Regard sur les députés novices de l’Assemblée législative de l’Ontario

Article 5 / 13 , Vol 33 No 3 (Automne)

Regard sur les députés novices de l’Assemblée législative de l’Ontario

Si les chercheurs ont produit quantité d’études sur les députés novices à la Chambre des communes, en revanche, bien peu de recherches ont été faites sur les difficultés et les situations auxquelles sont confrontés les députés novices au niveau provincial. Dans le présent article, l’auteure examine l’incidence de cette injection de « sang neuf » sur la bonne gouvernance au niveau provincial. L’étude se fonde principalement sur des entrevues faites après les élections provinciales d’octobre 2007 auprès de députés provinciaux, nouveaux et anciens, du personnel législatif et d’autres personnes directement touchées par le processus politique à Queen’s Park. Les principales questions abordées dans la présente étude sont : dans quelle mesure les députés novices insufflent-ils une vitalité et une énergie nouvelles à l’Assemblée législative provinciale? Comment leurs efforts se manifestent-ils et se différencient-ils de ceux de leurs prédécesseurs? Quels défis lancés par des députés bien établis cherchant à maintenir les usages habituels et le statu quo doivent relever les députés novices nourrissant des ambitions novatrices?

Le rôle d’un simple député provincial consiste « à épouser fidèlement les politiques de son parti à l’Assemblée et sur les tribunes populaires; à faire office d’ombudsman pour ses électeurs; à se familiariser à fond sur des secteurs de politique complexes »1. Quand on leur a demandé de définir ce qu’était un député « efficace » et si des années d’expérience en politique jouaient un rôle déterminant, les personnes interrogées ont donné des réponses différentes, qui, toutefois, avaient toutes pour thème la relation entre le député et ses électeurs2.

Yasir Naqvi, député provincial novice d’Ottawa-Centre, a déclaré qu’un « député efficace » répond aux besoins de sa collectivité locale, est à l’écoute de ses électeurs, s’engage dans des programmes de sensibilisation, est en mesure d’établir l’ordre de priorités des enjeux et se met immédiatement au travail sur ceux-ci. Bref, un député « efficace » « ne se laisse pas entraîner dans le tourbillon de la vie à Queen’s Park ». Tout en reconnaissant qu’en tant que députée novice, elle était encore dans la phase d’apprentissage de ce qu’est un député « efficace », la députée de York-Sud—Weston, Laura Albanese, était d’accord avec son collègue du caucus libéral, soulignant qu’un « député efficace » « a à cœur les besoins de sa collectivité ».

Charles Sousa, député novice de Mississauga-Sud, est d’avis qu’il est très important non seulement de rester en contact avec ses électeurs, mais encore de faire preuve de respect, de sincérité et de compassion dans ses relations avec autrui, qu’il s’agisse de ses électeurs comme des membres de son personnel. De même, sur cette question de l’importance accordée aux qualités et au comportement des députés, la représentante provinciale d’Oak Ridges—Markham, Helena Jaczek, a nommé quelques députés provinciaux qu’elle considérait comme des modèles de députés « efficaces ». Au nombre des qualités partagées par ceux-ci, elle a signalé « la capacité de rester calme, de fournir des données factuelles solides et de maintenir un ton de voix posé. Ces députés remercient leurs collègues de leurs questions et sont respectueux lorsqu’ils répondent calmement aux questions. Ils se préoccupent aussi vivement de leur collectivité et communiquent avec leurs électeurs. »

Selon Paul Miller, député novice de Hamilton-Est–Stoney Creek qui possède de l’expérience en politique municipale, est efficace tout député « qui n’oublie jamais d’où il vient et qui l’a élu, et qui connaît sa circonscription de fond en comble. Un “député efficace? n’hésite pas à rendre compte à ses électeurs et à ses pairs après un mandat à Queen’s Park. »

En sa qualité de députée chevronnée, servant un cinquième mandat comme députée provinciale de Kitchener—Waterloo, Elizabeth Witmer considère comme efficace tout « député qui est heureux de ce qu’il fait. Il faut travailler fort tous les jours, maintenir une vie équilibrée, suivre l’actualité et être responsable envers la population représentée. Servir ses électeurs devrait être considéré comme la priorité. » Cette réponse montre que l’importance accordée aux préoccupations des électeurs ne diminue pas avec le nombre d’années passées à Queen’s Park.

Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration à l’époque de l’entrevue, Michael Chan, député provincial de Markham, a déclaré : « Les années d’expérience en politique n’ont pas d’effet automatique sur le rang au sein du caucus, bien que de l’importance y soit attachée. Toutes ces années passées au service du public méritent d’être soulignées. Toutefois, nous sommes tous des collègues et nous nous efforçons tous le plus possible de nous écouter les uns les autres, car nous avons tous des points de vue différents. »

Ayant été député provincial novice pendait huit mois, Paul Ferreira, ex-député de York-Sud—Weston, a dit : « Un député efficace sait attirer l’attention sur un enjeu et apporter des changements avec un projet de loi. Il peut aussi guider ses électeurs dans les méandres de la bureaucratie, prendre position et se faire remarquer, et porter des dossiers importants à l’attention des médias et du gouvernement. » D’aucuns diront qu’un député provincial expérimenté connaît mieux la bureaucratie, ce qui lui permet de mieux composer avec les chinoiseries administratives.

Il est intéressant de constater que, si les députés associaient principalement efficacité et qualité du lien entre le député et ses électeurs, les gens de l’extérieur de l’Assemblée (c’est-à-dire les médias locaux, les lobbyistes et les parties prenantes) qui entretiennent des liens directs avec les députés avaient, par contre, une idée légèrement différente de ce qu’est principalement un « député efficace ». Chris Benedetti a une présence majeure à Queen’s Park comme lobbyiste de haut rang d’un cabinet de relations gouvernementales, le Sussex Strategy Group, qui informe les députés sur des dossiers ayant une importance marquée pour ses clients, trouvant souvent des moyens d’évaluer en quoi ces dossiers ou ces motifs de préoccupation influent sur les intérêts des députés, et suscitant un climat de réciprocité. Selon lui, «  un député efficace participe souvent aux débats à l’Assemblée, dialogue avec des parties prenantes de sa collectivité et d’ailleurs, et contribue à la résolution de problèmes et à la réalisation de changements en présentant des projets de loi ou en les appuyant. Les années d’expérience déterminent absolument le rang au sein du caucus, ce qui influe ensuite sur le degré d’efficacité de l’intéressé. » Répondant à la même question, Jim Coyle, chroniqueur d’affaires publiques du Toronto Star, a écrit :

La plupart d’entre eux sont des citoyens exemplaires qui sont résolus à travailler et à changer les choses et qui sont conscients de leurs responsabilités. Ils ont rarement, voire jamais, l’intention de se préparer ainsi un nid douillet. Ils doivent être à la fois partiellement idéalistes, masochistes, bagarreurs, un peu cyniques et un peu charmeurs. Ils doivent être des généralistes capables de passer du jour au lendemain pour des spécialistes sur n’importe quelle question. Ils doivent traiter chaque électeur comme si ses problèmes étaient les plus graves du monde. Ils doivent savoir quand aboyer et quand user de flatteries pour faire avancer leurs dossiers et attirer l’attention sur ceux-ci. Dans leur circonscription, ils doivent être visibles et disponibles. Ils doivent avoir l’épiderme endurci, de grandes oreilles, une vue perçante et de bonnes antennes, tout en sachant éviter la moindre incartade, eux qui sont presque constamment sous l’œil du public. Nombre d’entre eux affirment qu’ils n’auraient jamais raté cette chance, mais qu’ils ne répéteraient pas l’expérience. À vrai dire, on ne me paierait jamais assez pour le faire.

Coyle n’est pas le seul à dire que la vie de député est trépidante et stressante. Une majorité de députés provinciaux interviewés ont admis ne plus avoir la maîtrise de leur vie et de leur horaire. Heureusement pour les députés novices, l’Assemblée législative de l’Ontario met à leur disposition un processus d’orientation qui les aide à s’adapter en douceur à leurs nouvelles responsabilités et fonctions exigeantes. Si certains, qui ont acquis une expérience politique dans leur vie antérieure, connaissaient bien le processus législatif, il reste que tous les députés novices interviewés avaient le sentiment d’être tout de suite jetés dans la fosse aux lions.

De simples députées novices comme Laura Albanese (circonscription de York-Sud—Weston) et Helena Jaczek ont bien aimé leur période d’apprentissage initiale qui leur a permis de se familiariser avec la structure institutionnelle, leurs responsabilités ministérielles et ce qu’il faut pour être une « députée efficace ». Contrairement à elles, quelques députés libéraux novices n’ont pas eu la même chance, ayant été presque immédiatement nommés au Cabinet. Selon Mme Jaczek, c’est une grave erreur que de nommer ministre un député novice, compte tenu du grand nombre de connaissances à acquérir rapidement pour un tel poste. Elle estime qu’au moins une année d’exposition aux rouages parlementaires est nécessaire pour être totalement à l’aise et confiant.

À cet égard, Coyle a écrit :

La vaste majorité des nouveaux députés profiteraient d’une période d’apprentissage pour se familiariser avec l’Assemblée législative, son histoire et ses procédures. Certains, du fait de leur intelligence innée, de l’expérience acquise dans le secteur privé et de leur capacité d’apprendre et de réagir rapidement, peuvent assurer des responsabilités ministérielles dès le départ […] Il est presque impossible de comprendre les difficultés de pareil poste et le fonctionnement du Cabinet avant d’y avoir été admis.

Son avis est partagé par nombre de ceux à qui j’ai parlé et qui ont un lien direct avec l’Assemblée législative, sont d’anciens députés ou ministres, voire de simples députés novices. La variété de réponses à cette question témoigne de ce que les caractéristiques et traits personnels, l’ambition et l’inspiration et les relations établies entre les députés et les électeurs constituent tous d’importants facteurs du succès des « députés efficaces ». Cela est reconnu par tous, qu’il s’agisse des anciens comme des nouveaux dans l’arène politique. En ce qui concerne la question de savoir ce qui fait qu’un député est efficace, j’ai déterminé que c’était la capacité du député d’entrer en relation avec ses électeurs et de défendre leur point de vue à l’Assemblée législative (quel que soit le nombre d’années pendant lesquelles il a été en politique), une vision claire d’un Ontario meilleur et le fait que le député soit un ministre ou un simple député ministériel ou un député de l’opposition. Dans une assemblée de 107 députés, il est nettement plus difficile d’influer de façon marquée sur des changements, notamment si l’on ne fait pas partie du gouvernement. La question de savoir si les ambitions et inspirations initiales de ces nouveaux députés changeront inévitablement durant leur carrière politique est traitée ci-dessous.

L’art de maintenir l’équilibre entre ses priorités

Dans Mr. Smith Goes to Ottawa, un réputé chercheur universitaire, David C. Docherty, traite des sentiments que ressentent pour la première fois les politiciens faisant route pour Ottawa afin de devenir députés sur la Colline :

La plupart des nouveaux députés arrivent à Ottawa en espérant pouvoir faire changer les choses et en pensant que, par leur participation politique, ils pourront avoir une influence déterminante. Après quelques mois, ils se rendent compte qu’il ne suffit pas d’être optimiste et d’avoir de bonnes idées. Le Cabinet, le caucus, la discipline de parti et un fort leadership hiérarchique viennent faire obstacle à leurs plans de représenter inébranlablement leurs électeurs et leurs partisans. Or, à l’instar de M. Smith, ils découvrent d’autres facettes de leur travail de politique qu’ils trouvent agréables, comme la satisfaction de fournir des services individuels à des électeurs ou des services gouvernementaux à la circonscription tout entière3.

Quand ils font leur entrée au Parlement, les nouveaux députés croient avec confiance pouvoir surmonter n’importe quel défi, défendre fermement leurs électeurs et changer des choses, mais ils se rendent compte de la réalité des obstacles bureaucratiques, ce qui les incite évidemment à tourner leur attention principalement vers la satisfaction des besoins à court terme de leurs électeurs au lieu de chercher à faire changer les choses à long terme sur le plan des politiques. Ayant travaillé comme journaliste et chroniqueur à Queen’s Park durant 30 ans, Jim Coyle a couvert quatre élections provinciales, vu les trois grands partis — les progressistes-conservateurs, les libéraux et les néo-démocrates — exercer le pouvoir et une demi-douzaine de députés occuper le poste de premier ministre. Ayant pu comparer les différents styles de gestion et conceptions du pouvoir, il a pu dégager des constantes dans l’exercice due celui-ci, quels que soient l’époque ou le parti au pouvoir. Il a écrit :

Dans la vaste majorité des cas, les candidats se présentent pour des raisons admirables. Il s’agit, la plupart du temps, de leaders locaux qui veulent améliorer le sort de leur collectivité et donner une voix à leurs électeurs. Parfois, c’est l’étape logique suivante après un poste au niveau municipal. D’autres ont été commissaires d’école ou défenseurs de la réforme de l’éducation. D’autres encore s’intéressent à une question en particulier et sont motivés par la passion ou la colère. D’autres enfin sont déterminés à faire tomber un gouvernement qu’ils abhorrent.

J’ai commencé toutes mes entrevues par des questions susceptibles de m’aider à déterminer ce qui avait poussé un groupe représentatif de députés à se lancer en politique : « Comment décririez-vous le moment où vous avez déterminé que vous étiez prêt à briguer les suffrages? Quelles étaient vos motivations et ambitions initiales? Qu’est-ce qui a changé depuis votre arrivée à l’Assemblée législative? » Tous ont dit à quel point ils ont été bouleversés et remplis d’humilité lorsqu’ils ont pris conscience de l’énorme responsabilité que leur confiaient leurs électeurs. Après les élections provinciales d’octobre 2007, qu’ils soient novices ou vétérans, tous les députés étaient émerveillés et optimistes, galvanisés par l’occasion qui leur était offerte de servir leurs électeurs et d’entrer dans l’histoire de l’Ontario (ou de poursuivre leur cheminement dans ce sens). La plupart des députés novices ont expliqué ce qui les a poussés à se porter candidats dans leur discours inaugural à l’Assemblée législative. Il s’agit là de l’occasion rêvée pour les nouveaux députés de montrer leurs talents d’orateurs à leurs collègues députés, de parler de leurs électeurs et de remercier ceux qui les ont aidés durant la campagne électorale.

Deux nouveaux députés en particulier m’ont semblé être représentatifs du niveau d’énergie, d’enthousiasme et d’optimisme qu’affichent les députés ministériels novices lorsqu’ils sont élus : ce sont Sophia Aggelonitis (députée de Hamilton—Mountain) et Yasir Naqvi. En plus d’être des députés novices, ils ont tous les deux décidé d’entrer en politique en raison de leurs antécédents familiaux. En effet, dès leur tendre enfance, leurs parents ont instillé en eux l’importance de redonner à la société canadienne ce qu’elle leur a donné et d’y contribuer. Lorsque les parents de Mme Aggelonitis ont émigré au Canada en 1960, l’obtention de la citoyenneté canadienne est devenue des plus importantes pour eux. « Je me souviens d’une journée froide d’octobre quand j’avais l’âge décisif de 8 ans. Nous nous rendions à pied au bureau de scrutin et, comme je faisais des caprices ainsi que le font tous les enfants normaux de cet âge, mon père s’est tourné vers moi et m’a dit : “Aucune de mes filles n’ira pas voter.” » Avec le ferme appui de sa famille et de ses amis (dont celle qui l’a précédée, Marie Boutrogianni), Mme Aggelonitis, à l’instar de tout autre député de Queen’s Park, a l’intention d’être une voix forte pour la population de sa circonscription. Lorsqu’on lui a demandé quelles étaient les enjeux auxquels elle projetait de s’attaquer durant son mandat à Queen’s Park, elle a répondu : « L’investissement à Hamilton, la création d’emplois et le développement économique; la possibilité d’étudier à l’Université McMaster pour tous les enfants de Hamilton; l’accès des personnes âgées à la santé et aux soins de longue durée; l’éducation et les services sociaux. »

C’est aussi sa famille qui a poussé M. Naqvi à faire de la politique. En effet, ses parents ont fait partie du mouvement pro-démocratie au Pakistan. À l’instar de sa collègue députée, M. Naqvi croit que c’est remplir son devoir civique que de faire de la politique partisane. Il a d’ailleurs toujours su qu’il se porterait candidat. Il projette de travailler sur trois questions fondamentales, qui concernent toute sa circonscription : 1) la résolution du problème de la sécurité publique (drogues et violence), de la prostitution et des piqueries; 2) le logement abordable — la création de collectivités saines; l’obtention de plus de financement et de ressources; 3) le transport en commun — assainir l’environnement en favorisant la mise en œuvre du projet de train léger sur rail.

Ce sont là les ambitions et les motivations des simples députés novices. J’ai cru toutefois qu’il serait intéressant de savoir quelles sont les priorités d’un ministre en particulier. Nouveau député et nommé au Cabinet pour la première fois, Michael Chan, député de Markham et ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration lors de l’entrevue, est entré en politique avec l’intention d’améliorer la vie de la population ontarienne. Plus particulièrement, étant lui-même un nouveau venu, il se propose d’atténuer les difficultés que doivent surmonter d’autres immigrants. « Mes propres expériences m’ont beaucoup appris et aidé dans mon travail de ministre. » Au nombre des enjeux et problèmes fondamentaux sur lesquels il souhaite travailler durant son passage au Cabinet, on compte principalement l’élargissement des perspectives pour les Ontariens. Ses grands objectifs seront : « L’investissement dans la formation et l’éducation, l’investissement dans l’infrastructure, le financement et le soutien de l’innovation, la baisse des coûts des entreprises et le renforcement des principaux partenariats afin de réaliser le plein potentiel de l’Ontario. »

Libérale jusqu’au bout des ongles, Mme Jaczek diffère de plusieurs des députés que j’ai interviewés et qui sont entrés en politique en raison de leurs antécédents familiaux.

C’est la politique comme telle qui m’attire. Mon ambition est d’entrer au Cabinet et de m’attaquer à un secteur en particulier. Pour l’instant, je ne me concentre sur aucun sujet brûlant précis. Je projette de consacrer ma première année à l’Assemblée législative à acquérir une connaissance approfondie du processus parlementaire et législatif. Je me propose de le faire en m’immergeant totalement dans le processus et en profitant de toutes les occasions de prendre la parole à l’Assemblée.

C’est donc son aversion pour le gouvernement de Mike Harris de 1995 qui l’a poussée à faire de la politique. Voulant jouer un rôle actif dans un gouvernement centriste, elle est entrée en contact avec le premier ministre McGuinty en 2001, qui avait exprimé le souhait de recruter davantage de professionnels au sein de son gouvernement. Elle a admis – et elle n’est pas la seule à dire qu’il y a un climat compétitif dans le caucus – avoir l’ambition de devenir ministre un jour. Lorsqu’on lui a demandé son avis sur certains des défis que doivent relever les députés novices nouvellement arrivés à Queen’s Park, Chris Benedetti a dit : « Il est parfois difficile de travailler avec des députés novices qui n’ont pas encore pris pleinement conscience du rôle qu’ils doivent jouer au sein du gouvernement et de l’influence qu’ils peuvent exercer sur l’élaboration des politiques. Il arrive souvent que les nouveaux députés ne s’intéressent qu’aux quelques enjeux et préoccupations qui les ont fait élire. Il leur faut du temps pour bien saisir les grandes questions d’intérêt public. »

Points de vue de l’extérieur sur les députés provinciaux novices

Si les motivations initiales des députés dont il a été question plus haut sont admirables, il reste à savoir si elles s’estompent au fil du temps, selon la durée du mandat exercé par les députés à Queen’s Park. Quand on lui a demandé si les ambitions et les aspirations initiales changent, M. Coyle a répondu :

Quant à savoir si les députés changent au fil des ans, la réponse est, hélas, oui. Ce qui est si charmant dans les premiers discours dure rarement bien longtemps. Ils ont tôt fait d’apprendre que les simples députés possèdent très peu de pouvoirs et à quel point il est difficile d’obtenir des résultats. D’innombrables députés ont fini par apprendre qu’ils n’exercent guère d’influence, depuis que le pouvoir est passé de l’Assemblée législative et des députés au cabinet du premier ministre et à des non-élus œuvrant en coulisse, au cours du dernier quart de siècle. Nombre d’entre eux sont partis désillusionnés et irrités par cette situation.

Une employée du bureau du whip en chef du gouvernement, Carol Price, a donné son avis sur la question de savoir si les ambitions et les priorités des députés changent entre le moment où ils sont élus et plus tard durant leur mandat :

En arrivant ici, les députés croient qu’ils pourront faire changer des choses, que ce soit dans leur circonscription ou dans l’ensemble de la province. Ils se rendent vite compte que ce n’est pas aussi simple, mais qu’ils peuvent, à tout le moins, faire valoir le point de vue de leurs électeurs. Les députés apprennent rapidement que rien ne se fait du jour au lendemain. Le changement est un long processus qui possède son propre système de poids et contrepoids. Chacun des députés prend vite conscience qu’il est, d’abord et avant tout, rendre des comptes aux électeurs qui l’ont élu.

Gardant ces citations à l’esprit, on en vient naturellement à poser la même question à un député expérimenté représentant sa circonscription depuis un certain nombre d’années et qui, de ce fait, a acquis une meilleure compréhension du système législatif et de la lenteur du processus de changement. Ambitionnant de devenir la première femme à occuper le poste de premier ministre de l’Ontario, Elizabeth Witmer, députée de Kitchener—Waterloo, a centré son attention dans les années 1990 sur des questions comme le ralentissement économique, les pertes d’emplois et de possibilités, l’éducation et la fourniture de soins de santé à domicile :

Mon ordre de priorités n’a pas changé depuis les années 1990, les problèmes non plus. Les étudiants qui terminent leurs études ont toujours du mal à trouver un emploi en Ontario; les délais d’attente dans les hôpitaux sont toujours longs et il y a toujours une pénurie de médecins. Ma démarche a peut-être changé par suite des succès que j’ai obtenus durant ces années-là grâce à l’excellence de mon personnel, aux relations avec les parties prenantes et à la collaboration entre les trois partis pour améliorer le bien-être de la province tout entière.

Un changement digne de mention est la tendance pour les nouveaux députés d’être issus d’une variété de professions : le droit, les banques, les entreprises et le génie, notamment. J’ai constaté que les nouveaux députés ne possèdent pas d’expérience politique précédente (c’est-à-dire à titre de conseiller municipal ou scolaire), comme c’était le cas des députés plus anciens qui avaient déjà fait de la politique avant de briguer les suffrages à des élections provinciales. David Docherty a formulé une observation semblable en parlant des politiciens qui se présentent au niveau fédéral. On a dit que personne ne survivrait sur la Colline du Parlement sans avoir acquis de l’expérience au niveau provincial. Le député provincial Paul Miller souscrivait à cette théorie, soutenant qu‘« il est important d’avoir acquis de l’expérience en politique municipale (comme conseiller scolaire ou municipal) avant de se lancer en politique provinciale — sinon on a vécu une vie bien douillette. Il faut avoir fait l’expérience concrète de quelque chose pour pouvoir comprendre vraiment de quoi il retourne. » Price n’était pas d’accord. Il n’est pas nécessaire d’avoir une expérience politique antérieure pour entrer dans un caucus. En fait, Carol Price a fait remarquer qu’« il pourrait même être plus difficile de s’intégrer à un caucus provincial si on avait de l’expérience à l’échelon municipal. Si on fait cavalier seul en politique municipale, au niveau provincial, on est un joueur d’équipe. L’air est différent ici à Queen’s Park. »

Un certain nombre de transitions apparentes se sont produites dans la culture et la vie à Queen’s Park ces dernières décennies. L’Ontario a connu plusieurs grands balayages. En 1987, nous avons eu un gouvernement majoritaire libéral, en 1990, un gouvernement majoritaire néo-démocrate et, en 1995, un gouvernement majoritaire conservateur. Puis, après huit années de règne conservateur, il y a eu deux gouvernements libéraux fortement majoritaires, en 2003 et en 2007. Les balayages électoraux ont habituellement pour effet que des candidats se font élire la première fois députés ministériels, ce qui leur impose immédiatement des contraintes et les prive de l’expérience utile qu’ils auraient pu acquérir dans l’opposition et de la liberté relative dont jouit celle-ci par rapport au parti ministériel. Un changement de gouvernement s’accompagne non seulement d’idées « fraîches » et d’une énergie nouvelle, mais encore d’attitudes, de relations, de conceptions et de tendances nouvelles. Pour le ministre novice Chan, toutefois, le seul effet qu’a eu le temps sur ses priorités, c’est que sa conception de la politique et son sens de responsabilité se sont raffermis. En sa qualité de ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, il a rencontré nombre de nouveaux arrivants en Ontario. « Ces relations nous rappellent constamment pour qui travaillent les pouvoirs publics et ce pour quoi nous travaillons. » Une autre transformation apparente dans l’évolution de la culture de Queen’s Park concerne le changement des attitudes, des personnalités et des relations entre les journalistes et les politiciens, voire entre les députés des différentes formations politiques. Dans les années précédentes, il régnait à l’Assemblée un bien meilleur esprit de collaboration, selon des députés plus anciens comme Frances Lankin.

Un facteur a eu un énorme impact sur tous les députés provinciaux, y compris les nouveaux. Il s’agit de la forte diminution du nombre de journalistes présents à la tribune de la presse au fil des ans à Queen’s Park. La tribune est maintenant beaucoup plus branchée sur Toronto et compte beaucoup moins de journalistes. À mon avis, nous avons beaucoup perdu au change. Lorsque j’ai parlé avec de nouveaux députés, ils m’ont dit être même surpris qu’un journaliste leur adresse la parole. Il y avait à l’Assemblée un bien meilleur esprit de collaboration. Il n’était pas du tout inhabituel que les journalistes et les députés de tous les partis s’assoient autour de la grande table de la tribune de la presse pour boire de la bière et se raconter des blagues après les heures de séance. On attendait des nouveaux venus qu’ils se taisent et qu’ils écoutent. C’était une merveilleuse façon d’apprendre la culture et l’histoire de l’institution.

Depuis l’élection de gouvernements plus idéologiques en 1990 et 1995, tous les partis semblent s’être retranchés dans leurs camps, remplaçant l’esprit de collaboration par la confrontation entre les partis et avec la tribune de la presse ainsi que par la méfiance mutuelle.

Conclusion

En somme, en quoi l’arrivée de nouveaux députés à l’Assemblée législative a-t-elle influé sur la bonne gouvernance de l’Ontario? Parmi les tendances et les théories communes qui se dégagent de ma recherche qualitative, mentionnons la nature changeante des relations entre les députés (c’est-à-dire les rivalités entre les députés ministériels qui aspirent à un rôle au sein du Cabinet, la méfiance qu’éprouvent les partis les uns envers les autres et celle qu’éprouvent les députés envers la tribune de la presse). Ce qui fut naguère un cercle de vieux amis sympathique se transforme peu à peu en champ de bataille, où tous les députés s’entredéchirent pour la reconnaissance et le pouvoir. Une autre tendance évidente est le fait que les députés qui possèdent plus d’ancienneté et dont la réputation est bien établie dans leur circonscription axent davantage leur travail sur les changements de politiques à long terme à Queen’s Park, alors que les députés novices qui n’ont pas encore gagné la confiance de leurs électeurs ont besoin d’une période d’initiation durant laquelle ils se concentrent sur la satisfaction des besoins à court terme de la population.

Quand, en guise de dernière question de l’entrevue, j’ai demandé aux députés quel conseil ils donneraient aux jeunes d’aujourd’hui qui souhaitent devenir les leaders de demain, la plupart ont répondu qu’ils devraient participer le plus possible aux activités communautaires et rester en contact avec leurs électeurs. Le maintien de liens reste une composante fondamentale de toute bonne gouvernance. Au terme de la présente étude, j’ai déterminé qu’un équilibre était maintenu à Queen’s Park : les députés novices rappellent l’importance de nouer des relations enthousiastes et renouvelées avec leurs électeurs, tandis que, de leur côté, les députés plus anciens veillent à ce que les objectifs des politiques à long terme soient atteints afin d’améliorer le bien-être de toute la population ontarienne. En définitive, c’est un bel équilibre qui profite à toute la province d’Ontario.

Notes

1. David Pond, The Role of the Backbencher », Service de recherches de l’Assemblée législative, Bibliothèque législative de l’Ontario, juillet 1995, p. 1. Current Issue Paper 103.

2. Au nombre des députés provinciaux novices qui ont été interviewés pour le présent article, on compte :

Sophia Aggelonitis (Parti libéral, Hamilton Mountain);

Laura Albanese (Parti libéral, York-Sud–Weston);

Michael Chan (Parti libéral, Markham);

Helena Jaczek (Parti libéral, Oak Ridges–Markham);

Amrit Mangat (Parti libéral, Mississauga–Brampton-Sud);

Yasir Naqvi (Parti libéral, Ottawa-Centre);

Charles Sousa (Parti libéral, Mississauga-Sud);

Paul Miller (Nouveau Parti démocratique, Hamilton-Est–
Stoney Creek);

Sylvia Jones (Parti progressiste-conservateur, Dufferin–
Caledon);

Peter Shurman (Parti progressiste-conservateur, Thornhill);

France Gélinas (Nouveau Parti démocratique, Nickel Belt);

Bob Bailey (Parti progressiste-conservateur, Sarnia).

Autres personnes interviewées :

Paul Ferreira : ancien député provincial de York-Sud–Weston;

Elizabeth Witmer : députée provinciale de longue date (1990
à aujourd’hui);

Frances Lankin : ancienne députée provinciale (Beaches–
Woodbine, de 1990 à 2001), Nouveau Parti démocratique;

Carol Price : employée politique du bureau du whip en chef
du gouvernement, Parti libéral;

Chris Benedetti : lobbyiste du Sussex Strategy Group, cabinet
de relations gouvernementales;

Jim Coyle : chroniqueur d’affaires provinciales, Toronto Star.

La plupart des entrevues ont duré entre 45 et 60 minutes environ. S’ils ne pouvaient donner d’entrevue en face à face, les intéressés ont envoyé leurs réponses par courriel. Toutes les questions de l’entrevue ont été envoyées aux intéressés à l’avance par courriel. Quelques bureaux de députés novices n’ont pas répondu à ma demande d’entrevue et un seul d’entre eux a directement refusé de m’accorder une entrevue.

3. David C. Docherty, Mr. Smith Goes to Ottawa, Vancouver, UBC Press, 1997.

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