Perspectives internationales sur la sécurité des bureaux de circonscription
Après une carrière politique de plusieurs décennies au Royaume-Uni, le 31 janvier 2024, le député conservateur Mike Freer a annoncé qu’il ne se représenterait pas aux élections. Dans son annonce, qui est intervenue cinq semaines après l’attentat à la bombe perpétré dans son bureau de circonscription, M. Freer a invoqué les menaces qui pèsent sur sa sécurité personnelle pour justifier son départ. Dans cette entrevue, M. Freer raconte les événements qui l’ont amené à prendre une retraite politique anticipée, décrit certaines des mesures de sécurité personnelle qu’il a prises pendant qu’il était une cible très en vue et donne des conseils aux parlementaires canadiens qui s’inquiètent de leur sécurité personnelle à leur domicile, dans leur circonscription et dans leur bureau de circonscription.
Entrevue avec Mike Freer
Revue parlementaire canadienne (RPC) : Pouvez-vous nous parler de votre carrière politique?
Mike Freer (MF) : Je me suis impliqué au sein du parti conservateur pendant plusieurs années et j’ai été élu au conseil municipal (conseil de Barnet) en 1990, lorsque Margaret Thatcher était encore députée de cette circonscription. J’ai fini par devenir le chef du conseil. Je sais que nous allons parler des menaces de sécurité lorsque j’étais député, mais même en tant que chef du conseil, j’ai reçu des menaces et des gens me suivaient dans les magasins d’alimentation. Or, cela fait simplement partie de mon travail.
J’ai été sélectionné par mon parti pour briguer un siège en 2005, mais je n’ai pas été élu. Et puis, en 2010, j’ai été élu dans Finchley et Golders Green, ancienne circonscription de Margaret Thatcher.
En tant que député, je rencontrais fréquemment mes électeurs lors de permanences de conscription (réunions publiques où les électeurs peuvent poser des questions aux députés), souvent dans une salle de la bibliothèque locale, et je rencontrais des gens lors de déplacement dans la communauté. Les gens me reconnaissaient et me parlaient ou se lançaient dans une diatribe sur un sujet donné.
Or, la première fois que j’ai vraiment craint pour ma sécurité, c’est lorsque j’ai été pris pour cible par Muslims Against Crusades, un groupe qui a été banni au Royaume-Uni. Je n’étais pas au courant à ce moment-là, mais ce groupe avait annoncé sur son site Web que je me rendrais dans une mosquée locale et avait fait référence à un autre député qui avait été poignardé lors d’une permanence l’année précédente.
Il y avait une foule de manifestants à l’extérieur de la mosquée et un groupe d’hommes, qui n’étaient pas des électeurs de ma circonscription, sont entrés de force. Ils ont proféré des injures pendant que je parlais à mes électeurs. L’un d’entre eux m’a traité de « porc juif homosexuel », ce qui est plutôt drôle, car je ne suis pas juif – je représente simplement la circonscription qui compte la plus forte proportion de Juifs au Royaume-Uni. Finalement, le service de sécurité de la mosquée a dû m’escorter jusqu’à un endroit sécuritaire du bâtiment.
Et puis, quelques années plus tard, j’ai eu une altercation avec George Galloway. Connaissez-vous George Galloway? C’est un critique virulent d’Israël, pour le dire gentiment, et pour une raison absurde, il avait été invité à l’émission Question Time de la BBC, à sa diffusion en direct de Finchley et Golders Green, circonscription qui compte la plus grande population juive du Royaume-Uni. C’était une provocation. Et je m’en suis plaint dans la presse.
Les partisans de M. Galloway se sont emparés de la controverse et en ont fait un grand spectacle, ce qui a eu pour effet d’attirer beaucoup plus d’attention sur moi auprès d’un certain segment de la population. À ce moment-là, la haine et les menaces sur les médias sociaux ont augmenté de façon spectaculaire.
Plus récemment, j’ai été la cible d’Ali Harbi Ali, l’homme qui a tué Sir David Amess lors d’une permanence de circonscription. Ali s’était rendu à mon bureau de circonscription le mois précédent, armé et avec l’intention de me faire du mal. Par simple hasard, mes plans avaient changé et que je n’étais pas là lorsqu’il s’est présenté.
Étant donné les meurtres de Jo Cox et de David Amess, les menaces de mort que j’ai reçues et le récent attentat à la bombe incendiaire de mon bureau, je me suis rendu compte que j’en avais assez et qu’il était temps de quitter un travail que j’aime absolument. En fait, c’est mon mari Angelo qui s’en est aperçu. À mes côtés, il s’inquiétait beaucoup de me voir continuer, et je trouvais injuste de le soumettre à une épreuve supplémentaire.
RPC : C’est une histoire incroyablement troublante. Je sais que les parlementaires canadiens sont bien conscients de la mort tragique de Jo Cox et de David Amess, puisqu’ils en ont parlé lors des discussions sur la sécurité dans nos parlements. Pouvez-vous nous dire comment les incidents que vous avez vécus ont affecté votre propre sentiment de sécurité, tant au travail que dans votre vie personnelle?
MF : Après l’incident de David Amess, l’équipe de lutte contre le terrorisme m’a indiqué que j’avais été une cible. C’est alors que j’ai rencontré le Home Office. Je dois dire que le personnel a été fabuleux. On s’est littéralement rendu chez moi en deux jours et réalisé un relevé complet. Toutes les fenêtres ont été remplacées. Je vis dans une maison de style édouardien. On a voulu remplacer de beaux vitraux par du verre armé. J’ai dit : «Assez, c’est assez. Je dois tout de même vivre ici. Je ne veux pas vivre dans une boîte fermée ou une pièce de sûreté. » (Rires). La porte a été renforcée, on a ajouté de nouvelles lampes de sécurité, etc. Je me sentais en sécurité, mais je savais que chaque pièce était équipée d’un détecteur de mouvement et d’un bouton panique.
Je suis devenu très conscient de mon environnement, car la police m’a prodigué une formation sur la conscience situationnelle. Par exemple, j’avais l’habitude de m’asseoir à l’étage supérieur d’un autobus, mais on m’a dit de m’asseoir près de la porte pour pouvoir m’échapper. Lors des permanences de circonscription dans la bibliothèque locale, je devais me tenir devant la porte de la salle que j’utilisais. J’utilisais une application de course à pied pour faire le suivi de mes progrès, mais la police m’a dit : « Nous pouvons voir votre itinéraire. Votre point de départ et d’arrivée et quand vous partez ». J’ai dû varier mon itinéraire.
On m’a donné un dispositif couplé à un GPS avec des liens directs avec la police. Je pouvais l’activer en cas de danger immédiat.
Mais je me souviens de ce qui m’a fait comprendre la situation. J’avais l’habitude d’être interpellé dans la rue, car j’étais député depuis un certain temps et j’avais été conseiller municipal, j’étais donc assez connu.
Mais peu après le meurtre de David Amess, quelqu’un est venu me voir et m’a dit : « Oh, M. Freer? » Dans le passé, je me serais simplement arrêté, j’aurais dit oui et j’aurais bavardé. Mais j’ai remarqué qu’au bout de quelques minutes, j’avais instinctivement reculé pour garder une distance entre nous.
Et cela m’a ébranlé. Je ne l’avais pas vraiment remarqué.
Par la suite, d’autres députés et moi nous rendions à des événements avec un gilet pare-balles. Vous connaissez les députés… nous succombons à l’humour noir. Nous pouvons porter ce gilet et dire : « Oh, on veut s’en prendre à moi? Il faudra bien essayer ». Mais vous savez, il y a des conséquences. Et pas seulement pour les députés, mais aussi pour les membres de leur famille.
J’ai remarqué à quel point mon mari devenait nerveux. Il s’inquiétait de plus en plus de ma sécurité. Si je rentrais à la maison avec 15 minutes de retard, il paniquait et commençait à me demander : « Où es-tu? ». Après l’incendie, il m’avait vraiment dit : « Tu sais, c’est terminé pour toi. C’est assez Je n’en peux plus »
Après l’incendie, je me suis dit : «Oui, d’accord, un incendie. Et alors? » Ensuite, je me couchais, je dormais assez bien, je me levais le matin et, vers 10 ou 11 heures, je m’endormais. J’étais complètement épuisée en raison du stress.
Le bureau était complètement inutilisable. Si vous avez vu les photos du bureau, vous savez que l’un de nos bureaux a fondu. Le plafond a fondu. Les ordinateurs ont fondu. Les téléphones ont fondu. L’odeur de la fumée persistait et tout ce que l’on touchait était sale. Il nous a fallu environ trois mois pour nous remettre sur pied.
Et vous savez, on en rit et on plaisante sur la situation. À mon âge, on se contente de hausser les épaules et de dire : « J’espère que les pompiers seront séduisants. » Mais ensuite, une fois la poussière retombée et toute la suie retombée, on commence à se rendre compte qu’on est accablé par l’événement qui s’est produit.
Et je ne suis pas le seul à le vivre. Cinq députés sont venus me dire que des harceleurs ont été emprisonnés dans la semaine où j’ai annoncé que je ne me présenterais pas aux prochaines élections. Et ce n’est que ce qui s’est passé en une semaine. Le problème est plus vaste que nous pourrions le croire.
RPC : Pouvez-vous me parler un peu de votre bureau de circonscription? Aviez-vous pris des mesures de sécurité supplémentaires avant que cela ne se produise? La sécurité parlementaire propose-t-elle un audit de sécurité ou s’agit-il d’un service privé que vous devez payer?
MF : Les membres du Parti conservateur de Finchley et Golders Green sont propriétaires du bâtiment qui abritait mon bureau de circonscription et Margaret Thatcher l’avait utilisé auparavant, de sorte qu’il y avait déjà certains dispositifs de sécurité renforcés qui étaient installés.
Mais chaque député a la possibilité d’avoir un dispositif de sécurité général, si vous voulez, qui comprend une alarme anti-effraction, des boutons panique, des systèmes de télévision en circuit fermé et des systèmes d’interphone d’entrée. Certains députés qui disposent d’une devanture vitrée peuvent se doter d’un volet qui s’abaisse. Il existe des systèmes standards, puis on peut vous proposer des ajustements sur mesure si vous avez des besoins précis que le système standard ne satisfait pas tout à fait ou si vous présentez un risque légèrement plus élevé.
Comme nous sommes sur une route principale, le système d’interphone d’entrée n’était pas vraiment efficace, car nous ne pouvions pas entendre le signal sonore. Nous avons pris l’habitude d’ouvrir simplement la porte, ce qui n’est pas une bonne chose si une personne cinglée est à la porte. Finalement, comme nous avions un hall d’entrée assez grand, nous avons eu une porte à sas. Nous faisions entrer une personne à distance, puis elle entrait dans une sorte de petit hall et parlait à mon personnel à travers une porte. C’était donc très sécuritaire.
Nous veillions également à ce que toute personne souhaitant se présenter au bureau, si elle n’était pas inscrite sur la liste électorale, devait prouver qu’elle habitait dans la circonscription.
RPC : Bien que les menaces que vous avez reçues vous visaient, j’aimerais que vous me racontiez ce qu’a vécu le personnel de votre bureau de circonscription. Évidemment, l’incendie de votre bureau les a profondément affectés, mais étaient-ils avec vous lors des permanences de circonscription? Lorsque vous avez connu des incidents comme celui de la mosquée ou le meurtre d’Amess, vos employés ou leur famille ont-ils exprimé des inquiétudes quant à la possibilité de continuer à travailler pour vous?
MF : Nous leur demandions toujours s’ils se sentaient à l’aise lorsque nous étions en public et, en cas de menace particulière, nous les renvoyions chez eux.
Si nous faisions une permanence dans la rue, nous dirions : « Êtes-vous à l’aise de le faire? ». S’ils disaient non, nous demandions à quelqu’un d’autre dans l’équipe. En fin de compte, si personne n’était à l’aise de le faire, nous devions trouver une autre façon de nous mobiliser.
Je tenais des permanences dans différents quartiers et j’avais l’habitude d’annoncer ma présence dans certaines rues à une date précise sur mes réseaux sociaux. Mais après les menaces, j’ai cessé de le faire. Je me contentais d’envoyer de petites cartes postales aux maisons pour informer que je prévoyais faire une visite afin que personne, hormis mes électeurs, ne sache que mon équipe et moi-même serions présents.
Mon approche était la suivante : « Vous n’êtes pas mon garde du corps. Si quelque chose se produit, vous devez fuir. Vous n’êtes pas là pour vous interposer entre moi et celui qui vient vers moi, parce que je vais fuir. Je ne vais pas rester là à faire le brave. Je vais fuir ».
Ils disposaient également de gilets pare-balles.
Les gens oublient que c’est le personnel qui voit le courrier électronique. Bien que j’aie personnellement vu tous les courriels, les courriels sont filtrés pour beaucoup de députés et c’est seulement le personnel qui voit les courriels hostiles. C’est le personnel qui ouvre la porte d’entrée et il n’est jamais certain de savoir qui se trouve de l’autre côté de la porte d’entrée. C’est le personnel qui décroche le téléphone et entendra une personne fulminer, se plaindre ou être violente.
Après l’incendie, une personne avec laquelle nous avions déjà eu des problèmes a menacé de venir poser une bombe. Elle a téléphoné et a dit : « Tu sais que je te vise aussi. Pas seulement Mike Freer ».
L’idiot a téléphoné et son numéro était affiché sur l’écran du système téléphonique. Caroline, mon adjointe, m’a dit : « Je connais ce numéro! ». Nous avons pu remonter jusqu’à l’auteur de l’alerte à la bombe.
Mais je disais à mon personnel : « Si vous recevez une alerte à la bombe ou si quelqu’un menace de venir au bureau pour vous tuer ou me tuer, vous devez raccrocher, appeler la police, fermer le bureau et rentrer chez vous ». Nous n’avons jamais pris de risques. Les membres du personnel doivent toujours se sentir à l’aise.
RPC : Quels conseils donneriez-vous aux parlementaires qui sont au courant des mesures de sécurité qui les entourent et de la possibilité que quelque chose se produise, mais qui n’ont pas connu le genre d’incidents que vous avez vécus?
MF : Il suffit de prendre des précautions raisonnables. Communiquez avec les autorités et déterminez vos options. Si vous n’avez pas été menacé physiquement, vous savez qu’il n’est pas nécessaire de prendre les mesures intrusives que j’ai prises. Mais vous pouvez prendre des mesures qui n’ont pas besoin de changer votre vie et qui vous permettent de vous sentir plus en sécurité. Elles peuvent réconforter vos amis et votre famille. Et n’hésitez pas à les utiliser, car un héros mort ne sert à rien.
Pendant des années, j’ai résisté à ce que l’on appelle les dispositifs pour travailleurs à distance. Je les trouvais trop encombrants et trop gros. Les versions ultérieures ressemblaient à des clés de contrôle. Mais j’ai fini par me dire : « Je veux tout ce qui est à ma disposition et je ferai en sorte que cela fonctionne pour moi ». Je pense que tous les parlementaires, tous ceux qui participent à la vie publique, devraient passer par ce processus, en particulier avec leurs conjoints ou conjointes. Il faut leur demander : « Qu’est-ce que tu es prêt à accepter à la maison? ».
Il ne faut pas tout accepter. Évitez de vivre dans une cellule de prison. Mais soyez sûr de vous et faites en sorte que cela corresponde à votre mode de vie.
RPC : Y a-t-il un point que nous n’avons pas abordé dans notre discussion et que vous aimeriez ajouter?
MF : La sécurité physique est relativement standard, et vous savez que tous les parlements échangent des notes. Mais je pense que chaque Parlement est isolé en ce qui concerne la lutte contre les menaces et la haine dans les médias sociaux.
Je me souviens d’avoir parlé à l’un de mes électeurs, qui occupait un poste assez important dans l’une des grandes entreprises de médias sociaux. Il n’était pas question de l’abus à mon égard. Je lui ai dit que j’avais l’impression que nos parlementaires se plaignaient beaucoup de l’antisémitisme sur sa plateforme. « Le problème, a-t-il dit, c’est que nous mesurons nos plaintes à l’échelle mondiale.
Ainsi, s’ils reçoivent 100 000 plaintes au Royaume-Uni et cinq millions de plaintes dans le monde, ils nous écartent parce que ce chiffre est minuscule. Cette situation est due au fait que les entreprises de médias sociaux peuvent très facilement avoir pour effet de cloisonner chaque Parlement. Je pense qu’il y a du travail à faire pour parvenir à réunir tous les parlements et déterminer comment parler aux entreprises de médias sociaux et leur dire : « La liberté d’expression, c’est bien, mais voilà ce qui se passe ».
Et il n’y a pas que les députés et les personnes de la vie publique qui sont menacés. Qu’il s’agisse du suicide des adolescents ou des personnes souffrant de dysmorphie corporelle, les algorithmes alimentent un récit et poussent les gens à s’enfoncer dans ces trous noirs. Ainsi, si quelqu’un envisage de faire du mal à une personne de la vie publique, il est très vite nourri d’un régime sur la façon de le faire.
Le Parlement britannique, le Parlement canadien, le Congrès et d’autres encore… Peut-être devrions-nous nous réunir, discuter avec les entreprises de médias sociaux en bloc et leur dire : « Écoutez, individuellement, vous nous ignorez. Mais collectivement, nous ne sommes pas satisfaits et nous devons travailler sur un protocole pour protéger le public et les acteurs de la vie publique des pires aspects des médias sociaux ».
Les médias sociaux permettent aux gens de profiter d’un anonymat. Sur les médias sociaux, les gens disent aux députés des choses qui leur seraient rarement dites ouvertement.
Si j’étais sur le pas de la porte et que je demandais à une personne de me dire ouvertement ce qu’elle m’a dit sur X, elle perdrait probablement sa contenance, pleurerait et dirait : « Oh, je ne le pensais pas. Il est tellement facile de tenir des propos abusifs sur X ».
Les médias sociaux sont devenus complices des abus. Ils ont un rôle à jouer en tant que forum public, mais ont également des responsabilités. Je crois que les parlements pourraient travailler beaucoup plus étroitement en bloc et avoir une discussion fructueuse avec les entreprises de médias sociaux.