Les parlementaires et la sécurité nationale au Canada
Le Parlement du Canada a pour coutume de s’en remettre au gouvernement pour ce qui est des questions de sécurité nationale, bien que, parfois, les parlementaires se soient donné pour mission de demander des comptes au gouvernement à ce chapitre. En 1991, le Parlement a mené un examen quinquennal de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, au cours duquel le solliciteur général du Canada et ses fonctionnaires ont remis aux parlementaires des résumés classifiés pour les aider dans leurs travaux sur l’efficacité de la Loi. En 2004, on a proposé la création d’un comité de parlementaires sur la sécurité nationale dans Protéger une société ouverte : la politique canadienne de sécurité nationale. Une décision rendue par le président de la Chambre le 27 avril 2010 abordait également la question. L’auteur se penche sur un certain nombre de questions et de réserves soulevées dans le passé à ce sujet. Il s’intéresse à l’examen parlementaire des questions de sécurité nationale au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Il conclut qu’il n’existe aucun argument raisonnable contre la participation des parlementaires à l’examen des questions de sécurité nationale au Canada
La notion d’examen parlementaire des questions de sécurité nationale n’est pas propre au Canada. Le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande possèdent tous des systèmes bien développés qui permettent aux parlementaires de demander des comptes au gouvernement sur les enjeux de sécurité nationale. Il n’en est pas ainsi au Canada.
En 1979, le professeur C.E.S. Franks a préparé, pour le compte de la Commission McDonald, une étude intitulée Le Parlement et la sécurité, qui présente une analyse approfondie du rôle du Parlement dans les questions de sécurité nationale. Depuis, le paysage s’est toutefois considérablement transformé, tant au pays qu’à l’étranger. Il est nécessaire de revoir ce dossier en profondeur : l’hypothèse sous-jacente selon laquelle les gouvernements sont majoritaires à la Chambre des communes a évolué depuis quelque temps et l’incidence des gouvernements minoritaires dans ce domaine mérite une analyse. De surcroît, le droit relatif au privilège parlementaire a, depuis, été le centre d’intérêt de deux arrêts de la Cour suprême et d’une décision rendue par le président en avril 2010.
Avant d’établir des comparaisons avec d’autres pays du Commonwealth, il convient de distinguer les notions d’« examen » et de « surveillance » des activités du gouvernement. Aux États-Unis, le Congrès est chargé, par l’entremise de divers comités, de surveiller les activités du pouvoir exécutif en matière de sécurité nationale. Une telle chose est possible dans le système américain, car l’exécutif (la charge de président) est indépendant du Congrès, en vertu de la Constitution. Par son système de freins et de contrepoids, le Congrès peut participer activement à ces questions tout en exerçant sa surveillance.
Au Canada, comme dans les autres pays dont le régime parlementaire s’inspire du modèle de Westminster, où les pouvoirs exécutif et législatif sont amalgamés, un tel niveau de surveillance et de participation active serait inapproprié. Dans le système canadien, le Cabinet est chargé d’administrer le gouvernement, et il possède cette autorité parce qu’il a la confiance (ou l’appui de la majorité) de la Chambre des communes réunie en Parlement. Dans un tel système de gouvernement responsable, le Parlement ne peut qu’examiner les questions dont s’occupe le gouvernement 1. En résumé, on procède à un examen après qu’un geste a été posé, tandis que la surveillance nécessite une participation continue.
Royaume-Uni
En 1994, le Royaume-Uni a adopté l’Intelligence Services Act 2 portant création du Comité du renseignement et de la sécurité, qui a pour mandat d’examiner les dépenses, l’administration et les politiques du Service de sécurité, du Service du renseignement et de l’Administration centrale des communications gouvernementales. Il se compose de neuf membres de la Chambre des communes et de la Chambre des lords qui n’occupent pas la charge de ministre. Ces membres sont nommés par le premier ministre en consultation avec le chef de l’opposition. Une fois l’an, le Comité produit un rapport à l’intention du premier ministre, et ce rapport est ensuite déposé au Parlement. Le premier ministre peut caviarder tout passage du rapport dont il juge la divulgation contraire à l’intérêt public. Le Cabinet peut demander au Comité d’examiner certaines questions d’intérêt, mais ce dernier est généralement libre d’établir son propre programme, ce qui lui permet de mener des enquêtes détaillées ou vastes. Le Comité a accès à l’information sensible, pourvu que le directeur général du Service de sécurité ne juge pas sa divulgation contraire à l’intérêt public. Cela dit, le Comité peut faire appel d’une telle décision auprès du secrétaire d’État. Ses membres font partie du Conseil privé et ne peuvent divulguer de renseignements qui leur ont été communiqués lors de leurs délibérations.
Les rapports annuels du Comité se comparent à ceux d’autres comités parlementaires. Dans son rapport de 2009-2010, le Comité s’est dit capable de tenir adéquatement responsable les organismes de renseignement, indépendamment du gouvernement. Toutefois, le rapport consacre de nombreuses pages à la nécessité de défendre l’autonomie du Comité par rapport au gouvernement et comprend certains passages caviardés, plus précisément les données budgétaires (classifiées au Royaume-Uni), c’est-à-dire que les montants ont été remplacés par des astérisques (***). Dans son compte rendu officiel, le Comité doit se contenter d’indiquer s’il est satisfait ou non des politiques et des réponses du gouvernement par rapport à une question donnée.
Un examen des rapports annuels de 2001-2002, 2002-2003 et 2009-2010 montre que les rapports du Comité sont généralement favorables aux actions du gouvernement. À cet égard, il semble que ce dernier pourrait utiliser le Comité pour légitimer sur le plan politique l’administration et les dépenses liées à la sécurité. Dans ses réponses, le gouvernement se montre respectueux des travaux du Comité et reconnaît les points d’entente 3.
Nouvelle-Zélande
Le Comité du renseignement et de la sécurité de la Nouvelle-Zélande a été créé par l’Intelligence and Security Act 1996. Il a pour mandat d’examiner la politique, l’administration et les dépenses de chaque organisme de renseignement et de sécurité, d’étudier les projets de loi, les pétitions et les autres questions ayant trait au renseignement et à la sécurité que lui renvoie la Chambre des représentants et de se pencher sur les rapports annuels des organismes de renseignement. Toutefois, le Comité ne s’occupe pas des questions sensibles sur le plan opérationnel ou des plaintes d’un particulier à l’encontre d’un organisme de renseignement. Le Comité se compose du premier ministre, du chef de l’opposition, de deux députés de la Chambre des représentants nommés par le premier ministre et d’un député nommé par le chef de l’opposition. Aucune substitution n’est autorisée. Les délibérations se déroulent en conformité avec le Règlement de la Chambre des représentants et se tiennent à huis clos à moins qu’on n’ait décidé, par consentement unanime, qu’elles soient tenues publiquement.
Le modèle néo-zélandais se distingue par l’attention qu’il porte à la protection des privilèges des membres du Comité aux termes de la Loi, qui veille à ce que ceux-ci et les personnes nommées pour aider le Comité bénéficient de l’immunité en matière pénale et civile pour les actes accomplis, les rapports établis, les paroles prononcées dans l’exercice effectif ou envisagé des fonctions du Comité au titre de ladite loi, ainsi que pour toutes les omissions, à moins qu’il n’ait été démontré que le député ou la personne a agi de mauvaise foi 4.
En outre, selon la Loi, les travaux du Comité sont réputés être des travaux du Parlement aux fins de l’article 9 de la Déclaration des droits (Bill of Rights) de 1689 du Royaume-Uni, ce qui vise précisément, et protège, le privilège parlementaire.
Australie
Le Comité parlementaire mixte sur le renseignement et la sécurité (PJCIS) de l’Australie a été créé aux termes de l’article 29 de l’Intelligence Services Act 2001 5. Il a pour mandat d’examiner l’administration et les dépenses du secteur du renseignement australien et de préparer un rapport annuel à l’intention du Parlement. Il peut également être appelé à revoir la liste des organisations terroristes en application du Code criminel. Le Comité se compose de quatre sénateurs et de cinq députés de la Chambre des représentants, dont la majorité doit faire partie du gouvernement. Le Comité reçoit les mémoires classifiés et non classifiés des fonctionnaires des organismes de renseignement. Ses membres ne peuvent divulguer les renseignements qui leur sont communiqués durant leurs délibérations.
Le Comité a souligné l’importance de faire examiner la totalité du secteur du renseignement australien par un seul comité. Il a fait valoir que, sans vue d’ensemble, il est inévitable que des trous dans les connaissances et la supervision nuisent grandement à la surveillance parlementaire 6. Le Comité a reconnu que sa façon de gérer ses dossiers diverge de la pratique parlementaire courante, qui consiste à tenir compte d’un éventail de points de vue lors de l’examen des questions à l’étude. De son avis, ses pratiques n’ont pas posé problème jusqu’à présent; toutefois, il fait ressortir qu’il ne peut débattre publiquement des questions dont il est saisi en raison de la nature confidentielle des organismes de renseignement et des contraintes qu’impose l’Intelligence Services Act, qui limite l’ampleur des présentations qu’il lui est possible d’examiner. Le Comité a recommandé que son mandat soit élargi afin d’inclure la surveillance de certaines fonctions de lutte contre le terrorisme, une recommandation qu’a rejetée le gouvernement.
Le Comité a établi des rapports solides avec les représentants du monde du renseignement, ce qui lui a donné accès à un niveau substantiel d’information classifiée. L’étendue de l’information que le gouvernement est en mesure de donner ne dépend donc pas des mesures législatives, mais découle plutôt des relations qui se sont forgées au fil du temps. Le Comité a recommandé que soient codifiés le type et l’étendue de l’information qu’il peut s’attendre à recevoir.
Canada
Au Canada, on s’est beaucoup penché sur la question de la participation des parlementaires dans le domaine de la sécurité nationale, sans toutefois véritablement passer à l’action. Ainsi, récemment, on a présenté au Parlement les projets de loi C-81 (novembre 2005), C-447 (mai 2007) et C-352 (mars 2009), tous intitulés Loi constituant le Comité de parlementaires sur la sécurité nationale. En outre, des publications ont été déposées à la Chambre des communes, notamment le Rapport du Comité intérimaire de parlementaires sur la sécurité nationale (octobre 2004) et Un comité parlementaire chargé de la sécurité nationale : document de consultation préalable pour aider a` la mise sur pied d’un comité parlementaire mandate´ pour examiner la sécurité nationale (mars 2004).
Le modèle proposé dans les projets de loi C-81, C-447 et C-352 aurait eu pour mandat d’examiner « les cadres législatif, réglementaire, stratégique et administratif de la sécurité nationale au Canada, ainsi que les activités des ministères et organismes fédéraux liées à celle-ci », en plus de toute autre question renvoyée au Comité par le ministre compétent 7. Un tel comité se composerait d’au plus trois sénateurs et six députés qui n’occupent ni la charge de ministre ni celle de secrétaire parlementaire. Les projets de loi contiennent des dispositions spéciales relatives à la sécurité et à la confidentialité, selon lesquelles les membres du Comité doivent faire le serment de préserver la confidentialité de l’information et sont astreints au secret à perpétuité aux fins de la Loi sur la protection de l’information. Le Comité pourrait demander divers renseignements auprès d’un ministre compétent, y compris du matériel classifié.
Fait intéressant, le Comité proposé n’est pas un comité parlementaire, mais plutôt un ambigu « comité de parlementaires », externe au Parlement, semblable au modèle créé au Royaume-Uni. Toutefois, la loi proposée précisait que les membres du Comité « ne peuvent invoquer l’immunité fondée sur les privilèges parlementaires en cas d’utilisation ou de communication de renseignements qu’ils ont en leur possession — ou dont ils prennent connaissance — en leur qualité de membre du Comité ». Voilà une différence notable par rapport au modèle néo-zélandais, qui prévoit précisément le maintien des privilèges des membres et définit les travaux du Comité comme étant des travaux du Parlement.
À la suite de la décision de la présidence du 27 avril 2010 (dont il est plus amplement question ci-après), le premier ministre et deux partis de l’opposition au cours de la 40e législature ont signé un protocole d’entente portant création d’un comité spécial de parlementaires, externe à la Chambre des communes, pour examiner les documents concernant le traitement des détenus afghans auparavant sous la garde de représentants canadiens. L’entente avait pour objectif de « maximiser la divulgation et la transparence » dans le dossier visé 8. Elle stipulait que le Comité se composait d’un député de chacun des partis signataires et que chacun des membres avait droit à un remplaçant. Ces membres devaient prêter un serment de confidentialité, signer un « engagement obligatoire de non-divulgation » et obtenir une habilitation de sécurité de niveau « Secret ». Toute violation de l’entente de confidentialité était passible d’expulsion du Comité sans possibilité de remplacement. En outre, le Comité survivait à une dissolution du Parlement, pourvu que toutes les parties signent un protocole libellé dans les mêmes termes après la reprise des travaux parlementaires.
Les travaux du Comité suivaient ceux d’une séance à huis clos et étaient animés par le gouvernement du Canada. Des fonctionnaires qui connaissaient bien l’information ont été mis à contribution pour aider les membres du Comité dans leurs délibérations, et ces derniers recevaient les versions classifiée et caviardée de l’information afin qu’ils puissent constater les différences entre les deux versions pour ce qui est des renseignements touchant la sécurité nationale. Étant donné que le Comité existait pour permettre la divulgation de documents, ceux qu’il jugeait communicables au public étaient soumis à un groupe de « trois éminents juristes » sélectionnés avec l’assentiment de tous les signataires de l’entente. C’était à ce groupe qu’il revenait d’évaluer une dernière fois la communicabilité des documents visés.
Il importe de souligner qu’il s’agissait d’un comité spécial. Toutefois, il présentait tout de même un modèle intéressant de participation des parlementaires à l’examen des questions de sécurité. Le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande s’en remettent au premier ministre pour l’arbitrage définitif des questions de divulgation. Le Canada, quant à lui, se tourne vers l’organe judiciaire.
Finalement, le premier ministre a créé, en mai 2011, le Comité du Cabinet chargé de la sécurité nationale. Présidé par le premier ministre, ce comité se compose de ministres de premier plan. Il a pour mandat, d’une part, de définir les orientations stratégiques relatives aux politiques de la sécurité et étrangères liées à l’intérêt national du Canada et, d’autre part, de superviser les interventions canadiennes pour la sécurité nationale. Il faut se rappeler, toutefois, qu’il s’agit d’un comité du Cabinet et non d’un comité parlementaire.
Conventions sur les questions de sécurité nationale au Canada
Traditionnellement, au Canada et les autres pays qui constituent le noyau du Commonwealth, la simple indication de la part du gouvernement qu’un document est classifié pour des raisons de sécurité nationale suffit à convaincre les parlementaires que son contenu n’a pas besoin d’être mis à leur disposition 9. Par exemple, on a remarqué que :
La Chambre des communes reconnaît qu’elle ne doit pas exiger la production de documents dans tous les cas. Ainsi, des considérations ayant trait à la politique officielle, notamment la sécurité nationale, les relations extérieures et d’autres facteurs, influent sur la décision d’exiger ou non la production de ces documents 10.
Le professeur Craig Forcese fait observer que ce devoir de réserve se compare à celui que les tribunaux ont longtemps concédé à l’exécutif sur les questions de sécurité nationale. Au Royaume-Uni, la justification d’une telle pratique est illustrée dans la décision Secretary of State For the Home Department v. Rehman :
Dans le domaine de la sécurité nationale, tout échec peut coûter très cher. Cela semble […] souligner le besoin, pour le pouvoir judiciaire, de respecter les décisions des ministres de la Couronne sur ce qui constitue une menace à la sécurité nationale. Il ne s’agit pas seulement du fait que l’exécutif a accès à de l’information et à une expertise particulière dans ce domaine. Mais il s’agit également du fait que de telles décisions, qui peuvent avoir des conséquences graves pour la collectivité, nécessitent une légitimité qui ne peut être conférée qu’en les confiant à des personnes responsables devant la collectivité par l’entremise d’un processus démocratique. De telles décisions doivent être prises par des personnes qui en acceptent les conséquences, des personnes que la population a élues et qu’elle peut chasser 11.
L’information déposée à la Chambre des communes, à moins que ce ne soit fait à huis clos, relève du domaine public. Par sa nature, l’information classifiée est désignée comme telle du fait que sa divulgation sans autorisation risquerait vraisemblablement de porter préjudice à l’intérêt national. Le gouvernement a l’obligation légitime d’empêcher toute divulgation non autorisée 12.
Ce qui complique encore la chose, c’est que les députés jouissent du privilège parlementaire — à savoir, dans ce cas, de la liberté de parole — et que, par conséquent, ils pourraient divulguer en Chambre, sans peur de représailles, toute information qui leur a été transmise. En 1978, le procureur général a d’ailleurs soulevé cette question en réponse à la déclaration d’un autre député en Chambre :
Dans le cas qui nous intéresse, le député […] a fait à la Chambre des déclarations qui se fondaient sans contredit sur des informations ultra-secrètes concernant la sécurité de l’État. À mon sens, le député a agi à l’encontre de l’intérêt national en utilisant des renseignements qu’il n’avait aucun droit de posséder. Toutefois, aux yeux de la loi, ses déclarations ne justifient pas des poursuites aux termes de la Loi sur les secrets officiels, car il est bien établi qu’un député ne peut être traduit en justice à cause d’une déclaration qu’il a faite à la Chambre des communes 13. [C’est nous qui soulignons.]
Les tribunaux du Royaume-Uni ont reconnu que, puisque c’est le pouvoir exécutif, et non le pouvoir judiciaire, qui est responsable de la sécurité nationale et de la protection et de la sécurité du public, le pouvoir judiciaire s’en remet à lui sur la question, à moins que le tribunal juge injustifiée la revendication d’immunité d’intérêt public du gouvernement 14. De bien des façons, cette situation ressemble à la relation qu’entretiennent le Parlement et l’exécutif au Canada, en ce sens que le Parlement s’en remet depuis longtemps à l’exécutif pour les questions de sécurité nationale. Il convient d’examiner attentivement les priorités que sont la demande de comptes au gouvernement et la protection des secrets nationaux.
On a recensé des cas où des parlementaires avaient été mis au courant de renseignements classifiés dans des circonstances extrêmement restreintes et contrôlées 15, notamment pendant l’examen quinquennal de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, mais il s’agissait, dans ce cas, de résumés classifiés 16. Au cours de la Première et de la Deuxième Guerre mondiale, des séances plénières secrètes se sont tenues à la Chambre des communes pour discuter de la situation militaire 17.
La décision de la présidence
Au cours de la 2e session de la 40e législature, le 10 février 2009, la Chambre des communes a rétabli le Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan. Avant la prorogation, le Comité avait cherché à obtenir du gouvernement de l’information relative au traitement des détenus afghans auparavant sous la garde de représentants canadiens. Pour ce faire, la Chambre avait adopté un ordre de production des documents en question le 10 décembre 2009. L’ordre prévoyait que le gouvernement dépose à la Chambre les versions originale et non caviardée d’une foule de documents ayant trait aux détenus afghans.
L’exemple qui illustre le mieux le débat qui a mené à la décision du président est un échange d’avis juridiques entre une haute fonctionnaire du ministère de la Justice et le légiste de la Chambre des communes 18 :
La représentante du gouvernement a fait valoir que ce dernier ne pouvait pas divulguer l’information en vertu des obligations juridiques que prévoient diverses lois fédérales, dont la Loi sur la protection des renseignements personnels, la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur la protection de l’information. Elle a ajouté que, par convention, un comité parlementaire respecte le privilège de la Couronne lorsqu’il est invoqué, du moins lorsqu’il s’agit de sécurité nationale 19. La représentante a soutenu qu’« un comité parlementaire n’est pas un organisme ayant le pouvoir de contraindre à la production de renseignements, il n’est donc pas en position d’exiger la divulgation de renseignements de ce type 20 ».
Le légiste a critiqué l’opinion de la représentante du gouvernement, parce qu’elle ne reconnaît pas la fonction constitutionnelle de la Chambre des communes, qui consiste à demander des comptes au gouvernement et à intervenir adéquatement dans les questions de privilège parlementaire, dans le cadre de la Constitution du Canada 21. Il a également cité la Cour suprême du Canada, pour qui le privilège parlementaire jouit du même poids constitutionnel que la Charte canadienne des droits et libertés. En réponse à l’argument du gouvernement selon lequel il lui était impossible de divulguer des renseignements en raison d’exigences légales, il a indiqué qu’il revient à la Chambre et à ses comités d’établir l’application de ces dispositions; citant à nouveau la Cour suprême, il a souligné que « lorsqu’elle applique les dispositions législatives portant sur sa procédure interne, la Chambre des communes n’est pas assujettie au contrôle des tribunaux de Sa Majesté 22 ». Le légiste parlementaire a fait valoir que, même si le gouvernement peut tenter de ne pas communiquer de renseignements à la Chambre pour des raisons politiques, il ne peut pas le faire pour des raisons juridiques. Il a ensuite écarté l’argument selon lequel les comités parlementaires ne possèdent pas les droits inhérents à la Chambre, puisque cette dernière peut déléguer de tels pouvoirs aux comités parlementaires, mais préfère s’en abstenir.
Le président de la Chambre des communes était d’accord avec l’opinion du légiste et a établi que la décision du gouvernement de ne pas produire les documents constituait, à première vue, une question de privilège. Des mesures ont alors été prises pour que les documents soient communiqués à un nombre limité de parlementaires dans un environnement contrôlé, afin d’empêcher qu’ils ne soient rendus publics. Les détails concernant la création subséquente du comité ont été présentés ci-dessus.
Le privilège parlementaire
Au Canada, le privilège parlementaire est légalement reconnu dans la Loi constitutionnelle de 1867 et la Loi sur le Parlement du Canada. Toutefois, sa pratique découle en grande partie du préambule de la Loi constitutionnelle de 1867, qui précise « avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni ». Le droit relatif au privilège parlementaire est plus ancien que le Canada lui-même. Le privilège prend sa source dans l’évolution constitutionnelle du Royaume-Uni, plus particulièrement à l’article 9 du Bill of Rights de 1689, qui porte que « l’exercice de la liberté de parole et d’intervention dans les débats et délibérations du Parlement ne peut être contesté ou mis en cause devant un tribunal quelconque ni ailleurs qu’au Parlement. » Audrey O’Brien et Marc Bosc, respectivement greffière et sous-greffier de la Chambre des Communes, considèrent la notion de privilège parlementaire comme l’indépendance dont ont besoin le Parlement et ses membres pour accomplir leur travail sans entraves 23.
Les types de privilèges peuvent se diviser en deux catégories : les privilèges accordés aux députés à titre individuel et ceux accordés à la Chambre dans son ensemble. Les privilèges des députés comprennent la liberté de parole, l’immunité d’arrestation dans les affaires civiles, l’exemption de l’obligation de comparaître comme témoin devant un tribunal et la protection contre l’obstruction, l’ingérence, l’intimidation et la brutalité. Les privilèges collectifs de la Chambre, quant à eux, comprennent le droit de réglementer ses affaires internes, le pouvoir de prendre des mesures disciplinaires, le droit de punir les personnes trouvées coupables d’infraction aux privilèges ou d’outrage, et le droit d’assigner des témoins et d’ordonner la production de documents.
Branche distincte du droit, la lex parliamenti — ou droit parlementaire —, qui englobe le privilège parlementaire, est sujette à une certaine ambiguïté, en raison du faible nombre de décisions et de cas de jurisprudence sur lequel elle peut s’appuyer. En outre, le privilège ne s’applique que dans le cadre des fonctions parlementaires des députés en poste. Il ne s’applique pas à l’extérieur de la cité parlementaire (ni même, peut-être, hors de la Chambre des communes et des salles des comités), non plus qu’elle ne s’applique au travail en circonscription. Le hansard, compte rendu officiel de toutes les délibérations parlementaires, et donc de la Chambre, jouit également du privilège parlementaire.
Les autorités parlementaires s’appuient sur deux arrêts charnières de la Cour suprême du Canada à propos du privilège parlementaire. Dans le premier, New Brunswick Broadcasting Co. c. Nouvelle-Écosse (Président de l’Assemblée législative) 24, la Cour a statué qu’une assemblée législative a le droit d’exclure les caméras vidéo de ses locaux en vertu de son droit d’exclure les étrangers. La Cour a reconnu que les privilèges inhérents des assemblées législatives, issus du Parlement, jouissent d’un statut constitutionnel et ne sont donc pas assujettis à la Charte canadienne des droits et libertés.
Le second arrêt de la Cour suprême est Canada (Chambre des communes) c. Vaid 25. Dans cette décision, la Cour a statué que la Loi canadienne sur les droits de la personne ne s’appliquait pas nécessairement aux employés de la Chambre des communes en toutes circonstances, particulièrement si les tâches d’un employé sont essentielles aux travaux du Parlement. Cet arrêt a joué un rôle déterminant dans l’établissement de la « nécessité » comme critère permettant de soulever les questions de privilège. Plus précisément, le privilège s’applique et ne peut être invoqué que lorsque l’activité en cause est nécessaire à l’exécution des fonctions législatives d’un député. Si, toutefois, la Cour établit que le privilège s’applique et respecte le critère de « nécessité », elle ne peut faire enquête sur son usage. Dans l’arrêt Vaid, la Cour suprême a statué que « le privilège parlementaire […] fait autant partie que la Charte de notre organisation constitutionnelle fondamentale. Or, une partie de la Constitution ne peut en abroger une autre 26 ». Qui plus est, « le privilège parlementaire a le même statut et le même poids constitutionnels que la Charte elle-même 27 ».
Le légiste de la Chambre des communes a fait valoir que, même les questions considérées comme étant protégées par le secret professionnel qui lie un avocat à son client, une doctrine propre à la common law, ne devraient pas, du moins en principe, être interdites aux parlementaires. Pour lui, il s’agit d’« un privilège important », et « de toute évidence, il s’agit d’un privilège que le [Parlement] doit respecter, mais qui ne doit pas nécessairement dicter son action. » Toutefois, il a averti que le Parlement « ne devrait pas empiéter inutilement sur ce privilège 28 ».
Les propositions précédentes visant à permettre aux parlementaires d’examiner les questions de sécurité nationale exigent des députés qu’ils laissent tomber le privilège de la liberté de parole pour étudier ces questions. Cela dit, la liberté de parole est peut-être le privilège le plus important d’un député. La capacité des législateurs à débattre librement est possiblement la meilleure garantie de la démocratie et un droit fondamental nécessaire à la protection des opinions minoritaires. Dans son avis sur le Renvoi sur la sécession du Québec, la Cour suprême du Canada a été très claire : la démocratie garantit que les opinions des minorités sont entendues et, dans la mesure du possible, qu’elles se reflètent dans la loi 29. La protection raisonnable de l’opinion de la minorité est particulièrement nécessaire dans les questions de sécurité nationale, où l’équilibre entre les droits individuels et le bien collectif doit être si délicatement maintenu. D’un côté, les députés devraient conserver leur liberté de parole; de l’autre, ce privilège est si intimement lié à leurs fonctions de législateur qu’ils ne devraient pas accepter de s’en départir. Cela ne veut pas dire que les députés devraient divulguer des renseignements relatifs à la sécurité nationale, mais plutôt que le privilège de la liberté de parole est si important qu’ils ne devraient pas y renoncer. En effet, les parlements des autres pays du Commonwealth démontrent que, en ce qui concerne la sécurité nationale, le rôle des parlementaires peut respecter et véritablement maintenir ce principe.
Perspectives d’avenir
Selon Le Parlement et la sécurité, étude que le professeur Franks a publiée en 1979 et qui examinait la participation des parlementaires à l’examen des questions de sécurité nationale, les membres du Comité de la justice et des questions juridiques et le Comité des affaires extérieures et de la défense nationale ont assisté à maintes reprises à des séances d’information concernant la sécurité données à huis clos par des représentants du gouvernement. Ces séances portaient, entre autres, sur les activités de ce qu’on appelait à l’époque le Service de sécurité de la Gendarmerie royale du Canada, notamment la menace à la sécurité ainsi que les activités déclarées et secrètes du Service. À l’époque, le fait de tenir les audiences à huis clos suffisait à garantir que les députés ne divulguent pas l’information qui leur avait été transmise. En fait, comme le fait valoir le professeur Franks, « les députés qui participent à ces séances à huis clos doivent s’abstenir d’utiliser publiquement les renseignements ainsi obtenus, c’est-à-dire éviter d’utiliser publiquement ces renseignements, ou de les relier à un autre programme 30 ».
Cet argument semble appuyer une autre dimension du privilège parlementaire, à savoir qu’un député a le droit irréfutable de s’exprimer librement à la Chambre des communes, mais qu’il peut être réprimandé par cette même chambre s’il viole la confidentialité d’une séance à huis clos, car il s’agit là, de prime abord, d’une question de privilège 31. Donc, comme au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande et en Australie, les membres des comités ne pourraient divulguer publiquement les renseignements qui leur seraient communiqués lors de leurs délibérations.
Les parlementaires ont constamment reconnu le sérieux des questions de sécurité et s’en sont occupées de façon non partisane. On peut penser, par exemple, à la création du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Proposée à l’origine dans le projet de loi C-157, en 1983, à la suite de l’annonce par le gouvernement Trudeau, en 1981, de l’intention de créer le SCRS dans le sillage de la publication du rapport de la Commission McDonald, la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité a été adoptée en 1984 sous la forme du projet de loi C-9 par le gouvernement du premier ministre Brian Mulroney.
À maintes reprises, on a laissé entendre que c’est le concept de cote de sécurité pour les députés et son manque d’à-propos sur le plan des privilèges qui empêchent les parlementaires de participer aux questions de sécurité nationale. Le professeur Franks a souligné que « le Parlement pourrait soutenir que le contrôle sécuritaire des députés par un service de sécurité est un empiètement inacceptable sur le privilège du Parlement 32 ». Le Bureau du Conseil privé, quant à lui, a repris l’opinion de la Commission MacKenzie sur la sécurité, qui considérait comme inapproprié d’assujettir les députés à des cotes de sécurité et prévoyait de graves difficultés s’il fallait qu’un député choisi par son parti politique pour faire partie du comité se révélât inacceptable pour des motifs de sécurité 33. Mais, étant donné que ce problème a été résolu au Royaume-Uni, en Nouvelle-Zélande et en Australie, le Canada aurait peut-être intérêt à revoir sa position.
Certains craignent que les politiciens utilisent l’information classifiée ou sensible qui leur est communiquée à des fins partisanes — et l’information du gouvernement est correctement classifiée quand on peut raisonnablement s’attendre à ce que sa divulgation porte préjudice à l’intérêt national. Toutefois, dans sa décision sur la remise de documents au Comité spécial sur l’Afghanistan, le président de la Chambre des communes a rejeté l’idée que les parlementaires ne sont pas dignes de confiance. Dans ce raisonnement, on perçoit certainement la philosophie qui a inspiré le titre de « chef de la loyale opposition de Sa Majesté », titre protocolaire du chef de l’opposition officielle. On reconnaît par ce dernier que le chef, malgré son opposition à l’approche de l’exécutif pour gouverner, demeure loyal à la Couronne et à ses sujets — en d’autres mots, au Canada. En effet, les députés ne doivent-ils pas prêter serment d’allégeance au souverain avant de commencer à siéger à la Chambre? On suppose donc que, si les députés sont conscients qu’il serait contraire à l’intérêt national de communiquer certains renseignements, ils ne le feront que s’ils croient sincèrement que leur divulgation est absolument essentielle pour obliger le gouvernement à rendre des comptes — agir autrement pouvant être considéré comme une violation du serment prononcé. Toutefois, ce serment n’est pertinent que pour la durée de l’affiliation du député au Parlement. Au Royaume-Uni, les membres du Comité sur le renseignement et la sécurité sont également membres à vie du Conseil privé, et ils ont l’obligation de maintenir la confidentialité de l’information. On a proposé cet arrangement dans la politique sur la sécurité nationale du Canada de 2004, mais il n’a jamais été adopté.Dans un environnement interconnecté évoluant rapidement, l’appareil de l’État chargé des questions de sécurité nationale est de plus en plus complexe. En 2006, le commissaire O’Connor a souligné ces subtilités dans ses recommandations visant un nouveau mécanisme d’examen des activités de sécurité nationale de la Gendarmerie royale du Canada. Plus récemment, le commissaire Major a réitéré ces recommandations en 2010, lors de l’enquête sur l’attentat contre l’avion d’Air India. Au Canada, les questions de sécurité nationale relèvent du Service canadien du renseignement de sécurité, du Centre de la sécurité des télécommunications, de la Défense nationale, de la Gendarmerie royale du Canada, de l’Agence des services frontaliers du Canada, de Sécurité publique Canada et du Bureau du Conseil privé, ainsi que de Transports Canada, de l’Agence du revenu du Canada et du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, pour n’en nommer que quelques-uns. Comprendre cet appareil relève de l’exploit — et encore, il ne s’agit que du segment visant les questions de sécurité nationale. Cela ne comprend pas les enjeux qui façonnent le programme de sécurité nationale. Par conséquent, comme le faisait remarquer la Commission McDonald, les parlementaires « devraient posséder ou acquérir une connaissance raisonnable du système canadien de sécurité et de renseignements 34 ».Dans le contexte de l’obligation constitutionnelle, pour le Parlement, de demander des comptes au gouvernement, la Chambre des communes exerce cette fonction en grande partie grâce aux travaux de ses comités. De la même façon qu’on examine les dépenses du gouvernement en matière, notamment, d’agriculture, de défense, de passation de marchés et d’affaires autochtones, il faut se pencher, à bien des niveaux, sur les questions de sécurité, abstraction faite de leur aspect confidentiel. Bien que, traditionnellement, le Parlement s’en remette à l’exécutif en la matière, il n’est pas tenu de respecter cette tradition. Cette fonction devrait, toutefois, se limiter à l’examen de l’administration et des dépenses liées à la sécurité, comme c’est le cas au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande, étant donné que, contrairement à la situation aux États-Unis, où le Congrès est en mesure d’exercer un rôle plus actif, seul le Cabinet peut surveiller l’administration du gouvernement au Canada.Le plus préoccupant dans cette situation, c’est le récent climat politique, qu’on peut qualifier à tout le moins d’extrêmement conflictuel. La décision que le président a rendue en avril 2010 sur la communication de documents illustre bien ce conflit. Au Canada, le solide système de discipline de parti que les gouvernements majoritaires peuvent imposer pour éviter la divulgation de documents gouvernementaux et contrôler le Parlement a été mis à l’épreuve par une série de gouvernements minoritaires. Et, si, au Royaume-Uni, le Comité sur le renseignement et la sécurité a réussi, au fil du temps, à établir une relation de confiance avec les organismes de sécurité nationale, au Canada la situation est bien différente. Toutefois, le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande et l’Australie sont tous dirigés actuellement par un gouvernement minoritaire ou de coalition, ce qui n’empêche pas les comités de remplir leurs mandats respectifs. Dans ce contexte, la Nouvelle-Zélande et l’Australie se sont assuré qu’en tout temps, sans égard à la composition du Parlement, le comité se compose en majorité de membres des partis au gouvernement. Dans tous les pays, aucun remplacement n’est permis. Ainsi, les partis ne peuvent pas contourner le principe de sécurité et forcer la divulgation publique des documents, mais sont capables de collaborer grâce à la négociation. Comme dans le cas d’autres comités, en ce qui concerne la sécurité, les comparutions doivent se faire en respectant les normes les plus élevées de professionnalisme et de respect mutuel entre les fonctionnaires et les parlementaires. Sans ces pratiques, le Parlement ne peut qu’être mal servi.
Conclusion
Au Canada, trois mécanismes d’examen des questions de sécurité nationale viennent s’ajouter au travail du vérificateur général, à savoir le Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité (CSARS), le Bureau de l’inspecteur général du Service canadien du renseignement de sécurité et le Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications. Les deux premiers ont été créés aux termes de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité de 1984, pour vérifier si le travail du SCRS est conforme à son mandat. De son côté, le Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications a été créé aux termes de la Loi sur la défense nationale, afin d’examiner les activités du Centre. Les trois organismes sont respectés pour leur indépendance par rapport aux organismes de renseignement. Toutefois, bien qu’il ne faille pas en sous-estimer l’importance, ces mécanismes ne valent pas l’examen parlementaire, pas plus qu’un éventuel comité du Cabinet sur la sécurité nationale.
Lorsqu’il s’agit de son rôle fondamental en matière de demande de comptes au gouvernement, seul le Parlement peut établir comment il le fera — c’est là l’essence même du gouvernement responsable. Il serait malavisé de recommencer le travail de mécanismes existants, mais la participation des parlementaires à l’examen des enjeux de sécurité nationale constitue une question parlementaire distincte.
En 1979, le professeur Franks faisait valoir qu’« [a]u Canada, rien ne prouve que le Parlement ou le public accepteraient que le Parlement fasse partie du cercle restreint auquel sont communiqués les secrets d’État 35 ». Mais, compte tenu de l’évolution dans ce domaine, comme il a été démontré ici en comparant les mécanismes d’examen parlementaire en place dans les autres pays qui constituent le noyau du Commonwealth, il serait peut-être opportun de revoir ce point de vue.
En effet, certains détails nécessitent peut-être une certaine diligence, mais les obstacles insurmontables empêchant les parlementaires de participer aux questions de sécurité nationale sont choses du passé. La création d’un comité spécial de parlementaires à la suite de la décision du président de 2010 le montre bien. Le Parlement a le droit de demander des comptes au gouvernement au sujet de l’administration et des dépenses et, bien qu’il doive le faire de façon responsable, il lui revient de décider de la façon dont il entend le faire.Pour faire écho au Comité du renseignement et de la sécurité du Royaume-Uni :
L’obligation de rendre compte du gouvernement et des organismes qui le composent constitue un principe fondamental de notre démocratie. L’obligation d’expliquer et de justifier ses actes l’incite à mettre en œuvre des politiques mieux pensées, à mieux contrôler ses dépenses et à respecter les principes et les pratiques reconnus 36.
Les parlements du Royaume-Uni, de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande montrent bien que le système de Westminster peut aller de pair avec l’examen parlementaire des questions de sécurité nationale, même dans le cas d’un gouvernement minoritaire. Il sera certainement nécessaire d’assurer un certain équilibre par rapport à l’information divulguée, mais — à tout le moins dans le contexte d’un examen de l’administration et des dépenses des organismes de renseignement — un tel exercice mène à une transparence accrue et à une plus grande légitimité politique.La participation des parlementaires à l’examen des questions de sécurité nationale permettrait au Canada de suivre la voie du Royaume-Uni, de l’Australie, de la Nouvelle-Zélande et, en fin de compte, de renforcer la démocratie parlementaire du pays.
Notes
1. William McKay et Charles W. Johnson, Parliament and Congress: Representation and Scrutiny in the Twenty-First Century, Oxford, Oxford University Press, 2010.
2. Royaume-Uni, Intelligence Services Act 1994, An Act to make provisions about the Secret Intelligence Service and the Government Communications Headquarters, including provision for the issue of warrants and authorisations enabling certain actions to be taken and for the issue of such warrants and authorisations to be kept under review; to make further provision about warrants issued on applications by the Security Service; to establish a procedure for the investigation of complaints about the Secret Intelligence Service and the Government Communications Headquarters; to make provision for the establishment of an Intelligence and Security Committee to scrutinize all three of those bodies; and for connected purposes.
3. Royaume-Uni, Bureau du Cabinet, Government Response to the Intelligence and Security Committee’s Annual Report 2002-2003, déposé au Parlement en juin 2003.
4. Nouvelle-Zélande, Intelligence and Security Committee Act 1996, An Act to increase the level of oversight and review of intelligence and security agencies by establishing an Intelligence and Security Committee, paragr. 15(1).
5. Australie, Intelligence Services Act 2001, An Act relating to the Australian intelligence services, and for related purposes.
6. Australie, Parlement du Commonwealth d’Australie, Comité parlementaire mixte du renseignement et de la sécurité, Review of Administration and Expenditure No. 8 – Australian Intelligence Agencies, juin 2010, p. 6.
7. Canada, Loi constituant le Comité de parlementaires sur la sécurité nationale, projet de loi C-352, art. 13.
8. Canada, Protocole d’entente signé le 15 juin 2010. Paragraphe 6. Internet : <www.afghanistan.gc.ca/canada-afghanistan/assets/pdfs/docs/362/2011_04_report-fra.pdf>.
9. Dès 1877, des efforts ont été déployés pour établir un mécanisme qui permettrait au Parlement d’examiner ou de surveiller l’exercice de l’exécutif en la matière. Journaux de la Chambre des communes, vol. XI, session de 1877, appendice (no 2), tiré du Troisième rapport du Comité spécial permanent des comptes publics sur l’emploi de certains fonds du Service secret, p. 10, dans Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada, « Deuxième rapport : la liberté et la sécurité devant la loi », vol. 1, août 1981, p. 55.
10. Rapport du Comité permanent des privilèges et des élections, Journaux, 29 mai 1991, p. 95, tiré de « Décision de la présidence sur la communication d’information au Comité spécial sur la mission canadienne en Afghanistan », Débats de la Chambre des communes (hansard), 27 avril 2010, p. 2043.
11. Post-scriptum de Lord Hoffman dans Secretary of State For the Home Department v. Rehman (AP), [2001] 3 W.L.R. 877 (H.L.), tiré de Craig Forcese, National Security Law: Canadian Practice in International Perspective, Toronto, Inwin Law Inc., 2008, p. 24-25.
12. Forcese 2008, p. 506.
13. Canada, Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada, Premier rapport : Sécurité et Information, Ottawa, octobre 1979, p. 7.
14. Cour d’appel de l’Angleterre et du pays de Galles, Mohammed, R (on the application of) v Secretary of State for Foreign and Commonwealth Affairs, [2010] EWCA Civ 65.
15. Entrevue avec Derek Lee sur les ondes de CBC Radio 1, le 26 avril 2010.
16. Une période de transition mais non de crise : rapport à la Chambre des communes du Comité spécial d’examen de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité et de la Loi sur les infractions en matière de sécurité, Ottawa, Service des publications de la Chambre des communes, septembre 1990, p. 6-9.
17. Canada, Bureau du Conseil privé, Manual of Official Procedure of the Government of Canada, Henry F. Davis et André Millar, Ottawa, Sa Majesté la Reine du Chef du Canada, 1968, p. 259-260.
18. Lettre de Mme Carolyn Kobernick, sous-ministre adjointe, Secteur du droit public, ministère de la Justice, au sujet de l’application des lois fédérales aux représentants du gouvernement du Canada, 9 décembre 2009, et lettre de M. Robert Walsh, légiste et conseiller parlementaire, Chambre des communes, au sujet de la Loi sur la preuve au Canada, art. 38 à 38.16 et le gouvernement du Canada, 10 décembre 2009. Déposé à la Chambre des communes le 18 mars 2010 à titre de document parlementaire no 8530-403-1.
19. Lettre du Ministère de la Justice, op. cit, p. 1-2.
20. Ibid., p. 3.
21. Lettre du légiste et conseiller parlementaire, op. cit., p. 1-2.
22. Ibid., p. 3, tiré de Canada (Chambre des communes) c. Vaid, 2005 CSC 30, paragraphe 34, citant Bradlaugh v. Gossett (1884), 12 Q.B.D. 271.
23. Audrey O’Brien et Marc Bosc, dir., La procédure et les usages de la Chambre des communes, 2e éd., Ottawa, Chambre des communes et Montréal, Éditions Yvon Blais, 2009, p. 59.
24. [1993] 1 R.C.S. 319.
25 [2005] 1 R.C.S. 667, 2005 CSC 30.
26. Vaid, op. cit, para. 30.
27. Ibid., paragr. 34 [souligné dans l’original].
28. Témoignages, Comité permanent des opérations gouvernementales et des prévisions budgétaires, 9 juin 2010, p. 4.
29. Renvoi relatif à la sécession du Québec [1998] 2 RCS 217, para. 63.
30. C.E.S. Franks, Le Parlement et la sécurité : étude préparée à l’intention de la Commission d’enquête sur certaines activités de la Gendarmerie royale du Canada, Ottawa, 1979, p. 37.
31. O’Brien et Bosc 2009, p. 1077-1078.
32. Franks 1979, p. 82.
33. Canada, Bureau du Conseil privé, Un comité parlementaire chargé de la sécurité nationale, op. cit, p. 37.
34. Ibid., p. 30
35. Franks 1979, p. 22.
36. Royaume-Uni, Comité du renseignement et de la sécurité, Annual Report 2009-2010, présenté au Parlement en mars 2010, p. 4.