Le rôle du gouverneur général : enseignements en provenance de l’Australie et d’ailleurs dans le Commonwealth

Article 4 / 11 , Vol 33 No 4 (Hiver)

Le rôle du gouverneur général : enseignements en provenance de l’Australie et d’ailleurs dans le Commonwealth

À un moment où les Canadiens sont aux prises avec les questions de la prorogation, des élections à date fixe et même de l’appellation de leur chef d’État, il est utile de jeter un regard sur des pratiques en vigueur dans d’autres pays du Commonwealth. Évidemment, chaque pays possède en propre une tradition et des conventions, mais nous pouvons mieux comprendre les enjeux qui se posent au Canada si nous les abordons dans une démarche comparative. La présente étude passe en vue des développements récents, y compris le rôle du gouverneur général dans la formation ou la chute d’un gouvernement.

Le Canada possède une vieille, d’aucuns la qualifieraient d’antique, charte constitutionnelle, qui, avant que ne soit votée la Loi constitutionnelle de 1982, n’était pas assortie d’un mécanisme de modification autonome, fonctionnant de manière indépendante, Même aujourd’hui, la Constitution ne prévoit qu’un processus de modification très lourd et laborieux. Ainsi, l’écart ne cesse de se creuser entre la Constitution, la loi dans les livres, et ce qui se produit concrètement en vertu de ce texte. Elle devient un fardeau composé des conventions constitutionnelles et de nombreuses autres pratiques gouvernementales raisonnables, tolérées et officieuses qui visent à combler ce fossé.

Depuis l’adoption de la deuxième loi de réforme de 1867 au Royaume-Uni et le vaste élargissement qui en a résulté du droit de vote aux hommes adultes, le lieu de prédilection pour la mise en place de modifications d’ordre constitutionnel ou juridique et pour l’élaboration de nouvelles lois au Royaume-Uni est la Chambre des communes.

Depuis 1867, la Couronne, en Grande-Bretagne, a toujours suivi les conseils du premier ministre concernant la dissolution du Parlement et de nouvelles élections générales. Cela n’empêche ni n’entrave, à quelque moment que ce soit, un échange de vues libre, franc et privé quant au mérite de mesures ou de politiques particulières qui sont proposées. C’est dans ce cadre, d’après tous les éléments dont nous disposons, que le rôle de la reine actuelle, laquelle, après tout, a rencontré plus d’une douzaine de premiers ministres successifs, à commencer par Winston Churchill, continue d’être efficace et persuasif dans le régime constitutionnel britannique.

Cette efficacité découle de l’expérience pragmatique, du bon sens et du réalisme, acquis au cours d’une longue vie de service public et s’exprimant dans une persuasion amicale et non au moyen de l’invocation ou de la menace de prérogatives constitutionnelles, peu importe ce qu’elles sont devenues aujourd’hui du fait de l’évolution de coutumes et de conventions. Telles sont les qualités personnelles cruciales à rechercher dans la quête d’un gouverneur général moderne de nos jours. Il faut éviter toute fixation superflue sur les compétences en droit constitutionnel, en elles-mêmes. Il se trouve que la gouverneure générale Clarkson les possédait aussi, mais ce sont les autres qualités, d’ordre personnel, qui lui ont valu son succès dans l’accomplissement de son mandat.

Un mot sur l’appellation

Le terme « chef d’État » n’est pas un terme constitutionnel ayant valeur légale au Canada. Il n’est pas mentionné dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de1867, le document fondateur, ni dans aucune des modifications ultérieures, y compris dans le dernier grand projet de réforme constitutionnelle, la Loi constitutionnelle de 1982. Employé avec ou sans l’ajout poli de « en titre », il représente simplement un terme de science politique commode pour différencier ce poste et ses fonctions et pouvoirs du poste de chef de gouvernement dans le cadre du système exécutif dualiste prévu par le modèle de Westminster.

Du point de vue de l’expérience comparée du droit constitutionnel avec d’autres régimes constitutionnels inspirés du modèle de Westminster qui, à l’instar de ceux du Canada et de l’Australie, avaient des liens historiques avec le vieil empire britannique et, plus tard, avec le Commonwealth, la République d’Irlande a élu directement au suffrage universel ses plus récents chefs d’État, appelés présidents aux termes de la Constitution de 1937 dans un système exécutif dualiste (chef d’État/chef de gouvernement). La République d’Inde, fonctionnant aussi au moyen d’un régime exécutif dualiste du type de Westminster, a emprunté cette voie, avec un président, à titre de chef d’État, également élu, bien que par l’intermédiaire d’un mode de scrutin indirect, auquel participent tous les membres des deux chambres du Parlement fédéral, mais aussi des parlements des États.

Le fait de conférer à notre gouverneur général le titre de chef d’État n’altère ni ne diminue, ni peut le faire en soi, le rôle de la reine au Canada de nos jours, en dépit de commentaires publics occasionnels plutôt angoissés qui soutiennent le contraire.

Le débat sur la prorogation

La prorogation, obscur processus juridique, avec ses racines anglaises remontant à la guerre des Deux-Roses, qui avait théoriquement été « reçue » au Canada avec l’adoption de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867, n’était guère connue des chefs de partis et de leurs députés en général au moment elle a fait l’objet de tant de furieuses argumentations publiques dans les derniers jours de novembre 2008. On peut aisément comprendre un manque évident de compréhension des tenants et aboutissants fondamentaux d’un processus qui n’est qu’un vestige d’une autre époque, mais il n’était certainement pas justifié d’affirmer alors que son emploi de nos jours serait « sans précédent ».

La comparaison de pratiques semblables au sein du Commonwealth avec des pays qui, comme le Canada, possèdent des régimes du type de Westminster, indique clairement que la prorogation a été et sera accordée sans autre forme de procès à la demande d’un premier ministre. Dans la pratique canadienne, elle aurait été accordée 105 fois depuis la Confédération en 1867, à la demande de premiers ministres aussi bien libéraux que conservateurs au fil des ans, et jusqu’à ce jour. Ces requêtes sont manifestement liées au calcul, de la part de ces premiers

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