Prorogation, dissolution et élections à date fixe selon l’approche de Westminster

Article 5 / 9 , Vol 35 No 2 (Été)

Prorogation, dissolution et élections à date fixe selon l’approche de Westminster

La reine dispose de divers pouvoirs de réserve, ou prérogatives de la Couronne, qui comprennent la prorogation, la dissolution et la convocation du Parlement, de même que la nomination et la révocation du premier ministre. Le recours à ces pouvoirs est régi par des conventions constitutionnelles non écrites qui sont, en théorie, les mêmes dans tous les pays du Commonwealth qui reconnaissent toujours la reine comme chef d’État. Toutefois, dans la pratique, ils sont appliqués différemment — et de façon beaucoup plus démocratique — en Angleterre, où la reine est présente, qu’au Canada, où le gouverneur général est nommé pour la représenter et exercer ces pouvoirs en son nom. Le présent traite de l’approche britannique en l’opposant à l’approche canadienne, et montre comment le Canada pourrait être un pays plus démocratique s’il adoptait les pratiques britanniques.

Le régime de gouvernance en Grande-Bretagne tire ses origines de la prérogative royale. Dans toute monarchie, le roi possède toutes les terres, édicte toutes les lois, lève les armées pour défendre la population (et conquérir de nouveaux territoires en vue d’accroître les richesses du royaume), applique les lois et rend la justice.

Au fil du temps, le Parlement en est venu à abolir progressivement bon nombre des prérogatives du roi d’Angleterre en édictant des lois visant à autoriser ou à limiter l’exercice de ses pouvoirs, ainsi que les activités de ses représentants1. La Couronne a fini par accepter ces limites, car l’idée que les principes démocratiques doivent éclairer tous les aspects de la Constitution, ayant pris naissance au sein du Parlement anglais au xviie siècle, gagnait du terrain pour devenir la norme juridique et populaire dans tout le Royaume-Uni au xixe siècle.

La plupart des prérogatives royales que le Parlement n’a pas abolies en sont venues à être exercées par les ministres, individuellement ou collectivement. Cette dévolution de pouvoirs s’explique du fait qu’un ministre doit être membre du Parlement, où il peut être tenu responsable de l’exercice de ces prérogatives 2.

Il existe toutefois un certain nombre de « pouvoirs de réserve », ainsi nommés parce qu’ils ont été gardés en réserve et non transmis aux ministres, au premier ministre ou au Cabinet à l’ère de la démocratisation. Aussi appelés « prérogatives de la Couronne », ces pouvoirs ont été laissés entre les mains de la reine parce que rien ne justifiait, sur le plan démocratique, que les ministres en obtiennent le contrôle, alors qu’on pouvait aisément montrer que, si le Cabinet ou le premier ministre jouissait d’un accès sans limites à ces pouvoirs, ils pourraient s’en servir pour miner la capacité du Parlement de représenter la population et d’obliger l’organe exécutif à rendre des comptes. Après tout, le Parlement compte le seul organe dont les membres sont directement élus par la population, à savoir la Chambre des communes, car le premier ministre, les membres du Cabinet, les sénateurs et les juges des tribunaux sont tous nommés.

Les prérogatives de la Couronne comprennent : la prorogation, qui a pour effet de mettre fin à une session du Parlement; la dissolution, qui met un terme à une législature et force ainsi la tenue d’élections générales; la convocation d’une nouvelle législature ou l’ouverture d’une session; la nomination et la révocation du premier ministre. Comme ces pouvoirs tempèrent les relations entre le Parlement et le gouvernement — c’est-à-dire entre les organes législatif et exécutif —, ils n’ont pas été conférés au chef de gouvernement, le premier ministre. Cela dit, les premiers ministres au Canada convoitent ces pouvoirs depuis longtemps, et ils ont tenté à l’occasion, parfois avec succès, de les utiliser pour en tirer un avantage partisan au détriment du Parlement.

En théorie, les conventions constitutionnelles sont les mêmes dans chacun des pays du Commonwealth qui y ont toujours recours, puisqu’elles sont des pouvoirs personnels de la reine. Toutefois, les récents événements au Canada ont poussé de nombreux constitutionnalistes à débattre de la nature de ces conventions, et même à se demander si l’ambiguïté qui les entoure a conféré au premier ministre canadien une latitude qui mine les principes démocratiques de gouvernement responsable. Cette préoccupation est inexistante en Angleterre, où de récents événements ont amené les politiciens à travailler ensemble pour réduire cette ambiguïté et démocratiser davantage leur régime parlementaire.

Le présent article traite des pratiques et de l’évolution du cours des choses au Royaume-Uni, en commençant par l’obligation royale envers le Parlement la plus publique, soit la lecture du « discours de la Reine ». Bien que ces discours soient rédigés par le gouvernement, les traditions qui les entourent sont intrinsèquement liées à l’exercice efficace des pouvoirs de réserve. Ils évoquent le fait que le Parlement : i) a été prorogé ou dissout et qu’une élection générale aura lieu ou a déjà eu lieu; ii) que le Parlement a été convoqué, qu’un nouveau premier ministre a été nommé et qu’un nouveau gouvernement a été formé (le cas échéant).

L’article illustre ensuite les pratiques britanniques par des exemples de prorogation et de dissolution du Parlement, notamment la période « d’expédition des travaux » (wash-up period) qui précède la tenue d’élections et l’adoption récente d’élections à date fixe. Ces pratiques sont ensuite comparées à la situation au Canada, et l’article conclut par quelques enseignements que le Canada pourrait tirer de l’expérience britannique.

Les conventions au Royaume-Uni

En Angleterre, chaque session parlementaire comporte deux « discours de la Reine ». À l’origine, ces derniers étaient prononcés par Sa Majesté depuis le trône situé dans la Chambre des lords au palais de Westminster, qui abrite le Parlement britannique. Au Canada, comme la reine n’est pas présente, ces discours en sont venus à s’appeler « discours du Trône » et étaient, à l’origine, tous deux prononcés par le gouverneur général au Sénat. Bien qu’ils soient en général lus par le représentant de Sa Majesté, il est arrivé que ce soit le roi ou la reine qui les prononce lors d’un séjour au Canada.

Le premier discours du Trône marque l’ouverture d’une session parlementaire. Lorsqu’ils en donnent lecture, la reine ou le gouverneur général font connaître les motifs pour lesquels le Parlement a été convoqué. Ce discours expose, dans les grandes lignes, les mesures dont le gouvernement en place compte saisir le Parlement.

La reine Elizabeth II a personnellement donné lecture d’un discours du Trône marquant l’ouverture d’une session du Parlement canadien en 1957 et en 1977.

Le deuxième « discours de la Reine » marque la fin d’une session parlementaire. C’était ainsi que le Parlement devait être prorogé. Le discours faisait état des réalisations durant la législature, pour ensuite proroger le Parlement. Aucune proclamation n’était nécessaire, puisque le discours à lui seul suffisait pour mettre un terme à la session.

En 1939, il avait été convenu que le roi George VI allait prononcer le discours du Trône prorogeant le Parlement canadien, mais, comme le programme législatif n’était pas suffisamment avancé, il n’a fait qu’octroyer la sanction royale à des projets de loi.

Avant la Confédération, une assemblée législative des provinces de l’Amérique du Nord britannique durait quatre ans. Chaque législature comportait quatre sessions, qui duraient chacune quelques mois. La date d’ouverture et de clôture des sessions était fixée par le gouverneur, sur recommandation du Cabinet, mais la durée des sessions variait très peu, puisqu’il était d’usage de les proroger seulement quelques mois après leur ouverture pour permettre aux législateurs de retourner dans leur circonscription et de s’occuper de leurs fermes et de leurs entreprises.

La reine Victoria a été la dernière souveraine à prononcer son discours lors d’une prorogation au Royaume-Uni, en 1854. Elle a décidé de s’abstenir de se présenter à la cérémonie de la prorogation l’année suivante, parce que la coalition peelite-whig avait perdu la confiance des Communes en raison de sa gestion de la guerre de Crimée, et parce que la souveraine ne portait aucune affection au gouvernement libéral de lord Palmerston, qu’elle avait été forcée de nommer premier ministre. Victoria était en fait si réticente à faire de lord Palmerston son premier ministre qu’elle a épuisé tous ses recours pour former un nouveau gouvernement avant de nommer l’ancien ministre des Affaires étrangères 3.

Depuis 1855, la reine nomme un représentant par commission sous le grand sceau pour lire le « discours de la Reine » à la fin de chaque session. Si des projets de loi sont prêts à recevoir la sanction royale, on inclut dans la commission une disposition autorisant l’octroi de la sanction 4. À la fin du discours, le représentant de la reine proroge le Parlement du Royaume-Uni jusqu’à la date indiquée dans la commission.

Comme il est d’usage que le Parlement fasse toujours l’objet d’une convocation, il doit être prorogé jusqu’à une date précise, même en l’absence d’intention de le convoquer à cette date. Autrefois, si la date de convocation n’était pas choisie, il était de coutume de proroger la législature pour une période pro forma de 40 jours. La prorogation pouvait être prolongée, par proclamation, de 40 jours à la fois. Cette coutume est fondée sur la Magna Carta (Grande Charte) du roi Jean d’Angleterre, qui a accepté de donner un préavis d’au moins 40 jours pour convoquer le Parlement. En 1867, le Parlement britannique a fixé à 14 jours le prolongement d’une prorogation que la reine peut accorder par proclamation 5. Ce délai a été porté à 20 jours en 1918 6. La période pro forma de 40 jours demeure la pratique au Canada.

La prorogation met fin à une session parlementaire, mais la dissolution met un terme à une législature, ce qui a pour conséquence d’entraîner la tenue de nouvelles élections générales demandant à la population d’élire un nouveau parlement. Au Royaume-Uni, jusqu’en 2011, le premier ministre a toujours recommandé (et jamais conseillé) à la reine que le Parlement soit dissout à une date ultérieure, qui correspond habituellement à une semaine après sa visite à Sa Majesté au palais de Buckingham 7. Cette façon de faire permet au Parlement de traiter toute affaire importante dont l’une ou l’autre des deux chambres est toujours saisie. C’est ce qu’on appelle la période « d’expédition des travaux » 8.

Les projets de loi peuvent être reportés d’une session à une autre, mais pas d’une législature à l’autre. La période « d’expédition des travaux » donne donc l’occasion d’adopter des mesures législatives bénéficiant d’un large appui, ce qui souvent entraîne des compromis constructifs. Par ailleurs, comme le Parlement ne siégera pas pendant un certain temps, il doit traiter de dossiers particuliers en prévision de la tenue d’élections. Le plus important est l’approbation de tout budget en suspens, qui incombe à une législature et non à un mécanisme quelconque émanant de l’organe exécutif, comme un mandat royal. Un petit projet de loi de crédits peut même être déposé au Parlement durant cette période pour financer les activités courantes du gouvernement pendant les élections. Ces mesures législatives n’étant pas sujettes à controverse, tous les députés y travaillent dans un esprit de collégialité après qu’il y a eu entente entre les leaders à la Chambre et les whips. Au Royaume-Uni, des contraintes strictes régissent ce que peuvent faire le gouvernement et les ministres à titre individuel durant la période électorale, mais le Parlement insiste tout de même pour garder le contrôle des finances de l’État.

Une fois la période « d’expédition des travaux » terminée, les mesures législatives reçoivent la sanction royale, et le représentant de la reine prononce le discours du Trône faisant état des réalisations du gouvernement, puis proroge la session. La reine dissout le Parlement à la date annoncée préalablement.

En période électorale, le gouvernement reste au pouvoir à titre de « gouvernement intérimaire ». Ses activités font l’objet de restrictions qui sont exposées dans le manuel du Cabinet (Cabinet Manual). En effet, aux environs de la date de la dissolution, le Cabinet Office publie des directives sur les activités jugées acceptables pour le gouvernement pendant que le Parlement est dissout. Puis, le premier ministre écrit à tous les ministres pour leur donner des instructions semblables. Par exemple, le gouvernement intérimaire ne peut pas prendre de décisions majeures en matière de politiques publiques ni n’en faire l’annonce (il ne peut, notamment, conclure de marchés d’approvisionnement importants ou controversés); les ministères n’ont pas le droit de prendre d’engagements importants à long terme, sauf si leur report nuisait à l’intérêt national ou entraînait un gaspillage des fonds publics. Dans ces cas-là, si des décisions doivent être prises sans attendre, elles le sont par le truchement de mécanismes temporaires ou à la suite de consultations avec la direction des autres partis politiques 9.

Si c’est au secrétariat du Cabinet qu’il incombe de rédiger le manuel selon sa conception des conventions constitutionnelles non écrites, les deux chambres du Parlement tiennent néanmoins des audiences à ce sujet et formulent des recommandations visant à y apporter des modifications. Ce processus est important, car les conventions constitutionnelles, qui régissent en fait les prérogatives de la Couronne quant à la prorogation et à la dissolution, doivent obéir à trois conditions énoncées pour la première fois par sir Ivor Jennings : i) il doit y avoir un précédent, ii) tous les acteurs constitutionnels doivent se considérer liés par la convention, iii) la convention doit avoir une raison d’être [démocratique] 10. Le fait que le Parlement (l’organe législatif) et le Cabinet (l’organe exécutif) s’entendent sur le contenu du manuel contribue à ce que tous les acteurs constitutionnels y souscrivent. Cela est particulièrement important en ce qui a trait aux prérogatives de la Couronne, car elles ne sont pas des pouvoirs de l’organe exécutif, mais bien des pouvoirs de Sa Majesté qui régissent le Parlement et le Cabinet, et qui, par conséquent, interviennent dans leurs relations.

Cela dit, le manuel du Cabinet ne codifie pas les conventions constitutionnelles; les pouvoirs de dissolution et de prorogation demeurent les prérogatives de Sa Majesté. Il sert plutôt seulement à guider la conduite de l’exécutif, à savoir le premier ministre, les ministres et la fonction publique. La publication de ce document et la contribution du Parlement à sa rédaction assurent la transparence des activités de l’organe exécutif.

Toutefois, le manuel pourrait être un début de codification de conventions, en ce sens qu’il peut i) établir de nouveaux précédents et ii) lier le premier ministre et le Cabinet à ces derniers. Ce sont là deux des conditions auxquelles doivent obéir les conventions constitutionnelles. De plus, si les procédures exposées dans le manuel respectent la troisième condition, c’est-à-dire d’avoir une raison d’être démocratique, alors ce document peut même contribuer à la formation de nouvelles conventions.

Une ébauche de l’actuel manuel du Cabinet a été soumise au Parlement britannique en décembre 2010. Elle a été étudiée par le comité chargé de la réforme politique et constitutionnelle, le comité constitutionnel de la Chambre des lords et le comité de l’administration publique. Le Cabinet a étudié leurs rapports et en a tenu compte avant de publier la version révisée du manuel, en octobre 2011. Ce processus de consultation officiel au sujet du manuel du Cabinet rappelle celui que le premier ministre travailliste Gordon Brown a mis en place en février 2010, en prévision d’une élection pour laquelle les sondages prévoyaient qu’aucun parti ne remporterait la majorité des sièges à la Chambre des communes.

L’intention déclarée de la mise en place de ce processus, outre le respect de l’engagement d’améliorer la transparence pris par le gouvernement travailliste, était d’empêcher que la reine ne se trouve mêlée à la partisannerie politique en assurant un transfert des pouvoirs civilisé et ordonné au cas où aucun parti politique ne parviendrait à obtenir la confiance du nouveau Parlement choisi par les électeurs.

Le manuel du Cabinet britannique produit sous la direction du premier ministre Brown comportait une disposition selon laquelle, sur instruction du premier ministre transmise par le secrétaire du Cabinet (le responsable de la fonction publique), tous les partis politiques pourraient obtenir après l’élection des conseils de la part des ministères appropriés, qui comprennent notamment une évaluation des programmes proposés et qui doivent être ciblés et fournis sans distinction à tous les partis concernés, y compris celui qui formait alors le gouvernement 11. En bénéficiant de ces conseils, les partis politiques peuvent évaluer le coût des programmes et politiques proposés pendant qu’ils explorent les diverses options pour former un gouvernement.

Ce processus n’a pas été conçu dans le but de former un gouvernement de coalition, bien que cette éventualité fût fort probable. En fait, il était tout aussi important pour un parti qui aurait voulu former un gouvernement minoritaire, puisque celui-ci aurait dû élaborer un programme législatif bénéficiant de l’appui de députés des autres partis 12. En fait, il a surtout été conçu pour préserver la reine des manœuvres partisanes entourant la formation du gouvernement. Sa Majesté doit être tenue à l’écart de toutes tractations pour préserver la dignité de sa fonction, bien qu’elle doive en être tenue informée, car nommer un premier ministre et lui demander de former un gouvernement en son nom demeure l’une de ses prérogatives.

À l’issue des élections de 2010, aucun parti n’a obtenu la majorité des sièges à la Chambre des communes britannique. Les chefs de tous les partis ont donc envisagé divers scénarios pour la formation d’un gouvernement. En très peu de temps, les libéraux-démocrates et les conservateurs ont formé un gouvernement de coalition. Leur accord de coalition comportait un programme législatif acceptable pour les deux partis et comptait même des éléments appuyés par l’ensemble des partis, car leurs discussions précédentes avaient permis de dégager un certain nombre de positions de principe communes. Voilà qui est remarquable, compte tenu du peu de temps écoulé après les dissensions de la période électorale. De plus, grâce au soutien de la fonction publique, ce programme législatif a pu reposer sur des bases financières et économiques solides dès le départ.

Le premier ministre travailliste, Gordon Brown, a donc ainsi créé un précédent. David Cameron, son successeur conservateur, n’estimait pas, quant à lui, que la fonction publique devait automatiquement fournir des conseils aux partis de l’opposition après une élection. Le nouveau manuel du Cabinet reprend ce précédent en précisant qu’un premier ministre peut, par l’entremise du secrétaire du Cabinet, donner pour instruction à la fonction publique de fournir des conseils impartiaux à la direction des autres partis politiques en vue d’examiner la formation d’un gouvernement dans un parlement où aucun parti ne détient la majorité des sièges aux Communes. Avec ce précédent, peut-être verrons-nous émerger, un jour, une convention selon laquelle le premier ministre proposera toujours aux autres partis politiques l’expertise de la fonction publique en situation de Parlement sans majorité. Mais en attendant, le premier ministre et le Cabinet, à titre d’acteurs constitutionnels, ont accepté d’être liés par cette convention relative à la formation d’un gouvernement, qui est comprise de tous et disponible dans le manuel du Cabinet.

La décision du Parlement britannique de tenir des élections à date fixe (engagement faisant partie de l’accord de coalition entre les libéraux-démocrates et les conservateurs) découle en grande partie de la volonté de mettre en place un délai et un mécanisme pour la formation d’un gouvernement. La loi prévoyant la tenue d’une élection tous les cinq ans à compter du 7 mai 2015 est désormais en vigueur 13. Il s’agissait de l’un des éléments qu’appuyaient tous les partis, à telle enseigne que, lorsque cette mesure législative a été déposée au Parlement, la seule modification proposée par les partis d’opposition, à savoir le Parti travailliste et le Parti national écossais, était de faire passer la durée du mandat fixe de cinq à quatre ans.

Cette loi ne prévoit que deux mécanismes par lesquels une élection peut être déclenchée avant le délai de cinq ans : l’adoption par la Chambre des communes d’une motion de censure énonçant « Que cette Chambre n’a aucune confiance dans le gouvernement de Sa Majesté », ou l’approbation par les deux tiers des députés d’une motion déclarant « Qu’il faut tenir des élections générales anticipées ».

Une motion de censure qu’adopterait la Chambre n’entraînerait pas automatiquement le déclenchement d’une élection. En fait, le gouvernement dispose de 14 jours pour tenter de défaire la motion en en faisant adopter une autre par la Chambre, celle-ci déclarant « Que cette chambre accorde sa confiance au gouvernement de Sa Majesté ». De même, un autre parti peut aussi tenter de former un gouvernement qu’appuierait la Chambre en faisant adopter une motion similaire. Si aucun parti n’est parvenu à former un gouvernement capable d’obtenir la confiance de la Chambre une fois le délai de 14 jours écoulé, le Parlement est alors dissout.

La loi fixe le jour du scrutin au premier jeudi de mai tous les cinq ans après le 7 mai 2015, mais la Reine en conseil peut reporter de deux mois au plus la date de l’élection, ce qui permet de tenir compte de la période « d’expédition des travaux » et de la cérémonie de la prorogation avant la dissolution. Le Parlement est automatiquement dissout 17 jours ouvrables avant le jour du scrutin (ce qui correspond à la période de campagne électorale fixée par la loi au Royaume-Uni).

Autrefois, le Parlement était convoqué le premier mercredi après les élections en vertu d’une proclamation émise par la Reine en conseil. Toutefois, en 2007, le comité sur la modernisation de la Chambre des communes a recommandé que le Parlement soit convoqué 12 jours après les élections. C’est ce qui s’est produit en 2010. Encore une fois, ce délai laisse du temps pour la « formation d’un gouvernement » en cas de « Parlement sans majorité » (c.-à-d. lorsqu’aucun parti n’obtient la majorité des sièges aux Communes).

La civilité avec laquelle le processus entourant la dissolution et la prorogation se déroule au Royaume-Uni tranche nettement avec la façon dont ces prérogatives ont été traitées par les premiers ministres au Canada.

Les pratiques canadiennes

Au Canada, d’un point de vue historique, les pouvoirs de réserve ont été marqués par des machinations politiques répétées de la part des premiers ministres en vue de les utiliser pour se soustraire à l’obligation de rendre des comptes au Parlement.

Par exemple, la Loi constitutionnelle de 1867 fixe à cinq ans la durée maximale d’une législature au niveau fédéral à compter de la date fixée pour le retour des brefs relatifs aux élections générales correspondantes. Pourtant, en 1896, le premier ministre Charles Tupper a tenté de faire valoir que, compte tenu du retard dans le retour des brefs d’une circonscription, la durée de la législature pouvait être prolongée au-delà de la date du retour des brefs fixée par proclamation. Il n’a fait marche arrière que lorsqu’il est apparu manifeste que la mesure législative qu’il tentait de faire adopter de force par le Parlement avant les élections serait contestée devant les tribunaux.

En 2006, le Parti conservateur dirigé par Stephen Harper a rempli une promesse électorale en faisant adopter une loi prévoyant des élections à date fixe tous les quatre ans. Cette loi contient toutefois une disposition énonçant ce qui suit : « Le présent article n’a pas pour effet de porter atteinte aux pouvoirs du gouverneur général, notamment celui de dissoudre le Parlement lorsqu’il le juge opportun14. » Or, le 7 septembre 2008, le premier ministre a présenté un « instrument d’avis » recommandant à la gouverneure générale de déclencher une élection anticipée, et celle-ci a accepté.

« L’instrument d’avis » constitue en soi une tentative des premiers ministres canadiens d’exercer un contrôle sur les prérogatives du gouverneur général. Là où les premiers ministres britanniques prennent soin de dire qu’ils ne conseillent pas la reine quant à l’exercice de ses pouvoirs de réserve, et ne formulent que des recommandations, au Canada, depuis 1957, les premiers ministres ne consultent pas le Cabinet quant au bien-fondé de nouvelles élections, et choisissent plutôt d’envoyer personnellement un « instrument d’avis » au gouverneur général. L’une des raisons pour lesquelles les Britanniques sont si réticents à utiliser le terme « conseil », c’est que le conseil d’un ministre doit être accepté par le monarque, sans quoi il incombe au ministre (ou au premier ministre) de démissionner. Certes, comme ce changement est survenu au Canada alors que 22 années de règne libéral tiraient rapidement à leur fin, il faisait partie de la tentative du premier ministre de s’accrocher au pouvoir, mais cette pratique présente un attrait tel que tous les premiers ministres ultérieurs ont continué à l’utiliser.

Plus tard, la décision de Stephen Harper d’adresser un instrument d’avis à la gouverneure générale pour contourner la loi sur les élections à date fixe a été contestée devant la Cour fédérale, puis portée en appel devant la Cour d’appel fédérale 15. Les tribunaux ont statué que cette loi n’avait pas créé une nouvelle convention constitutionnelle, même s’il s’agissait de la propre loi du premier ministre sur les élections à date fixe et qu’elle avait reçu la sanction royale. De plus, ils ont statué qu’aucune loi ne pouvait empêcher le premier ministre de « conseiller » le gouverneur général quant à la dissolution du Parlement, et ils ont ajouté bizarrement que, conformément au critère établis par Jennings, le premier ministre et le gouverneur général étaient les deux seuls acteurs constitutionnels compétents lorsqu’il est question de la dissolution du Parlement.

Au Canada, la plus grande controverse entourant la dissolution est survenue en 1926. À la suite des élections, les libéraux de William Lyon Mackenzie King avaient obtenu moins de sièges que les conservateurs. King avait même perdu son propre siège, mais il avait continué à gouverner grâce à l’appui du Parti progressiste. Cet appui s’est toutefois volatilisé à la suite d’un scandale et, confronté à une motion de censure, King a demandé la dissolution du Parlement et la tenue de nouvelles élections. Comme le gouverneur général, lord Byng, n’a pas accédé à sa demande, King a démissionné (mais seulement après avoir tout tenté pour exercer des pressions sur le gouverneur général afin de le faire céder). Le nouveau premier ministre conservateur, Arthur Meighen, n’a pas réussi à obtenir l’appui des progressistes après avoir dérogé à la pratique voulant que les ministres démissionnent de leur siège aux Communes et se fassent réélire lors d’une élection partielle. King a fait de cet épisode avec le gouverneur général un enjeu électoral, puis il a été réélu.

Quant à la première controverse canadienne à propos de la prorogation, elle est survenue en 1873. Sir John A. Macdonald voulait alors proroger le Parlement pour mettre un terme aux travaux d’un comité qui se penchait sur le scandale du Canadien Pacifique. Le gouverneur général de l’époque, lord Dufferin, a assisté à la réunion du Cabinet au cours de laquelle on devait discuter de la prorogation. Il a accepté que le Parlement ne soit prorogé que pendant dix semaines au cours desquelles une commission royale devait faire enquête sur le scandale et présenter son rapport au retour de la législature, ce qu’elle a fait d’ailleurs. Macdonald a alors été défait par un vote de censure, et il a dû démissionner.

Auparavant, à la fin de chaque session, il y avait toujours un discours du Trône pour proroger le Parlement juste avant sa dissolution. Toutefois, étant donné la prise de bec qu’il avait eue avec le gouverneur général à propos de la dissolution du Parlement durant l’affaire King-Byng, Mackenzie King a mis un terme à cette pratique. Ce geste était en fait une tentative visant à réduire l’indépendance du gouverneur général à l’égard de la dissolution. Il est effectivement beaucoup plus facile pour un premier ministre de faire pression sur le gouverneur général en privé, pour que celui-ci signe des proclamations visant à proroger et à dissoudre le Parlement, que de lui demander de lire au Sénat un discours prorogeant le Parlement dans le but de déclencher des élections précipitées. Depuis que les premiers ministres peuvent ainsi se dispenser d’une telle cérémonie de prorogation avant la tenue d’élections, des élections éclairs ont été déclenchées par Diefenbaker en 1958, Pearson en 1965, Trudeau en 1968, Chrétien en 1997 et en 2000, et Harper en 2008.

En 1939, Mackenzie King a modifié une fois de plus la cérémonie de prorogation. Le premier gouverneur général nommé après l’adoption du Statut de Westminster de 1931 fut lord Tweedsmuir. Celui-ci avait été nommé sur la recommandation du gouvernement conservateur de R.B. Bennett. En 1939, le Parlement devait être prorogé et Mackenzie King, de retour au pouvoir, a décidé de profiter du fait que lord Tweedsmuir ne se trouvait pas à Ottawa pour faire présider la cérémonie de prorogation par son suppléant, le juge en chef de la Cour suprême. L’année suivante, le gouverneur général se trouvait bel et bien à Ottawa, mais, lorsqu’il a offert de présider la cérémonie de prorogation, on lui a répondu que le juge en chef allait de nouveau le faire. Le suppléant du gouverneur général a ainsi continué à prononcer le discours du Trône à la prorogation jusqu’en 1983, année où le gouvernement de Pierre Elliot Trudeau a aboli cette pratique16.

Depuis l’abolition de cette cérémonie, Jean Chrétien a eu recours à la prorogation en 2003 afin d’éviter le dépôt du rapport de la vérificatrice générale sur le scandale des commandites, et Stephen Harper y a eu recours deux fois de façon controversée : la première en 2008, pour éviter d’être défait par une motion de censure qui aurait entraîné la chute de son gouvernement au profit d’un gouvernement de coalition formé par le Parti libéral et le NPD, et la seconde en 2009, pour éviter, cette fois-ci une enquête parlementaire sur le transfert des prisonniers afghans sous la garde du Canada.

Les premiers ministres formulent leur « recommandation » au gouverneur général quant à la prorogation sans avoir recours à une procédure officielle. Quand les conservateurs ont remplacé les libéraux à la tête du gouvernement en 1957, on s’est demandé au Cabinet si le Parlement devait être prorogé par le truchement d’un mécanisme officiel par lequel le Cabinet pourrait examiner et transmettre une recommandation visant à proroger le Parlement. Cependant, le premier ministre Diefenbaker a insisté pour que la procédure demeure non officielle et entre les mains du premier ministre. Alors qu’en 2008, le premier ministre s’est rendu lui-même à Rideau Hall et que la gouverneure générale Michaëlle Jean a obtenu l’avis de constitutionnalistes externes durant les deux heures et demie qu’il a fallu au premier ministre pour la convaincre de proroger le Parlement afin d’éviter d’avoir à faire face à une motion de censure, en 2009, le premier ministre a présenté sa demande de prorogation par téléphone. Certains premiers ministres canadiens ont même chargé leur personnel de transmettre le message au gouverneur général, quoique, dans ces cas-là, la prorogation n’était pas utilisée pour bâillonner le Parlement, elle consistait plutôt en une procédure de routine pour mettre un terme à une session afin d’en ouvrir une autre.

Au Canada, aucune période « d’expédition des travaux » ne précède la dissolution du Parlement. L’organe exécutif a plutôt fait adopter par le Parlement une disposition dans la Loi sur la gestion des finances publiques qui l’autorise, par le truchement de mandats spéciaux du gouverneur général, à effectuer des paiements sur le Trésor sans que ceux-ci aient été autorisés préalablement par le Parlement. Ces mandats ne sont censés être utilisés que lorsque le Parlement n’est pas en session et seulement si le président du Conseil du Trésor atteste « l’urgence du paiement et sa nécessité dans l’intérêt public ». Cette procédure, utilisée pour dépenser les fonds publics en période électorale, a aussi été utilisée deux fois pour éviter d’avoir à convoquer le Parlement alors que celui-ci n’était pas dissout, mais ajourné. C’est en 1988 que le recours à cette procédure a suscité la plus grande controverse. Le gouvernement de Brian Mulroney a alors choisi de convoquer le Parlement après les élections pour le faire siéger seulement deux semaines en décembre (afin de ratifier l’Accord de libre-échange), pour ensuite le proroger. Ce gouvernement a continué à gouverner en ayant recours aux mandats spéciaux jusqu’en avril 1989.

Pour ce qui est de la formation du gouvernement, la pratique canadienne respecte à la lettre la convention voulant que le premier ministre sortant ait le droit de demeurer en poste après une élection générale, quel qu’en soit le résultat, pour tenter d’obtenir la confiance de la Chambre des communes. C’est justement ainsi que Mackenzie King a pu rester au pouvoir en 1926. Cette convention a toutefois incité les chefs des partis politiques qui obtiennent un plus grand nombre de sièges aux Communes, sans toutefois obtenir une majorité, à tenter de gouverner sans l’appui officiel des partis de l’opposition. Il est arrivé à l’occasion que des gouvernements minoritaires tentent de négocier avec les autres partis pour obtenir leur appui à long terme, mais la pratique récente au Canada consiste plutôt à placer les partis de l’opposition sur la corde raide pour les intimider afin qu’ils renoncent à contester les mesures législatives du gouvernement au sein d’un parlement divisé.

Le Canada n’a jamais connu de gouvernement de coalition à l’échelon fédéral. Depuis 2008, le premier ministre Harper a maintes fois avancé que ce type de gouvernement n’était pas légitime, à moins que les partis concernés aient dit aux Canadiens qu’ils allaient former une coalition pendant la période électorale. Il a de plus allégué que seul le parti qui remporte le plus grand nombre de sièges peut former le gouvernement puisqu’il a « remporté » l’élection, rejetant ainsi du revers de la main le principe et les conventions propres à la formation d’un gouvernement. Lors d’un séjour en Angleterre, en présence du chef du gouvernement de coalition de ce pays, le premier ministre David Cameron, M. Harper a même déclaré aux journalistes que la seule raison pour laquelle ce chef conservateur avait eu le droit de former une coalition avec les liébraux-démocrates était qu’il avait « remporté l’élection » en obtenant plus de sièges que tous les autres partis.

Quels enseignements pour le Canada?

Tout bien considéré, quels enseignements le Canada devrait-il tirer du Parlement de Westminster?

Tout d’abord, lesquels éviter? À la suite d’un atelier organisé par le professeur Peter Russell au Forum des politiques publiques en février 2011, certains universitaires ont mené une action concertée pour que le Bureau du Conseil privé à Ottawa publie un manuel semblable à celui du Cabinet britannique 17. Ils ont fait là preuve d’un simplisme dangereux.

En Grande-Bretagne, le manuel du Cabinet a contribué au processus démocratique, d’une part parce qu’il a fait l’objet d’un examen public et qu’il a bénéficié de l’apport concerté des deux chambres du Parlement et, d’autre part parce que le premier ministre travailliste Gordon Brown a créé un précédent en étant disposé à travailler de concert avec tous les partis afin de trouver un procédé, à la fois juste et démocratique, pour former un gouvernement au sein de ce qui, de toute évidence, allait devenir un « parlement sans majorité ». J’ai exposé dans un précédent article comment, en raison des différences sur les plans historique, culturel et politique entre la Grande-Bretagne et le Canada, notamment sur le plan des rapports qu’entretiennent les sujets et les politiciens britanniques avec leur monarque, les premiers ministres canadiens peuvent abuser des prérogatives de la Couronne 18. En raison de ces différences, il est peu probable qu’un manuel du Cabinet produit par le Bureau du Conseil privé et approuvé par le Cabinet représente fidèlement les conventions constitutionnelles canadiennes, et encore moins qu’il tente d’améliorer le modèle de Westminster par des modifications ayant pour objet de protéger la fonction de gouverneur général et renforcer le contrôle parlementaire sur la formation des gouvernements — deux éléments fondamentaux d’un gouvernement parlementaire responsable au sein d’une monarchie constitutionnelle.

Au Canada, il y a déjà un équivalent au manuel du Cabinet, dont la seule version rendue publique est celle de 1987. Si ce manuel peut servir d’exemple, notons qu’il ne représente rien de plus qu’une autre tentative du CPM/BCP d’accroître le contrôle exercé par le premier ministre sur les prérogatives de la Couronne. Il y est en effet noté, que même si la prorogation du Parlement s’inscrit dans l’exercice de la prérogative royale, il appartient au premier ministre de décider de proroger 19. C’est tout simplement inexact.

En Grande-Bretagne, le manuel du Cabinet a rendu le régime parlementaire plus démocratique pour deux raisons. Premièrement, à cause de l’engagement du premier ministre et des chefs des autres partis à souscrire aux principes de leur démocratie — et notamment qu’il faut former un gouvernement capable d’obtenir l’appui des Communes. Il s’agit là d’un principe auquel le premier ministre canadien ne souscrit pas, comme en témoignent ses attaques répétées contre la notion de gouvernement de coalition et ses allégations voulant que ce soit le parti qui remporte le plus grand nombre de sièges lors d’une élection qui a le droit de gouverner. Deuxièmement, le manuel britannique a bien fonctionné parce qu’il a fait l’objet d’un examen public avant sa ratification, examen au cours duquel les deux Chambres du Parlement ont tenu des audiences publiques et obtenu l’avis de constitutionnalistes et de fonctionnaires. Sans ces deux volets importants, un manuel du Cabinet pourrait, en fait, porter atteinte à la démocratie canadienne, dans la mesure où le premier ministre, libre de toute entrave en l’absence des autres acteurs constitutionnels, pourrait tenter de rédiger lui-même les conventions constitutionnelles.

Depuis la prorogation du Parlement canadien en 2008, certaines propositions ont été avancées pour prévenir l’usage abusif par les premiers ministres des prérogatives du gouverneur général et pour donner au Parlement davantage de protection, d’influence et de recours. Parmi ces propositions, notons l’adoption de modifications constitutionnelles visant à exiger les deux tiers des voix au Parlement pour proroger et l’établissement d’élections à date fixe tous les quatre ans 20, la publication des décisions du gouverneur général, pour que celles-ci puissent être examinées puis corrigées ultérieurement au Parlement 21, et l’adoption d’un règlement assurant une prise de décision apolitique semblable à celui auquel le président des Communes a recours lorsqu’il vote pour briser l’égalité des voix 22. Mais peut-être que, pour libérer la prorogation de l’influence partisane, le plus simple serait de rétablir la cérémonie de prorogation présidée par le gouverneur général et au cours de laquelle il donne lecture d’un discours du Trône.

La tenue d’une cérémonie de prorogation ne suffit pas pour garantir que le gouverneur général ne se verra plus demander d’user de ses pouvoirs pour avantager un parti politique au détriment de la majorité aux Communes. Mais, si le gouvernement devait rédiger un discours du Trône faisant état de ses réalisations durant la session et demander au gouverneur général de le lire, cet exercice amènerait tant le gouverneur général que le premier ministre à réfléchir sur le bien-fondé de la prorogation demandée et à défendre celle-ci dans le discours du Trône. À tout le moins, cela permettrait d’éviter que la prorogation ne se produise au pied levé, puisqu’il faudrait rédiger un discours et préparer une cérémonie.

Il serait aussi possible d’instaurer un changement constructif afin de rétablir une certaine civilité au Parlement en éliminant la disposition de la Loi sur la gestion des finances publiques qui autorise le gouvernement à effectuer des prélèvements sur le Trésor par le truchement d’un mandat spécial, et en adoptant plutôt une pratique consistant à demander la dissolution au moins une semaine à l’avance afin de pouvoir tenir une période « d’expédition des travaux ». Cela pourrait aussi contribuer à éviter le déclenchement d’élections éclairs.

Le Canada peut certes tirer un certain nombre d’enseignements de la Grande-Bretagne. Mais ce qui importe, c’est qu’il retienne ceux qui conviennent — c’est-à-dire ceux qui sont susceptibles d’améliorer, et non d’affaiblir, la démocratie parlementaire canadienne.

Notes

1 Faute d’un préambule, toutes les lois au Royaume-Uni commencent par : « Sa Très Excellente Majesté la Reine, sur l’avis et avec le consentement des lords spirituels et temporels et des Communes réunis en Parlement, et sous l’autorité de celui-ci, édicte : »; tandis qu’au Canada, les lois fédérales commencent par : « Sa Majesté, sur l’avis et avec le consentement du Sénat et de la Chambre des communes du Canada, édicte : ».

2 La convention veut que les ministres soient membres de l’une des deux chambres du Parlement (les Communes ou le Sénat) au moment de leur nomination, ou qu’ils le deviennent dans un délai raisonnablement court. L’Australie et la Nouvelle-Zélande ont délaissé les conventions et codifié des règles pour régir certaines prérogatives de la Couronne (les abolissant en cours de route). En Australie, un ministre dispose de trois mois pour se faire élire au Parlement (où les membres des deux chambres sont élus), sans quoi il doit démissionner (Commonwealth of Australia Constitution Act, art. 64). En Nouvelle-Zélande, un ministre doit être membre de la Chambre des représentants, mais s’il est défait aux élections générales, on lui accorde un délai de 40 jours pour remporter un siège lors d’une élection partielle, sans quoi il doit démissionner (Constitution Act 1986).

3 Après la démission du premier ministre, lord Aberdeen, la reine Victoria a d’abord demandé à lord Derby, à lord Lansdowne puis à lord Russell de former un nouveau gouvernement, avant d’inviter lord Palmerston au palais de Buckingham, le 4 février 1855.

4 La sanction royale est octroyée avant la lecture du discours.

5 Prorogation Act, 1867.

6 Representation of the People Act, 1918.

7 Cette distinction a été faite par l’ancien premier ministre britannique Harold Macmillan, Riding the Storm, 1956-1959, Londres, Macmillan Press Ltd, 1971.

8 Il est possible de dissoudre le Parlement sans qu’il y ait une période « d’expédition des travaux ». En 1924, le conservateur Stanley Baldwin a demandé au roi de dissoudre le Parlement immédiatement et de déclencher la troisième élection en à peine deux ans. Cette élection lui a permis d’obtenir une majorité aux Communes.

9 Cabinet Manual: A guide to laws, conventions and rules on the operation of government, Londres, Cabinet Office, 2011, article 2.29.

10 Ivor Jennings, The Law and the Constitution, Londres, University of London Press, 1959. Ce critère a été entériné par la Cour suprême du Canada dans Renvoi : Résolution pour modifier la Constitution, [1981], p. 888; et dans le Renvoi sur l’opposition du Québec à une résolution pour modifier la Constitution, [1982], p. 802-818.

11 Cabinet Manual, article 2.14.

12 On entend par gouvernements minoritaires ceux dont les membres du Cabinet proviennent d’un parti qui n’a pas la majorité des sièges aux Communes, mais qui peut obtenir l’appui de la Chambre pour former le gouvernement. Cet appui peut être consenti au cas par cas ou selon une entente officielle conclue avec la direction d’un autre parti pour une période de temps prédéterminée.

13 Fixed-term Parliaments Act 2011, SUK 2011, ch. 14. Cette loi exige que le premier ministre crée un comité en 2020, principalement composé de députés, et chargé d’examiner l’application de la loi et d’évaluer si elle doit être modifiée.

14 Loi modifiant la Loi électorale du Canada (L.C. 2007, ch. 10), par. 56.1(1).

15 Conacher c. Canada (Premier ministre), 2009 CF 920, [2010] 3 RCF 411.

16 La seule prorogation où il n’y a pas eu lecture du discours du Trône est survenue en 1911, puisque le Parlement a été prorogé durant l’ajournement du Sénat. Le Parlement a alors été prorogé par proclamation, puis dissout par une autre, avant la tenue d’élections fédérales.

17 Par exemple, Fraser Harland, « Convention constitutionnelle et manuels du Cabinet », Revue parlementaire canadienne, vol. 34, no 4 (hiver 2011), p. 25-32.

18 Bruce M. Hicks, « La prérogative royale dans les contextes britannique et canadien », Revue parlementaire canadienne, vol. 33, no 2 (été 2010), p. 19-25.

19 Manual of Official Procedure of the Government of Canada, Ottawa, Bureau du Conseil privé, 1987, p. 401, articles 2 et 3.

20 Peter Aucoin, Mark D. Jarvis et Lori Turnbull, Democratizing the Constitution: Reforming Responsible Government, Toronto,  Emond Montgomery Publication, 2011.

21 Bruce M. Hicks, « Lies my Fathers of Confederation told me », Inroads, no 25 (été-automne 2009), p. 60-69.

22 Bruce M. Hicks, « Guiding the Governor General’s Prerogatives: Constitutional Convention Versus an Apolitical Decision Rule », Constitutional Forum constitutionnel, vol. 18, no 2 (2009), p. 55-67.

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