Sur les rayons Vol 37 No 3

Article 9 / 10 , Vol 37 No 3 (Automne)

Sur les rayons

Conservatism in Canada, publié sous la direction de James Farney et David Rayside, University of Toronto Press, Toronto, 2013, 400 p.

Après trois victoires majoritaires consécutives du Parti libéral en 1993, 1997 et 2000, beaucoup avaient le sentiment que la domination libérale de la politique canadienne serait sans fin. Certes, Jean Chrétien n’avait peut-être pas exactement été aimé mais, quand son ministre des Finances, la superstar Paul Martin, a inévitablement pris la direction du parti, sa majorité allait inévitablement s’agrandir.

C’était ce qu’on pensait dans le sillage de l’élection de 2000 durant laquelle les libéraux, après déjà deux mandats de gouvernement, avaient augmenté leur nombre de sièges et enregistré une nouvelle victoire contre une droite divisée sans même avoir besoin de se fatiguer. Et c’est sans doute dans un ouvrage publié en 2001 par deux auteurs de droite, Gritlock: Are the Liberals in Forever?, que la peur ainsi suscitée chez les conservateurs canadiens a été le mieux exprimée. La question du titre était pertinente : les libéraux allaient-ils donc gouverner jusqu’à la fin des temps?

Eh bien, non. En 2004, ils sont secoués par le scandale des commandites, au moment où des divisions qu’on croyait jusque-là insurmontables entre l’Alliance canadienne et les progressistes-conservateurs disparaissent avec la création d’un nouveau Parti conservateur du Canada. Sous la houlette de Steven Harper, il réduit les libéraux à un gouvernement minoritaire en 2004, puis forme lui-même un gouvernement minoritaire en 2006 avant d’accroître son nombre de sièges en 2008 et en 2011, année où il finit par gagner cette majorité tant attendue.

Bien que ces développements aient suscité beaucoup de commentaires dans les médias, personne n’avait encore entrepris d’étude approfondie et exhaustive de la montée en puissance du conservatisme canadien sous ses deux formes, avec un petit « c » et un grand « C ». Conservatism in Canada est une collection d’essais perspicaces et provocateurs qui décrivent avec sagacité le conservatisme canadien comme étant un système d’idées, de valeurs et d’engagements politiques multiformes, complexes et parfois contradictoires plutôt qu’un simple monolithe.

Publiée sous la direction de James Farney et David Rayside, cette collection présente adroitement les diverses souches de l’idéologie conservatrice au niveau aussi bien fédéral que provincial. Elle aborde les rôles de chaque branche de gouvernement, ainsi que leurs relations, tout en s’efforçant de déterminer simultanément dans quelle mesure les conservateurs canadiens peuvent être considérés comme une espèce différente de leurs homologues américains et européens.

Projet ambitieux, Conservatism in Canada propose une analyse approfondie d’enjeux relatifs à l’économie, à la culture, et à la politique étrangère. Bien que certains des essais exposent leurs arguments de manière plus convaincante que d’autres, presque tous s’avèrent extrêmement intéressants, scrupuleusement équilibrés et profondément révélateurs.

Dans leur introduction, Farney et Rayside affirment que la meilleure manière de comprendre le conservatisme est d’y voir quatre grands courants idéologiques : le néolibéralisme, le traditionalisme moral et social, le populisme et le nationalisme. Dans quelle mesure ces quatre courants trouvent-ils ou non une expression dans les partis politiques conservateurs? Les directeurs de la collection soutiennent que, dans le contexte canadien, le néolibéralisme joue un rôle dominant, le traditionalisme moral et social et le populisme étant repoussés à l’arrière-plan mais exerçant quand même une influence assez considérable. Le nationalisme persiste à vouloir bâtir la citoyenneté selon des axes traditionalistes, mais le genre de xénophobie fiévreuse présent dans le conservatisme européen et, de plus en plus, américain, est jugé largement absent au Canada du fait d’une grande acceptation, dans l’opinion publique, de l’immigration.

Conservatism in Canada comprend trois parties : la première est consacrée aux aspects théoriques, religieux et sociétaux du conservatisme canadien, alors que la deuxième et la troisième portent respectivement sur le Parti conservateur fédéral et les partis conservateurs provinciaux.

La première partie débute avec un essai particulièrement instructif où Christopher Cochrane analyse l’opinion publique et les divisions conceptuelles qui fondent et structurent les désaccords politiques, pas seulement entre la Droite et la Gauche mais aussi entre différentes écoles au sein du conservatisme. Un essai final de Steve Patten est cependant moins convaincant. Il défend la thèse plausible que le néolibéralisme a triomphé au sein du conservatisme des partis au Canada, mais sans parvenir à justifier efficacement son argument.

Les conservateurs de Harper ont incontestablement usé de la rhétorique néolibérale en réclamant moins de gouvernement et des marchés plus libres, et en embrassant certaines politiques néolibérales telles que les dégrèvements d’impôt et les accords de libre-échange. Toutefois, ils ont aussi contribué au sauvetage de General Motors et de Chrysler, et ont accru les subventions aux grandes entreprises, deux décisions largement répudiées par les néolibéraux orthodoxes. En outre, certaines des politiques citées comme preuves du néolibéralisme des conservateurs — leur préférence pour des dégrèvements fiscaux ciblés et leur refus de s’attaquer au changement climatique — ne sont pas clairement reliées à l’idéologie néolibérale, même dans la définition de Patten. Les dégrèvements fiscaux ciblés ont été accueillis par le mépris dans les milieux néolibéraux, alors que certains économistes libéraux de premier plan ont reconnu les dangers du changement climatique et endossé des initiatives telles qu’une tarification du carbone à la Stéphane Dion, pour des raisons typiques d’externalité.

À ceux qui s’intéressent surtout à la reconfiguration radicale de la politique des partis engendrée par la création du Parti conservateur en 2003, la deuxième partie de Conservatism in Canada a beaucoup à offrir. Une analyse de la structure organisationnelle du Parti conservateur par Tom Flanagan, le politologue de l’Université de Calgary qui a géré la campagne des conservateurs en 2004, est utilement éclairée par son point de vue d’initié. Flanagan soutient de manière persuasive que le Parti conservateur est devenu soudé à un modèle de campagne électorale permanente axé sur le contrôle national, la discipline du message, et des publicités d’attaque préélectorales. Il estime que l’opposition se dirige aussi dans cette voie, créant ainsi « un monde darwinien de concurrence électorale » impulsé par une « logique de course aux armements » qui menace l’aptitude des partis politiques à jouer le rôle d’outils d’élaboration des politiques publiques et de représentation de leurs membres.

On a vu apparaître ces dernières années de nouveaux partis politiques conservateurs importants au Québec, en Alberta et, surtout, en Saskatchewan, avec le Saskatchewan Party, de centre-droite, actuellement au gouvernement. La dernière partie de Conservatism in Canada traite avec compétence de ces développements tout en examinant l’évolution des partis progressistes-conservateurs plus anciens, ainsi que les tendances de l’opinion publique provinciale. Elle commence par une analyse lumineuse et historiquement ancrée de la manière dont des dynamiques sociales, religieuses et économiques différentes ont déterminé le type de conservatisme qui s’implanterait le mieux dans telle ou telle province. Ce survol provincial est suivi d’un certain nombre d’articles portant sur le conservatisme dans des provinces particulières.

Bien que chaque essai de cette partie mérite des louanges, un article remarquable de David K. Stewart et Anthony Sayers réfute vigoureusement l’idée pourtant largement répandue selon laquelle l’Alberta serait un monolithe conservateur. Faisant excellent usage d’une abondance de sondages, ces auteurs démontrent de manière convaincante que les Albertains ne sont ni des néolibéraux à tout crin ni des traditionnalistes sociaux indécrottables. En vérité, leurs convictions politiques sur les questions autant économiques que sociales ne sont pas très éloignées du centre idéologique national, bien qu’ils soient beaucoup plus méfiants d’un gouvernement centralisé et beaucoup plus opposés à son action que les citoyens de n’importe quelle autre province, sauf peut-être le Québec.

Les directeurs de la collection concluent à la fin de l’ouvrage que le conservatisme canadien se distingue du conservatisme européen par son acceptation de la diversité culturelle, et du conservatisme américain, par sa relative laïcité. S’agissant de l’interaction entre les différents courants idéologiques exposés dans l’introduction, ils réitèrent leur argument sur la domination du néolibéralisme, tout en suggérant que « l’hommage » du conservatisme », exprimé essentiellement par son appui aux « normes traditionnelles sur le genre et la sexualité », le met en contradiction avec une célébration de l’autonomie individuelle en constante expansion qui a précisément miné ces normes-là. C’est une thèse intéressante mais encore inexplorée qui mériterait d’être fouillée davantage.

Ample par sa thématique, stimulant et truffé d’éclairages utiles, cet ouvrage est un excellent ajout aux études déjà consacrées à la nature du conservatisme canadien.

Mathieu Giroux
Candidat de maîtrise (Histoire)
Université laurentienne

Canada and the Crown: Essays on Constitutional Monarchy, publié sous la direction de D. Michael Jackson et Philippe Lagassé, Institute of Intergovernmental Relations, Montréal, 2013, 312 p.

et

The Crown and Canadian Federalism, de D. Michael Jackson, Dundurn, Toronto, 2013, 336 p.

Le jubilé de la reine Elizabeth, célébré en 2012, a donné aux monarchistes autant qu’aux constitutionnalistes l’occasion de revenir sur l’importance et le rôle de la Couronne comme partie de l’identité du Canada et de son gouvernement au XXIe siècle. La tâche n’était pas sans écueils. Pour bien des gens, il y a quelque chose d’étrange dans le fait que la reine du Royaume-Uni soit en même temps la souveraine du Canada ainsi que le chef d’État de plus d’une dizaine d’autres royaumes du Commonwealth. Le fait qu’Elizabeth II soit personnellement respectée, admirée et même révérée pour son sens du devoir et un parcours quasiment sans faute pendant de nombreuses années n’est pas vraiment pertinent aux yeux de ceux qui contestent la valeur de la Couronne en disant que c’est une institution non démocratique qui rappelle en plus notre passé colonial. Pour les autres, cependant, le long règne de la reine représente ce qu’il peut y avoir de mieux dans une monarchie moderne : sa stabilité, sa continuité et son prestige quasiment mystique sont le contrepoint apprécié d’un leadership gouvernemental qui est souvent vu, au pire, comme étant trop sectaire et trop clivant.

Expliquer et défendre la Couronne au Canada est devenu la mission d’un certain nombre d’universitaires, d’auteurs et de parlementaires dont les principaux sont D. Jackson, David Smith, Serge Joyal et Christopher McCreery. Tous, et d’autres, ont produit des essais pour cette édition de Canada and the Crown: Essays on Constitutional Monarchy, deuxième volume consacré à ce sujet ces dernières années par l’Institute of Intergovernmental Relations de l’Université Queen’s — le premier, The Evolving Canadian Crown, ayant été publié en 2010. Dans cette nouvelle collection, on invoque à la fois l’histoire, des théories constitutionnelles, le droit et la pratique pour valider l’importance continue et la pertinence de la Couronne au Canada. Les essais couvrent un large éventail de sujets, dont le mandat du quatrième gouverneur général, la Couronne et le Québec, les changements récents à la Law of Succession, l’usage de la prérogative royale, et les relations de la Couronne avec les Premières Nations. Dans l’ensemble, c’est une collection utile décrivant comment et pourquoi la Couronne est toujours pertinente dans le Canada d’aujourd’hui. Ceux qui croient en la valeur de la monarchie trouveront dans cet ouvrage amplement de justifications à leurs convictions.

Le caractère complexe de la Couronne dans ses multiples relations impliquant le Royaume-Uni, le Commonwealth, le Canada et les provinces ressort en ce moment même à l’occasion d’une poursuite judiciaire devant la Cour supérieure du Québec. Cette affaire concerne le processus suivi par Ottawa pour approuver les changements apportés aux règles de succession par Westminster. Une fois qu’ils auront été approuvés par tous les royaumes du Commonwealth, ces changements donneront à l’aîné, garçon ou fille, le droit de monter sur le trône. Ils aboliront aussi certaines restrictions concernant le mariage des membres de la famille royale à des catholiques. Le procès en cours repose sur le degré de consentement qu’exige la Loi constitutionnelle de 1982 pour que ces changements entrent en vigueur. Le gouvernement fédéral prétend avoir à lui seul le pouvoir d’accorder l’approbation du Canada à ces nouvelles règles de succession. Les opposants, deux professeurs de l’Université Laval, soutiennent que cette approbation exige le consentement de toutes les provinces, au titre de la règle de l’unanimité de l’article 41. Il est prévu que la cause sera entendue en juin prochain.

Cette affaire touche deux des principaux thèmes soulevés dans Canada and the Crown : l’identité incontestablement britannique de la Couronne, et sa place centrale dans l’architecture constitutionnelle du Canada. Pour beaucoup, la réalité britannique de la souveraine du Canada rappelle une époque où le pays n’était pas indépendant et où la tolérance de tout ce qui n’était pas britannique, pour autant qu’elle existât, se limitait à une reconnaissance de mauvaise grâce du fait français. Tout cela n’a que peu à voir avec le Canada d’aujourd’hui qui a franchement adopté le bilinguisme officiel et célèbre la diversité culturelle de sa vaste population d’immigrants. En outre, la canadianisation réussie du poste de gouverneur général, ainsi que le charisme de deux de ses récentes titulaires nées en dehors du pays, incite certains, dont l’essayiste John Whyte, à croire que l’heure est venue de se détacher de la Couronne britannique et d’envisager un autre modèle de gouvernement. Il soutient qu’une monarchie héréditaire ne peut être qu’un pâle reflet des valeurs sociales du Canada, et que le républicanisme civique est un meilleur modèle pour un État moderne. D’autres, comme David Smith et Robert Hawkins, estiment par contre que la plus grande visibilité du gouverneur général moderne confirme en fait la nécessité de conserver l’élément britannique de la Couronne canadienne. Le court mandat du gouverneur général oblige les titulaires du poste à comprendre et à exercer pleinement leurs fonctions vice-royales. Ils soutiennent qu’abandonner le lien direct avec la reine risquerait de saper la stabilité et l’impartialité qui sont ancrées dans une monarchie héréditaire plus vieille que le Canada lui-même. De fait, la souveraine britannique sert de modèle au gouverneur général dans l’exercice de ses fonctions avec dignité et efficience.

De même, la canadianisation de la Constitution soulève d’autres questions sur la pérennité de la Couronne anglo-canadienne. Originellement loi britannique adoptée par Westminster dans sa capacité impériale, l’Acte de l’Amérique du Nord britannique fut finalement rapatrié comme Loi constitutionnelle de 1867 puis complété par la Loi constitutionnelle de 1982 avec l’inclusion d’une formule d’amendement longtemps recherchée et de la Charte canadienne des droits et libertés. Ainsi, le Canada a de plus en plus assumé, tout en continuant de la développer, sa propre identité distincte au-delà de son riche héritage britannique. La Couronne actuelle, dans ses multiples relations et capacités conjuguées, peut-elle continuer d’être le sanctuaire de pouvoirs exécutifs, de fonctions législatives et d’autorités judiciaires? La plupart des auteurs de Canada and the Crown pensent qu’elle le peut et qu’elle le doit.

Cela dit, certains de ces auteurs expriment leur appui à la Couronne du bout des lèvres, d’une manière qui laisse deviner l’existence de questions sérieuses sur la valeur ou le besoin de l’institution au XXIe siècle. Cela ressort clairement du titre de l’essai de Philippe Lagassé résumant l’ouvrage, « The Contentious Canadian Crown », ainsi que de l’essai de Peter Russell qui déplore que notre système d’enseignement n’enseigne pas adéquatement le rôle de la Couronne. De même, la promotion de l’utilisation de manuels du Cabinet, par James Bowden et Nicholas MacDonald, pour clarifier la marche à suivre en cas de situation constitutionnelle difficile, implique un certain doute quant à l’aptitude des membres du gouvernement à faire face adéquatement à des situations inusitées, comme lors de l’épisode de prorogation de 2008. Les supputations dont la gouverneure générale fut alors la cible ont soulevé des inquiétudes au sujet de son intervention politique dans l’exercice de ses responsabilités constitutionnelles. Cette idée d’un éventuel sectarisme politique est également soulevée par Richard Berthelsen dans son compte rendu de l’histoire du discours du Trône. Contrairement à la tradition des Ouvertures du Parlement à Westminster, où les discours sont invariablement courts et ne sont guère qu’une liste des projets de loi qui seront déposés par le gouvernement au cours de la session, les discours du Trône livrés par le gouverneur général deviennent de plus en plus longs et sont de plus en plus politisés. À long terme, cela veut dire que la neutralité et l’impartialité essentielles du gouverneur général seront compromises. David Smith, un défenseur irréductible de la Couronne, déplore cette évolution et note comment la position de la reine et de son substitut canadien s’est dépréciée à bien des égards. Tout en admettant que le gouvernement actuel a beaucoup fait pour rehausser le statut de la souveraine, Smith le soupçonne d’être prêt à utiliser le substitut à des fins manifestement politiques. À cause de cela, entre autres choses, il devient malheureusement difficile de demander au gouverneur général d’instaurer une relation réparatrice avec les Premières Nations, thème d’essais séparés de Stephanie Danyluk et Jim Miller.

Les essayistes ayant adopté une perspective plus historique semblent moins gênés par cette approche défensive. Carolyn Harris, par exemple, offre une analyse intéressante du marquis de Lorne, notre quatrième gouverneur général. À bien des égards, son mandat de 1878 à 1883, rehaussé durant ses premières années par la participation de son épouse, la princesse Louise, a créé un modèle que suivront bon nombre de ses successeurs. Ce qui est frappant au sujet de son mandat, c’est l’attitude démocratique et relativement égalitaire dont lui-même et son épouse ont fait preuve durant leur séjour au Canada. Pendant cette période, la Couronne a joui d’une image publique immensément positive. Cela ressort également de l’article de Serge Joyal, qui parle de la longue histoire d’association bénéfique de la Couronne avec le Québec, association aujourd’hui lamentablement abandonnée, comme le précise Linda Cardinal. Christopher McCreery, qui parle quant à lui, dans des articles séparés, de l’expansion du rôle des lieutenantsgouverneurs ainsi que de celui du secrétaire vice-royal, présente une analyse minutieuse des deux fonctions soutenant la Couronne au Canada.

L’un des rédacteurs en chef de Canada and the Crown est aussi l’auteur de The Crown and Canadian Federalism. D. Michael Jackson est un défenseur inébranlable de la Couronne. Il exprime avec enthousiasme, dans un article enlevé, sa position sur sa valeur dans l’histoire du Canada, en mettant particulièrement l’accent sur le rôle et les pouvoirs des représentants de la Couronne dans les provinces, les lieutenants-gouverneurs. Comme il l’admet volontiers, son texte « contient peu de recherche originale » et peu de recours à des sources primaires. Au lieu de cela, il a voulu tirer parti des recherches les plus récentes d’autres politologues et en communiquer le résultat à un public plus large, de façon à « fournir une exploration et une explication facilement accessibles de la Couronne et du fédéralisme canadien ». Il est clair à ses yeux que la Couronne a joué un rôle indispensable en favorisant le développement du régime de gouvernement fédéral du Canada, de son identité bilingue et de sa réalité multiculturelle. Son admiration sans bornes pour la Couronne ne repose pas seulement sur son importance constitutionnelle mais tout autant sur sa signification comme sanctuaire « des valeurs, des traditions et d’un héritage de loyauté, d’identité et d’ethos » de la nation.

La Loi constitutionnelle de 1982 a solidement ancré la position de la Couronne dans la structure gouvernementale du Canada. L’article 41 dispose que tout changement à « la charge de Reine, celle de gouverneur général et celle de lieutenant-gouverneur » ne peut se faire qu’avec le consentement unanime du Sénat et de la Chambre des communes, ainsi que de l’assemblée législative de chaque province. À moins que le Royaume-Uni ne se convertisse au républicanisme, il est probable que le Canada restera une monarchie constitutionnelle pendant encore longtemps. Toutefois, la sécurité du statut de la Reine comme chef d’État de la nation ne dépend pas exclusivement du droit. Elle dépend plus fondamentalement de l’appui et du consentement d’un peuple qui apprécie et valorise la Couronne dans toutes ses dimensions. Cet appui est plus difficile à obtenir aujourd’hui mais, comme le montre la publication de ces deux ouvrages, certains sont prêts à faire l’effort.

Charles Robert
Greffier principal
Bureau de la procédure et des travaux de la Chambre au Sénat du Canada

The Global Promise of Federalism, publié sous la direction de Grace Skogstad, David Cameron, Martin Papillon et Keith Banting, University of Toronto Press, Toronto, 2013, 312 p.

Bien que son titre ne l’indique pas, The Global Promise of Federalism est un Festschrift bien mérité pour le politologue Richard Simeon, expert éminent des fédéralismes canadien et autres. Simeon, dont la carrière a coïncidé avec le grand défi posé au fédéralisme canadien par les pulsions nationalistes et séparatistes du Québec, la montée en puissance de l’Ouest nouveau, et les méga-crises constitutionnelles des années 1970 jusqu’au début des années 1990 qui ont débouché sur la Charte, le rapatriement et les échecs des accords du lac Meech et de Charlottetown, a été un observateur attentif, un héraut et un critique du fédéralisme pendant près de 50 ans.

De fait, durant cette période et à une époque où l’étude du Canada semblait avoir des implications existentielles, Simeon a produit de son perchoir de Queen’s puis de l’Université de Toronto un flux soutenu d’ouvrages importants et originaux, dont la célèbre série d’études pour la Commission royale McDonald de 1985. Il a aussi joué un rôle clé dans le « tournant comparatif » de la science politique canadienne qui a débuté dans les années 1990, lorsque les études de cette discipline ont pris une approche beaucoup plus expansive et plus globale quant à leur méthodologie et leur focalisation.

En tant que collection d’études sur le fédéralisme, cet ouvrage représente une contribution utile et pratique. L’introduction est un aperçu réfléchi de certains des problèmes clés qui ont formé la réflexion de Simeon et caractérisé ce champ d’études ces dernières années : le débat « de l’œuf et de la poule sur les valeurs sociétales par opposition aux institutions fondatrices comme déterminant clé de la création d’une fédération; la question de l’importance de la démocratie et de la confiance au sein d’une société pour savoir si le fédéralisme peut ou non s’y enraciner avec succès; et, bien sûr, la capacité du fédéralisme à évoluer dans le temps.

Bon nombre de ces thèmes sont repris et développés dans les 10 chapitres de la collection, qui sont tous très bons. Les sujets touchent un large éventail de domaines et de questions, allant du fédéralisme et de la démocratie, de la théologie et de l’identité, jusqu’aux cas particuliers de Chypre, de l’Espagne et du fédéralisme comparé CanadaAustralie. L’un des points saillants de l’ouvrage est l’argument vigoureux d’Alain Noël sur l’importance de la politique, de l’idéologie, des identités et des relations majorité/minorité à l’intérieur d’une fédération. Nous avons ici un rappel percutant du fait qu’il faut « éintégrer au » des études de l’État et du fédéralisme la politique souvent embrouillée du lieu considéré, et que les mécanismes sans effusion de sang du fédéralisme sont souvent modelés par les gens. En prenant l’exemple Québec-Canada, le chapitre de Noël agit comme un rappel fort utile des limites du fédéralisme.

La perspective globale de cette collection fait écho non seulement à l’évolution académique de Simeon mais aussi à celle de la discipline canadienne dans son ensemble, et elle témoigne du rôle que les universitaires et praticiens canadiens du fédéralisme, comme Simeon lui-même, ont joué dans les débats internationaux et dans l’évolution de diverses fédérations dans le monde. Ce changement de point focal est également présent quand on interprète cette collection comme un Festschrift; un addendum très intéressant de Simeon lui-même, « Reflections on a Federalist Life », personnalise l’évolution de sa réflexion à mesure que sa pensée a changé (tout comme certaines de ses opinions politiques), et c’est à la fois provocateur et éclairant. Ses commentaires sur « l’engagement public » et son rôle dans l’Accord du lac Meech rappellent au lecteur que le penseur peut aussi être homme d’action. Les anecdotes, les histoires et, oui, même les limericks contenus dans cet addendum révèlent quelqu’un qui a de l’humour et qui peut s’engager, et il est facile de voir pourquoi tant d’universitaires — du Canada et de l’étranger — ont tenu à participer à cet hommage.

Alors que tant de disciplines, autant des sciences sociales que des sciences humaines, se sont éloignées de l’étude du Canada (mais pas de l’argent fourni par le contribuable canadien), des questions plus profondes sur les conséquences qu’aura sur les politiques publiques le fait de ne plus se concentrer seulement sur le Canada méritent d’être posées. La question plus générale que pose un tel ouvrage est celle-ci : Et on fait quoi maintenant? Les questions touchant le fédéralisme canadien continueront d’occuper une place centrale dans l’évolution de cet État-nation mais, avec le départ à la retraite d’un si grand nombre de géants des sciences politiques canadiennes (avec Simeon, les noms de Peter Russell et d’Alan Cairns viennent à l’esprit), la discipline est-elle à la hauteur de la tâche d’explorer non seulement la promesse globale du fédéralisme mais son évolution ici même, chez nous? Cette collection, dont les essayistes et les rédacteurs en chef relèvent avec brio le défi, permet de penser que la discipline, et l’étude du fédéralisme ;— sous toutes ses formes et dans ses lieux — sont effectivement entre bonnes mains.

Dimitry Anastakis
Professeur (Histoire), Université Trent

Fire on the Hill, de Frank Rockland, Sambaise Books, Ottawa, 2013, 354 p.

Assis dans la Bibliothèque du Parlement, je suis un peu ébahi à la pensée que ce lieu historique a survécu au tragique incendie qui a dévasté l’édifice du Centre de la Colline du Parlement le 6 février 1916. C’est l’intervention rapide du commis « Connie » MacCormac qui a sauvé la bibliothèque et son précieux contenu, vital pour les générations futures, en fermant les grandes portes coupe-feu en fer avant d’évacuer les lieux. Mais que s’est-il donc vraiment passé ce soir-là? S’agit-il simplement de la négligence d’un fumeur de cigares ou s’est-il passé quelque chose de plus sinistre? Telles sont les questions auxquelles Frank Rockland veut répondre dans une passionnante histoire romancée de conspiration, de politique et d’espionnage.

L’intrigue du roman tourne autour de l’inspecteur Andrew MacNutt et de son épouse Katherine. En qualité de directeur de la police secrète du Dominion, l’inspecteur MacNutt s’efforce de protéger la frontière canadienne contre un réseau de saboteurs allemands dirigé, à partir de New York, par les capitaines Franz von Papen et Karl BoyEd. Les Américains ayant déclaré von Papen persona non grata et lui ayant ordonné de retourner en Europe, les Allemands envoient le comte Jaggi pour le remplacer, via le Canada. Opérant sous le couvert d’un effort de secours humanitaire belge, le comte Jaggi réussit à s’infiltrer dans la haute société d’Ottawa et à rencontrer régulièrement le premier ministre conservateur, sir Robert Borden, le chef de l’opposition officielle, le libéral sir Wilfrid Laurier, le futur premier ministre libéral William Lyon Mackenzie King, et le gouverneur général. Jaggi, un coureur de jupons invétéré ayant une nette préférence pour les femmes mariées, s’introduit auprès de Katherine MacNutt dans le but d’apprendre quels sont les plans de son mari contre les saboteurs. L’intrigue nous fait faire la navette entre Ottawa et New York jusqu’à cette soirée fatidique du 6 février où l’inspecteur, madame MacNutt et le comte se trouvent tous dans la salle de lecture de l’difice du Centre où l’on pense que l’incendie a éclaté.

Rockland réussit de manière exceptionnelle à placer le lecteur dans le contexte historique canadien de la Première Guerre mondiale. Le lecteur découvre certains des changements sociaux et politiques qui se sont produits durant cette période, comme le rôle des femmes dans l’effort de guerre, le vaste fossé établi par la conscription entre les Canadiens anglais et français, et la formation de la Gendarmerie royale du Canada. L’auteur fait en outre une description extraordinaire des coutumes sociales et des éléments historiques de l’époque, d’une manière réfléchie et instructive qui ne pourra que fasciner les passionnés d’histoire. Ma seule critique de ce roman est que sa conclusion risque de laisser le lecteur sur sa faim car l’auteur fait peu d’efforts pour relier adéquatement les fils épars qu’il a tissés pendant les 34 chapitres précédents. Cela lui laisse cependant la porte ouverte pour faire revivre ses personnages dans un deuxième volume.

Globalement, Fire on the Hillplaira aux passionnés de fiction historique, et surtout à ceux qui adorent spéculer sur les événements du passé dans un contexte de conspiration. C’est un roman qui est fidèle à son assise historique et qui ne sacrifie pas les faits réels pour faire avancer l’intrigue. L’ouvrage, qui tiendra le lecteur en haleine chapitre après chapitre, lui donnera aussi le vif désir d’en apprendre davantage sur ce qu’était la vie au Canada pendant la guerre et sur les principaux personnages politiques et sociaux à un point tournant de l’histoire du Canada.

Michael Burke Christian
Candidat au doctorat (Communications et culture), Université York

 

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