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Representation in Action: Canadian MPs in the Constituencies (en anglais seulement), par Royce Koop, Heather Bastedo et Kelly Blidook, Vancouver : UBC Press, 2018, 235 p.
Il est indéniable que les Canadiens tiennent pour acquis le travail de leurs députés et pour cause : presque tous les députés sont élus en raison de l’étiquette politique qu’ils représentent, et de leurs qualités personnelles ou de leur politique. En réalité, la représentation parlementaire a rarement fonctionné comme elle était censée le faire en théorie. Selon l’idéal démocratique, les circonscriptions électorales choisissaient l’un des leurs pour représenter sans faire de compromis la région au sein d’une assemblée unificatrice. Or, au lieu de cela, les partis politiques ont utilisé leurs propres pouvoirs d’organisation et d’idéation et ont rapidement fait fi de tout ce qu’un individu pouvait offrir (il existe des exceptions, mais elles sont extrêmement rares). Les députés sont quasiment vus comme des anonymes interchangeables, foncièrement dépendants du parti et du programme qu’ils représentent.
Au Canada comme en Grande-Bretagne, le rôle des députés est resté presque le même pendant 200 ans. Dans l’aprèsguerre, deux changements ont modifié la donne. Premièrement, le gouvernement s’est élargi et a offert une plus grande variété de services, ce qui a inévitablement créé des problèmes administratifs dans la mise en œuvre des programmes. Deuxièmement, l’élan démocratique des années 1960 a donné corps à l’idée qu’une plus grande participation des députés contribuerait à résoudre les problèmes et à créer un lien plus solide entre les citoyens et le Parlement. Comme les problèmes se multipliaient et que l’État cherchait à être plus réactif, un financement des bureaux de circonscription a été mis en place au début des années 1970. Initiative modeste, pour laquelle des fonds à peine suffisants ont été débloqués pour louer des locaux dans les circonscriptions et embaucher un ou deux adjoints administratifs assez mal payés qui répondaient aux besoins de la population. L’idée selon laquelle il incombait aux députés de représenter l’État au lieu de l’inverse a ainsi été consolidée.
Il existe au Canada quelques écrits qui étudient le rôle des députés. Le livre Mr. Smith Goes to Ottawade David Docherty porte essentiellement sur le rôle du député en tant que législateur. Dans Parties, Candidates and Constituency Campaigns in Canadian Elections, Anthony M. Sayers affirme avec courage que les circonscriptions étaient suffisamment uniques et que les associations de circonscription ont fait pencher la balance dans les résultats des scrutins. Dans la version éditée de La communication avec l’électeur : Les campagnes électorales dans les circonscriptions (vol. 20 des études de la Commission royale sur la réforme électorale et le financement des partis), David V. J. Bell et Frederick J. Fletcher parviennent à une conclusion différente, la plupart des intervenants affirmant que les efforts déployés à l’échelle locale en 1988 se contentaient de copier ceux des campagnes nationales. Dans L’action des partis politiques dans les circonscriptions au Canada (vol. 23 des études de la Commission royale), R. K. Carty étudie également le parti à l›échelon local, mais il mentionne à peine le candidat. Dans ses divers ouvrages, Peter McLeod examine en particulier les mécanismes des bureaux de circonscription et les fonctions des personnes qu’ils emploient.
Dans Representation in Action, Royce Koop, Heather Bastedo et Kelly Blidook apportent un nouveau point de vue sur le rôle des députés. Le livre est novateur en ce sens que des universitaires décrivent pour la première fois les comportements des députés dans leur circonscription en observant personnellement ces derniers à l’œuvre (cette méthode est encore courante dans le bon journalisme). Dans chaque cas, l’un des auteurs a accompagné pendant quelques jours en 2013 le ou la parlementaire lors de ses déplacements dans la circonscription et a rendu compte de ses entretiens avec les parties prenantes, les électeurs, les médias, etc. La nuance est importante : les lecteurs à la recherche des tendances en ce qui concerne la participation des commissions parlementaires, les rôles dans l’élaboration des politiques, voire la production de projets de loi d’intérêt privé, seront frustrés. Ce livre traite de la façon dont les députés de la Chambre des communes du Canada cultivent leurs relations avec les électeurs.
Les députés ont été choisis avec soin afin de présenter une large perspective de leurs nombreux rôles. Hommes et femmes sont représentés; une attention particulière est accordée pour assurer un équilibre entre les circonscriptions rurales, semi-rurales et urbaines. Toutes les provinces ne sont pas représentées, mais l’effort est louable et le portrait d’ensemble est convaincant. Le livre s’articule autour de trois études de cas détaillées et chacune d’elles fait l’objet d’un chapitre : Leon Benoit en Alberta, Tony Clement en Ontario et Megan Leslie en Nouvelle-Écosse. Un autre chapitre examine trois styles de représentation différents (Niki Ashton à Churchill, au Manitoba, Scott Simms à BonavistaGanderGrand FallsWindsor à Terre-Neuve et Ted Hsu à Kingston, en Ontario). Un dernier chapitre porte sur les observations particulières d’une auteure (Heather Bastedo) au sujet de cinq députés dans la zone urbaine densément peuplée de la région du Grand Toronto (Andrew Cash, Mike Wallace et John McKay), et deux dans le Grand Montréal (Marjolaine Boutin-Sweet et Pierre Nantel).
Les auteurs se concentrent sur quatre types particuliers de « liens » que les députés établissent avec leur électorat (liens politiques, en matière de services, symboliques et en tant que parti) et rendent compte de la façon dont ceux qu’ils ont observés s’acquittent de leur rôle. Bien entendu, les méthodes varient beaucoup. Certains députés sont attirés par la fonction publique en raison de leur expertise en matière de politiques, expertise dont ils tirent profit parmi les membres clés de la circonscription, et d’autres parce qu’ils veulent aider leurs concitoyens à avoir plus facilement accès aux services gouvernementaux. Les auteurs soulignent les liens « symboliques » que les députés nouent avec leurs électeurs et leurs détracteurs : le lieu, les circonstances et l’heure de leurs rencontres. L’objectif : établir des liens plus forts avec les électeurs. Un bon exemple est le choix d’un établissement de la chaîne Tim Hortons pour rencontrer des gens (et tenir une séance de la « cour »!), un endroit où il faut voir et être vu et qui est beaucoup plus agréable qu’un bureau morne (où le véritable travail pour aider les électeurs se fait réellement).
Les auteurs tirent diverses conclusions qui ne sont guère révolutionnaires, à savoir que les caractéristiques individuelles des députés régissent la nature de leur service et de la circonscription qu’ils représentent. Le livre est bien écrit, bien que souvent répétitif et enclin à de grandes déclarations qui vont de soi, mais il rend probablement justice aux députés concernés. De tels portraits sont utiles, mais ils le seraient encore plus si on les plaçait dans des études socio-démographiques plus étoffées. Ainsi, nous ne connaissons pas l’âge des députés concernés et rien ne nous dit s’ils sont plus âgés ou plus jeunes que la moyenne de leur cohorte. Nous n’apprenons quasiment rien ni sur leurs antécédents scolaires, professionnels, familiaux ou sociaux ni sur la durée de leurs états de service au Parlement (encore une fois, une mise en contexte enrichirait leurs travaux). Il ne s’agit pas de journalisme, mais d’une analyse plutôt froide, écrite sous les lampes fluorescentes d’un laboratoire. Pour autant, l’approche est nouvelle et pourrait servir de point de référence pour de futures études alors qu’on cherche à évaluer le rôle en mutation des députés dans ce nouveau contexte de changements technologiques.
Patrice Dutil
Professeur de sciences politiques et d’administration publique, Université Ryerson