Sur les rayons Vol 35 No 4

Article 11 / 13 , Vol 35 No 4 (Hiver)

Sur les rayons

Odgers’ Australian Senate Practice, 13e édition, publié sous la direction de Harry Evens et Rosemary Laing, Canberra, Ministère du Sénat, 2012, 942 p.

La publication de la 13e édition du Odgers’ Australian Senate Practice se révèle un merveilleux hommage à James Rowland Odgers, greffier du sénat australien de 1965 à 1979, et à Harry Evens, qui a occupé ce poste de 1988 à 2009. M. Odgers, qui a commencé à élaborer cet ouvrage qui fait autorité en matière parlementaire en 1953, a édité cinq versions du livre, la sixième ayant été produite en 1991, après son décès, mais avec le matériel qu’il avait préparé. M. Evens, le greffier du Sénat australien qui a servi le plus longtemps, a écrit toutes les éditions subséquentes, cosignant la 13e édition avec la greffière actuelle, Rosemary Laing, qui est au service du Sénat depuis 22 ans. L’ouvrage constituera sans aucun doute un outil inestimable pour le président et les présidents de comités, puisqu’il répondra à leurs questions sur la façon dont la législature doit traiter les affaires qui leur sont présentées. Les étudiants du constitutionnalisme qui suivent les travaux du Sénat s’en serviront également pour déterminer si ce dernier remplit bien ses fonctions constitutionnelles relatives au pouvoir exécutif, à la Chambre des représentants et au pouvoir judiciaire.

Toutefois le livre est surtout destiné aux sénateurs australiens. Sa contribution la plus précieuse réside dans ses encouragements tacites à leur endroit pour les pousser à faire preuve de loyauté envers l’institution, ses objectifs et le bicaméralisme. Comme le dit MmeLaing dans la préface, l’ouvrage ne se contente pas de présenter un compte rendu des pratiques et de la procédure du Sénat, il décrit également la place qu’occupe ce dernier dans la Constitution australienne. L’Australie, premier pays de système britannique à avoir une chambre haute élue par vote populaire, est l’un des cinq régimes contemporains au « bicaméralisme fort » selon l’éminent politicologue Arend Lijphart, les autres étant la Colombie, l’Allemagne, la Suisse et les États-Unis (Patterns of Democracy, 1999). Bien qu’elle ne contienne plus la dédicace que l’on trouvait dans la douzième édition, la nouvelle poursuit la tradition, établie par Odgers, d’expliquer les raisons du bicaméralisme et les fonctions du Sénat, et d’actualiser la chronologie de la manière dont le Sénat a exercé ses pouvoirs de 1901 à 2012.

À première vue, on pourrait croire que le Odgers’ ne présente qu’un intérêt limité pour le Sénat canadien, puisque les deux chambres sont si différentes. Les sénateurs australiens sont élus pour un mandat de six ans selon un système de représentation proportionnelle par mode de scrutin préférentiel, alors que les sénateurs canadiens sont nommés jusqu’à l’âge de 75 ans. Entre un quart et un tiers des ministres siègent au Sénat australien, tandis qu’au Canada, à l’exception des années 2006 à2008, lorsque Michel Fortier a également siégé au cabinet, le leader du gouvernement est le seul ministre à y siéger depuis 1984. Pour des raisons qui méritent une étude plus approfondie, le Sénat australien amende beaucoup plus de projets de loi que son équivalent canadien. Par exemple, en 2010, les sénateurs australiens ont apporté 416 amendements à 40 projets de loi, alors que les sénateurs canadiens en ont apporté 17 à 10 projets de loi. Contrairement à son homologue canadien, le Sénat australien a déjà eu recours à ses pouvoirs législatifs pour retarder l’approbation des crédits. En 1975, cela a précipité le pays dans une sérieuse crise constitutionnelle et a mené à la destitution du gouvernement du premier ministre Gough Whitlam. En outre, les petits partis politiques sont toujours représentés au Sénat australien alors que le Canada possède un système à deux partis, bien que des indépendants y siègent parfois.

En dépit de ces importantes différences, les similarités entre les deux institutions sont très frappantes. Comme le note Meg Russell dans Reforming the House of Lords (2000), les sénats australien et canadien sont liés par l’histoire et les traditions de leur pays, puisqu’ils témoignent du développement de leur système fédéral. Dans les deux pays, les pères fondateurs ont passé le plus clair de leur temps à discuter de questions constitutionnelles sur la composition et les pouvoirs de la chambre haute et, sans les ententes conclues sur leur sénat, il n’y aurait jamais eu de Commonwealth d’Australie ni de Dominion du Canada. Les deux chambres sont plus petites que leur partenaire bicaméral et pratiquement de la même taille : le Sénat australien compte 76 sièges, comparativement à 150 à la Chambre des représentants, tandis que le Sénat du Canada compte 105 sièges comparativement à 308 à la Chambre des communes. Dans les deux chambres, le vote du président est délibératif et non prépondérant et, en cas d’égalité des voix, la décision est considérée comme rendu dans la négative. Les fonctions énumérées dans les diverses éditions du Odgers’ peuvent, de nombreuses façons, s’appliquer au Sénat du Canada. Parmi celles-ci, notons : gardien des intérêts des États; chambre d’examen; chambre des freins et contrepoids; seconde opinion de la nation; surveillant du rendement du gouvernement; assurance contre l’incompétence et la mauvaise gestion du gouvernement; défenseur des droits et libertés du citoyen; enfin, en général, soupape de sûreté du système fédéral (Australian Senate Practice, 6e édition, p. xxxvii)

À titre de membres d’une assemblée législative élue, les sénateurs prennent leur rôle de représentants très au sérieux. Bien qu’ils ne soient pas élus, les sénateurs canadiens se sont toujours considérés comme faisant partie d’une chambre dont le mandat est de représenter la population canadienne, en particulier les minorités linguistiques, les autochtones et les autres groupes minoritaires. Les deux chambres sont munies d’un système dynamique de comités qui produisent des rapports d’étude utiles et très respectés, et réalisent des enquêtes sur les projets de loi. Fait particulièrement important, les deux chambres sont constitutionnellement incapables de faire perdre le pouvoir au gouvernement, puisque, conformément à la théorie du gouvernement responsable, un ministère doit, pour demeurer au pouvoir, jouir de la confiance de la chambre basse et non de celle de la chambre haute. Les pouvoirs des deux sénats sont limités par la disposition constitutionnelle selon laquelle les projets de loi relatifs aux crédits ou au financement ou imposant une taxe doivent provenir de la chambre basse. De plus, comme l’a reconnu David Smith dans The Canadian Senate in Bicameral Perspective (2003, p. 12), la partisanerie se trouve au cœur de l’existence de la seconde chambre dans les deux pays. Même Harry Evens s’est plaint, dans une publication distincte du Odgers’, que, depuis le départ de David Hamer du Sénat australien en 1990, le contrôle du gouvernement sur ses députés et sénateurs d’arrière-ban est bien plus étroit. De nombreux auteurs citent le sénat australien comme un exemple de gouvernement divisé parce que le gouvernement détient très rarement une majorité à la chambre haute. Cette description s’applique en partie au Sénat du Canada. Depuis 1945, le gouvernement a été minoritaire au Sénat pendant 22,5 ans, soit environ 33 % du temps. Cela ne s’est pas nécessairement traduit par une impasse législative et politique dans l’un ou l’autre des parlements. Par contre, à quelques occasions, des élections ont été déclenchées par suite des délibérations au Sénat sur des lois du gouvernement, par exemple en 1975, en Australie, pour des questions liées aux crédits, et en 1988, au Canada, à propos de l’Accord de libre-échange avec les États-Unis.

Le Odgers’ figure parmi les ouvrages parlementaires classiques qui font autorité. Il constitue une source fiable en matière de procédure, particulièrement pour le Sénat du Canada. La 13e édition contient une liste des changements importants à la procédure depuis 2008. Par exemple, un protocole mis sur pied pour les témoins cherchant à éviter d’avoir à répondre à certaines questions pour le motif d’immunité d’intérêt public s’est reflété dans une résolution du Sénat australien en 2009. Cette résolution constitue une partie intégrante des observations préliminaires des présidents lors des audiences budgétaires des comités législatifs. En 2010, le sénat a adopté une résolution affirmant son pouvoir absolu, en vertu de l’article 49 de la Constitution, d’ordonner la production des documents nécessaires à son information, pouvoir qui englobe tant les documents existants que ceux à créer pour se conformer à l’ordonnance. Toujours en 2010, le Sénat a adopté une motion pour que la déclaration d’ouverture du Parlement soit précédée d’une cérémonie autochtone de « bienvenue au pays ». Celle-ci symbolise une cérémonie où les propriétaires traditionnels donnent leur permission à une activité tenue sur leurs terres et se veut un témoignage de respect envers les gardiens traditionnels de la terre. La cérémonie de bienvenue au pays a été formellement intégrée à la procédure d’inauguration d’une législature et une déclaration de reconnaissance du pays a été ajoutée aux affaires quotidiennes, après les prières.

Le Odgers’ est reconnu pour son franc-parler et ses déclarations d’opinion sans compromis. Mais un tel style d’écriture est sans doute nécessaire devant les critiques fréquentes sur l’existence même d’une deuxième chambre dans les régimes démocratiques et la remise en question de son rôle dans le processus législatif. Dans sa préface, MmeLaing laisse entendre qu’une révision en profondeur du livre s’imposera tôt ou tard. Il y a tout lieu d’espérer que, peu importe les changements qui y seront apportés, le Odgers’ continuera de se faire l’ardent défenseur du bicaméralisme, des droits du Sénat et de son indépendance à l’égard de la Chambre des représentants.

Gary W. O’Brien
Greffier du Sénat du Canada


At the Heart of Gold: The Yukon Commissioner’s Office 1898-2010 de Linda Johnson L’Assemblée législative du Yukon, 2012, 332 p.

Bien qu’il soit l’une des entités politiques les plus petites du point de vue de la population et du nombre de sièges de son assemblée législative, le Yukon est néanmoins l’une des plus actives sur le plan de la promotion de son histoire parlementaire, qui, tout comme le territoire lui-même, est riche et haute en couleur. Linda Johnson a été archiviste du Yukon pendant 20 ans, puis archiviste au Collègue du Yukon. Elle a publié en 2009 le livre With the People Who Live Here: The History of the Yukon Legislature, 1909-1961.

Ce livre-ci porte sur les hommes et les femmes qui ont occupé le poste de commissaire du Yukon depuis 1898. Comme le note le commissaire actuel, Doug Phillips, « le terme “commissaire” peut renvoyer à toute sorte de postes, allant de gardien de sécurité au Parlement au chef de la GRC » (p. 315). La charge a évolué au fil du temps et ressemble aujourd’hui à celle de lieutenant-gouverneur d’une province.

La première partie du livre contient de courtes biographies des 15 commissaires de 1898 à 1962. Bon nombre d’entre eux étaient affiliés de près au Parti libéral ou au Parti conservateur, selon le parti au pouvoir à Ottawa lors de leur nomination. La plupart provenaient des provinces du Sud, mais ils ont tous succombé aux charmes du Yukon. Quelques-uns ont poursuivi leur carrière en politique fédérale, comme George Black (1912-1918), qui est devenu député et président de la Chambre des communes au cours des années 1930. James Ross, commissaire de 1901 à 1902, est devenu député puis sénateur. Au fil de ces biographies, le lecteur en apprend davantage sur les grands thèmes de l’histoire du Yukon, de la ruée vers l’or à l’exploitation minière, en passant par les pipelines et les revendications territoriales des Autochtones.

La deuxième partie du livre porte sur les titulaires de cette charge depuis 1962. Ce groupe est plus diversifié et comprend la première femme commissaire, Ione Christensen, et la première Autochtone à occuper le poste, Judy Gingrell. Au moment de la rédaction du livre en 2010, tous les commissaires nommés après 1962 étaient encore en vie, et l’auteure s’est entretenue avec neuf d’entre eux. Les passages qui leur sont consacrés s’appuient sur le contenu de ces entretiens. Ces récits oraux sont d’une honnêteté rafraichissante : de nombreux commissaires n’hésitent pas à aborder tant leurs échecs et leurs lacunes que leurs réussites.

Chaque commissaire parle relativement des mêmes sujets, soit leur enfance, leur vie de famille et, bien entendu, leurs années en poste. Ce modèle rend la lecture intéressante, mais le problème des récits oraux devient apparent lorsqu’il est question de l’obtention d’un gouvernement responsable.

La lutte pour l’obtention d’un gouvernement responsable, à l’issue de laquelle le commissaire a perdu son rôle de chef de gouvernement pour ne devenir qu’une figure symbolique comme les lieutenants-gouverneurs, ressemble à celle qui a eu lieu bien des années auparavant dans le Haut-Canada et le Bas-Canada. Au Yukon, il n’y a pas eu versement de sang, mais, entre 1978 et 1980, quatre personnes ont occupé le poste de commissaire (Arthur Pearson, Frank Fingland, Ione Christensen et Doug Bell). Deux d’entre elles ont démissionné et les accusations et les contre-accusations fusaient de toutes parts alors que les députés élus disputaient le contrôle du territoire au commissaire nommé. La situation a été exacerbée par deux changements de gouvernement à Ottawa, ce qui signifie que plusieurs personnes se sont succédé au poste de ministre des Affaires indiennes et du Nord au cours de ces trois années.

Au cours des entretiens, chaque commissaire aborde la question de la transition vers un gouvernement responsable selon sa propre perspective, chacun donnant sa version des faits et attribuant le blâme ou l’honneur à différentes personnes. Il est difficile pour un lecteur non averti de distinguer les opinions des faits. L’histoire officielle du gouvernement responsable du Yukon n’a toujours pas été écrite.

Malgré tout, ce recueil d’histoires du Yukon est un ajout inestimable à la littérature du Nord du Canada. Il faut féliciter plusieurs générations de commissaires, de présidents et de greffiers d’avoir gardé vivante l’histoire orale du territoire pour que l’on puisse la publier dans un livre aussi précieux et divertissant.

Gary Levy
Directeur
Revue parlementaire canadienne

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