L’état de la recherche sur le Parlement du Canada

Article 9 / 13 , Vol 33 No 3 (Automne)

L’état de la recherche sur le Parlement du Canada

En 2009, la Bibliothèque du Parlement a demandé à l’auteure d’étudier l’état des recherches universitaires sur le Parlement du Canada au cours de la dernière décennie. Le rapport de 200 pages traite, d’une part, des études sur les institutions représentatives publiées dans des livres, des publications périodiques à comité de lecture et d’autres revues et, d’autre part, des communications présentées à d’importants congrès sur les sciences politiques et des subventions à la recherche du Conseil de recherches en sciences humaines, dont le Programme des chaires de recherche du Canada et des programmes de la Fédération canadienne des sciences humaines. L’objectif était de repérer les activités de recherche sur le Parlement, en ratissant le plus largement possible. Le présent article constitue un résumé de ce rapport.

Pourquoi étudier le Parlement? Parce qu’il se situe au cœur de la démocratie canadienne, que ses composantes fonctionnent bien ou non. Aussi puissant que le pouvoir exécutif puisse paraître, la Chambre des communes demeure le visage public du gouvernement et de l’opposition. Elle constitue le lieu où se décide, en dernier lieu, la façon dont l’argent sera dépensé à l’échelle nationale et internationale.

La Chambre est la tribune où le gouvernement présente ses stratégies de politique publique. C’est là que sont publiés les projets de loi et les règlements. La Chambre tient entre ses mains la vie du gouvernement de par sa capacité de lui refuser sa confiance. Il est souhaitable que les citoyens scrutent les activités des gouvernements qui passent à la Chambre et qu’ils les punissent ou les récompensent en votant en conséquence. La qualité de la démocratie dont jouissent les citoyens dépend de la capacité d’un pays à s’assurer que tous comprennent bien et de façon objective le fonctionnement idéal, possible et réel de la démocratie selon les gouvernements qui se succèdent. L’étendue et la précision de cette compréhension du public se trouvent ainsi à la base de la capacité des citoyens d’inciter les élus à examiner sérieusement les projets du gouvernement et d’influencer les gouvernements par l’intermédiaire de leur député.

Cette étude montre que, depuis une dizaine d’années, les universitaires ne se sont pas tellement intéressés à l’organisation et aux activités du Parlement. Cette absence d’intérêt soutenu n’est pas sans importance quand on entend constamment parler de réforme globale des institutions représentatives par les politiciens, les médias et de nombreux « experts », qui n’expriment souvent que leurs impressions, sans fondement aucun. Pourquoi les fonctions et les responsabilités sont-elles organisées dans les institutions représentatives comme elles le sont? Comment fonctionnent leurs composantes et quels effets mineurs et majeurs ont-elles les unes sur les autres? Si personne n’étudie les institutions comme elles fonctionnent aujourd’hui, nous ne pourrons même pas prétendre savoir dans quelle mesure les réformes de fond, ou les ajustements mineurs — réalisés avec insouciance mais cumulatifs — apportés à la pratique, amélioreront ou empireront les choses. Si nous restons dans l’ignorance, nous ne serons jamais en mesure de prévenir les conséquences inattendues et fâcheuses.

Publications universitaires et autres

Au départ, nous avions bon espoir de repérer un grand nombre de publications universitaires et de relever ensuite les activités « afférentes au fonds », comme les demandes de subventions de recherches et les articles présentés avant publication. Selon la définition classique, une publication est dite universitaire si l’éditeur fait appel à des chercheurs experts du domaine pour juger impartialement et anonymement de la qualité et de l’importance de l’appareil critique de l’article proposé.

Dans le cas des éditeurs universitaires, nous avons enrichi une première liste dressée à partir de l’examen visuel de Canadian Books in Print et de ses suppléments papier, par une recherche dans les index de monographies internationales et les sites Web de presses universitaires. Mais tenter ainsi de saisir le contenu de tous les livres (collections) édités pertinents était impraticable, puisqu’il aurait fallu examiner physiquement chaque ouvrage, ce que le temps ne nous permettait pas. Les collections dont la pertinence était évidente ont toutefois été ajoutées à la liste.

Pour les périodiques, nous nous sommes tournés vers les revues imprimées et électroniques spécialisées dans les sujets canadiens, dont celles portant sur les affaires constitutionnelles, les politiques publiques, le régime parlementaire et les études canadiennes en général. Nous avons également examiné les trois revues canadiennes « grand public » de sciences politiques, en anglais et en français, soit le Canadian Journal of Political Science, son pendant français, Politique et Sociétés, et Administration publique du Canada. Nous avons retenu les revues internationales en anglais qui acceptent des articles sur tous les sujets d’intérêt pour les spécialistes des sciences politiques, du gouvernement ou de la gouvernance. Pour trouver ces revues, tous les moteurs de recherches accessibles ont été utilisés. Au besoin, nous avons fait un examen visuel des tables des matières.

La recherche d’écrits universitaires publiés au cours de la décennie a donné moins de titres que prévu. Nous avons donc décidé d’inclure les articles parus dans les revues spécialisées où des experts assurent l’édition, la sélection d’articles et la production. Nous avons également décidé de saisir les publications sur les institutions politiques canadiennes qui sont liées aux institutions représentatives, comme les partis politiques, le système électoral (sauf les études portant sur une élection en particulier), le fédéralisme en tant qu’institution et le pouvoir judiciaire (là où il empiète sur le pouvoir législatif). Le nombre de titres que cette recherche plus large a permis de recenser permet de se faire une idée de l’importance qu’accordent les canadianistes aux institutions.

Dans toute étude qualitative, surtout si l’on présente des comptes, une mise en garde s’impose. Il n’existe aucun ensemble statistique ou recensement des publications sur les institutions représentatives canadiennes — aucune bibliographie officielle tenue à jour — et les publications notées dans notre recherche ne constituent ni un recensement, ni un échantillon adéquat. Certains corpus d’écrits plus récents sur la représentation des femmes et des minorités dans le corps législatif et la politique en général n’ont pas été retenus, puisqu’ils portent sur la représentation plutôt que sur les institutions elles-mêmes. La bibliographie des ouvrages publiés par la Bibliothèque du Parlement n’a pas été intégrée à la liste, ni les publications du gouvernement et les études publiées sur le Web par des groupes de réflexion ou des instituts universitaires. On ne saurait comparer les publications actuelles à celles du passé : la taille des facultés et les moyens de publication changent avec le temps. La question est de savoir « sur quoi les universitaires travaillent actuellement ». Une autre serait de savoir combien d’études de fond sont « suffisantes » pour guider les réformistes. Pour y répondre, il faut voir si une composante importante a été négligée dans les publications au cours de la décennie. Si oui, nous ne sommes pas à la hauteur de notre tâche. En fait, la répartition des sujets étudiés doit parler d’elle-même et doit être jugée par chaque lecteur.

Nos diverses recherches sur la période visée ont permis de recenser quelque 470 publications sur les institutions politiques en général. De ce total, nous estimons que 115 titres (par moins de 100 auteurs), y compris les quelques publications sur les assemblées provinciales, avaient trait le plus directement aux institutions représentatives (le « Parlement »).

Ces 115 publications sur le Parlement ont ensuite été classées par sujet. Leur répartition est détaillée ci-dessous.

Dans l’ensemble des écrits saisis, les sujets suivants ont été les plus fréquemment étudiés (six publications ou plus) :

  • Information générale sur la responsabilité (vue de nombreux angles) dans le régime parlementaire, y compris des critiques générales : 21 titres;
  • Le Sénat : 9 titres;
  • Le Cabinet et les ministres : 8 titres;
  • Le loyalisme partisan et l’opposition à la Chambre des communes : 7 titres;
  • Des articles mixtes sur la Constitution, dont les questions de droit, l’effet de la mondialisation et de la déréglementation, la judiciarisation, et le rôle du procureur général : 7 titres;
  • Le besoin de réforme, la responsabilité en matière budgétaire et financière, et des sujets mixtes sur la responsabilité politique : 6 titres chacun;

Des sujets mixtes sur le besoin d’améliorer la surveillance effectuée par l’exécutif et par les législatures (améliorer la surveillance des actes de l’exécutif par la législature, notamment dans le cas des nominations politiques; améliorer la correction procédurale dans l’élaboration des politiques ainsi que la surveillance politique de l’activité policière) : 8 titres.

Parmi les sujets moins fréquents (cinq titres ou moins), on trouve la prorogation, les hauts fonctionnaires du Parlement, les comités de la Chambre des communes, la représentation et la théorie du gouvernement de Westminster. Des cas de sujets uniques ont été relevés : les secrétaires parlementaires, le pouvoir de convoquer des personnes et d’exiger la production de documents et de dossiers, et les mandats de perquisition dans une assemblée législative.

Nous avons ensuite comparé cette liste à une autre établie par un examen visuel et la classification de 80 articles sur les 140 publiés dans la Revue parlementaire canadienne au cours de la même période. La Revue sert de point de comparaison, puisqu’elle porte sur des sujets qui intéressent les parlementaires et les responsables du Parlement. Les articles d’universitaires ont été écartés pour éviter toute répétition avec d’autres listes.

Les sujets les plus fréquents (6 articles ou plus) dans la Revue parlementaire canadienne étaient :

  • Le rôle des simples députés : 9 titres;
  • Les comités de la Chambre des communes ou d’une assemblée législative : 8 titres. Les articles abordent une gamme étendue de sous-thèmes, dont les comités de vérification, l’équité au sein des comités, le pouvoir de coercition des comités, la confidentialité de leurs rapports, et la réforme des comités en Ontario et au Québec;
  • Le rôle du Parlement en général — malaise, déclin et besoin de le repenser : 7 titres;
  • Le pouvoir et le privilège : 7 titres;
  • Le Sénat — les réformes, les comités, le rôle du Sénat dans l’examen des mesures législatives, la présidence et le processus législatif en général : 7 titres;
  • Les hauts fonctionnaires du Parlement ou des législatures : 6 titres. Parmi ceux-ci, on compte un article général sur le rôle des hauts fonctionnaires dans une assemblée législative et un autre sur les méthodes de financement des hauts fonctionnaires. Les autres traitent de divers hauts fonctionnaires — directeur parlementaire du budget, vérificateur général en Ontario, commissaire à l’intégrité du secteur public — et de la dénonciation au Canada;
  • Les élections — les difficultés inhérentes aux élections à dates fixes, le droit du gouverneur général d’accorder la dissolution et les méthodes de financement des partis : 6 titres.

Parmi les sujets moins fréquemment abordés figurent les nouvelles technologies des communications et la cyberdémocratie; l’avenir de la Couronne au Canada; la modernisation de la sanction royale; le Budget des dépenses et les crédits; les présidents, dont un article sur la contestation des décisions du président; l’élection du président et l’utilisation de la voix prépondérante; la Constitution, dont un article sur le privilège parlementaire dans ce contexte; la période des questions; la procédure; les changements de partis; les femmes dans les législatures; la convention relative aux affaires en instance (sub justice); l’accès à l’information; les jeunes; les médias et le Parlement.

Dans l’ensemble, pour tenter de comprendre ces différences, on pourrait dire que les sujets choisis par les parlementaires et les experts qui les aident avaient trait aux limites du rôle des simples députés et à la compréhension de la conduite (rôle du privilège) à la Chambre et au sein des comités permanents. Les parlementaires s’intéressent aussi naturellement aux règles régissant les dates d’élections et le financement des partis.

De leur côté, les publications universitaires examinent à distance le comportement des acteurs à la Chambre des communes. En général, peu d’universitaires ont mené des études de fond empiriques sur une seule composante importante de la démocratie parlementaire ou sur un seul processus, comme les crédits parlementaires. Ceux qui s’intéressent aux institutions représentatives ont tendance à écrire sur des thèmes généraux, souvent de façon dogmatique.

On trouve peu de données sur les systèmes de comités, d’analyses des intérêts qui sont servis par l’ensemble des comités actifs au cours d’une période donnée, ou d’examens de la manière dont sont menés les travaux des comités et de l’importance perçue de ces activités. De même, les chercheurs aujourd’hui n’abordent pas souvent la question des rôles des agents de « responsabilisation » à la Chambre des communes dont la charge a été créée par une loi et celle de leur incidence sur le gouvernement démocratique, notamment les répercussions des changements unilatéraux apportés aux documents et aux rôles sur la compréhension, par les députés, de leur rôle traditionnel d’examinateur.

En bref, la principale différence se situe entre les articles de fond de la Revue parlementaire canadienne et les études plus générales des universitaires. Sans vouloir exagérer, la différence entre les sujets abordés au cours de la décennie dans la Revue parlementaire canadienne et ceux étudiés par les universitaires semble être que les parlementaires et les fonctionnaires experts s’intéressent (proportionnellement) aux comités et aux rôles de ceux-ci, de même qu’au pouvoir de la législature par rapport à l’exécutif, au privilège parlementaire, à la place des « hauts fonctionnaires » indépendants dans les législatures et aux modifications de la législation électorale. Les députés et les fonctionnaires de carrière qui les aident dans leur travail s’intéressent à ce que l’on appelle parfois « l’organisation industrielle » de la législature.

La prochaine question consiste à savoir si les sujets abordés par les chercheurs dans d’autres activités aboutiront à des recherches du genre de ce qui intéresse la Revue parlementaire canadienne et les praticiens.

Activités de chercheurs autres que la publication

Cette section présente d’abord un résumé des communications sur le Parlement présentées lors des plus grands congrès de chercheurs et examine ensuite la proportion relative des subventions accordées pour des études ou de nouvelles recherches sur le Parlement par rapport au nombre qui ont été attribuées pour des études sur les institutions politiques en général. Mais attention : il était impossible de savoir si les demandes de subvention étaient rares mais dignes d’une bourse ou si, au contraire, elles étaient nombreuses, sans toutefois satisfaire aux exigences des comités de sélection. Les communications et les bourses sont classées selon leur titre.

Offres de communications aux principaux congrès de chercheurs

Ce qui suit résume succinctement l’analyse des programmes des congrès annuels de l’Association canadienne de science politique (ACSP), de 2003 à 2009, ainsi que des congrès de la Société québécoise de science politique (SQSP), de 2004 à 2009, disponibles en ligne.

En ce qui concerne l’ACSP, le programme de 2009 a été analysé bien avant les réunions. Les programmes de 2003 à 2008 étaient disponibles sur Internet. En tout, 310 communications ont été présentées sur les institutions politiques durant ces sept années, dont 60 sur les institutions représentatives. D’année en année, le nombre de communications sur le Parlement ne dépasse jamais 12 (congrès de 2006, sur 43 communications relatives aux institutions politiques). Les congrès de 2003 et de 2004 ont connu le plus petit nombre de communications sur le Parlement. En 2009, 10 communications sur les institutions représentatives étaient inscrites à la version préliminaire du programme, mais nous ne savons pas combien ont effectivement été présentées.

En ce qui concerne la SQSP, on compte, pour la période visée, 6 communications relatives aux institutions représentatives sur un ensemble de 24 exposés sur les institutions politiques en général. Toutes proportions gardées, ces résultats sont semblables à ceux du congrès pancanadien.

Subventions : le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada

Les catégories de programmes du CRSH retenues aux fins de l’analyse sont les suivantes : 1) chaires de recherche du Canada; 2) bourses et prix (trois programmes du niveau postdoctoral, trois du niveau doctoral et deux du niveau de la maîtrise); 3) recherche définie par le chercheur (deux programmes); 4) recherche et formation ciblées. L’analyse porte sur la décennie 1998-2008.

Il n’existe pas de centres d’excellence en « sciences politiques » ni en « politique et gouvernement ». Et même si les catégories « interaction et diffusion de la recherche » et « développement de la recherche stratégique » proposent des programmes axés sur la recherche individuelle en « politique et gouvernement », rien ne porte sur les institutions politiques ni sur les institutions représentatives.

La liste des totaux des subventions ci-après ne peut être interprétée comme un recensement des subventions accordées pour l’étude du grand domaine des institutions politiques qui constitue l’environnement des institutions représentatives1. Elle a été obtenue à l’aide du moteur de recherche du CRSH, qui couvre les quelque 61 000 subventions accordées dans les catégories choisies, dont 3 800 dans le domaine des sciences politiques, au cours de la décennie 1998-2008.

  • Sur les 2 600 bourses postdoctorales (trois programmes) accordées par le CRSH au cours de la décennie, 170 sont allées aux sciences politiques. On trouve 8 sujets relatifs aux institutions politiques et 3 aux institutions représentatives;
  • Sur les 14 600 bourses doctorales (trois programmes) attribuées pendant cette période, 1 100 sont allées aux sciences politiques. Des 37 propositions sur les institutions politiques en général, 4 portaient sur les institutions représentatives;
  • Sur les 5 600 bourses de maîtrise accordées pendant cette période, 340 sont allées aux sciences politiques. Quatre ont été octroyées à des personnes proposant d’étudier les institutions représentatives, sur 25 suggérant des travaux sur les institutions politiques;
  • Sur les 326 subventions accordées au titre de « grands travaux de recherche concertée » (47 aux sciences politiques), 3 chercheurs proposent des travaux sur les institutions politiques, et aucun sur les institutions représentatives;
  • Sur les 23 000 « subventions ordinaires de recherche » ou subventions accordées à des recherches définies par le chercheur (1 400 aux sciences politiques), 14 ont été octroyées à des chercheurs pour l’étude des institutions représentatives, sur les 76 attribuées à l’examen des institutions politiques;
  • Sur les 3 200 subventions accordées pour la recherche et la formation ciblées (260 aux sciences politiques), 25 propositions visaient les institutions politiques, dont 4 s’intéressaient aux institutions représentatives.

Pour la décennie, donc, et avec l’exception des études sur les élections, il n’y a, en termes absolus, que très peu d’études sur les institutions représentatives.

Plus étonnant, les subventions qui ont été octroyées par le CRSH au titre des sciences politiques et qui n’ont pas été totalisées, semblent viser des travaux conceptuels, des études d’autres pays et des travaux sur la politique internationale. Les institutions représentatives constituent une spécialisation mineure dans le contexte des institutions politiques.

En fin de compte, la petite quantité de subventions accordées à des chercheurs pour l’étude du Parlement – même si on la multipliait plusieurs fois — révèle un problème de ressources et un problème d’intérêt.

Chaire de recherche du Canada, 2000-2008

En février 2009, l’annonce des 134 dernières subventions pour 2008 du Programme des chaires de recherche du Canada (CRC) a porté le nombre total des chaires subventionnées depuis l’instauration du programme à 1 998, soit deux de moins que le nombre prévu dans le mandat du programme.

La liste de ces 134 subventions dans tous les domaines a dû être examinée visuellement. Deux d’entre elle (l’une relative aux sciences politiques et l’autre concernant un projet multidisciplinaire) ont été perçues comme étant marginalement pertinentes, parce que les résultats stratégiques sont attribués au système électoral dans un cas, et aux institutions financières dans l’autre, ce qui porte un jugement implicite sur l’importance des institutions représentatives.

La liste relative aux années 2000 à 2007 est toutefois explorable. Une première recherche pour y trouver toutes les chaires attribuées à des demandeurs de la discipline « sciences politiques » en a produit 35. Comme ces chaires étaient indexées par sujet, il était difficile de les classer dans les catégories utilisées dans le présent contexte. On a ensuite procédé à des recherches sur les diverses catégories multidisciplinaires à l’aide de divers mots-clés comme « Canada », « gouvernement » et « institutions ». Cette approche a donné 14 autres CRC (dans des domaines autres que les sciences politiques), mais les descriptions de projet du deuxième groupe (catégories multidisciplinaires) ont été encore plus difficiles à classer sous nos rubriques plus générales. Une seule subvention était peut-être marginalement pertinente et son récipiendaire était le seul spécialiste du groupe multidisciplinaire, d’après nos recherches, à avoir publié des textes sur les sciences politiques.

Pas une seule chaire de recherche du Canada n’a été explicitement et directement attribuée pour l’étude du Parlement canadien depuis que le programme existe. Aucune des chaires subventionnées ne possède même de lien de ressemblance avec la description de la Chaire de recherche sur la démocratie et les institutions parlementaires de l’Université Laval, attribuée à Louis Massicotte en 2007, ni avec celle de la chaire Bell de l’Université Carleton, attribuée à Bill Cross en 2009 pour l’étude de la démocratie parlementaire canadienne.

Nous avons étudié la description des 35 CRC qui ont été attribuées pour des programmes de recherche qui se rattachent aux sciences politiques selon le CRSH. Nous en avons sélectionné 14 qui pouvaient présenter un intérêt quelconque pour les spécialistes des institutions politiques canadiennes. Sept d’entre elles ont été jugées plus susceptibles que les autres de produire des travaux pouvant présenter un intérêt dans le domaine des institutions représentatives.

Deux chaires en sciences politiques (celles de Christian Rouillard et de Kiera Ladner) sont axées directement sur les institutions canadiennes. Quatre autres (André Blais, Ran Hirschl, Leo Panitch et Robert Young) proposent des travaux comparatifs pouvant faire mieux comprendre la situation générale au Canada. La septième est la chaire attribuée à Donald Savoie pour poursuivre son travail comparatif sur les exécutifs et les fonctions publiques.

Les descriptions des CRC restantes en sciences politiques traitaient de sujets comme les relations internationales, la sécurité, le droit, les préoccupations interétatiques et mondiales, et des enjeux de politiques publiques (le vieillissement, l’environnement, le pétrole et le gaz). Dans ce groupe, deux chercheurs étudient les relations entre les civils et les militaires et entre les civils et les forces de police.

La Fédération canadienne des sciences humaines

La Fédération canadienne des sciences humaines (FCSH) est un organisme sans but lucratif qui compte parmi ses membres des sociétés savantes, des universités et des collèges qui représentent plus de 50 000 chercheurs, étudiants et autres praticiens partout au Canada. La Fédération dispose d’un budget annuel d’environ 2,5 millions de dollars.

Puisque les sujets pertinents au Parlement font rarement l’objet des causeries de la Fédération et des ouvrages primés par celle-ci, seul le programme de subventions à l’édition savante a été retenu. La Fédération soutient les coûts de publication de jusqu’à 150 ouvrages savants par année, habituellement des livres spécialisés dont la contribution prend de l’importance avec le temps. Elle a financé la publication de plus de 6 000 titres depuis 1942.

Nous avons utilisé le moteur de recherche du site Web de la FCSH pour examiner les ouvrages figurant dans le programme d’aide à l’édition savante. Le terme de recherche « Cabinet » a permis de trouver deux subventions dans les années 1990. « Chambre des communes » a produit deux subventions dans les années 1960 et 1970 ainsi qu’un livre dans les années 1990 et un autre dans les années 2000. Le « Sénat » a fait l’objet d’un ouvrage en 2003. Nous avons trouvé un livre sur les ministres canadiens, publié en 1970. Le terme « Parlement » ne donne rien sur les rouages de l’institution.

Il importe de ne pas oublier qu’il est possible que des titres pertinents n’aient pas fait l’objet d’une demande d’aide à l’édition savante.

La prochaine section examine les raisons pour lesquelles il est difficile de trouver des études sur les institutions représentatives — le « Parlement » — ou pourquoi ces études ne reçoivent pas un soutien financier adéquat.

Les systèmes d’incitations dans l’édition savante

Dans la plupart des disciplines scientifiques, et moins souvent en sciences sociales, les recherches sont menées par des équipes et les articles sont signés par plusieurs auteurs. En sciences politiques, les chercheurs qui analysent de vastes compilations de données quantitatives, comme les résultats des votes, ont toujours été plus susceptibles de travailler en groupe que ceux qui étudient les institutions. Les chercheurs qui étudient les institutions sont habituellement des dépouilleurs scrupuleux de documents et d’archives. Il n’est donc pas surprenant que, dans nos recherches, peu de publications sur le Parlement sont le fruit de collaborations.

Une exception notable récente serait l’équipe de chercheurs invités à participer au projet d’audit démocratique de l’Université Mount Allison. Deux autres exemples de collaboration dans la recherche sur les institutions représentatives, à moindre échelle cette fois, sont les cas de Bruce Hicks, de Montréal, et de Christopher Kam, de l’Université de la Colombie-Britannique, qui travaillent non pas ensemble, mais avec des chercheurs différents2.

Le nombre relativement faible de publications savantes sur le Parlement s’expliquerait peut-être par la tendance grandissante qu’ont les chercheurs canadiens à tenter de faire paraître leurs articles dans des revues étrangères afin de se faire connaître et d’être cité par un lectorat international, sans pour autant perdre leur visibilité au Canada. Ce phénomène a fait l’objet d’un article très bien documenté par Éric Montpetit et ses collaborateurs. L’étude conclut ainsi :

Un article est plus susceptible d’être largement cité s’il est publié dans une revue prestigieuse, s’il est écrit par plusieurs auteurs, s’il applique des méthodes quantitatives, s’il compare des pays et s’il traite de l’administration et des politiques publiques, ou des élections et des partis politiques3

Montpetit a également fait une évaluation quantitative, sans collaborateur cette fois, sur « le virage comparatif » en sciences politiques canadiennes. Son chapitre cerne bien les raisons pour lesquelles les chercheurs canadiens, dans leurs publications spécialisées, ne traitent du Canada qu’en relation avec d’autres pays. L’inconvénient des études comparatives est que les chercheurs ne se penchent que sur des sujets pouvant faire l’objet de comparaisons4.

Ce « virage » a apparemment changé le curriculum des sciences politiques dans les universités. En janvier 2009, Rosanna Tamburri a publié un court article dans Affaires universitaires, revue de l’Association des universités et collèges du Canada. Elle note que, malgré l’abondance de spécialistes discutant de la crise constitutionnelle de décembre 2008 à janvier 2009 à la télévision, la présence des médias a fait ombrage au fait que la politique canadienne a connu un « désintérêt qui laisse perplexe » :

Les inscriptions dans cette discipline régressent, tout comme le nombre de thèses de doctorat consacrées à la question, et il manque de professeurs spécialistes de cette discipline. En outre, certains sujets jadis indissociables des sciences politiques canadiennes […] ne sont plus enseignés5.

Qu’est-ce qui explique cette situation? Simon Hix s’intéresse aux sources de recherche en anglais (en fait, l’Europe occidentale, l’Amérique du Nord, Israël et l’Australie). Il montre que le classement des départements et des institutions dépend du nombre total de fois où les membres de leur corps professoral sont cités dans les revues les plus prestigieuses, aucune d’elles ne provenant du Canada6.

Toutefois, la question peut-être la plus pertinente, celle qui se trouve au cœur des répercussions du programme des CRC, consiste à déterminer comment ces nouveaux systèmes d’incitation influencent les structures sous-disciplinaires des sciences sociales. Kyle Siler et Neil McLaughlin s’y sont intéressés dans leur étude quantitative « The Canada Research Chairs Program and Social Science Reward Structures». Ils ont choisi d’étudier l’économie, les sciences politiques et la sociologie. Comparées à l’économie, les sciences politiques et la sociologie sont qualifiées de disciplines faibles, en ce sens que les problèmes à long terme ou les problèmes classiques n’attirent pas nécessairement l’élite savante.

La mesure dans laquelle celle-ci (titulaires de CRC ou non) est concentrée dans les universités de recherche les plus prestigieuses est frappante. Lorsqu’on réunit les ensembles de données relatives aux trois disciplines, les chercheurs de trois institutions, soit l’Université McGill, l’Université de la Colombie-Britannique et l’Université de Toronto, monopolisent six des dix premiers comptes de publication dans les 20 meilleures revues, et huit des dix premiers comptes de citations.

Siler et McLaughlin considèrent que les disciplines universitaires fonctionnent comme un genre particulier de réseau (un « réseau libre d’échelle ») où les acteurs s’attachent à quelques nœuds de forte activité. En s’associant préférentiellement tôt à un réseau, les universitaires sont en mesure de profiter mutuellement des relations et des idées des membres du groupe8. Ceux-ci voient leur nombre de citations, et de subventions locales et nationales, augmenter au même rythme. Cependant, ces réseaux compartimentent les domaines d’étude et les disciplines en des entités plus facilement gérables. Les auteurs citent Abbott en tant que source d’expertise sur les conséquences de l’abandon de domaines de disciplines au profit de l’« interdisciplinarité fondée sur des problèmes ». Le réseautage axé sur les problèmes engendre de bons comptes de citations, mais mène aussi à des « “engouements” ou à des sujets politiquement saillants et à d’autres tendances qui s’estompent avant la fin du cycle de vie normal de la carrière d’un professeur titularisé »9. Nous avons noté plus haut qu’il a été difficile de catégoriser de nombreuses subventions accordées dans le cadre du programme des CRC autrement qu’avec le descripteur passe-partout « travaux comparatifs ».

Un coup d’œil rapide sur les recherches récentes concernant les systèmes d’incitation et la façon dont les chercheurs trouvent une certaine sécurité dans leurs propres institutions montre donc que les politicologues canadiens ne sont sûrement pas sur le point de recommencer à étudier les institutions complexes qui façonnent le rendement de la démocratie au Canada.

Conclusion

L’étude avait pour objet de créer une base empirique à partir de laquelle on pourrait évaluer l’état des publications et de la recherche universitaire sur le Parlement. L’examen des publications de la dernière décennie est un travail qualitatif dont la validité ne peut faire l’objet de fortes prétentions. Quoi qu’il en soit, le faible nombre de publications et de recherches prouvent qu’il y a des lacunes. La pire conséquence serait que les Canadiens, dont les parlementaires, ne comprennent plus comment les institutions sont censées fonctionner et peuvent fonctionner. Ainsi, les réformes et les problèmes réels auquel nous faisons face pourraient ne pas concorder et des réformes inutiles pourraient s’avérer irréversibles puisqu’elles profiteraient à des minorités actives.

Il semble également que les universitaires ne contribuent pas tellement à la recherche sur les institutions telles qu’elles fonctionnent. Les organismes sans but lucratif, la Bibliothèque du Parlement et le Parlement lui-même détermineront dans quelle mesure les Canadiens, y compris les spécialistes des études comparatives sur les gouvernements, comprendront les institutions représentatives du pays.

Notes

1. Les paramètres suivants ont été utilisés pour la recherche des attributions du CRSH : tous, pour le critère « Région, province, organisme »; tous, pour le critère « Discipline(s) », (en choisissant les disciplines des sciences politiques, de l’économie, de l’histoire, du droit et de la philosophie pour peaufiner); tous pour le critère « Domaine(s) de recherche » (en choisissant « Politique et gouvernement » pour peaufiner); des mots-clés ayant trait au Parlement dans les titres et les descriptions de projet : « Canada and Parliament/Canada et Parlement », « Parliament/Parlement », « Cabinet », « Committees/Comités », « Institutions », « Democracy/Democracy », « Accountability and Governance/Imputabilité et gouvernance ».

2. Il existe d’autres textes issus de collaborations dans le domaine plus vaste des institutions politiques. Paul Howe (Université du Nouveau-Brunswick) a publié cinq fois avec des collègues. Herman Bakvis (Université de Victoria), David Docherty (Université Wilfrid Laurier), Manon Tremblay (Université d’Ottawa) et Linda Trimble (Université de l’Alberta) ont tous publié en collaboration. Le domaine des études sur les données électorales et le scrutin (deux catégories distinctes selon le CRSH) fait l’objet depuis longtemps de projets de collaboration, par exemple ceux menés sous la direction d’André Blais.

3. Éric Montpetit et coll., « What Does It Take for a Canadian Political Scientist to Get Cited? », Social Science Quarterly, vol. 89 (2008), p. 802-816.

4. Éric Montpetit, « A Quantitative Analysis of the Comparative Turn in Political Science », dans Linda A. White et coll., dir., The Comparative Turn in Canadian Political Science, UBC Press, 2008, p. 17-37.

5. Rosanna Tamburri, « Les sciences politiques canadiennes en chute libre », Affaires universitaires (12 janvier 2009), 3 p.

6. Simon Hix, « A Global Ranking of Political Science Departments », Political Studies Review, vol. 2, no 3 (septembre 2004), p. 293-313.

7. Kyle Siler et Neil McLaughlin, « The Canada Research Chairs Program and Social Science Reward Structures », Revue canadienne de sociologie, vol. 45, n° 1 (février 2008), p. 93-119.

8. Robert K. Merton, « The Matthew Effect in Science », Science, vol. 159, no 3810 (5 janvier 1968), p. 56-63; Robert K. Merton, The Sociology of Science: Theoretical and Empirical Investigations, Chicago, University of Chicago Press, 1973. (On entend par « effet Matthew » la prédiction qui se réalise, où la première acquisition de ressources peut être utilisée pour accroître les avantages pendant toute la carrière.)

9. Andrew Abbott, « The Disciplines and the Future », dans S. Brint, dir., The Future of the Intellect: The Changing American University, Stanford (Californie), Stanford University Press, 2002, p. 205-230.

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