Sur les rayons
Peter Aucoin, Mark D. Jarvis et Lori Turnbull, Democratizing the Constitution, Reforming Responsible Government, Toronto, Emond Montgomery Publications, 2011.
Durant les années de gouvernements minoritaires, les analystes politiques ont maintes fois déploré l’état de notre démocratie parlementaire canadienne et souvent fait valoir qu’il fallait engager un dialogue sérieux à cet égard. Bien que les chercheurs aient tenté de faire la lumière sur certains enjeux, ils ont essentiellement vilipendé le premier ministre, préconisé une attitude moins partisane, proposé la représentation proportionnelle ou évoqué le besoin d’un manuel à l’intention du Cabinet qui établirait les règles de gouvernance. Or, ces propositions n’auraient réglé quoi que ce soit.
Aujourd’hui, grâce à la publication de ce livre, nous pouvons enfin discuter sérieusement de la question. Les auteurs ont mené une analyse approfondie des problèmes de notre démocratie parlementaire et formulé certaines propositions sérieuses pour les résoudre. Les circonstances qui ont emporté Peter Aucoin en juillet 2011, soit quelques semaines après la publication de cet ouvrage, sont tragiques. Toutefois, ce livre témoigne dignement d’une carrière consacrée à l’étude et à la réforme de nos institutions parlementaires.
Selon les auteurs, le problème canadien est double : constitutionnel et parlementaire. Sur le plan constitutionnel, le problème tient au fait qu’un premier ministre peut « abuser de ses pouvoirs constitutionnels pour convoquer, proroger et dissoudre la Chambre des communes, et ce, dans le but de faire avancer les intérêts partisans du parti au pouvoir » (p. 4). Sur le plan parlementaire, il réside dans le fait que le premier ministre peut abuser des règles et des procédures de la Chambre des communes qui visent à permettre au gouvernement de gérer les travaux de celle-ci de façon ordonnée.
Les auteurs soulignent les exemples d’abus aujourd’hui bien connus qui ont eu lieu au cours des dernières années. Toutefois, ils insistent, et à juste titre, sur le fait que le premier ministre Harper est loin d’être le seul et unique premier ministre à être coupable d’un tel comportement. En effet, celui-ci est endémique dans notre système. Pensons notamment à la décision de Joe Clark d’attendre 142 jours avant de convoquer le Parlement après avoir été élu, en 1979. On n’aurait jamais toléré une telle chose dans d’autres démocraties qui s’inspirent du modèle de Westminster. Jean Chrétien a eu recours à la prorogation afin de retarder le dépôt du rapport de la vérificatrice générale sur le scandale des commandites jusqu’à ce que son successeur entre en fonction. Les exemples abondent.
Un chapitre du livre est consacré au gouvernement responsable en Australie, en Nouvelle-Zélande et au Royaume-Uni, mais ne conclut pas pour autant que nous devons adopter leur pratique consistant à répertorier les conventions dans un manuel à l’intention des membres du Cabinet. Dans notre cas, un recueil de précédents se résumerait à un catalogue de mauvaises pratiques. Le message des auteurs semble être : « Dotons-nous d’un système fonctionnel avant même d’essayer d’en mettre les pratiques par écrit! »
Les auteurs se penchent sur le rôle des conventions non écrites dans notre régime parlementaire. Selon eux, le fait que certaines conventions ne fassent jamais consensus nous laisse dans une sorte d’impasse constitutionnelle où nous avons très peu de protection contre le pouvoir arbitraire.
Un autre chapitre porte sur la formation du gouvernement et s’en prend au principe peu judicieux selon lequel un gouvernement ne peut être formé qu’à l’issue d’une élection et que seul le parti qui remporte le plus grand nombre de sièges lors d’une élection peut être appelé à former un gouvernement.
Au début de la dernière campagne électorale fédérale, des déclarations tant du premier ministre, Stephen Harper, que du chef de l’opposition, Michael Ignatieff, ont ajouté à la confusion au sujet de cette convention constitutionnelle. En fait, personne n’est « appelé » à former un gouvernement après des élections. Le gouvernement au pouvoir demeure au pouvoir. Ce n’est que lorsqu’un gouvernement démissionne ou qu’il est défait à la Chambre que la question de la formation du gouvernement se pose. Cette question a rarement posé problème au Canada, mais elle est si fondamentale que le fait d’omettre de préciser cette convention affaiblit notre pays et risque de mener à son effondrement un jour ou l’autre.
Après avoir insisté sur tous les aspects dysfonctionnels de nos institutions, les auteurs proposent quatre solutions afin résoudre les problèmes d’ordre constitutionnel, quatre autres propositions de réforme de la gouvernance parlementaire et, enfin, deux propositions de réforme des partis politiques.
Leurs propositions d’ordre constitutionnel sont très semblables à celles présentées par le gouvernement de coalition en Grande-Bretagne à la suite des dernières élections. Voici en quoi elles consistent :
- établir des élections à date fixe, date qui ne pourrait être modifiée par le premier ministre à moins que la majorité des deux tiers des députés ait approuvé une motion visant à dissoudre le Parlement;
- adopter la procédure reposant sur la « défiance constructive », c’est-à-dire que l’opposition ne pourrait défaire le gouvernement qu’en présentant une motion de défiance explicite dans laquelle il serait également mentionné qui deviendrait le nouveau premier ministre;
- exiger le consentement de la majorité des deux tiers de la Chambre des communes pour proroger le Parlement;
- établir un délai de 30 jours tout au plus suivant des élections générales pour convoquer la Chambre des communes.
Ces modifications auraient pour but de remédier au problème central, à savoir que les premiers ministres peuvent abuser de leur pouvoir. Elles nécessiteraient toutes des modifications en bonne et due forme à la Constitution. Elles sont toutes fondamentales, si nous avons tiré des leçons de la période au cours de laquelle nous avons vécu sous des gouvernements minoritaires. Il est grand temps que nos élus, hommes et femmes, fassent abstraction du moratoire sur la modification de la Constitution qu’ils se sont imposé à la suite de l’échec de l’Accord du lac Meech et qu’ils commencent à nous libérer d’une forme de gouvernement dysfonctionnel pour en instaurer qui soit fonctionnelle.
Pour réformer le Parlement, les auteurs proposent que la Chambre :
- adopte une mesure législative visant à limiter le nombre de ministères à 25, et le nombre de secrétaires parlementaires, à 8;
- ait recours au mode de scrutin préférentiel secret pour la sélection des présidents des comités par les membres de ceux-ci pour la durée d’une législature;
- adopte un calendrier des journées consacrées à l’opposition à la Chambre qui ne puisse être modifié unilatéralement par le gouvernement;
- réduise de 50 p. 100 l’effectif du personnel politique (partisan) sur la colline du Parlement.
Bien entendu, il faut faire beaucoup plus pour réformer le Parlement, en particulier en ce qui concerne la façon dont le temps y est utilisé. Toutefois, ces propositions seraient un bon point de départ pour les députés de la 41e législature.
Pour réformer les partis politiques, les auteurs formulent les propositions suivantes :
- restaurer le pouvoir dont disposaient les caucus des partis pour destituer leurs chefs, y compris un premier ministre en fonction, et nommer un chef intérimaire;
- retirer aux chefs des partis leur pouvoir d’approuver ou de rejeter des candidats aux élections dans chaque circonscription.
Ces suggestions semblent faciles à mettre en œuvre, mais elles sont probablement plus difficiles à adopter que les propositions de réforme constitutionnelle, en fait. Quoi qu’il en soit, ces propositions font suite à une réflexion sur les problèmes constitutionnels et parlementaires et mériteraient peut-être d’être approfondies dans un ouvrage similaire, mais distinct, sur les partis politiques. Malheureusement, M. Aucoin n’est plus parmi nous pour contribuer à ce travail, mais espérons que ses deux collaborateurs poursuivront leur réflexion sur un gouvernement responsable.
Thomas Jefferson a écrit que « l’arbre de la liberté doit être revivifié de temps en temps par le sang des patriotes et des tyrans ». Certes, un gouvernement responsable n’inspire pas des mots aussi dramatiques, mais il doit lui aussi être repensé et revivifié. Espérons que chacun de nos politiciens, fédéraux et provinciaux, trouvera le temps de lire cet ouvrage et prendra son message au sérieux.
Gary Levy
Directeur
Revue parlementaire canadienne
Gaston Deschênes, L’Affaire Michaud : Chronique d’une exécution parlementaire, Septentrion, Québec, 2010.
Dix ans après les évènements, Gaston Deschênes, ancien cadre à l’Assemblée nationale du Québec, trace le récit de ce qui est maintenant connu comme l’Affaire Michaud. C’est le 14 décembre 2000 que l’Assemblée nationale, dans un geste que beaucoup ont, par la suite, qualifié d’impulsif, a adopté, à l’unanimité, une motion condamnant Yves Michaud pour des « propos inacceptables à l’égard des communautés ethniques et, en particulier, à l’égard de la communauté juive » tenus lors d’une audience des États généraux sur le français à Montréal. Ce geste, sans précédent dans une assemblée législative de tradition britannique, fit couler beaucoup d’encre et lança un débat encore non résolu sur la légitimité de ce genre d’action par l’Assemblée nationale. Au fil des pages, l’auteur nous guide à travers les années qui ont suivi cet évènement, période durant laquelle Michaud fut en quête constante de réparation pour ce qu’il considère comme étant une grave injustice à son égard.
Tout d’abord, Deschênes raconte le déroulement de cette journée du 14 décembre 2000. C’est à la suite d’une question de Jean Charest, alors chef de l’opposition, que le premier ministre Lucien Bouchard condamne en Chambre les propos d’un candidat à l’investiture péquiste dans la circonscription de Mercier, Yves Michaud. Il annonce que toute la députation ministérielle votera en faveur d’une motion de blâme proposée par un député libéral et appuyée par un péquiste.
Plus tard cette journée-là, la Chambre donne le consentement unanime requis pour débattre de la question sans préavis et, sans réflexion, la motion est mise aux voix et adoptée sur-le-champ. Personne n’a soulevé de doute, alors que l’auteur est d’avis que cette motion « n’aurait pas survécu à 24 heures de réflexions, soit la procédure normale pour toute motion de fond à l’Assemblée nationale » (p. 30).
Mais quels sont ces « propos inacceptables » au juste? Après avoir dressé une brève biographie d’Yves Michaud, militant souverainiste convaincu, ancien député et délégué général du Québec à Paris, Deschênes tente de retrouver ces propos « antisémites » qu’il aurait prononcés. On se rend compte rapidement qu’il semble qu’aucun parlementaire n’avait pris connaissance du discours de Michaud et que la transcription officielle ne faisait pas mention de propos antisémites. L’auteur nous entraine sur les pistes des ennemis politiques de Michaud et tente de comprendre comment le message de ce dernier a pu être transformé au cours des heures qui ont suivi son discours. Il semble que personne ne peut s’entendre sur la teneur exacte de ce qu’il a dit et que la réponse à cette question demeurera un mystère.
L’auteur détaille ensuite la réaction de Michaud, qui demande d’abord à être entendu par les députés, ainsi que celles d’autres acteurs du monde politique. De nombreuses personnalités, dont l’ancien premier ministre du Québec, Jacques Parizeau, signent une lettre ouverte condamnant le geste sans précédent perpétré par l’Assemblée nationale, qu’ils considèrent comme un détournement de sa mission. La situation se dégrade rapidement en crise qui affecte principalement Lucien Bouchard, qui s’entête toujours à défendre son geste. Par la suite, plusieurs élus du Parti Québécois tentent de réparer les torts causés à Michaud, mais se heurtent à des dissensions internes, puis, après l’élection de 2003, à un gouvernement majoritaire libéral ne souhaitant pas rouvrir l’affaire.
Une bonne partie de l’ouvrage se concentre sur les demandes de réparations de la part de Michaud. Celui-ci s’adresse d’abord à l’Assemblée nationale sous la forme d’une pétition, qui est déposée par un député péquiste conformément à l’article 21 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. Dans cette pétition, il demande à être entendu. Cette requête n’est pas acceptée; il en est de même pour une seconde pétition présentée en décembre 2001. Des propositions de modification au Règlement, visant à interdire l’adoption de motions de blâme à l’encontre d’une personne autre qu’un député, sauf en cas d’atteinte aux privilèges de l’Assemblée, sont ensuite déposées par le parti ministériel. Elles ne franchiront jamais l’étape de la commission parlementaire.
Voyant l’absence de réponse de la part des politiciens, Michaud poursuit l’Assemblée nationale devant les tribunaux. Il demande à la Cour supérieure de reconnaitre que l’Assemblée nationale a outrepassé ses pouvoirs. Deschênes fait alors une présentation de l’état du droit sur la question et de la réponse de la Cour supérieure, puis de celle de la Cour d’appel. La requête de Michaud est rejetée par les deux instances. Les juges concluent que les privilèges revendiqués par l’Assemblée nationale dans cette affaire, soit la liberté de parole des députés ainsi que le contrôle de l’Assemblée sur ses affaires internes, s’étendent à l’adoption de ce type de motion. La Cour ne peut donc rien faire : « les parlementaires ne se mêlent pas des procès et les juges n’interviennent pas dans les débats parlementaires » (p. 193). La décision est sensiblement la même en Cour d’appel, sauf pour le juge Beaudoin, qui reconnaît l’injustice commise tout en indiquant que le droit n’est d’aucun secours. Finalement, la Cour suprême refuse d’entendre l’affaire.
L’auteur conclut sur une note plutôt amère. Il note que, dix ans après les faits, et malgré que de nombreux politiciens aient exprimé des regrets relativement à l’adoption de cette motion, rien n’a été réglé et beaucoup d’ambigüité demeure sur les circonstances ayant mené à ce blâme. La quête d’Yves Michaud pour des excuses de la part de l’Assemblée nationale demeure toujours sans réponse positive.
Deschênes s’attarde ensuite sur une réflexion quant aux signaux qu’envoie cette affaire sur l’existence et l’exercice des privilèges parlementaires, affirmant que les parlementaires auraient tout intérêt à mieux les définir et à restreindre leur exercice. Selon lui, l’absence de réformes et l’utilisation des privilèges comme arme contre les citoyens vont à l’encontre des droits de la personne et pourraient éventuellement servir de prétexte aux tribunaux pour justifier une attitude plus interventionniste de leur part.
Si l’on peut retenir une chose de cet essai, c’est que l’adoption d’une telle motion de blâme à l’encontre d’un citoyen constitue un exercice irrégulier et peu souhaitable des privilèges parlementaires. Gaston Deschênes met en doute, avec raison, la légitimité de ce geste posé par les députés québécois. La condamnation de citoyens dans ce genre de circonstances semble clairement se faire sans respect pour les principes de justice naturelle, notamment la règle audi alteram partem, le droit d’être entendu. On peut d’ailleurs légitimement se demander si c’est le rôle d’une assemblée législative de se prononcer sur ce genre de question et de condamner de simples citoyens pour leurs propos.
Les privilèges parlementaires ont pour objectif de donner aux assemblées législatives les outils nécessaires pour accomplir de façon utile leur fonction d’adopter des lois ainsi que pour faire rendre des comptes au gouvernement. Dans l’affaire New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l’Assemblée législative), le juge en chef de la Cour suprême, Antonio Lamer, indique que les privilèges sont issus « essentiellement d’une lutte pour l’indépendance entre les différentes branches du gouvernement » (p. 36). Dans cette affaire, la majorité a déclaré que certains privilèges, dits inhérents, ont un statut constitutionnel et sont, par conséquent, à l’abri d’une contestation fondée sur la Charte canadienne des droits et libertés ou sur la Charte québécoise. Une fois un privilège reconnu par les tribunaux, l’exercice de ce dernier est laissé à la discrétion absolue des parlementaires. Or, comme l’indiquent l’auteur ainsi que Michaud, l’adoption d’une motion de blâme contre un citoyen constitue un exercice des privilèges parlementaires qui va à l’encontre de leur objectif. Il ne serait pas surprenant, si d’autres abus du genre devaient se reproduire, de voir les tribunaux restreindre la portée de ces privilèges. L’affaire Michaud constitue une démonstration du besoin pressant pour les parlementaires de mieux définir et encadrer leurs privilèges ainsi que d’éviter ce genre d’abus à l’avenir.
La possibilité de voir les tribunaux adopter une attitude plus interventionniste à l’égard des privilèges parlementaires dans des cas comme celui de Michaud est d’ailleurs très réaliste. Elle l’est encore plus si l’on s’attarde à la justification de l’Assemblée nationale, soit qu’il n’existait pas d’interdiction explicite relativement à ce genre de motion. Cette excuse est faible et les tribunaux sont généralement réticents à permettre ce genre d’abus. Comme le mentionne Deschênes, la Cour suprême dans l’affaire Canada (Chambre des communes) c. Vaid a refusé d’étendre la portée des privilèges de façon à protéger la Chambre des communes de poursuites relativement à une affaire de discrimination envers un ancien chauffeur du président. De plus, la juge McLachlin, dans l’affaire Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), traite de la relation qui existe entre la Charte et les privilèges. Dans des motifs concordants, elle affirme que « [p]our éviter que des abus sous le couvert d’un privilège éclipsent des droits légitimes garantis par la Charte, les tribunaux doivent examiner la légitimité d’une revendication de privilège parlementaire ». (par. 71). Il existe donc une brèche qui serait susceptible d’être exploitée par les tribunaux et qui leur permettrait de restreindre les privilèges parlementaires afin de contrer d’éventuels abus de la part des assemblées législatives.
Marc-André Roy
Étudiant en droit
Faculté de droit, Université McGill