Un changement au Règlement de l’Assemblée législative de l’Ontario donne voix à un député

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Un changement au Règlement de l’Assemblée législative de l’Ontario donne voix à un député

Kezia Mamakwa a vécu un moment inoubliable à l’occasion de son 79e anniversaire, lorsqu’elle s’est rendue à l’Assemblée législative de l’Ontario pour écouter son fils entrer dans l’histoire en devenant le premier député à s’exprimer devant la Chambre dans une langue autochtone, l’anishininiimowin (ojibwé), et à poser des questions dans cette langue pendant la période des questions.

Rachel Nauta

Élu pour la première fois en 2018, Sol Mamakwa, le député provincial de Kiiwetinoong, a toujours accordé une place centrale à son identité autochtone dans son travail. Toutefois, jusqu’au 28 mai 2024, une partie importante de son identité était occultée, car les députés ne pouvaient pas s’exprimer dans une langue autochtone à l’Assemblée législative, que ce soit pour poser des questions ou intervenir dans les débats. C’est grâce à un effort collaboratif et multipartite que les choses ont changé, et tout a commencé par une conversation à la cafétéria.

Un jour, le député provincial Mamakwa a déclaré à une foule présente à un événement qu’il ne pouvait pas parler sa langue maternelle à la Chambre. Parmi les personnes réunies se trouvait Paul Calandra, le leader du gouvernement à la Chambre, qui en a été stupéfait. Le lendemain, il a abordé son collègue à la cafétéria pour lui demander s’il s’agissait d’un malentendu. M. Mamakwa lui a toutefois assuré que c’était bien vrai, puisque l’article 24 du Règlement de la Chambre disait :

Chaque députée ou député qui désire prendre la parole doit se lever et s’adresser à la présidente ou au président de l’Assemblée législative, en anglais ou en français.

Pendant le petit-déjeuner, les deux députés ont convenu qu’il était temps de changer cette règle et, peu après, une motion a été présentée à la Chambre afin de modifier l’alinéa 24 a) du Règlement, comme suit : 

Chaque députée ou député qui désire prendre la parole doit se lever et s’adresser à la présidente ou au président de l’Assemblée législative, en anglais, en français ou dans une langue autochtone parlée au Canada. Si une députée ou un député souhaite s’adresser à l’Assemblée dans une langue autochtone, il ou elle devra aviser la greffière ou le greffier de l’Assemblée législative de la langue qu’il ou elle souhaite parler afin que la présidence puisse organiser les services d’interprétation et de traduction adéquats.

 

Dans le cadre du débat sur la modification proposée au Règlement, le député Mamakwa a expliqué pourquoi ce changement était si important, non seulement pour lui, mais aussi pour tous les peuples autochtones et pour les Canadiens qui travaillent à la réconciliation :

[traduction] « Notre langue, l’anishininiimowin, définit et façonne notre identité […] [elle] nous permet d’exprimer nos valeurs, nos modes de vie, notre culture, notre histoire, notre géographie, notre philosophie et notre vision du monde […] Le changement qui s’opère ici aujourd’hui devrait servir de modèle et marquer le début d’autres initiatives visant à soutenir et à préserver nos langues, ainsi qu’à respecter notre droit de parler ces langues. Il ne s’agit pas seulement de faire ce qui est juste, il s’agit aussi de reconnaître un droit qui nous appartient déjà, celui de nous exprimer dans notre langue. Pour aller de l’avant et faire face à la réalité continue de la violence coloniale envers les peuples autochtones, il nous faut protéger nos langues. »

La motion a été adoptée à l’unanimité le 26 mars 2024. Le député Mamakwa a ensuite avisé les greffiers de son intention de s’exprimer en anishininiimowin à la Chambre le 28 mai. Le personnel de l’Assemblée s’est alors lancé dans les préparatifs.

Concertant également leurs efforts, le Service linguistique et des publications parlementaires (SLPP) et le Service de télédiffusion et d’enregistrement (STE) de l’Assemblée ont déterminé les actions nécessaires pour permettre l’utilisation d’une langue autochtone à la Chambre, ainsi que les ressources requises pour mettre en œuvre ce changement.

Avant ce changement au Règlement, les présidents pouvaient faire de brèves remarques dans diverses langues, mais les questions et les débats importants devaient se faire dans les langues officielles du Canada pour que tous les députés puissent comprendre, notamment grâce à l’interprétation simultanée. Les langues autochtones étant dorénavant permises, le SLPP a dû trouver des interprètes capables de traduire vers l’anglais les remarques en anishininiimowin (et, à partir de l’anglais, assurer l’interprétation vers le français). Avec l’aide du député provincial Mamakwa, l’Assemblée s’est procuré les services d’interprétation professionnels dont elle avait besoin et a commencé à s’exercer avec l’équipe du STE afin de s’assurer que tout se déroulerait bien le moment venu.

Le STE n’a négligé aucun détail pour marquer l’occasion. À la télé, le nom du député Mamakwa a été affiché en syllabaire oji-cri. Ce n’était pas juste une question de changer la police de caractères latins pour le syllabaire oji-cri. Le logiciel du STE n’offrait pas cette option.

L’équipe a dû faire preuve de créativité, et sa solution était tout simplement géniale. Après chaque législature, les noms des députés de l’Assemblée législative de l’Ontario sont gravés dans la pierre. Ayant siégé lors de la 42e législature, le député Mamakwa avait vu le sien ajouté en caractères latins et en syllabaire oji-cri. Le STE a donc pu convertir une image du texte gravé en format numérique pour le montrer à lécran.

Le grand jour, l’Assemblée bourdonnait d’activité, les nombreux invités étant impatients d’assister à cet événement historique. Les agents du Service de protection législative et les employés du Protocole parlementaire et des Relations publiques ont guidé les personnes jusqu’à la Chambre, un espace que certains visiteurs découvraient pour la toute première fois. L’atmosphère était électrisante, et un murmure d’activité s’élevait dans toute la salle.

Lorsque le député Mamakwa s’est levé, le silence s’est installé dans la Chambre. Soulignant l’importance historique de cette journée, le député Mamakwa a déclaré : « Je parle l’anishininiimowin, une langue autochtone, et cette langue est au cœur de ma vie. Comme je parle ma langue, nous nous sentons en sécurité et en communion avec notre terre […] parler notre langue nous donne de la force, c’est un remède guérisseur. »

Il a également salué les efforts collectifs de nombreuses personnes ayant contribué à écrire l’histoire ce jour-là : « Merci à tous : mes collègues, les Aînés, les jeunes, nos frères non autochtones qui sont ici, les femmes, les jeunes, les personnes âgées. Nous nous réjouissons de votre présence. Merci de nous avoir montré votre soutien en faveur du changement dont nous sommes témoins aujourd’hui. Nous vivons un moment de guérison. Notre langue, notre peuple et notre relation avec tout ce qui est vivant font notre force. C’est l’expression de notre identité, c’est ainsi que nous continuerons d’être, profitant de la vie, dans notre langue. »

Les remarques du député provincial Mamakwa ont été accueillies avec beaucoup d’enthousiasme. Le premier ministre s’est même levé pour serrer la main de ce dernier avant la période des questions, au cours de laquelle les questions de M. Mamakwa sur les soins aux personnes âgées dans sa circonscription ont été accueillies favorablement et ont donné lieu à des engagements concernant les soins de longue durée dans le Nord.

Même si ce moment à la Chambre était passé à l’histoire, le travail de l’Assemblée n’était pas fini. Comme toujours lorsqu’il s’agit des travaux de la Chambre, l’équipe du hansard a commencé à transcrire les remarques afin de les préserver dans les archives officielles des débats. Il s’agissait là aussi d’un moment historique, car le hansard est un compte rendu pratiquement mot pour mot de ce qui se dit à la Chambre et dans ses comités, dans la langue qui a été utilisée. Ainsi, pour la première fois, l’écriture syllabique oji-crie a fait son apparition dans la publication du hansard de l’Assemblée législative de l’Ontario.

En prévision de l’avenir, l’Assemblée planifie apporter d’autres changements afin que les députés puissent utiliser plus facilement et plus efficacement les langues autochtones à la Chambre, dans les comités et dans la salle de presse. Une cabine d’interprétation spécialement réservée aux langues autochtones a été aménagée sur place, et le Service de télédiffusion et d’enregistrement met actuellement à l’essai des services d’interprétation à distance. Le Service linguistique et des publications parlementaires de la Chambre travaille également au recrutement d’interprètes disponibles sur appel et prépare ses programmes de publication afin d’assurer la transcription des autres langues autochtones qui pourraient être utilisées à la Chambre.

Chaque journée à l’Assemblée législative est différente, mais certaines se démarquent plus que d’autres. Le 28 mai 2024 restera gravé dans les mémoires, et ce grâce aux efforts concertés des députés provinciaux et du personnel de l’Assemblée législative de l’Ontario. Comme l’a déclaré le député provincial Mamakwa à la fin de son discours, « C’est un grand jour », un sentiment que partageaient de nombreuses personnes présentes à cet événement historique. Espérons qu’il s’agissait du premier d’une longue série de grands jours.

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