Compte rendu des délibérations parlementaires dans plusieurs langues : l’approche de la Colombie-Britannique
L’ouvrage Parliamentary Practice in British Columbia dispose que, malgré la diversité linguistique de la province, « l’anglais est la langue officielle de facto en Colombie-Britannique et, à ce titre, les travaux de l’Assemblée législative se déroulent principalement dans cette langue [TRADUCTION] ». Bien que l’anglais soit la langue la plus couramment utilisée pendant les délibérations, de plus en plus de députés et d’invités de l’Assemblée législative prononcent des phrases ou des discours entiers dans d’autres langues. Dans cet article, les auteurs décrivent comment l’équipe du hansard de la Colombie-Britannique s’est adaptée à l’utilisation croissante de plusieurs langues à la Chambre, notamment comment elle s’assure d’obtenir la traduction en anglais des interventions, comment elle retranscrit les textes en utilisant des polices qui permettent de bien reproduire différentes orthographes et comme elle comprend les défis particuliers que pose l’exécution de ces fonctions avec des langues autochtones qui ont peu de locuteurs natifs et dont l’orthographe évolue. Les auteurs soulignent que, malgré ces défis, le travail de cette équipe garantit que les comptes rendus officiels n’effaceront ni n’homogénéiseront jamais la richesse de la diversité linguistique de la province. La transcription de toutes les langues parlées à la Chambre permet de préserver les nuances et l’intention de chaque déclaration, de restituer les voix historiquement absentes des archives écrites et d’affirmer l’engagement de l’Assemblée législative en faveur de la réconciliation en reconnaissant que la langue est un marqueur d’identité et de culture.
Marionne Cronin, Hengshen Liu et Katherine Stewart
Introduction
Les mots racontent des histoires1.
Il n’y a pas si longtemps, cependant, des mots tels que SĆÁÁNEW̱ (saumon; SENĆOŦEN) ou hay’sxw’qa (merci; lək̓ʷəŋən) avaient peu de chances d’apparaître dans les transcriptions officielles des délibérations législatives en Colombie-Britannique. Les lecteurs lisaient également rarement des expressions telles que 家有一老,如有一寶 (avoir un aîné qui vit avec vous, c’est comme posséder un trésor; chinois) ou har ruzetan Nowruz, Nowruzetan piruz (que chaque jour soit un nouveau jour pour vous et que chaque jour soit prospère; perse). Lorsque les langues et les mots ne sont pas consignés dans les comptes rendus officiels, les récits et les histoires qu’ils racontent risquent d’être oubliés, et les personnes qui les parlent peuvent devenir invisibles. Cette invisibilité est souvent le reflet de la marginalisation ou de la sousreprésentation de ces personnes au sein de la Chambre. Cependant, lorsque des mots comme ceuxci sont prononcés à l’Assemblée législative et consignés dans le hansard, ces récits, ces histoires et ces personnes refont surface et, espérons-le, restent gravés dans les mémoires.
En Colombie-Britannique, nos objectifs en consignant ces mots sont simples, mais ambitieux : fournir un compte rendu rigoureusement exact des délibérations de l’Assemblée législative, rendre compte de toute la réalité linguistique de la Colombie-Britannique, y compris ses nombreuses langues autochtones, la grande diversité ethnique de la province et les origines linguistiques variées des députés, et veiller à ce que le compte rendu officiel n’efface ni n’homogénéise jamais cette richesse. La transcription de toutes les langues parlées à la Chambre permet de préserver les nuances et l’intention de chaque déclaration, de restituer les voix historiquement absentes des archives écrites et d’affirmer notre engagement en faveur de la réconciliation en reconnaissant que la langue est un marqueur d’identité et de culture.
Les réviseurs du hansard qui s’efforcent de rendre compte et de consigner les langues non officielles doivent régulièrement composer avec le dilemme suivant : d’une part, ils souhaitent fournir une transcription inclusive et accessible qui témoigne de la diversité linguistique d’un territoire donné; d’autre part, ils doivent composer avec les contraintes liées au fait qu’ils n’ont pas accès à l’expertise linguistique et à des services de traduction pour toutes les langues parlées dans une Chambre donnée. Les réviseurs des Services du hansard de l’Assemblée législative de la Colombie-Britannique ne font pas exception. Pour y parvenir, ils utilisent une approche qui combine protocoles de recherche, mobilisation communautaire et révision continue afin de proposer une méthode susceptible de servir de modèle aux administrations confrontées à des défis similaires.
Contexte linguistique
À l’instar de bon nombre d’autres provinces et territoires canadiens, la Colombie-Britannique forme une riche mosaïque linguistique. Elle compte ٣٦ langues autochtones distinctes qui se subdivisent en ٩٦ dialectes distincts2. En effet, près de 50 % des langues autochtones parlées au Canada le sont en ColombieBritannique. Grâce aux efforts soutenus déployés dans les nations de la province pour revitaliser les langues autochtones, le nombre de locuteurs et d’apprenants de langues autochtones est en augmentation dans la province3.
Dans l’ensemble, plus de 1,5 million de personnes dans la province ont une langue maternelle autre que le français ou l’anglais; c’est 31 % de la population. Certaines des plus grandes familles linguistiques comprennent le pendjabi, le tagalog, le mandarin, le yue (cantonais), le persan et l’espagnol4. Près de 20 % de la population générale de la province parle plus d’une langue à la maison, et 23 % de la population vit dans des ménages multilingues5.
L’ouvrage Parliamentary Practice in British Columbia dispose que, malgré la diversité linguistique de la province, « l’anglais est la langue officielle de facto en Colombie-Britannique et, à ce titre, les travaux de l’Assemblée législative se déroulent principalement dans cette langue [traduction]6 ». En tant qu’assemblée législative unilingue sur le plan opérationnel, l’Assemblée ne propose pas de services d’interprétation ou de traduction de ses délibérations à l’interne, à l’exception de l’interprétation simultanée en langue des signes américaine fournie dans le cadre de la diffusion des affaires courantes.
L’évolution des façons de s’exprimer
La publication intégrale des délibérations de l’Assemblée législative de la ColombieBritannique a commencé en 1972 et, au cours des premières années, le compte rendu était principalement en anglais. Les seules exceptions étaient les allocutions prononcées en français, qui sont apparues dans les comptes rendus dans les années 1980; elles y étaient alors transcrites telles quelles, sans traduction. Par exemple, John Parks, député de MaillardvilleCoquitlum, une région historiquement francophone de la province, a prononcé une partie de son discours inaugural en français7.
Au fil du temps, les députés ont cherché à représenter à la fois leurs origines linguistiques et la diversité linguistique de la province; voilà pourquoi on entend de plus en plus de phrases prononcées dans de plusieurs langues à la Chambre. Par exemple, en 1996, Jenny Wai Ching Kwan, l’une des deux premières Canadiennes d’origine chinoise élues à l’Assemblée législative de la ColombieBritannique, a prononcé une partie de son premier discours à la Chambre dans sa langue maternelle, le cantonais. Comme elle l’a fait remarquer à l’époque, s’exprimer dans sa langue maternelle à la Chambre — c’était la première fois qu’on parlait le cantonais à l’Assemblée — était un excellent moyen pour elle de souligner ce moment historique et de démontrer clairement « que nous avons tous un rôle à jouer dans la société démocratique [traduction]8 ». De même, Mable Elmore, première Canadienne d’origine philippine élue à l’Assemblée, a prononcé une partie de son premier discours en langue philippine. Elle aussi y a souligné l’importance de son élection pour les Philippins de la ColombieBritannique et en a profité pour reconnaître la détermination et la persévérance des Canadiens d’origine philippine à travailler « pour faire entendre la voix des Philippins dans ce grand parlement [traduction]9 ». Les discours de ces deux députées témoignent de l’importance que les membres des diverses communautés linguistiques attachent à voir leur langue parlée à la Chambre et consignée dans le compte rendu officiel. Ainsi, au fil du temps, plusieurs députés ont prononcé des allocutions dans une variété d’autres langues, notamment le français, le japonais, l’arabe, le persan, le sanscrit, le farsi, le pendjabi, le thaï, l’italien, l’espagnol, le mandarin, le coréen et le néerlandais, dans le but de reconnaître et de mettre en valeur ces différentes communautés.
Parallèlement, la représentation des langues autochtones à l’Assemblée s’est nettement améliorée. Des événements politiques importants, comme la négociation de la Loi sur l’Accord définitif nisg̱a’a (1999), l’adoption de la Déclaration sur les droits des peuples autochtones (٢٠١٩) et la présentation et l’adoption de la Loi sur la reconnaissance de la Nation haïda (٢٠٢٣), ont permis à des dirigeants et à des aînés de prendre part aux délibérations de la Chambre. Par exemple, le chef Joseph Gosnell, de la nation Nisg̱a’a, s’est adressé à la Chambre à l’occasion de la deuxième lecture de la Loi sur l’Accord définitif nisg̱a’a, commençant et terminant son allocution en nisg̱a’a. Il y a rappelé que, dans un effort pour rencontrer le gouvernement afin de régler leurs revendications territoriales et de titres, ses ancêtres s’étaient rendus dans la capitale en 1887, mais qu’ils s’étaient vu interdire l’accès à l’Assemblée législative. Il a souligné à quel point cette histoire rendait sa présence à la Chambre ce jourlà importante10. De même, les dirigeants autochtones et les députés qui se sont adressés à la Chambre dans le cadre de la cérémonie entourant la présentation du projet de loi 41, Déclaration sur les droits des peuples autochtones, ont tous tenu à s’exprimer dans la langue de leur nation pendant leur allocution, tout comme les représentants haïdas qui ont pris la parole à la Chambre en 202311. Par ailleurs, les députés autochtones prononcent de plus en plus de mots et de phrases dans la langue de leur nation pendant leurs allocutions. Aussi, dans le cadre des efforts déployés par l’institution en faveur de la réconciliation, les Aînés autochtones et leurs représentants participent maintenant régulièrement aux travaux de l’Assemblée. Consigner leurs mots dans le compte rendu officiel est une autre étape du processus de réconciliation.
Pratiques relatives à la transcription des délibérations (hansard)
Ces importants événements ont contribué à accroître l’utilisation de plusieurs langues dans les travaux de l’Assemblée et de ses comités. Or, cela soulève d’importantes questions concernant la façon de tenir compte de cette diversité linguistique dans la transcription du hansard, en tant que compte rendu officiel de ces délibérations et de ces travaux.
Compte tenu de l’évolution des pratiques des députés, la quantité de contenu en plusieurs langues qui figure dans la transcription du hansard s’est nettement accrue. À partir de la 36e législature (19962001), la transcription du hansard a commencé à faire état de ces interventions à l’aide de commentaires éditoriaux mis entre crochets, comme [en cantonais] (utilisé pour les propos tenus par la députée Kwan en 1996). Pendant la même période, on a aussi commencé à entendre de courtes phrases prononcées dans plusieurs langues, comme celles qui suivent dans un autre discours de la députée Kwan :
Ils étaient venus dans les « montagnes d’or », comme les Chinois les appellent. Ils étaient venus à [gum san], comme on les appelle12.
Compte tenu du désir croissant des députés de dire quelques mots dans d’autres langues que l’anglais, le Président Dale Lovick a publié en avril 1997 des lignes directrices sur l’utilisation des langues à la Chambre. Reconnaissant qu’aucune traduction simultanée n’était disponible, le Président Lovick a demandé aux députés qui désiraient s’exprimer pendant de longues périodes dans une langue autre que l’anglais de lui remettre une copie de l’allocution et sa traduction en anglais au moins une heure avant qu’ils la prononcent. Ces lignes directrices précisent que la traduction du discours sera incluse dans la transcription du hansard et qu’elle sera accompagnée d’une note indiquant que la traduction a été fournie par le député.
Conformément aux lignes directrices du Président Lovick, le hansard a commencé à inclure à la fois les textes fournis des allocutions originales et leur traduction. Par exemple, le 10 mai 2016, à l’occasion du dévoilement d’une courtepointe commémorative en l’honneur des femmes et des filles autochtones disparues et assassinées, Wanda Good, conseillère en chef adjointe de la Première Nation de Gitanyow, a ouvert la séance. Le hansard a consigné sa prière comme suit :
T’oyaxsii’yt ‘niin win da’akw dim saiy goodi’m am sa tun. K’weneyi’m eles ‘niin dim agutwhl simgiigyetim lax mo’onim Salish wen ‘nidiithl laxyip wen ‘nii litxwwi’m.
K’weneyii’m eles ‘niim dim hlabo’ilhl k’wega ‘nidiit ant k’woodinhl hlkuhlwim haana’k diit. K’wenyi’m dim ‘wediit sgwaa’itxw gahl daxgyet win walaayi’m gasgoohl gak’westhl gagoodiit.
K’weneyi’m ‘niin dimin amagya’adihl dim wila yeehl hahlei’ilst dim jephl k’welga ‘nihl luu wilt ts’im wilp ama sa tun dim amhl dim wila wilhl k’welga ‘no’m ‘nii jogit laxyip tun.
Amgutxwhl ‘nidiit gwin haaxwt diit. Dim amt jen ‘wehl ama genax dim am dim wila wil diit.
‘Nit dim gan wilp simoghet laxhagii.]
[Chef dans le ciel.
Nous te remercions de nous offrir cette merveilleuse occasion de nous réunir en cette belle journée. Nous demandons la bénédiction des Salish de la Côte qui nous accueillent aujourd’hui sur leur territoire traditionnel.
Nous te demandons de veiller sur les familles de ceux qui ont perdu leurs proches. Nous te demandons de leur apporter guérison et force, car nous connaissons leur chagrin.
Nous te demandons de guider les travaux qui auront lieu aujourd’hui à la Chambre, pour le bien de tous ceux qui vivent sur cette grande terre.
Bénis ceux qui sont en crise aujourd’hui. Puissions-nous tous trouver le bon chemin tout au long de ce voyage.
Que ta volonté soit faite. Amen.
[Texte en gitsxenimix et traduction en anglais fournis par W. Good13.]
Au fil du temps, cette pratique a évolué de sorte que les allocutions originales ont été intégrées dans le texte principal, comme toute autre intervention à la Chambre, et que seuls la traduction et le commentaire éditorial indiquant la source du texte et de la traduction ont été mis entre crochets.
De nos jours, nous, les Services du hansard, continuons de suivre les lignes directrices établies par le Président Lovick en 1997. Nous nous efforçons de consigner le texte intégral des allocutions en utilisant la bonne orthographe. Nous le faisons dans le cadre de nos efforts visant à respecter et à reconnaître la valeur des langues et des personnes qui les parlent, pour nous assurer que les membres des communautés ont pleinement accès au contenu et pour veiller à ce que le sens des paroles des intervenants soit consigné dans le compte rendu historique. Dans le contexte des langues autochtones, ces efforts revêtent une autre importance. Par exemple, lorsqu’un Aîné s’adresse à la Chambre, il mentionne souvent sa lignée et le nom de ses ancêtres, d’où il vient, ce que signifient le nom des lieux locaux et les activités qui s’y déroulent — des détails qui sont absents d’une grande partie du compte rendu « officiel ». L’intégration de ces détails dans la transcription contribue grandement à rectifier les omissions du compte rendu historique existant et constitue un moyen de faire connaître ces connaissances et cette histoire aux citoyens de la ColombieBritannique.
Lorsque nous n’arrivons pas à obtenir le texte intégral de l’allocution de l’intervenant, nous intégrons un éventail de commentaires éditoriaux entre crochets dans le texte. En l’absence du texte intégral, nous visons à mentionner correctement la langue parlée : [en islandais]. Lorsque cela n’est pas possible, nous insérons un commentaire éditorial générique : [langue autre que l’anglais]. S’il ne fait aucun doute que la langue parlée est une langue autochtone, nous pouvons également utiliser la mention [langue autochtone]. Ces mentions sont utilisées à la fois pour des mots et des phrases individuels et pour des passages plus longs. Nous reconnaissons toutefois que ces commentaires éditoriaux modifient le sens des mots prononcés. Par conséquent, nous ne ménageons aucun effort pour éviter de les utiliser en incluant le texte original intégral.
Recherche requise
La publication des mots exacts et de leur traduction repose sur des enquêtes détaillées menées par les chercheurs de l’équipe du hansard.
Le processus de recherche est à la fois collaboratif et méthodique. La première étape consiste toujours à communiquer avec l’intervenant (ou son personnel) pour lui demander une copie du texte et de la traduction, dans le but de rester le plus fidèle possible à la source, puis à reproduire le texte tel qu’il a été fourni, en respectant toujours l’orthographe et les signes diacritiques préférés de l’intervenant. Bien que nous comptions grandement sur les députés et autres intervenants pour nous fournir le texte officiel de leur allocution et sa traduction, nous ne recevons pas toujours de réponses à nos demandes. Nous mettons alors tout en œuvre pour trouver l’information par nos propres moyens. Là encore, notre objectif est de rester le plus fidèles possible à la source. Dans le cas des langues autochtones, par exemple, nous commençons par consulter l’information publique fournie par chaque nation, notamment sur son site Web. Si cela ne donne pas de résultats, nous nous appuyons sur des ressources secondaires faisant autorité et créées par la communauté, telles que le site Web FirstVoices, qui offre une plateforme riche et gérée par la communauté pour transmettre les connaissances des Premières Nations sur les territoires et les langues parlées en Colombie-Britannique. À chaque étape, nous contre-vérifions les noms, les organisations et la terminologie spécialisée, et nous maintenons un canal ouvert pour que les députés et les membres du public puissent demander des corrections, lesquelles sont apportées rapidement afin que le compte rendu reste vivant et continue de faire autorité. Nous reconnaissons qu’il s’agit d’un processus itératif et ne cherchons à nous y opposer.
Nous tenons également à jour et enrichissons en permanence une vaste base de données de recherche qui contient le texte vérifié et les traductions d’une multitude de mots et d’expressions, y compris les formules de politesse et les expressions cérémonielles couramment utilisées. Dans le contexte des langues autochtones en particulier, afin de garantir le respect des variations orthographiques propres à chaque dialecte, cette base de données comprend également des notes indiquant les versions à utiliser selon les députés. Par exemple, deux versions de « merci », qui ont une prononciation très similaire, sont HÍSW̱ḴE SIÁM (SENĆOŦEN; prononcé par l’ancien député Adam Olsen) et huy ch q’u Siem (Hul’q’umi’num’; prononcé par l’actuelle députée Amshen/Joan Philip). Dans la mesure du possible, nous obtenons une traduction directement auprès du député afin d’en garantir l’exactitude, puis nous la consignons dans notre base de données. Lorsque nous ne disposons pas de l’information, les chercheurs analysent le contexte culturel et historique du discours afin de déterminer la langue probablement utilisée et recommandent le terme approprié. Grâce à ces notes détaillées, les réviseurs du hansard sont sensibilisés à ces variations linguistiques importantes et peuvent utiliser les bons mots dans la transcription. Dans tous les cas, le personnel est invité à consulter des chercheurs et des réviseurs chevronnés, qui comptent des décennies de connaissances institutionnelles pour guider le choix des termes les plus précis.
En raison de notre engagement à l’égard de l’exactitude, la recherche du bon texte peut prendre un certain temps. Dans l’intervalle, les réviseurs insèrent des commentaires éditoriaux génériques dans le texte. Une fois vérifiés, ces commentaires sont remplacés par le texte ou la bonne traduction. La Colombie-Britannique se distingue en publiant l’intégralité de la première version du compte rendu le jour même. Cette version est suivie d’une version révisée, puis du compte rendu officiel définitif. Ce délai de publication prolongé nous permet de prendre plus de temps pour chercher et trouver l’information pertinente. Ainsi, la mention [langue autre que l’anglais] peut figurer dans la première ébauche d’un discours, puis celle-ci, [en SENĆOŦEN], dans la version révisée et enfin cette dernière, [… en SĆÁÁNEW̱ [saumon] …], dans la version finale. Dans des circonstances particulières, si de l’information nous parvient après la publication du texte final, nous envisageons également d’effectuer des corrections après impression afin de garantir un compte rendu aussi complet et précis que possible. Plutôt que de traiter ces révisions comme des erreurs ou comme des lacunes dans notre processus de recherche et de révision, nous les considérons comme des occasions d’améliorer la qualité du produit final.


Défis et occasions
Le désir de fournir un compte rendu exact et respectueux dans plusieurs langues peut présenter des défis importants. D’un point de vue pratique, les langues qui utilisent plusieurs jeux de caractères représentent des obstacles techniques quotidiens. Il a donc été essentiel de trouver les polices qui peuvent rendre correctement les langues avec des orthographes aussi variées que le SENĆOŦEN, le chinois, le farsi et le nēhiyawēwin (qui peut être écrit en utilisant l’alphabet syllabique). À la suite d’une enquête menée par l’équipe de Publications et collections, la police Times New Roman a été retenue, car il s’agit de celle qui a l’éventail nécessaire de caractères. On utilise cette police à l’étape de la révision au cours du processus de production de la transcription (en MS Word) et à celle de la publication de la version préliminaire et de la version finale de la transcription (en HTML). Pour la version officielle de la transcription (en format PDF), on utilise la police Minion Pro pour la majeure partie du texte, mais tous les caractères non latins sont formatés en Times New Roman.
De même, les langues qui se lisent de droite à gauche, comme l’arabe, présentent des défis lorsqu’il s’agit de les intégrer à la transcription globale. Par exemple, en mars 2018, la députée Bowin Ma a prononcé une allocution en persan à l’occasion de la Norouz et nous a fourni le texte persan à insérer dans la transcription. Il s’agissait alors de savoir comment intégrer deux passages courts se lisant de droite à gauche dans le texte principal se lisant de gauche à droite. En fin de compte, il a été décidé de présenter le texte sur des lignes distinctes :
J’aimerais leur souhaiter un heureux Norouz à l’avance, ce qui donne
سال نو پیشاپیش مبارک
et bienvenue à l’Assemblée législative, ce qui donne
به مجلس خوش آمدید
[Texte persan fourni par B. Ma14.]Bien que nous ayons conservé la justification à gauche du texte, cette mise en page nous a permis d’afficher le texte en persan de droite à gauche sans perturber la fluidité du texte principal.
L’éventail de caractères présente également des défis pour les réviseurs qui cherchent à vérifier les termes employés dans ces différentes langues dans nos ressources. Pour répondre à ce besoin, les chercheurs préparent un aperçu anglophonétique et un guide phonétique concis qui sont inclus dans la base de données de recherche. Cet aperçu et ce guide peuvent fournir des mots-clés qui renvoient aux réviseurs, qui effectuent habituellement leurs recherches à l’aide de caractères latins, des résultats dans le script original.
Parallèlement à ces défis pratiques, comme nous l’avons mentionné au début de l’article, la création de la transcription officielle des débats implique un pouvoir considérable, qui se retrouve dans la définition des archives de mots prononcés à l’Assemblée. Dans notre volonté de rectifier les omissions du passé, nous devons donc éviter de déterminer comment un passage donné devrait être représenté dans ces archives. Les distinctions qui comptent beaucoup pour les communautés – cantonais contre mandarin, pendjabi contre hindi, ou celles entre les nombreuses langues sémitiques du Moyen-Orient – exigent une précision phonétique et une sensibilité culturelle aiguës. Les propos impromptus, particulièrement lorsqu’ils sont prononcés par des locuteurs non natifs, peuvent être mal prononcés ou consister en des phrases incomplètes, surtout lorsque la qualité audio est variable. Parallèlement, de telles distinctions exigent de fines connaissances contextuelles de la part des réviseurs et des chercheurs. Dans le contexte de nos efforts de réconciliation, les enjeux sont encore plus élevés.
Une partie de notre réponse à ce défi consiste à nous en remettre aux intervenants eux-mêmes afin de nous assurer que l’autorité repose sur les communautés linguistiques. Nous comptons sur les députés et les invités pour nous fournir le texte écrit de leur intervention et sa traduction, mais nous n’obtenons pas toujours de réponses à nos demandes. Dans le contexte des langues autochtones, par exemple, de nombreux dialectes ne sont parlés couramment que par une poignée de locuteurs, et la documentation écrite est limitée, ce qui complique la vérification orthographique, particulièrement à mesure que les nations peaufinent activement leurs systèmes d’écriture et cherchent à déterminer qui a le dernier mot en matière d’orthographe. Par ailleurs, souvent, les députés autochtones sont en train d’apprendre leur langue et peuvent donc hésiter à offrir des conseils faisant autorité sur l’orthographe « officielle » ou les représentations écrites. En l’absence de conseils, nous nous tournons vers les organismes communautaires et culturels. Ces organismes peuvent toutefois manquer de ressources et accorder la priorité aux besoins de leurs membres. Ils peuvent donc ne pas être en mesure de répondre à nos demandes de recherche ou de tenir à jour les ressources publiques sur lesquelles nous comptons. Il revient donc aux réviseurs du hansard de décider chaque jour comment concilier leur volonté de rendre compte de manière précise et complète des langues parlées à la Chambre et la nécessité d’éviter d’abuser de leur pouvoir éditorial.
Dans le contexte des langues autochtones, nous avons établi un partenariat avec le Comité de réconciliation de l’Assemblée, une équipe interministérielle chargée de promouvoir le travail de l’institution en vue de la réconciliation avec les peuples autochtones, et nous avons reçu son soutien à l’égard de notre approche. À l’avenir, à mesure que l’institution resserra ses liens avec les peuples autochtones, nous saisirons les occasions de nouer des relations avec les locuteurs de langue autochtone, ce qui nous permettra de rapporter leurs propos de façon précise et respectueuse. Nous chercherons également à nous assurer que ces relations demeurent réciproques, étant donné que notre travail s’appuie sur l’expertise de ces personnes et de ces communautés et en tire profit.
Nous nous sommes engagés à rendre compte de
plusieurs langues dans nos comptes rendus, malgré le fait que nous ne disposons pas des capacités de traduction simultanée des administrations qui fonctionnent régulièrement dans plusieurs langues officielles. Cela représente certes un défi, mais nos protocoles de recherche à plusieurs niveaux, notre engagement communautaire et notre volonté à l’égard de la révision continue maintiennent le hansard de la Colombie-Britannique à l’avant-garde de la transcription multilingue au Canada et peuvent offrir un modèle pratique aux assemblées législatives ayant des contraintes de ressources similaires.
Notes
1 Les auteurs tiennent à remercier le personnel de la Bibliothèque législative de la Colombie-Britannique et l’équipe de l’indexation des Services du hansard pour leur aide dans la reconstitution de l’historique des comptes rendus multilingues du hansard en Colombie-Britannique, ainsi que les équipes de publication et de mise en page du hansard pour leurs conseils techniques.
2 First Peoples’ Cultural Council, « First Nations Languages in British Columbia », 28 février 2025, https://fpcc.ca/wp-content/uploads/2024/04/FPCC-LanguageList-2025.pdf (consulté le 3 avril 2025).
3 Carte des Premières Nations de la Colombie-Britannique, https://maps.fpcc.ca/ (consultée le 3 avril 2025); First Peoples’ Cultural Council, Report on the Status of B.C. First Nations Languages, 4e éd., 2022, https://fpcc.ca/wp-content/uploads/2023/02/FPCC-LanguageReport-23.02.14-FINAL.pdf (consulté le 3 avril 2025).
4 Statistique Canada, Langues maternelles selon la géographie, Recensement de 2021, https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2021/dp-pd/dv-vd/language-langue/index-fr.html (consulté le 22 avril 2025); Statistique Canada, Recensement de la population, https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/index-fra.cfm?DGUID=2021A000011124 (consulté le 22 avril 2025).
5 Statistique Canada, Recensement de la population, https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/index-fra.cfm?DGUID=2021A000011124 (consulté le 22 avril 2025); Statistique Canada, Le plurilinguisme au sein des ménages canadiens, https://www12.statcan.gc.ca/census-recensement/2021/as-sa/98-200-X/2021014/98-200-x2021014-fra.cfm (consulté le 22 avril 2025).
6 Parliamentary Practice in British Columbia, p. 153.
7 Colombie-Britannique, Official Report of Debates of the Legislative Assembly (Hansard), 33e législature, 1re session, vol. 1, no 14 (12 juillet 1983), p. 230.
8 Colombie-Britannique, Official Report of Debates of the Legislative Assembly (Hansard), 36e législature, égislature, 1re session, vol. 1, no 17 (12 juillet 1996), p. 348.
9 Colombie-Britannique, Official Report of Debates of the Legislative Assembly (Hansard), 39e législature, 1re session, vol. 2, no 7 (17 septembre 2009), p. 529.
10 Colombie-Britannique, Official Report of Debates of the Legislative Assembly (Hansard), 36e législature, législature, 3e session, vol. 12, no 17 (2 décembre 1998), p. 10859-10861.
11 Colombie-Britannique, Official Report of Debates of the Legislative Assembly (Hansard), 41e législature, 4e session, no 280 (24 octobre 2019), p. 10223-10230; Colombie-Britannique, Official Report of Debates of the Legislative Assembly (Hansard), 42e législature, 4e session, no 326 (9 mai 2023), p. 11339-11340.
12 Colombie-Britannique, Official Report of Debates of the Legislative Assembly (Hansard), 36e législature, 2e session, vol. 6, no 13 (4 juillet 1997), p. 5222 [traduction].
13 Mise à jour du texte en gitsxenimix fournie par Wanda Good, communication personnelle, 24 mai 2025 [traduction]. Dans la transcription originale, le texte était publié comme suit :
[Simoghet Lak’h Hagee.
Toyikhsii Niin Win Da’akhw Diim Siit Godiim’ Ama Sa Tun. Kweniiyiim’ Eles Niin Diim Amgootkh’wh’l Sim Gighyetiim Lakh’ Moinim Salish Wiin Nidiit’hl Lakh’yiip Win Nee Lit’kh’wiim.
Kweniiyiim Eles Niin Diim Hlaboih’l Kwelganidiit An’t Kwodiinh’l Hlk’ooh’lkiim Hanaakh diit. Kweniyiim Diim ’WeDiit Skwa’iitkh’w Ganh’l Dakhgyet wiin Walayiim Gaskoh’l Kakwest’hl GaGotdiit.
Kwenyiimh’l Niin Dimin AmaGyaidiih’l Dim Wila Yaah’l HaH’Lei’lst Dim Jeph’l Kwelga Nih’l Lu Wilt T’siim Wilp Ama Sa Tun Diim Amh’l Diim Wila Wilh’l Kwelga N’om’ Nee Jogiit Lahk Yip Tun.
Am Gootkh’w Niddit gwin Haakh’wh diit. Dim Am’t Ja’an’ Weh’l Ama Genah’k Dim Am Diim Wila Wil Diit.
Niit Dim Gan Wilt Simoghet Lakh’ Hakh’ Hagee.];
Colombie-Britannique, Official Report of Debates of the Legislative Assembly (Hansard), 40e législature, 5e session, vol. 39, no 5 (10 mai 2016), p. 12893.
14 Colombie-Britannique, Official Report of Debates of the Legislative Assembly (Hansard), 41e législature, 3e session, no 104 (14 mars 2018), p. 3485.