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Constitutional Amendment in Canada, sous la direction d’Emmett Macfarlane, University of Toronto Press, Toronto, 2016, 337 pages
Le Canada dispose d’un système très complexe pour modifier sa Constitution écrite, qui a valeur officielle. Ce recueil d’essais, publié sous la direction d’Emmett Macfarlane, est un guide fort utile pour en comprendre les subtilités.
Cette complexité serait-elle un cas d’exceptionnalisme canadien? Aucun des auteurs ne tente de répondre à cette question. Pour ma part, j’ai l’impression que la complexité de ce que l’on appelle communément la « formule » de modification témoigne du caractère central qu’occupe l’accommodement dans la culture constitutionnelle du Canada. L’expression « trouver un juste équilibre », employée par Macfarlane dans son introduction, rend bien l’idée. Le chapitre d’introduction de Nadia Verrelli nous explique comment cette formule a évolué au cours de son périple de 115 ans pour devenir cet ensemble définitif de règles adoptées dans la Loi constitutionnelle de 1982, qui a modifié la Constitution pour en permettre le rapatriement.
La formule de modification constitutionnelle, appelée procédure, est énoncée à la partie V de la Loi constitutionnelle de 1982. Cette partie énonce d’abord la « procédure normale », qui exige l’adoption de résolutions par les deux Chambres du Parlement et par des assemblées législatives d’au moins deux tiers des provinces (sept sur dix) dont la population représente au moins 50 % de la population canadienne. Une fois le nombre de résolutions requises adoptées, la Constitution est modifiée par proclamation du gouverneur général.
Cette procédure semble assez simple tant qu’on n’a pas examiné les conditions qui s’y rapportent. Une province en désaccord peut en effet se soustraire à l’application d’une modification apportée conformément à la procédure générale si cette modification restreint sa compétence législative, ses droits ou ses privilèges. De plus, lorsqu’une modification est apportée dans les domaines de l’éducation ou de la culture, la province qui se soustrait à son application a droit à une compensation financière. Une autre disposition de la formule dresse la liste des modifications aux institutions fédérales ou à la structure de la fédération, dont la création de provinces, auxquelles la possibilité de se soustraire ne s’applique pas.
La procédure normale, qui a fait l’objet de nombreuses négociations constitutionnelles au fil des ans, n’a été utilisée qu’une seule fois dans le cadre de la Proclamation de 1983 modifiant la Constitution. Cette proclamation a apporté deux ajouts à la reconnaissance des droits ancestraux et issus de traités des peuples autochtones prévus par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 : l’un pour confirmer que les accords sur des revendications territoriales sont des traités, et l’autre pour que les droits des peuples autochtones garantis par la Constitution s’appliquent également aux hommes et aux femmes. Seul le Québec a rejeté la modification. Mais il ne s’y est pas soustrait (et ne pouvait probablement pas le faire).
En plus de la procédure normale, la formule définit quatre autres moyens de modifier la Constitution. L’un de ces moyens est la règle du consentement unanime applicable à certaines questions pour lesquelles toute modification doit être autorisée par des résolutions de l’ensemble des provinces. Au titre des questions pouvant être modifiées ainsi, il y a la formule en elle-même, la « charge » de Reine, celle de gouverneur général et celle de lieutenant-gouverneur, la règle garantissant aux petites provinces d’avoir à la Chambre des communes un nombre de députés au moins égal à celui des sénateurs qui les représentent, et la composition de la Cour suprême du Canada. Il va de soi que cette règle n’a jamais été utilisée.
Nous passons enfin aux trois dispositions de la formule de modification à la base de pratiquement toutes les modifications constitutionnelles apportées depuis le rapatriement, à savoir les articles 43, 44 et 45. De toute évidence, les exceptions à la procédure normale sont devenues la règle. L’article 43 prévoit que les dispositions de la Constitution du Canada applicables à certaines provinces seulement peuvent être modifiées par le Parlement et les assemblées législatives des provinces concernées. Au titre de l’article 44, les modifications aux dispositions relatives à la Chambre des communes, au Sénat et au « pouvoir exécutif fédéral » peuvent être apportées simplement par une loi fédérale. L’article 45 habilite de façon similaire une assemblée législative provinciale à modifier la constitution de sa province. La présentation et l’analyse des modifications du genre dans les divers chapitres du recueil de Macfarlane sont de précieuses contributions pour les constitutionnalistes.
Dwight Newman désigne l’article 43 comme la formule de modification bilatérale. Les sept fois où l’on a eu recours à cette procédure jusqu’à présent découlent toutes d’autorisations bilatérales, selon lesquelles le Parlement et une assemblée législative provinciale ont adopté les résolutions nécessaires. Cette procédure a été le plus souvent utilisée par la province de Terre-Neuve-et- Labrador : trois fois pour apporter des modifications aux dispositions visant les écoles confessionnelles dans ses conditions d’union au Canada, et une fois pour ajouter le Labrador au nom officiel de la province. Le Nouveau-Brunswick l’a utilisée pour inscrire dans la Charte canadienne des droits et libertés l’égalité de statut de ses communautés linguistiques anglaise et française. L’Îledu-Prince-Édouard a utilisé cette procédure pour remplacer un service de traversier par un pont en guise de lien permanent au continent prescrit par la Constitution. Le Québec s’en est servi pour renoncer à un aspect de ses droits garantis par la Constitution concernant les écoles confessionnelles afin de pouvoir restructurer son système scolaire sur une base linguistique. Newman fait valoir que cet article pourrait permettre à une province conservatrice d’inscrire des droits relatifs à la propriété dans la Constitution, ou à une province progressiste de mieux protéger les droits des Autochtones.
Comme le souligne Warren Newman, les modifications faites au titre des articles 44 et 45 sont apportées par des lois ordinaires, et non par des résolutions d’assemblées législatives suivies d’une proclamation. Il en est ainsi parce que ces dispositions de la formule de modification remplacent les dispositions 91(1) et 92(1)(1) dans la partie de la Constitution portant sur la distribution des pouvoirs législatifs. L’article 44 a été utilisé pour apporter deux modifications à l’article 51 régissant la représentation des provinces à la Chambre des communes et pour attribuer un sénateur au Nunavut. Newman souligne aussi comment le pouvoir du Parlement en ce qui concerne la paix, l’ordre et le bon gouvernement a été utilisé pour ajouter au droit constitutionnel bon nombre de lois organiques, quasi constitutionnelles, comme la Loi sur le multiculturalisme canadien et la Loi sur la clarté référendaire. Emmanuelle Richez est la seule auteure à se pencher sur les constitutions provinciales, soulignant l’intérêt grandissant manifesté par les provinces, et en particulier par le Québec, pour la consolidation des règles constitutionnelles dans un seul document cohérent.
Certains auteurs du recueil se montent beaucoup trop pessimistes devant la possibilité de faire évoluer le régime constitutionnel canadien par des moyens informels, c’est-à-dire par des lois organiques et des conventions constitutionnelles. Ils semblent effrayés par l’argumentaire présenté par la Cour suprême du Canada à propos de la procédure normale de modification dans le Renvoi relatif à la réforme du Sénat. Il faut reconnaître que la notion d’« architecture de la Constitution » employée par la Cour dans cet arrêt est loin d’être claire. Mais je crois qu’il n’y a guère de chance que la Cour invalide des modifications aux conventions constitutionnelles comme celles qui structurent l’avis sur lequel les premiers ministres se fondent pour choisir les représentants vice-royaux, les sénateurs et les juges de la Cour suprême.
Ni les auteurs de ce recueil ni la Cour suprême n’ont fait une distinction entre notre Constitution avec un « C » majuscule à laquelle la formule de modification s’applique, et les autres règles, principes et usages de notre régime constitutionnel avec un « c » minuscule. Cette distinction est pourtant essentielle pour bien comprendre la capacité du régime constitutionnel canadien d’évoluer et de s’adapter. Cela dit, Constitutional Amendment in Canada offre des éléments de réflexion intéressants sur les limites de l’évolution constitutionnelle au moyen de modifications constitutionnelles en bonne et due forme.
Peter Russell
Professeur émérite, Département de
science politique de l’Université de Toronto