Sur les rayons Vol 38 No 2

Article 8 / 11 , Vol 38 No 2 (Été)

Sur les rayons

Les surveillants de l’État démocratique : mise en contexte, edited by Jean Crête, Presses de l’Université Laval, Montreal, 216 p.

Les surveillants de l’État démocratique, sous la direction de Jean Crête, propose une analyse des divers mécanismes de surveillance. Cet ouvrage collectif montre la nécessité des institutions et des mécanismes qui imposent des contraintes aux dirigeants de l’État démocratique. Des exemples d’abus existent dans tous les types de société, incluant les sociétés démocratiques comme le Canada, avec l’exemple récent du scandale des commandites. La mise en place d’outils et de mécanismes dont l’objectif est la vérification ou la surveillance aide à contourner, à identifier et à prévenir les abus. Par l’entremise d’études empiriques, les auteurs démontrent que, même si les contraintes sont un élément essentiel de la démocratie, elles entraînent un coût.

L’ouvrage compte sept chapitres qui se divisent en deux parties. La première partie regroupe trois chapitres qui abordent la vérification des comptes publics, et la deuxième partie, en quatre chapitres, s’articule autour du thème des contraintes structurelles reliées à la surveillance. Bien que la majorité des chapitres soit axée sur le contexte canadien, il y a tout de même deux chapitres qui tournent leur regard ailleurs.

Dans la première section, les auteurs explorent le thème de reddition des comptes publics au Canada et dans 27 pays d’Afrique. Geneviève Tellier examine un nouveau mécanisme de surveillance au Canada dans le premier chapitre, celui du directeur parlementaire du budget. Dans un langage accessible, Tellier trace l’historique du poste en offrant un aperçu du fonctionnement de la reddition des comptes au fédéral. En analysant les activités du directeur depuis la création du poste, elle conclut que, bien que le directeur parlementaire du budget réussisse à accomplir ses tâches, il doit tout de même affronter plusieurs obstacles. Un de ces obstacles est l’indépendance du directeur dans l’accomplissement de ses tâches. L’importance de l’indépendance dans la surveillance de l’État est également soulignée dans le deuxième chapitre par Louis Imbeau grâce à son analyse portant sur les différents types d’arrangements institutionnels dans 27 pays d’Afrique. Imbeau argumente que le rattachement au pouvoir législatif plutôt qu’une autre instance de contrôle ainsi que l’indépendance des médias favorisent la transparence budgétaire. Le troisième chapitre, également de nature comparative, met en parallèle, ce qui retient l’attention des vérificateurs généraux dans les dix provinces canadiennes. Par l’entremise des commentaires contenus dans les rapports annuels des années 2000 et 2010, les auteurs découvrent que les différences entre les provinces sont minimes comparativement à celles que l’on trouve dans une même province au fil du temps. L’information contenue dans les rapports devient également plus intelligible pour le citoyen, ce qui facilite une évaluation de la part des médias et des citoyens. Les auteurs concluent en soulignant le rôle important que joue le vérificateur général dans la surveillance de l’État.

Dans la deuxième section, qui porte sur les contraintes structurelles, les différents auteurs abordent les sujets suivants : la formation, les évaluations, les caractéristiques institutionnelles ainsi que le rôle des citoyens dans la surveillance de l’État. Dans le quatrième chapitre, Biland et Vanneuville tournent leur attention vers la France. Les auteurs s’interrogeant alors sur le rôle du Conseil d’État dans la formation des hauts fonctionnaires. Ils argumentent que le Conseil d’État assure la prévalence du droit et de la surveillance juridique dans les pratiques administratives par l’entremise de la formation.

Dans le cinquième chapitre, Jacob et Slaibi s’interrogent sur l’objectif de l’évaluation de programme : est-ce pour responsabiliser et démocratiser les activités gouvernementales ou plutôt est-ce un outil de contrôle et de surveillance? Pour répondre à cette question, les auteurs tracent l’évolution et le contenu des politiques d’évaluation fédérales dès leur conception afin de mieux connaître les différentes variations, et ce, jusqu’à maintenant. Par la suite, ils examinent comment les politiques sont utilisées au sein du gouvernement fédéral. Bien que la perception des surveillés semble identifier l’objectif des politiques comme étant lié à la surveillance plutôt qu’à un outil de gestion, l’étude démontre que l’évaluation est mise à profit pour plusieurs raisons. Les auteurs concluent, similairement à Tellier, que les résultats ne sont pas utilisés à leur plein potentiel.

Le sixième chapitre s’intéresse aux caractéristiques institutionnelles dans les provinces de l’Ontario et du Québec dans les domaines de la santé, de l’éducation et des services sociaux. Par l’intermédiaire d’une analyse quantitative en matière de dépense pour ces trois domaines, Tourigny et Bodet démontrent la rigidité des institutions et les avantages de l’approche de l’équilibre ponctué pour comprendre les longues périodes de stabilité parfois marquées par des changements rapides. Dans le septième chapitre, Petry se tourne vers un thème abordé dans le chapitre d’introduction, soit le citoyen. Il examine comment les citoyens évaluent les promesses électorales. Son étude démontre comment différents critères d’évaluation apportent différentes évaluations et il note un écart entre les perceptions des citoyens et les évaluations par les experts. Une brève conclusion termine le recueil.

Malgré quelques petites lacunes, cet ouvrage est d’une grande utilité pour quiconque souhaite s’initier au fonctionnement de la surveillance. Sa plus grande faiblesse est en partie sa taille : l’ajout de quelques chapitres aurait pu réduire le déséquilibre entre les différents chapitres actuels. En effet, la majorité d’entre eux porte sur le Canada avec seulement deux chapitres qui tournent leur regard ailleurs. Avec l’ajout d’un ou de deux chapitres, ou même de quelques études comparatives, le texte aurait pu donner une compréhension plus globale de la surveillance démocratique ce qui aurait grandement optimisé le lien entre les thèmes abordés. Ce commentaire ne remet pas en question la nécessité de cet ouvrage publié en français, mais met l’accent sur le fait que certains ajouts auraient pu améliorer de façon notoire son utilité pour les étudiants, les chercheurs et les fonctionnaires.

Il serait également important de noter que certains chapitres sont plus ancrés dans la théorie que d’autres, tels que celui de Tourigny et Bodet, et que certaines études se démarquent des autres, tout particulièrement, celles de Tellier, de Petry et de Crête, Diallo, Rasamimanana et Timlelt. Nous recommandons la lecture de cet ouvrage aux fonctionnaires, aux parlementaires et également à ceux qui s’intéressent aux institutions et aux mécanismes de surveillance. Ce texte constitue une contribution pertinente à l’avancement des connaissances.

Gina S. Comeau
Professeure de science politique, Université Laurentienne


Comparative Federalism and Intergovernmental Agreements: Analyzing Australia, Canada, Germany, South Africa, Switzerland and the United States, Jeffrey Parker, Routledge Series in Federal Studies, London et New York, 2014, 266 p.

Si les architectures institutionnelles fédérales confèrent aux gouvernements le pouvoir d’agir de manière autonome dans leurs propres territoires, elles les obligent en même temps à travailler ensemble. Autrement dit, les fédérations combinent, à des degrés divers, l’autonomie et le partage de pouvoirs. L’étendue et les modes de partage de pouvoirs dans les fédérations varient considérablement dans le temps et l’espace. Par exemple, la nature changeante de l’État moderne au XXe siècle a favorisé l’émergence d’une nouvelle de coopération dans nombre de fédérations. Au contraire, l’initiative du « nouveau fédéralisme » aux États-Unis, le « fédéralisme ouvert » au Canada et la clarification des rôles en Allemagne et en Suisse représentent des efforts de rétablissement de l’autonomie et de réduction des ententes de partage de pouvoirs. Les mécanismes de partage de pouvoirs, toutefois, non seulement varient selon le contexte historique et le type de régime fédéral, mais encore ils prennent diverses formes. Une forme très importante, mais peu étudiée, de partage de pouvoirs est constituée par les accords intergouvernentaux (AIG), qui sont au cœur de cette ambitieuse étude comparative de Jeffrey Parker.

Compte tenu de la prolifération historique et de l’omniprésence des AIG dans presque toutes les fédérations, le manque de recherche comparative sur la question est fort étonnant. Comme Parker le souligne dans l’introduction de son livre, les AIG sont multiples et visent des objectifs différents. Les AIG jettent les bases de l’adoption de nouveaux programmes de politiques dans des secteurs comme la santé ou l’éducation, établissent un cadre pour la gestion ou la réglementation des ressources naturelles ou créent de nouvelles institutions comme le Council of Australian Governments (COAG). Essentiellement, l’étude comparative de Parker tente de mettre un peu plus en lumière cette caractéristique capitale de la politique fédérale en posant deux questions : d’abord, en quoi les fédérations diffèrent-elles quant à l’utilisation des AIG et, ensuite, comment peut-on expliquer ces différences?

L’étude compare la portée et les modèles de formation d’AIG dans six fédérations : l’Australie, le Canada, l’Allemagne, l’Afrique du Sud, la Suisse et les États-Unis. Parker justifie son choix de modèles par la vérité institutionnelle que représente chaque fédération. Comprenant des fédérations présentant des différences marquées à d’importants égards comme la taille, l’emplacement, le niveau de développement économique ou l’âge, l’échantillon se compose d’un large éventail de systèmes fédéraux. De plus, il promet d’apporter des éclairages permettant, dans une certaine mesure, de faire des généralisations.

Se fondant sur la théorie institutionnelle, Parker présente une série de sept variables essentielles qui, selon lui, nous permettent de comprendre pourquoi certaines fédérations concluent plus d’AÌG que d’autres. Ces variables sont censées avoir différents effets. Si la plupart d’entre elles mènent à la conclusion d’AIG, d’autres, en revanche, annulent ou atténuent ces effets. Par exemple, si une fédération affiche un degré élevé de chevauchements de compétences, les gouvernements sont plus susceptibles de créer des AIG pour composer avec les interdépendances en résultant. Cependant, s’il existe un grand nombre de gouvernements infranationaux, il est plus difficile de parvenir à un accord et la formation d’AIG peut être inhibée. Dans chacune de ces six études de cas, Parker examine de manière approfondie l’effet de chacune des variables séparément et collectivement (comment elles interagissent au sein de chaque fédération).

L’étude comparative des six fédérations apporte plusieurs éclairages dignes de mention.Sur le plan de la productivité, il est intéressant de constater l’existence évidente de profondes différences dans la façon dont les diverses fédérations déploient les AIG comme modes de partage de compétences. L’Australie, le Canada et l’Allemagne ont conclu un nombre sensiblement plus élevé d’AIG que la Suisse et les États-Unis. L’Afrique du Sud est la seule fédération qui n’a pas encore conclu un seul AIG, mais elle est aussi de loin la plus jeune fédération de l’échantillon. Les similarités entre l’Australie, le Canada et l’Allemagne sont remarquables, mais elles diffèrent aussi à bien des égards : l’Australie est habituellement considérée comme l’exemple même d’une fédération très centralisée, et le Canada, comme la plus décentralisée sans doute. En outre, contrairement à l’Australie et à l’Allemagne, le Canada est une fédération multinationale. Enfin, l’Allemagne se démarque tant de l’Australie que du Canada par le fait qu’elle pratique un degré élevé d’enchevêtrement institutionnel et de prise de décisions commune.

Aussi déroutantes qu’elles puissent être à première vue, ces constatations semblent moins étonnantes quand on les examine de plus près. D’abord, les différences quant à la productivité des AIG entre les fédérations sont, dans une certaine mesure, la conséquence de décisions conceptuelles et méthodologiques délibérées. Avec raison, Parker ne s’intéresse qu’à ce qu’il appelle des accords nationaux, c.àd. des accords auxquels sont parties presque tous les ordres de gouvernement. Il place la barre très haut, excluant du même coup, toutefois, les AIG bilatéraux ou multilatéraux au sein d’ensembles plus petits, dans la mesure où ils ne font pas partie d’une initiative fédérale unique et plus large de coordination d’un secteur de politique (p. 8-9). Bien que cela soit certainement une sage décision pour que l’étude comparative complexe reste gérable, le portrait de la productivité des AIG pourrait être différent si tous les types d’AIG avaient été inclus.

Ensuite, comme l’enquête comparative le révèle, son ensemble de variables institutionnelles est bien choisi pour expliquer les variations. Il n’est guère surprenant qu’il signale que les sept variables n’ont pas le même poids. Par exemple, l’existence de tribunes de relations intergouvernementales durables apparaît comme une variable très fructueuse, car elle correspond à une productivité élevée des AIG dans presque tous les cas, tandis que le degré de chevauchement constitutionnel – selon l’analyse de Parker – compte parmi les variables les moins fructueuses. De plus, le grande nombre d’éléments infranationaux aux États-Unis (50) et en Suisse (26) a pour effet qu’il est plus difficile de forger un AIG que dans des fédérations comme le Canada ou l’Australie.

Certes, plusieurs aspects de l’étude de Jeffrey Parker prêtent le flanc à la critique. Ainsi, certaines décisions concernant le cadre conceptuel semblent un peu bancales. Par exemple, la variable du chevauchement constitutionnel est quelque peu mal interprétée, ce qui apparaît évident quand Parker fait valoir qu’il y a un degré élevé de chevauchement en Allemagne. Cela est trompeur parce que l’attribution fonctionnelle des compétences en Allemagne (législation fédérale, mise en œuvre par les Lander) est différente du vrai chevauchement pratiqué dans des fédérations à deux composantes comme l’Australie ou le Canada. De même, la façon dont Parker utilise l’État-providence comme indicateur de l’interdépendance et, partant, comme une variable faisant la promotion de la productivité des AIG tend à être superficielle. Enfin, il aurait été intéressant que Parker approfondisse la question des fluctuations périodiques de la productivité des AIG au sein des fédérations individuelles, un important aspect qu’il n’a pas exploré dans cette étude.

Si certaines critiques sont justifiées, on peut dire, toutefois, que les limites de l’étude sont comparativement restreintes et ne diminuent en rien sa contribution globale à la recherche comparative sur le fédéralisme. Parker explique et justifie très soigneusement presque chaque étape de la formation du concept, faisant toujours preuve d’une conscience aigue des conséquences possibles de chaque décision. Compte tenu de la portée et de la nature qualitative de l’étude, Parker a fait un travail remarquable, car ce genre d’étude comparative requiert un niveau considérable d’engagement avec chacun des pays. Durant toute l’étude, il s’est employé à rester scrupuleusement fidèle à sa structure, ce qui fait que l’ouvrage est conséquemment d’une lecture un peu mécanique et souffre également de quelques redondances. Il importe de souligner, toutefois, que ce ne sont là que des carences plutôt mineures d’un ouvrage au demeurant excellent qui, pour diverses raisons, comble un important vide dans la recherche sur le fédéralisme comparatif.

Jörg Broschek
Professeur agrégé et titulaire d’une chaire de recherche du Canada en fédéralisme comparatif et gouvernance multiniveau, Université Wilfrid Laurier

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