Vestons, cravates et tenues équivalentes : Le maintien des normes genrées par les codes vestimentaires des assemblées législatives
Dans la littérature existante sur les codes vestimentaires, il est très peu question des assemblées législatives. Les recherches précédentes tendaient plutôt à porter sur d’autres institutions, comme les établissements scolaires ou médicaux. En vue de combler cette lacune, le présent article propose un examen approfondi des codes vestimentaires en vigueur dans les parlements canadiens et de leur mise en application. L’autrice suggère que les codes vestimentaires réifient des normes genrées en matière de tenue professionnelle et qu’ils perpétuent l’archétype qui veut que les parlementaires soient des hommes en veston-cravate. La composante « veston-cravate » des codes vestimentaires, ancrée de longue date, est l’élément le plus récurrent. Les attentes concernant la tenue des femmes et les tenues autochtones, culturelles ou traditionnelles se sont ajoutées par la suite et sont moins souvent imposées. Ces codes vestimentaires entretiennent l’image du politicien comme un homme en costume-cravate, ce qui, en revanche, restreint les options vestimentaires des hommes, voire des personnes non binaires. Par conséquent, l’autrice soutient que les codes vestimentaires constituent des obstacles à la pleine prise en compte de la diversité de genre et de culture dans les assemblées législatives. *La version en ligne de l’article a été modifiée afin de corriger ou de clarifier certains renseignements relatifs aux tenues autochtones au sein des assemblées législatives territoriales.
Kate Korte
Introduction
En mars 2019, l’attention du public s’est portée sur le code vestimentaire de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique, auquel un groupe de femmes reprochaient de qualifier d’inacceptables les chemises sans manches. Elles ont revendiqué le « droit aux manches courtes », ou « the right to bare arms », une expression qui allait bientôt devenir un mot-clic viral en politique canadienne. Dans les jours qui ont suivi, les dispositions du code vestimentaire de l’Assemblée législative ont été modifiées afin de mieux refléter les attentes modernes en matière de tenue professionnelle. Le mouvement du « droit aux manches courtes » et les modifications du code vestimentaire qui ont suivi ont lancé une conversation plus large sur les codes vestimentaires dans les législatures canadiennes. Si cette question n’était pas d’une grande importance à l’époque où chaque parlementaire était un homme en costume, la diversité croissante des assemblées législatives provinciales et territoriales nous oblige à examiner de plus près la façon dont les codes vestimentaires pourraient s’appliquer dans les législatures d’aujourd’hui. Par « code vestimentaire », on entend généralement un ensemble de règles et de directives codifiées qui définit la tenue vestimentaire appropriée dans un environnement donné. Ces codes sont distincts, mais se fondent sur des traditions et des normes tacites. Dans les assemblées législatives provinciales et territoriales du Canada, les codes vestimentaires préconisent généralement une tenue professionnelle. La définition de la tenue professionnelle est genrée. Par convention ou règle codifiée, la plupart des codes vestimentaires exigent que les hommes portent un veston et une cravate, tandis que les femmes doivent porter une tenue équivalente.
Cet article compare les codes vestimentaires en vigueur qui s’appliquent aux membres des assemblées législatives du Canada et examine les mentions des codes vestimentaires figurant dans les hansards afin de déterminer la façon dont ces codes ont été appliqués. Dans l’ensemble, la documentation existante sur les codes vestimentaires n’aborde pas le cas des assemblées législatives et se concentre plutôt sur d’autres institutions, comme les établissements scolaires ou médicaux. Ma recherche comble une lacune dans la littérature en examinant en détail les codes vestimentaires existants et leur mise en application. Je suggère que les codes vestimentaires réifient des normes de genre en matière de tenue professionnelle et qu’ils véhiculent l’archétype du parlementaire en veston-cravate, forcément de sexe masculin. La composante « vestoncravate » des codes vestimentaires, ancrée de longue date, est l’élément le plus récurrent. Les attentes concernant la tenue des femmes et les tenues autochtones, culturelles ou traditionnelles se sont ajoutées par la suite et sont moins souvent imposées. Ces codes vestimentaires entretiennent l’image du politicien comme un homme en costume-cravate, ce qui, en revanche, restreint les options vestimentaires des hommes, voire des personnes non binaires. Par conséquent, je soutiens que les codes vestimentaires constituent des obstacles à la pleine prise en compte de la diversité de genre et de culture dans les assemblées législatives.
Méthodes
Cet article combine une analyse comparative des codes vestimentaires dans les assemblées législatives provinciales et territoriales du Canada avec une analyse du contenu du hansard de chaque assemblée, duquel les références au code vestimentaire ont été extraites. Une recherche primaire portant sur les divers documents relatifs à la tenue vestimentaire et sur les mentions du code vestimentaire dans les hansards m’a permis de définir ce que les assemblées législatives provinciales et territoriales considèrent comme une tenue appropriée. Ma recherche s’intéresse à deux types de documents : les ordres, règles ou directives officiels sur la tenue vestimentaire, et les mentions de la tenue vestimentaire trouvées dans les hansards des assemblées législatives ou dans les médias. Tout d’abord, j’ai recherché les codes vestimentaires codifiés dans le Règlement de chaque assemblée et dans d’autres documents, tels que les lignes directrices à l’intention des députés qui visent à leur indiquer comment s’habiller à la Chambre. J’ai également demandé aux bibliothécaires législatifs de toutes les assemblées législatives provinciales et territoriales dotées d’une bibliothèque législative de me fournir tout document relatif à la tenue vestimentaire. L’existence ou non d’un document codifié et, le cas échéant, la forme de ce document (règles ou lignes directrices) variait d’une assemblée législative à l’autre, de même que le caractère explicitement genré du code vestimentaire. Les codes vestimentaires indiquaient soit que les hommes devaient porter un veston et une cravate et que les femmes devaient porter une tenueéquivalente, ou ils demandaient globalement à tous les députés de porter une tenue professionnelle. En ce qui concerne leur mise en application, les codes vestimentaires variaient peu.
Après avoir examiné les règles codifiées relatives à la tenue vestimentaire, j’ai recherché dans le hansard de chaque assemblée toute mention du terme « code vestimentaire » (dress code) afin de déterminer comment les Présidents appliquent les codes vestimentaires et les font respecter. J’ai écarté toutes les mentions qui n’étaient pas liées aux assemblées législatives, comme celles qui relevaient de débats sur les codes vestimentaires scolaires et policiers. Je n’ai pas recherché dans les hansards d’autres termes relatifs à la tenue vestimentaire, tels que « vêtements » ou « habit » (dress ou attire), ni d’autres mots précis s’y rapportant, tels que « veston » ou « cravate » (jacket ou tie), afin que la recherche reste axée sur l’application des codes vestimentaires des Assemblées. La plupart des mentions sont des rappels au Règlement soulevés après qu’un député a présumément enfreint le code vestimentaire, ce qui m’a permis de voir comment les différents Présidents ont donné suite à de tels points. Les bibliothèques législatives ont également fourni d’autres extraits des hansards qui n’avaient pas été relevés par ma recherche, parce qu’ils ne faisaient pas directement référence au code vestimentaire. J’ai effectué des recoupements entre ces données et celles issues de la recherche que j’ai effectuée dans les hansards. Ma recherche comprend donc à la fois les références des hansards à un « code vestimentaire » et d’autres discussions sur la tenue législative récupérées par les bibliothécaires. Les bibliothécaires législatifs ont également contribué à relever des cas, non consignés dans les hansards mais médiatisés, où des députés ont porté des tenues non conventionnelles. Au total, ma recherche examine 63 références aux codes vestimentaires parlementaires trouvées dans les hansards et les médias. La plupart des mentions contenues dans les hansards étaient des rappels au Règlement soulevés par des députés au sujet des codes vestimentaires ou des demandes de conseil à ce sujet. Ces mentions ne constituent pas une liste exhaustive, mais plutôt d’un échantillon de commodité. Il se peut que certaines mentions n’aient pas été relevées en ne cherchant que le terme « code vestimentaire »; en outre, les archives en ligne du hansard de certaines assemblées ne sont pas complètes. Si mon analyse comparative des documents relatifs aux codes vestimentaires met la question en contexte, les 63 références donnent un aperçu de la manière dont les codes vestimentaires sont appliqués.
Le code vestimentaire
« Monsieur le Président, nous sommes très conscients et même respectueux des traditions qui nous guident – le code vestimentaire, notre déférence solennelle envers la masse, notre adhésion aux règles. Ces éléments font tous partie de notre démocratie et ne doivent pas être instrumentalisés, ridiculisés ou rabaissés [traduction]. »
– Le député Harry Van Mulligan à l’Assemblée législative de la Saskatchewan, 2002
La plupart des assemblées législatives provinciales et territoriales se sont dotées de certaines directives ou règles concernant la tenue vestimentaire des parlementaires, à l’exception de celles de l’Ontario, de l’Alberta et de la Nouvelle-Écosse. Ces trois assemblées législatives n’ont pas de règles ou de directives codifiées en matière de tenue vestimentaire. L’Ontario n’a pas de code vestimentaire, tandis qu’en Alberta, les Présidents se sont référés à l’ouvrage Jurisprudence parlementaire de Beauchesne pour pallier l’absence de code vestimentaire de leur assemblée et rendre des décisions sur des rappels au Règlement relatifs à la tenue vestimentaire. Selon un document d’orientation de 2019 de l’Assemblée législative de l’Alberta, les Présidents maintiennent que les hommes doivent porter un veston, un pantalon habillé et une cravate. La Nouvelle-Écosse n’a pas non plus de règles codifiées concernant la tenue vestimentaire, mais les Présidents de son Assemblée législative se sont reportés à la procédure de la Chambre des communes, qui reflète largement le Beauchesne, pour se prononcer sur les rappels au Règlement. Le Règlement de l’Assemblée nationale du Québec prévoit que « les députés doivent […] contribuer au maintien du décorum ». La procédure parlementaire du Québec demande en outre aux députés de « se vêtir d’une tenue soignée et de circonstance qui s’apparente à une tenue de ville [et d’]éviter de porter tout vêtement ou accessoire qui pourrait porter atteinte au décorum ». La Colombie-Britannique, la Saskatchewan, le Nunavut et les Territoires du Nord-Ouest ont tous des règles écrites ou des dispositions du Règlement encadrant la tenue vestimentaire. Au Manitoba, le Bureau du greffier publie un document intitulé Outline of Procedure, selon lequel les députés masculins doivent porter une cravate et un veston et les députées féminines, une tenue du même ordre. De même, au Yukon, à l’Île-du-Prince-Édouard et en Alberta, les documents d’orientation conseillent aux hommes de porter un veston et une cravate, tandis que les femmes peuvent porter une tenue équivalente. Outre celle de l’Ontario, toutes les assemblées législatives suivent généralement les mêmes principes, soit en adoptant des règles codifiées, soit en s’inspirant de la procédure de la Chambre des communes fédérale.
Toutes les assemblées législatives autorisent les députés à porter des vêtements autochtones, traditionnels ou culturels. Dans le cas de deux des trois assemblées législatives des territoires, les tenues autochtones sont mentionnées en premier. Par exemple, l’article 12(9) du Règlement de l’Assemblée législative du Nunavut prévoit que « tout député doit être vêtu soit d’ un costume traditionnel, soit d’une manière convenant à la dignité de l’Assemblée ». En revanche, dans le Manuel de procédures des membres de l’Assemblée législative du Yukon, on peut lire que : « Lorsque le Président occupe le fauteuil, le code vestimentaire accepté exige que tous les députés masculins portent un veston et une cravate, bien qu’il arrive souvent qu’une veste représentative des Premières Nations remplace le veston [TRADUCTION] ».. LeRèglement de certaines assemblées législatives provinciales comporte une disposition permettant aux parlementaires de porter des tenues autochtones, culturelles ou traditionnelles. Le Manitoba exige que les députés demandent la permission du Président de l’Assemblée avant de porter une telle tenue. À mesure que la diversité s’accroît au sein des assemblées législatives, il y a fort à parier que les députés choisissant de porter une tenue autochtone, traditionnelle ou culturelle seront plus nombreux.
Outre les règles codifiées de leur assemblée législative respective, les Présidents citent également les articles 229 et 230 du Beauchesne, qui a été rédigé par un ancien greffier de la Chambre des communes. L’ouvrage indique que les hommes doivent porter un veston, une cravate et une chemise, et que les cols roulés ne sont pas convenables.Ces articles sont cités par les Présidents, qui y voient une norme à respecter et un étai appuyant les décisions qu’ils rendent sur les rappels au Règlement. Les députés ont également invoqué le Beauchesne pour faire valoir leurs propres arguments concernant le code vestimentaire. En 2006, la députée albertaine d’Edmonton-Centre, Laurie Blakeman, a contesté la décision du Président, laquelle s’appuyait le Beauchesne. Mme Blakeman a fait valoir que ces articles ont un caractère indicatif plutôt que prohibitif :
« Or, le Beauchesne ne prévoit rien quant aux autres vêtements que les députés masculins de la Chambre pourraient choisir de porter. Par exemple, il n’interdit pas le port d’un gilet, un vêtement très courant que de nombreux hommes portent avec un costume trois-pièces, et il ne demande pas non plus expressément que les députés le portent. Il ne se prononce pas non plus, par exemple, sur le port d’une écharpe [traduction]. »
Les Présidents, y compris celui qui a répondu à Mme Blakeman, n’ont pas adopté ce point de vue. Ils ont plutôt considéré le Beauchesne comme un ouvrage faisant autorité qui établit l’obligation pour les hommes de porter un veston et une cravate, ainsi que l’obligation de porter une tenue de ville d’allure professionnelle.
La plupart des assemblées n’ont pas modifié leur code vestimentaire de manière substantielle. Cela dit, la Colombie-Britannique constitue un cas particulièrement intéressant, car des changements de code vestimentaire y ont été provoqués par le mouvement pour le « droit aux manches courtes », mentionné précédemment. Le Président de l’époque, Darryl Plecas, avait demandé à la greffière intérimaire d’alors, Kate Ryan-Lloyd, de revoir le code vestimentaire et de présenter des recommandations en vue de le moderniser. En mai 2019, Mme Ryan-Lloyd a consulté des députés et des greffiers d’autres administrations parlementaires, a rédigé un rapport public sur le code vestimentaire et a formulé neuf recommandations. Le rapport se penche sur la nature genrée des directives vestimentaires et conseille de laisser ces questions au bon jugement des députés. Si le rapport énumère des exemples de tenues vestimentaires appropriées pour les hommes et les femmes, il mentionne également que les codes vestimentaires devraient prescrire des normes non genrées en matière de tenue professionnelle. Dans sa correspondance avec les députés, le Président Plecas a souligné que les personnes de genre non binaire peuvent s’habiller conformément aux directives sur la tenue de travail contemporaine, comme elles le jugent approprié. Mes recherches n’ont relevé que ce seul exemple de directive adressée aux députés non binaires par leur assemblée législative. Mme Ryan-Lloyd a admis que le fait de recommander l’adoption d’un code vestimentaire non genré pouvait conduire à une situation où, comme en Ontario, les députés pourraient choisir de porter ou non une cravate. Au cours des trois années suivant la publication de ce rapport, la pratique consistant à porter un veston et une cravate et à se conformer de façon générale aux attentes genrées en matière de tenue s’est maintenue en Colombie-Britannique.
La mise en application du code vestimentaire
« C’est une question, je pense, de tradition au sein de la Chambre, et chacun d’entre nous est responsable de sa propre tenue et de sa propre conduite dans cette chambre [traduction]. »
– Le Président Ed Smith, Assemblée législative de la Colombie-Britannique, 1977
Qu’un code vestimentaire soit explicitement genré ou non, les mentions relevées dans les hansards semblent révéler que les Présidents, lorsqu’ils ont donné suite à des rappels au Règlement, ont été réticents à autoriser les députés à ne pas porter de veston ou de cravate. L’Ontario représente l’exception, car les députés de cette province peuvent choisir de ne pas porter de cravate. Ma recherche porte sur 63 mentions de la tenue vestimentaire trouvées dans le hansard de chaque assemblée législative provinciale ou territoriale du Canada, à l’exclusion de celle du Nunavut, pour laquelle aucune mention de ce genre n’a été trouvée. Ces mentions mettent en lumière les façons dont un code vestimentaire a été appliqué par un Président et établissent l’existence de précédents dans les assemblées provinciales et territoriales en matière de tenue vestimentaire. Sur les 63 mentions trouvées, seules cinq étaient antérieures à 1970 (elles dataient respectivement de 1949, 1959, 1960, 1963 et 1969). Certaines de ces mentions étaient tirées des Journaux, qui ont précédé les hansards. Par souci de simplicité et parce que la majorité des mentions se trouvaient dans les hansards, j’ai considéré que les citations étaient toutes tirées des hansards. Avec le temps, les mentions des codes vestimentaires se sont faites un peu plus nombreuses : ١٦ mentions s’inscrivent dans la période de 1980 à 2000, tandis que ٢٦ mentions sont postérieures à 2000. Cela dit, le fait que plusieurs assemblées législatives ne publient pas en ligne les comptes rendus archivés de leurs débats (qu’il s’agisse de leurs Journaux ou de leur hansard) a eu une incidence sur ces données. Par conséquent, il est difficile de tirer d’autres conclusions quant aux dates des mentions, si ce n’est que leur nombre pourrait avoir légèrement augmenté depuis 1970. Dix-sept des 63 mentions étaient des déclarations générales ou des conseils sur le code vestimentaire. Elles ont été omises de l’analyse, car elles réitèrent les règles vestimentaires mentionnées précédemment ou indiquent simplement que les Présidents enverront une note de service aux députés concernant ces codes. Les 45 mentions restantes portent toutes sur les vêtements portés par un député pendant les délibérations.
J’ai classé ces 45 extraits en grandes catégories en fonction du type de vêtement mentionné : ٢٢ extraits portent sur le port d’un veston ou d’une cravate chez les hommes; 5 extraits se rapportent aux tenues autochtones, traditionnelles ou culturelles, et 18 extraits concernent des tenues non conventionnelles ou décontractées. Dans quatre extraits, le vêtement en question n’est pas précisé. Les cinq extraits se rapportant à des vêtements autochtones, traditionnels ou culturels concernaient soit des vêtements autochtones, soit des vêtements écossais. J’ai utilisé la catégorie des tenues non conventionnelles comme une catégorie fourretout pour une variété de vêtements et d’accessoires qui repoussent les limites du code vestimentaire, comme les chandails d’équipes sportives, les tenues de rodéo, les uniformes de scouts, les pieds nus, les shorts, les épinglettes à slogan ou à caractère politique, et les chapeaux. Il n’y avait pas plus d’une mention pour chacun de ces types de vêtements ou d’accessoires, à l’exception des chapeaux et des chandails d’équipes sportives, mentionnés deux fois; leur catégorisation s’est donc avérée difficile. Le dénominateur commun à toutes les catégories de mentions est que la plupart d’entre elles se rapportaient à la tenue des hommes.
Des 45 mentions prises en considération, seules deux concernaient la tenue vestimentaire des femmes. Si ce constat peut s’expliquer en partie par le nombre disproportionné d’hommes élus dans les assemblées législatives, la différence est trop considérable pour qu’il s’agisse du seul facteur explicatif. Cela signifie que 4,4 % des mentions concernaient la tenue des femmes, ce qui est bien inférieur au pourcentage de femmes élues dans les assemblées législatives provinciales et territoriales depuis 1970. Les 43 autres mentions concernaient toutes les vêtements masculins; dans la plupart de ces cas (22), on cherchait tout particulièrement à déterminer si un député portait un veston ou une cravate. Dans les deux mentions se rapportant à des femmes, il était question du port de tenues décontractées, soit d’un short dans un cas et d’un chandail à capuchon dans l’autre.
Figure 1 – Mentions du code vestimentaire dans les hansards, classées par type de vêtements. Vingt-deux mentions du veston ou de la cravate; deux d’une tenue non conventionnelle chez les femmes; 16 d’une tenue non conventionnelle chez les hommes; et cinq d’une tenue autochtone, traditionnelle ou culturelle.
En ce qui concerne les mentions du port du veston et de la cravate, les Présidents ont renforcé la règle correspondante, à quelques exceptions près. Dans un premier exemple datant de 1969, le Président de l’Assemblée législative du Manitoba, Ben Hanuschak, a établi que, pour les hommes, la norme en matière de tenue vestimentaire appropriée était le port du veston et de la cravate.
« Il existe des usages à la Chambre des communes qui […] préconisent que la norme ne soit ni anti-mode ni post-mode, mais qu’elle corresponde plutôt à ce qui est communément accepté par tous comme étant convenable […] Pour notre génération et notre époque, j’interprète cette déclaration comme un appel au port du veston et de la cravate chez les hommes. »
Cette règle continue d’être appliquée. En 1982, à Terre-Neuve, un député a soulevé un rappel au Règlement au motif qu’un autre député portait un tricot. Le Président a convenu que cela allait à l’encontre du code vestimentaire. Le député en question a répondu qu’il avait reçu le chandail comme cadeau d’anniversaire la veille, avant de se retirer de la Chambre pour l’enlever. En 1980, le Président de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique a répondu à un rappel au Règlement concernant le port du veston-cravate en rappelant aux députés que le veston, la cravate et la chemise étaient obligatoires. Le Président a alors dit qu’il n’appliquerait pas la règle dans ce cas précis, mais qu’il le ferait à l’avenir. Dans un autre exemple datant de 1981, au Nouveau-Brunswick, il était question d’un député portant une cravate sans veston. L’extrait du hansard ne précise pas exactement ce que portait le député. Le Président n’a pas non plus indiqué clairement si cette tenue respectait le code vestimentaire, se contentant de déclarer qu’il ne la trouvait pas très belle. Bien que la règle du veston-cravate ait été appliquée de façon inégale, elle a rarement été contestée. On trouve cependant des exemples de Présidents permettant des entorses à cette règle en raison des températures élevées. L’une des premières mentions du code vestimentaire remonte à 1959 : des députés du Manitoba avaient alors demandé à enlever leur veston et leur cravate dans les comités en raison de la chaleur, arguant que cela pourrait accélérer leurs travaux. Plus tard, en 1994, un député de la Nouvelle-Écosse a demandé si la Chambre d’assemblée pourrait revoir la règle du veston-cravate, étant donné qu’elle siégeait en juillet sans climatisation. Dans un autre extrait provenant de la NouvelleÉcosse, en 2015, le Président a maintenu que le port de la veste et de la cravate était obligatoire même par temps chaud. Celui-ci a déclaré : « J’ai également remarqué que certains autres députés portent des tenues extrêmement décontractées ces derniers temps […] Je suis conscient qu’il commence à faire un peu chaud, mais nous sommes tous dans le même bateau [traduction]. » Dans l’ensemble, il ressort des précédents que les hommes sont tenus de porter un veston et une cravate, sous réserve de quelques exceptions en cas de temps chaud.
Certains passages des hansards reflètent l’opinion selon laquelle la mode est une question intrinsèquement féminine. Par exemple, en 2006, le Président de l’Assemblée législative de l’Alberta de l’époque, Ken Kowalski, a demandé aux députés de cesser de lui envoyer des notes au sujet de la tenue vestimentaire des députées. Il a d’ailleurs mentionné avoir reçu des messages qui remettaient en question le fait qu’une députée en particulier portait un soutien-gorge. Il a conclu son intervention en indiquant aux députés qu’il n’allait pas se mêler de tout ça et en leur conseillant de demander à leur mère ce qu’ils devraient porter. Dans un autre extrait de 1971, on peut lire que le premier ministre de Terre-Neuve de l’époque, Joey Smallwood, était revenu d’un voyage à l’étranger vêtu d’un nouveau complet en soie. Des articles de presse ont rapporté qu’il avait fait les magasins « à la manière des dames » pendant son voyage, et l’opposition s’est moquée de lui parce qu’il était trop à la mode, affirmant que sa place était aux « Academy Awards ». En Alberta, en 1994, un député a soulevé un rappel au Règlement au sujet du complet de couleur vive d’un autre député. Si les complets de couleur éclatante ne constituent pas une infraction au code vestimentaire, le député en cause a précisé que ce n’était pas sa femme qui avait choisi ses vêtements. L’idée que la mode est l’apanage des mères, des dames ou des épouses repose sur des présupposés sexistes. Depuis toujours, les députés n’ont cessé d’associer la mode aux femmes. Ce faisant, ils perpétuent officieusement des normes genrées dans les institutions parlementaires. La croyance selon laquelle la mode est une affaire de femmes peut également expliquer en partie pourquoi le code vestimentaire des hommes est resté inchangé. Les hommes pourraient être réticents à proposer des changements en matière d’habillement s’ils considèrent que la mode est un intérêt intrinsèquement féminin.
Les vêtements autochtones ou culturels n’ont pas été qualifiés d’infractions au code vestimentaire, quoique le Président des Territoires du Nord-Ouest se soit abstenu de trancher la question dans un cas où un député portait une cravate de Mickey Mouse assortie d’une veste dénée. Un autre député avait fait un rappel au Règlement, affirmant que la cravate était offensante en regard du caractère hautement symbolique de la veste. Le député visé a rétorqué que la cravate était destinée aux enfants qui pourraient regarder la diffusion du débat. Le Président a hésité quant à la façon de procéder, étant donné que le port de la cravate était obligatoire pour les hommes, mais que la cravate en question était jugée inappropriée par rapport à la veste dénée. Finalement, la question n’a pas été résolue et les débats se sont poursuivis. Ce cas, où se conjuguent la tenue autochtone et le port obligatoire du veston-cravate, est particulièrement intéressant; il semble indiquer que le code vestimentaire permet seulement aux députés de porter la tenue autochtone ou la tenue de ville de façon exclusive, et qu’il ne prévoit pas de directives pour les députés qui portent les deux. L’exemple de la veste dénée révèle que la norme du « veston-cravate », chez les hommes, peut compliquer davantage l’intégration de la diversité dans les parlements.
Analyse
Les codes vestimentaires mettent l’accent sur la tenue des hommes. Le port obligatoire du veston-cravate est la norme vestimentaire la plus ancienne dans les parlements canadiens. Les règles visant les femmes ont été ajoutées par la suite, comme des considérations secondaires. Par exemple, un guide à l’intention des parlementaires de l’Assemblée législative de l’Île-du-Prince-Édouard indique que les députés doivent porter une tenue de ville conventionnelle, c’est-à-dire un veston et une cravate pour les hommes et une tenue « d’un niveau équivalent de convenance » pour les femmes. Aucun des codes vestimentaires des assemblées législatives provinciales ou territoriales ne précise ce que les femmes peuvent ou ne peuvent pas porter : on attend d’elles qu’elles portent une tenue professionnelle, ou encore ce que l’on pourrait considérer comme équivalent à la cravate et au veston masculins. En ce sens, les codes vestimentaires nous rappellent que la présence des femmes dans les parlements est un ajout, et non une caractéristique fondamentale. Les passages tirés des hansards montrent qu’en matière de tenue vestimentaire, la règle du « veston-cravate » est aussi celle qui est appliquée le plus strictement. En somme, les codes vestimentaires continuent d’affirmer que la norme en matière de tenue professionnelle est un homme en veston et cravate.
Bien que toutes les assemblées législatives acceptent les tenues autochtones, culturelles ou traditionnelles, le libellé utilisé à cet effet dans les codes vestimentaires pourrait prêter à confusion à l’avenir. Si elle est mentionnée, la tenue autochtone, culturelle ou traditionnelle fait souvent l’objet d’une disposition distincte. Les codes ne reconnaissent pas que les tenues autochtones, culturelles ou traditionnelles peuvent constituer des tenues formelles ou professionnelles dans une optique non eurocentrique. L’exemple cité précédemment du député qui portait une veste dénée assortie d’une cravate de Mickey Mouse illustre ce dilemme. Le député portait une cravate que le Président jugeait trop décontractée pour être portée avec une veste dénée à l’Assemblée législative; or, l’enlever aurait constitué une violation du code vestimentaire qui exige la cravate. Les tenues considérées comme habillées dans d’autres cultures, telles que les saris ou les kurtas, sont acceptables en vertu de la disposition relative aux tenues autochtones, traditionnelles ou culturelles dans les assemblées législatives. Au lieu d’être incluses comme un exemple convenable de tenue professionnelle, les tenues autochtones, traditionnelles ou culturelles sont considérées séparément. Cette distinction théorique n’a que peu d’incidence sur l’application pratique des règles, dans la mesure où les tenues professionnelles comme les tenues autochtones, traditionnelles ou culturelles sont acceptables. La manière dont les règles sont élaborées entretient toutefois une vision eurocentrique de la tenue professionnelle. À l’avenir, cette question pourrait constituer une pierre d’achoppement dans les assemblées législatives, et les codes vestimentaires pourraient être révisés, en phase avec le changement de culture en cours dans les législatures, afin de mieux tenir compte de la diversité et d’aller au-delà des conceptions coloniales et eurocentriques.
Les codes vestimentaires posent également des obstacles à la diversité des genres en imposant le port du veston-cravate aux hommes ou en suggérant qu’ils doivent le porter. Cette exigence a pour effet d’exclure des députés sur la base de leur genre en limitant les options vestimentaires offertes à ceux qui s’identifient comme homme. Dans la plupart des assemblées législatives, les hommes ne peuvent pas porter les vêtements que les femmes sont autorisées à porter. Par exemple, un homme ne peut pas porter une chemise sans col ou un col roulé, car il ne pourrait alors pas porter de cravate. Il ne peut pas non plus porter de jupe, bien que des exceptions aient été faites pour les vêtements traditionnels comme les kilts. Cela restreint les options vestimentaires des hommes et des personnes non conformes dans le genre, tout en subordonnant les tenues féminines acceptables à la norme masculine du veston-cravate. En effet, on demande aux femmes de s’habiller de manière équivalente aux hommes, alors que la mode masculine se limite au veston et à la cravate. Ce déséquilibre reflète une tension entre les codes vestimentaires genrés et le maintien des traditions qui ont été instituées essentiellement à une époque où la plupart des politiciens étaient des hommes.