Déjà 100 ans, et ce n’est pas fini : la situation des femmes dans l’arène politique au Canada

Article 6 / 14 , Vol 40 No 3 (Automne)

Déjà 100 ans, et ce n’est pas fini : la situation des femmes dans l’arène politique au Canada

Depuis que les Albertains ont élu la première femme parlementaire au Canada – et dans l’ensemble du Commonwealth –, il y a 100 ans, les femmes ont fait de grands progrès pour augmenter leur nombre dans les assemblées législatives partout au pays. Cependant, les progrès ont été lents et irréguliers, et il y a un risque de régression. Dans le présent article, l’auteure revient sur l’histoire récente et parle de la situation actuelle des femmes élues dans nos assemblées législatives, et elle exhorte les Canadiens à poursuivre les efforts pour atteindre la pleine égalité hommes-femmes dans la représentation parlementaire.

Il y a 100 ans, Louise McKinney était élue à l’Assemblée législative de l’Alberta. C’était le début d’un long cheminement vers l’égalité politique à part entière pour les femmes. En effet, la première Autochtone (Ethel Blondin-Andrew, en 1988) et la première Noire (Jean Augustine, en 1993) ont obtenu leur siège à la Chambre des communes il y a moins de 30 ans, et la première femme ouvertement lesbienne (Libby Davis, en 1997), les premières femmes sud-asiatiques (Yasmin Ratansi, Nina Grewal et Ruby Dhalla, en 2004), ainsi que la première femme à avoir servi dans les trois ordres de gouvernement (Elinor Caplan, en 1997) ont été élues au Parlement il y a moins de 20 ans.

Le cheminement vers l’égalité réelle se poursuit : les femmes constituent un peu plus du quart de nos élus, qui vont de conseillers municipaux à maires, en passant par les législateurs provinciaux, territoriaux et fédéraux1. Cent ans plus tard, le moment est venu de faire le bilan et de voir le chemin parcouru.

Les femmes dans les assemblées législatives aux niveaux provincial, territorial et fédéral

La progression vers l’égalité dans la représentation et la participation des femmes au sein de la vie politique a été longue, lente et inégale. Au palier fédéral, le Canada se classe 62e au monde, avec seulement 27 % de femmes parlementaires à la Chambre des communes2. Il y a à peine cinq ans, après les élections de 2011, le Canada occupait le 41e rang mondial, devançant des pays comme la France, le Royaume-Uni et l’Australie; mais aujourd’hui, il se trouve derrière ces trois pays.

Il y a des écarts considérables dans la représentation entre les provinces et les territoires. En Colombie-Britannique, 39 % des députés élus en 2017 sont des femmes. Bien que cela représente un nouveau record pour une assemblée législative canadienne, la représentation des femmes a augmenté seulement d’un point de pourcentage par rapport à la législature précédente.

La Colombie-Britannique est suivie de près par le Yukon (37 %), l’Ontario (35 %) et l’Alberta (33 %). Ce n’est pas une coïncidence si les trois provinces affichant la plus forte représentation de femmes sont dirigées par une première ministre (du moins, c’était encore le cas en Colombie-Britannique au moment de la rédaction du présent article). Aux dernières élections, la Nouvelle-Écosse a également fait des progrès en augmentant le pourcentage de femmes parlementaires de quatre points : à 29 %, presque le tiers des députés provinciaux sont maintenant des femmes.

C’est au Nunavut (9 %) et dans les Territoires du Nord-Ouest (11 %) que les femmes sont les moins représentées, mais certaines provinces de l’Atlantique ne font guère mieux. En effet, un peu plus de 19 % des députés provinciaux à l’Île-du-Prince-Édouard et seulement 16 % des députés au Nouveau-Brunswick sont des femmes.

Les femmes dans les organes exécutifs : premières ministres et membres du Cabinet

En 2013, on comptait six femmes premières ministres d’une province ou d’un territoire. D’Eva Aariak à Kathleen Wynne, des femmes au Nunavut, en Colombie-Britannique, en Alberta, en Ontario, au Québec et à Terre-Neuve-et-Labrador ont gravi les échelons pour devenir premières ministres. Quatre d’entre elles, Kathleen Wynne, Christy Clark, Allison Redford et Kathy Dunderdale, à Terre-Neuve-et-Labrador, comme d’autres femmes élues avant elles (rappelons-nous de Rita Johnson, Catherine Callbeck et Kim Campbell), sont devenues premières ministres en remportant une victoire dans la course à la direction de leur parti plutôt qu’aux élections générales. À l’époque, certains observateurs pensaient que l’ascension de ces femmes montrait les progrès réalisés vers l’égalité des sexes dans la vie politique canadienne. D’autres étaient moins optimistes et s’interrogeaient sur l’existence d’une « falaise de verre », c’est-à-dire sur le fait que c’est seulement lorsque des gouvernements ou des partis sont en difficulté que les candidats non conventionnels, notamment les femmes, sont susceptibles d’accéder au pouvoir.

Dans les deux cas, les analyses étaient trop simplistes. Kathleen Wynne, Allison Redford et Christy Clark ont toutes mené leur parti à une victoire inattendue. Cependant, parmi ces chefs, seules Kathleen Wynne et Christy Clark n’avaient pas démissionné, été chassées ou perdu leur siège avant le milieu de l’année 2014. Avec l’élection de Rachel Notely en Alberta, en 2015, et la défaite de Christy Clark en Colombie-Britannique par un vote de non-confiance le nombre de premières ministres provinciales se trouve à deux.

Mais il y a lieu d’être optimisme, car les femmes détiennent une plus grande proportion de postes au sein des Cabinets dans l’ensemble du pays (36 %) que de sièges dans les assemblées législatives provinciales et territoriales ou au Parlement fédéral. Cela n’est peut-être pas si surprenant, quand on sait quels efforts ont déployés le gouvernement néo-démocrate en Alberta et en Colombie-Britannique, et le gouvernement fédéral pour atteindre la parité au sein du pouvoir exécutif, bien qu’aucune assemblée législative au Canada ne soit encore composée à 50 % de femmes. En même temps, il existe six assemblées législatives où les femmes représentent plus de quatre membres sur dix du Cabinet provincial (l’Ontario, le Yukon et le Québec). Et même si c’est en dessous du seuil de 40 %, les Manitobaines sont mieux représentées au Cabinet (31 %) qu’à l’Assemblée législative (23 %). En Saskatchewan, en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick, à l’Île-du-Prince-Édouard, à Terre-Neuve-et-Labrador, dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut, les femmes réussissent à peu près aussi bien, ou légèrement moins bien, au Cabinet qu’à l’Assemblée législative.

Fait notable, bon nombre de femmes occupent des postes importants bien en vue, comme la députée Chrystia Freeland, qui est ministre des Affaires étrangères, et les députées provinciales Cathy Rogers, au Nouveau-Brunswick, et Carole James, à la Colombie-Britannique, qui sont toutes deux ministres des Finances. Plusieurs femmes sont ministres de la Justice, comme Heather Stefanson, au Manitoba, Stéphanie Vallée, au Québec, et Jody-Wilson Raybould, au gouvernement fédéral.

La diversité chez les femmes

Au moins à la Chambre des communes, les femmes constituent un groupe plus diversifié que leurs homologues masculins. En effet, près de 23 % des femmes de la législature actuelle appartiennent à une minorité visible, contre seulement 16 % des hommes. Qui plus est, les femmes sont mieux représentées parmi les députés autochtones (30 %) que les nonautochtones. Toutefois, les femmes membres d’une minorité et autochtones demeurent sousreprésentées. Après avoir doublé, pour passer de 4 à 8 % entre 1993 et 20043, la représentation des femmes membres d’une minorité est actuellement à environ 6 %4. Les femmes autochtones représentent moins de 1 % de tous les députés.

Le chemin parcouru depuis l’élection de Louise McKinney a été long et passionnant, mais les progrès bien trop lents. En mars de cette année, À voix égales s’est lancé dans une initiative historique et ambitieuse : Héritières du suffrage. Dans le cadre de cette initiative, À voix égales a fait venir Ottawa 338 jeunes femmes dynamiques de tous les horizons pour remplir la Chambre des communes à l’occasion de la Journée internationale de la femme. Cette journéelà, plus de femmes ont occupé de sièges à la Chambre que le nombre de femmes élues au gouvernement fédéral depuis le début de la démocratie au Canada.

Au rythme actuel, cela prendra plus de 90 ans avant qu’il y ait la parité à la Chambre des communes. On y arrivera plus tôt dans certaines provinces si le rythme des progrès se maintient, mais cela prendra beaucoup plus de temps dans d’autres provinces. La proportion de femmes a diminué lors des trois dernières élections à l’Île-du-Prince-Édouard; si cette tendance continue, la représentation des femmes sera plus près de zéro que de 50 % d’ici 20 ans.

À l’occasion de ce centenaire, il y a beaucoup à célébrer en ce qui concerne la participation et la contribution des femmes à la vie politique. Cependant, il reste encore beaucoup à faire pour que le rêve de la parité se réalise pour les Héritières du suffrage, et pas seulement pour leurs arrière-petites-filles.

Notes
  1. Cela n’inclut pas les conseils scolaires, les conseils de parcs ou les conseils de bande.
  2. Toutes les statistiques internationales viennent de l’Union Interparlementaire, http://www.ipu.org/wmn-f/arc/classif011216.htm.
  3. Young (2013) dans Stalled: The Representation of Women in Canadian Governments [DISPONIBLE EN ANGLAIS SEULEMENT].
  4. Statistique Canada (2016), http://www12.statcan.gc.ca/nhs-enm/2011/as-sa/99-010-x/2011001/tbl/tbl2-fra.cfm. Veuillez noter que la représentation des minorités visibles a été déterminée par une évaluation visuelle des photographies du site Web de la Chambre des communes. Les députés qui s’identifient comme Inuit, Métis ou membres des Premières Nations ont été comptés comme étant Autochtones.
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