Changer de représentants élus tout en gardant en poste les employés des bureaux de circonscription

Article 2 / 14 , Vol 37 No 2 (Été)

Changer de représentants élus tout en gardant en poste les employés des bureaux de circonscription

Lorsqu’elle a succédé au député libéral de longue date, Herb Epp, dans la circonscription provinciale de Waterloo-Nord en 1990, la progressiste-conservatrice Elizabeth Witmer a gardé à son emploi deux des employées du bureau de circonscription de son prédécesseur. Dans cette entrevue, Witmer souligne que même s’il est rare que des élus d’allégeance politique différente s’entendent de cette façon, l’approche résolument impartiale qu’elle a adoptée au moment d’embaucher du personnel pour son bureau de circonscription l’a bien servie et a aussi été profitable à sa collectivité.

RPC : Pouvez-vous nous parler un peu de votre parcours et de ce qui vous a amenée à vous intéresser à la politique et à vous faire élire comme députée provinciale?

Elizabeth Witmer : J’ai commencé à m’intéresser à la politique à l’époque où j’étais à l’école secondaire. À l’âge de 18 ans, j’ai participé à un rassemblement avec le député provincial de mon comté, le comté de Huron, qui était aussi ministre à l’époque, en l’occurrence Charles McNaughton. Celui ci m’avait invitée à participer à un rassemblement avec lui et son épouse. Je me rappelle être rentrée à la maison et m’être dit alors que j’aimerais suivre ses traces et devenir députée. M. McNaughton était quelqu’un de très attentionné qui, peu importe la situation sociale ou à l’affiliation politique, respectait et traitait tout le monde avec les mêmes égards. J’étais très impressionnée par la façon dont il servait ses électeurs et travaillait en leur nom. À la fin de mes études secondaires, j’ai étudié à l’Université Western pour devenir enseignante au secondaire. Après 12 ans d’enseignement, j’ai pris la décision de quitter ma profession d’enseignante et de briguer une charge publique. J’ai décidé alors de me porter candidate à un poste de conseiller scolaire plutôt qu’à un poste de conseiller municipal, parce que j’estimais que mon expérience dans l’enseignement allait bien me servir. J’ai donc posé ma candidature au Conseil scolaire en 1980 et je l’ai emporté. En 1985, je suis devenue présidente du Conseil. J’ai ensuite été invitée à me présenter pour le Parti progressiste-conservateur en 1987 et, même si je savais que je ne pourrais pas battre Herb Epp, parce que celui ci était un élu fort respecté et à l’écoute de la population, j’ai quand même décidé de me porter candidate. Il faut parfois tenter sa chance et perdre pour apprendre comment gagner la prochaine fois. Je me suis présentée de nouveau en 1990 et je l’ai emporté lors d’une élection où le reste de la province a voté néo-démocrate. Ma circonscription est passée des mains des libéraux aux conservateurs. Ma victoire était largement attribuable, je crois, au fait que les électeurs ont choisi de voter pour moi parce que j’avais fait mes preuves ailleurs plutôt qu’en raison de mon allégeance politique.

RPC : Lorsqu’ils sont élus, les nouveaux parlementaires ont le droit de consacrer une partie de leur budget de bureau à l’installation d’un bureau de circonscription. Parfois, lorsqu’ils succèdent à un député du même parti qu’eux, ils recrutent parmi ses ex employés. Il est par contre extrêmement rare qu’un nouveau député embauche les employés de l’ex député, lorsque ceux ci sont issus d’un autre parti. Pourquoi avez-vous choisi de faire ça?

Witmer : Je me suis rendu compte que c’était extrêmement rare seulement après coup. Je me suis dit que mon rôle était de représenter la population de ma circonscription et j’ai décidé que je devais représenter tous les électeurs sans exception, peu importe qu’ils aient voté pour moi ou pour mon parti. J’en suis arrivée à la conclusion que les personnes qui avaient travaillé pour Herb Epp connaissaient la circonscription et avaient fait un excellent travail auprès de la population. C’est pourquoi j’ai offert des postes à deux de ces ex employées de circonscription. L’une d’elles a travaillé pour moi jusqu’à ce qu’elle prenne sa retraite, tandis que l’autre est restée à mon emploi pendant les 22 années où j’ai été députée. Leur priorité était de mettre les citoyens au premier plan – notre bureau n’avait rien de politique. Nous nous efforcions de bien servir la population et je n’ai jamais regretté cette décision, parce que je suis convaincue que le rôle des bureaux de circonscription est d’aider la population et quiconque a un problème ou une préoccupation doit se sentir à l’aise de communiquer avec son député ou le personnel du bureau de circonscription pour en discuter. Je crois que le personnel que j’ai embauché a fait ce travail. Leur loyauté allait d’abord à la population de circonscription et je suis fermement convaincue que c’était bien ainsi. Je dois avouer par contre que j’ai reçu un appel de quelqu’un du parti qui m’a dit : « Tu sais, ce n’est pas comme ça qu’on procède normalement. » C’est là que j’ai pris conscience que ce n’était pas la façon de faire habituelle, mais jusque là, j’étais convaincue qu’il était tout à fait logique d’embaucher des personnes qui faisaient passer les citoyens avant la politique.

RPC : Vous dites que vous avez reçu un appel de quelqu’un désirant vous souligner que cette façon de procéder était inhabituelle. D’autres collègues vous ont-ils appelée eux aussi pour vous poser des questions à ce sujet?

Witmer : Je ne me souviens que d’un seul appel. Autrement, personne n’en a fait de cas. C’est seulement après coup que j’ai réalisé qu’il était plus courant pour un député de choisir quelqu’un du même parti que lui. Je n’avais aucune idée de l’allégeance politique des deux employées que j’avais embauchées et, à vrai dire, je trouvais que ça n’avait aucune importance. Tout ce que je voulais, c’est qu’elles fassent de leur mieux pour bien servir l’ensemble de la population de la circonscription et pour répondre aux préoccupations de nos électeurs au meilleur de leurs connaissances.

RPC : Donnez-nous quelques exemples des avantages qu’il y a à garder en poste les employés d’un ex député?

Witmer : Ils connaissent les électeurs. Ils savent en quoi consiste le travail dans un bureau de circonscription. Ils sont au courant des dossiers et des préoccupations des citoyens, notamment des dossiers de la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail et de ceux de l’assistance sociale, des questions touchant le soutien des familles, des formalités de renouvellement et le remplacement des certificats de naissance, des affaires relatives aux cartes d’assurance-maladie, des questions de transport et des enjeux touchant la petite entreprise. L’avantage, c’est que les employés d’un ex député connaissent bien leur travail, et ils savent ce qu’on attend d’eux. Je suis reconnaissante à l’une des employées d’Herb d’être restée à mon emploi tout au long de mes 22 années en poste. Sa présence a été d’autant plus précieuse lorsque je suis devenue ministre en 1995 et que je n’avais plus autant de temps à consacrer à ma circonscription. C’est donc elle, essentiellement, qui s’est occupée du bureau et des relations avec les différents interlocuteurs. Bien entendu, c’est toujours moi qui prenais les décisions importantes et je n’ai jamais laissé partir une lettre sans qu’elle porte ma signature. Elle a fait un travail extraordinaire au service de mes électeurs et, parallèlement, elle me tenait au courant des dossiers chauds de façon à ce que j’aie toujours en mains des renseignements de première main à leur sujet. Ces renseignements étaient importants parce qu’ils m’aidaient à prendre des décisions informées aux réunions du caucus et du conseil des ministres.

RPC : Lorsque vous avez pris la relève de M. Epp et que vous avez embauché quelques-unes de ses employées, avez-vous pu par la même occasion transférer quelques-uns de ses dossiers pour votre propre usage ou si c’est là quelque chose qui ne s’est pas concrétisé?

Witmer : Ces dossiers sont normalement détruits. Toutefois, dans ce cas ci, nous avons effectivement eu accès à certains des dossiers de mon prédécesseur. Il était logique de procéder ainsi puisque, de cette façon, l’électeur n’avait pas à recommencer à zéro avec un nouvel adjoint de circonscription qui n’était pas au courant de l’historique de son dossier.

RPC : Puisque les bureaux de circonscription sont devenus des intermédiaires névralgiques auprès de toute personne qui doit traiter avec les gouvernements pour obtenir différents services ou qui a besoin d’être dirigée vers le bon ministère, ne devrait il pas y avoir un poste de fonctionnaire dans les bureaux de circonscription c’est-à-dire une personne qui relèverait de l’institution, peu importe le parti au pouvoir ou le député en poste?

Witmer : Je pense que ce serait très difficile à réaliser. En ce moment, c’est le député qui est l’employeur et il faut qu’il y ait un lien de confiance et de collaboration entre le député et les employés qui travaillent à son bureau de circonscription. Le député doit avoir confiance que ses employés vont le représenter de la manière qu’il souhaite l’être. C’est absolument essentiel. Les employés en question sont nos yeux et nos oreilles dans la collectivité. Ils sont aux premières lignes. Un député doit passer beaucoup de temps à Toronto, en particulier lorsqu’il devient ministre. Il doit pouvoir compter sur son personnel de circonscription pour le tenir au courant de ce qui se passe dans la circonscription, d’où l’importance d’entretenir un climat de confiance et d’honnêteté réciproques. S’il y a des problèmes, les employés de circonscription doivent en informer leur député dans les plus brefs délais, afin que celui ci puisse participer à la recherche de solutions.

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