport du comité est le fruit d’un processus délibéré et mûrement réfléchi. Le comité a tenté, avec sincérité et audace, de renforcer l’examen parlementaire des mesures législatives déléguées en Australie, même si certains trouveront toujours quelque chose à redire aux changements qui en ont découlé, et continueront d’en cerner les risques et défis. Le comité n’a jamais perdu de vue les principes fondamentaux de la responsabilisation et de la transparence du processus législatif, ainsi que le rôle qu’il convient au Parlement de jouer à l’égard de toutes les formes de législation. Ces principes directeurs ont été la pierre angulaire de son évaluation des différentes réformes possibles. Le rapport montre que le comité souhaite s’améliorer et cherche des façons créatives d’y arriver. Il faut se réjouir du fait qu’il s’est penché sur le travail de comités d’autres pays, ce qui lui a permis de réaliser une analyse comparative de son efficacité et d’apprendre tant des réussites que des échecs des autres. Il reste à voir comment, fort de son mandat élargi et même s’il repose sur des fondements solides, il évoluera à l’avenir, surtout à la lumière des pressions découlant de l’augmentation du nombre et de la complexité des mesures législatives déléguées.

Notes

1 Bureau du Conseil privé, Gazette du Canada Partie II : Index codifié des textes réglementaires, vol. 153, no ٣. http://www.gazette.gc.ca/rp-pr/p2/2019/2019-09-30-c3/pdf/g2-153c3-fra.pdf L’Index dresse la liste des titres et des numéros d’enregistrement des règlements et des textes réglementaires pris du 1er janvier 1955 au 30 septembre 2019 (police de taille huit; présentation à deux colonnes).

2 Adam Tucker, « Parliamentary Scrutiny of Delegated Legislation » dans Alexander Horne et Gavin Drewry, dir., Parliament and the Law, Oxford, Hart, 2018, p. 347-357.

3 Sénat, Comité permanent de la réglementation et des ordonnances, Parliamentary Scrutiny of Delegated Legislation, Commonwealth d’Australie, 2019, p. ix. <https://www.aph.gov.au/~/media/Committees/Senate/committee/regord_ctte/DelegatedLegislation/report.pdf> [« Rapport d’enquête »].

4 L’existence de la surveillance parlementaire et de l’examen des pouvoirs délégués à l’exécutif a servi de fondement aux tribunaux pour confirmer la constitutionnalité des mesures législatives déléguées : voir, par exemple, les premières décisions de jurisprudence prises à cet égard, Hodge c. The Queen (1883), 9 App. Cas. 117 et In Re Gray, (1918) 57 SCR 150. J’ai aussi adopté cette position récemment en soutenant qu’une obligation à cet égard devrait être prévue dans la Constitution : Lorne Neudorf, « Reassessing the Constitutional Foundation of Delegated Legislation in Canada », Dalhousie Law Journal, vol. 41, no 2, 2018, p. 519.

5 Les dispositions en matière de délégation sont rédigées de manière large pour plusieurs raisons, notamment l’influence exercée par l’exécutif sur le Parlement, le désir des rédacteurs législatifs de se laisser le plus de marge de manœuvre possible pour plus tard et leur désir de réduire le risque qu’un règlement soit déclaré, après examen judiciaire, ultra vires.

6 On entend par « comité d’examen de l’Australie », « comité d’examen » ou simplement « comité » le Comité sénatorial permanent de la réglementation et des ordonnances avant le 4 décembre 2019 et le Comité sénatorial permanent d’examen des mesures législatives déléguées après cette date.

7 Sénat d’Australie, Standing Orders, par. 23(2) (dans sa version antérieure aux récentes réformes dont il est question ci-dessous) [« Standing Orders »].

8 Legislation Act 2003 (Cth).

9 Ibid, art. 4 « legislative instrument », p. 7-8.

10 Ibid, alinéa 8(4)(b)(ii).

11 Voir, par exemple, ibid, par. 8(6)-(8) et art. 11.

12 Ibid, art. 42. Prenez note que l’article 44 prévoit des exceptions qui, selon le comité d’examen de l’Australie, peuvent nuire à l’efficacité du contrôle parlementaire des mesures législatives déléguées : Rapport d’enquête, note 3 précitée, p. x et 122-224.

13 Legislation Act 2003, note 8 précitée, art. 42. Un avis de motion d’abrogation d’un instrument législatif donne lieu à une période supplémentaire de 15 jours de séance pendant laquelle la motion peut être appelée et traitée. Si un instrument législatif est abrogé, il ne peut être réadopté pendant six mois, à moins que la Chambre qui l’a abrogé y consente : voir Legislation Act 2003, note 8 précitée, art. 48.

14 Par défaut, les instruments législatifs entrent en vigueur le jour suivant leur enregistrement : ibid, par. 12(1).

15 Ibid, Part 4. Le comité d’examen de l’Australie a émis des critiques à l’endroit des exemptions : note 12 précitée.

16 Standing Orders, note 7 précitée, par. 23(3).

17 Le comité d’examen de l’Australie est un comité du Sénat, mais comme il en a été question plus tôt, les dispositions de la Legislation Act 2003 sur l’abrogation prévoient que tout sénateur ou membre de la Chambre des représentants peut donner un avis de motion en vue de l’abrogation d’un instrument législatif. Par ailleurs, l’avis de motion donné par le président du comité est normalement retiré si l’on répond de manière satisfaisante aux préoccupations soulevées.

18 Rapport d’enquête, note 3 précitée, p. 117.

19 Voir aussi Dennis Pearce, « Rules, Regulations and Red Tape: Parliamentary Scrutiny of Delegated Legislation », Papers on Parliament, no ٤٢, décembre ٢٠٠٤, p. ٨٨, cité dans Rapport d’enquête, ibid, p. 96. <www.aph.gov.au/binaries/senate/pubs/pops/pop42/pearce.pdf>

20 Les avis de motion se trouvent dans le rapport du comité intitulé Disallowance Alert, dont il sera question ci-dessous.

21 Sénat, Comité permanent d’examen des mesures législatives déléguées, Delegated Legislation Monitors. <https://www.aph.gov.au/Parliamentary_Business/Committees/Senate/Regulations_and_Ordinances/Monitor>

22 Sénat, Comité permanent d’examen des mesures législatives déléguées, Disallowance Alert 2019. <https://www.aph.gov.au/Parliamentary_Business/Committees/Senate/Regulations_and_Ordinances/Alerts>

23 Sénat, Comité permanent d’examen des mesures législatives déléguées, Index of Instruments. <https://www.aph.gov.au/Parliamentary_Business/Committees/Senate/Regulations_and_Ordinances/Index>

24 Sénat, Comité permanent d’examen des mesures législatives déléguées, Guideline on Consultation: Addressing Consultation in Explanatory Statements. <https://www.aph.gov.au/Parliamentary_Business/Committees/Senate/Regulations_and_Ordinances/Guidelines/consultation>

25 Voir, par exemple, Legislation Act 2003, note 8 précitée, art. 15J, 17, 19.

26 Sénat, Comité permanent d’examen des mesures législatives déléguées, Annual Report 2018, Commonwealth d’Australie, 2019. <https://www.aph.gov.au/~/media/Committees/Senate/committee/regord_ctte/annual/2018_Annual_report.pdf>

27 Ibid, p. 15.

28 Ibid, p. 16.

29 Ibid, p. 18.

30 Parlement du Commonwealth d’Australie, Journals of the Senate, vol. 113, 29 novembre 2018, p. 4327.

31 Ibid, p. 4328.

32 Ibid.

33 Rapport d’enquête, note 3 précitée, p. 3.

34 Ibid.

35 Ibid, p. 4.

36 Ibid, une liste des mémoires se trouve à l’annexe A du rapport, p. 153. Veuillez prendre note que l’auteure a aussi présenté un mémoire.

37 Ibid, p. 3-12.

38 La présente section traite des parties les plus intéressantes du rapport : d’autres aspects y sont abordés, comme les changements apportés au nom du comité (ibid, p. 15-17, recommandation 1) et à la nomination du vice-président (ibid, p. 19-20, recommandation 3), l’étude approfondie, ou le traitement, d’une plainte (ibid, p. 29-31, mesure de suivi du comité 1), les modifications apportées aux directives de rédaction pour que les mesures législatives déléguées ne prenne plus la forme de « règlements » (ibid, p. 93, recommandation 11), l’examen minutieux des dépenses du Commonwealth (ibid, p. 107-111, recommandation 14, mesure de suivi du comité 10), l’utilité de la procédure d’abrogation (ibid, p. 113-124), le rejet de la procédure relative aux résolutions de ratification (ibid, p. 124-132, recommandation 17) et le rejet de la modification directe des mesures législatives déléguées par le Parlement (ibid, p. 137-140).

39 Ibid, p. 17-19 (recommandation 2)

40 Ibid, p. 21-22 (recommandation 4). Voir aussi ibid, p. 22 pour connaître son utilité dans le contexte des « projets de loi cadres » au sein desquels l’on trouve souvent les projets de règlements.

41 bid, p. 23-25 (recommandations 5 et 6)

42 Ibid, chapitre 3, p. 33-65.

43 Ibid, p. 33, 64-65 (recommandation 7). Ce résumé s’ajoute aux critères mentionnés plus tôt ou les remplace.

44 Ibid, p. 95-99. Voir aussi ibid, p. 99-106 (recommandations 12-13 et mesure de suivi du comité 9) pour connaître en détail la manière dont le comité se propose de traiter les « problèmes importants » ou les « problèmes susceptibles d’intéresser le Sénat », soit de les renvoyer au Sénat et aux comités législatifs compétents pour qu’ils y fassent l’objet d’un examen.

45 Ibid, p. 67.

46 Ibid, p. 67-71 (mesure de suivi du comité 2). Par souci de transparence, le comité (ibid, p. 71 (mesure de suivi du comité 3)) s’est engagé à inclure dans ses rapports au Sénat la liste des textes pour lesquels il maintient le dialogue avec le ministre ou l’organisme compétent.

47 Ibid, p. 74-76 (mesure de suivi du comité 6) (ancienne pratique du comité).

48 Ibid, p. 72-74 (mesure de suivi du comité 4).

49 Ibid, p. 76-77 (mesure de suivi du comité 7).

50 Dans le contexte australien, les ministres s’engagent souvent à modifier un texte pour éviter son abrogation, ce qui permet de répondre aux préoccupations du comité de manière efficace.

51 Rapport d’enquête, note 3 précitée, p. 78 (mesure de suivi du comité 8).

52 Ibid, p. 74 (mesure de suivi du comité 5).

53 Ibid, p. 81-93.

54 Ibid, p. 92 (recommandation 8).

55 Ibid, p. 92 (recommandation 9). Voir aussi ibid, p. 93 (recommandation 10).

56 Ibid, p. 122-124.

57 Ibid, p. 124 (recommandation 15). Le comité souhaite aussi obtenir de meilleures informations sur les textes qui sont exemptés : ibid (recommandation 16).

58 Ibid, p. 133-137 (recommandation 18).

59 Ibid, p. 140-143 (recommandation 19).

60 Ibid, p. 145-148 (recommandations  20-21).

61 Ibid, p. 148-150 (recommandation 22).

62 Ibid, p. 150-152 (mesure de suivi du comité 11).

63 Jack Snape, « Senate committee goes rogue and gets powers to question constitutional validity of regulations », ABC News, 28 novembre 2019 [traduction]. <https://www.abc.net.au/news/2019-11-28/delegated-legislation-committee-blowtorch-ministers-bureaucrats/11744768>

64 Ibid [traduction].

65 Stephen Argument, « Senate Committee Report on Parliamentary Scrutiny of Delegated Legislation » Public Law Review, vol. 30, 2019, p. 178-180 [traduction]. À la lumière des récentes réformes, il serait tout à fait approprié que le comité demande des ressources supplémentaires.

66 Il convient toutefois de prendre note que les autres comités disposent de cadres procédural et législatif qui leur sont propres. Il faut donc replacer dans son contexte chaque processus d’examen. Il y a lieu de se demander si des changements plus globaux sont nécessaires, comme l’a fait l’Australie en menant cette enquête.

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