La diversité raciale et les élections fédérales de 2021 : Candidats et députés issus de minorités visibles

Article 4 / 8 , 45 No. 2 (Été)

La diversité raciale et les élections fédérales de 2021 : Candidats et députés issus de minorités visibles

La diversité raciale et les élections fédérales de 2021 : Candidats et députés issus de minorités visibles

Un nombre record de 53 candidats issus des minorités visibles ont été victorieux lors des élections fédérales du 20 septembre 2021. Il s’agit de la quatrième élection consécutive où leur nombre et leur part des sièges disponibles augmentent. Toutefois, comme lors des élections précédentes, ces aspects positifs ont été contrebalancés. Non seulement l’augmentation absolue du nombre de 2019 à 2021 est au mieux modeste (trois députés), mais une comparaison avec l’ensemble de la population des minorités visibles démontre un déficit de représentation important qui a à peine changé au fil du temps. L’élection de 2021 se distingue également par un nouveau bond très net des candidatures de minorités visibles, consolidant une tendance qui était devenue évidente lors des dernières élections. Cela pourrait être considéré comme une indication que les données sur les candidats fournissent un autre point de vue, plus optimiste et peut-être même plus réaliste quant à l’ouverture du processus politique aux minorités visibles.

Jerome H. Black

L’élection fédérale de 1993 a constitué une percée pour les députés qui pouvaient être désignés comme des minorités racisées ou, dans le langage gouvernemental, comme des minorités visibles 1. Avec treize députés élus, c’est la première fois que plus qu’un petit groupe de personnes de ce type ont réussi à se faire élire au Parlement, ce qui constitue une première étape importante dans la diversification raciale de l’Assemblée législative. Les élections ultérieures ont donné lieu à de nouvelles augmentations : ainsi, alors que ces 13 députés occupaient 4,4 % des sièges disponibles à la Chambre des communes, 50 minorités visibles ont été élues en 2019, représentant 14,8 % de la Chambre. En même temps, la croissance de la représentation des minorités visibles a parfois été inégale. À deux reprises, les élections suivantes ont conduit à une diminution du nombre de ces députés – dans les paires 1997-2000 et 2006-2008. Plus important encore, lorsque des augmentations ont eu lieu, elles ont été, en règle générale, d’une ampleur modeste.

Il est vrai que le nombre de députés issus de minorités visibles a bondi, passant de 29, soit 9,4 % des effectifs de la Chambre en 2011, à 47, soit 13,9 %, en 2015. Cependant, plus typiques sont les chiffres associés à l’intervalle couvrant les élections de 2008 et de 2011, qui ont entraîné une augmentation de sept députés, de 22 à 29 (avec des pourcentages correspondants de 7,1 et 9,4) et la paire 2015-2019, où le nombre de députés des minorités visibles est passé de 47 à 50 (avec des pourcentages de 13,9 et 14,8, respectivement). Il n’est pas sans importance que ce changement, essentiellement progressif, signifie que la représentation parlementaire issue des minorités visibles est restée résolument inférieure comparativement à ce que l’on observe dans la population en général. En fait, le « ratio de représentation », c’est-à-dire le pourcentage de députés divisé par le pourcentage de la population, n’a atteint tout au plus que le niveau des deux tiers, comme ce fut le cas en 2015 et en 2019.

Le résultat des élections de 2021 s’inscrit très bien dans cette caractérisation mitigée. Du côté positif, et comme le montre le tableau 1, les députés issus des minorités visibles ont été plus nombreux que jamais à être élus. Les 53 législateurs gagnants ont porté le pourcentage de sièges détenus par les minorités à 15,7, dépassant les chiffres produits par l’élection de 2019 (50 députés et 14,8 % des sièges). D’autre part, une augmentation de trois députés est certainement modeste, mais peut-être un peu plus notable étant donné que moins de deux douzaines de sièges ont changé de mains de 2019 à 2021. Il est également encourageant de constater que l’élection de 2021 est maintenant la quatrième élection consécutive associée à une augmentation par rapport aux élections précédentes, ce qui contribue à consolider une tendance récente. Enfin, du côté des inconvénients, le ratio de représentation n’a probablement pas beaucoup changé, voire pas du tout. En attendant la publication des données sur la population de minorités visibles issues du récent recensement, le pourcentage actuel ne peut être que présumé, sur la base d’une extrapolation du chiffre de 22,3 % de 2016. Ainsi, en supposant des niveaux d’environ 24 % ou 25 % en 2021, l’exercice suppose des ratios ne dépassant pas les deux tiers environ, ce qui, comme on l’a noté, correspond à peu près aux niveaux atteints lors des deux élections précédentes 2. En d’autres termes, il semble que les députés issus de minorités visibles soient élus en nombre suffisant pour suivre le rythme de croissance de leur population générale, mais en nombre insuffisant pour réduire la disparité de leur représentation parlementaire 3.

Le tableau 1 présente également le nombre de membres des minorités visibles en fonction de leur appartenance à un parti pour l’élection de 2021 et, pour indiquer les lignes de tendance, pour les quatre élections précédentes. Une fois de plus, en 2021, la plupart des députés issus de minorités visibles ont été élus en tant que libéraux, et même à une écrasante majorité – 43 sur un total de 53. Ce résultat marque la troisième élection consécutive où le parti domine à cet égard. Au lendemain des élections de 2015, le parti comptait 39 députés issus de minorités visibles dans ses rangs (ce qui représentait en soi un changement radical par rapport à l’élection de 2011, où le parti n’avait élu que deux personnes de ce type), et en 2019, les libéraux ont élu 37 députés issus de minorités visibles. L’augmentation de six députés de 2019 à 2021 mérite peut-être qu’on lui accorde un peu plus d’importance étant donné que, dans l’ensemble, le parti n’a pratiquement pas gagné de sièges lors de sa nouvelle victoire à titre de gouvernement minoritaire. Avec six députés issus des minorités visibles élus en 2021, les conservateurs sont non seulement loin derrière, mais ce nombre est en baisse par rapport aux 10 députés issus de minorités visibles élus en 2019, et équivalent à ce qu’ils ont accompli en 2015. Pour sa part, le NPD a continué d’être loin de son record de l’élection de 2011, lorsque le parti a accueilli 14 députés issus de minorités visibles dans son caucus. Les trois élus en 2021 correspondent à leur nombre de 2019, soit un de plus que lors de l’élection de 2015.

Peut-être, en dernière analyse, cette lente progression vers une plus grande représentation des minorités visibles n’est peut-être pas surprenante. Après tout, au Canada et ailleurs, les « groupes externes » ont généralement du mal à accéder aux postes de pouvoir, surtout au-delà d’un nombre symbolique et souvent seulement après un laps de temps considérable. La longue histoire de la sous-représentation des femmes en tant que parlementaires et leurs progrès souvent lents en sont le meilleur exemple. Près de 100 ans après qu’Agnew Macphail soit devenue la première femme élue au Parlement, l’incidence des femmes parlementaires après l’élection de 2021 a tout juste franchi la barre des 30 %. Certains des obstacles auxquels sont confrontés les groupes traditionnellement sous-représentés peuvent être décrits de façon générale – par exemple, par un contexte politique longtemps organisé et dominé par les hommes blancs; d’autres obstacles peuvent être cernés de manière plus concrète, comme les déséquilibres dans les ressources politiquement bénéfiques et, surtout, la manière dont les députés agissent pour consolider le statu quo.

Tableau 1

Députés issus des minorités visibles, 2008-2021

2008

2011

2015

2019

2021

Parti

Bloc Québécois

3

1

Conservateur

8

12

6

10

6

Libéral

10

2

39

37

43

NDP

1

14

2

3

3

(N)

(22)

(29)

(47)

(50)

(53)a

 

Comprend un indépendant.

Source: Pour les données 2008-2019, voir Jerome H. Black, « Candidats et députés issus de minorités visibles aux élections fédérales de 2019 », La Revue parlementaire canadienne, vol. 43, no 2, 2020, p. 17-23. Les données de 2021 sur les candidats ont été colligées par l’auteur.

Cependant, des changements relativement plus récents dans les valeurs et les attitudes de la société, notamment une plus grande importance accordée à la diversité et sa promotion, ont donné naissance à des récits concurrents. Dans certains milieux, le fait d’avoir des équipes politiques plus diversifiées peut être considéré comme un avantage politique. En outre, les minorités visibles en particulier représentent une part toujours plus importante de la population canadienne et sont devenues des citoyens et des électeurs en assez grand nombre. Par exemple, selon le recensement de 2016, les minorités visibles formaient la majorité dans 41 circonscriptions fédérales complètes (contre 33 circonscriptions de ce type en 2011) et, plus généralement, constituaient au moins un tiers des circonscriptions dans environ 20 % de toutes les circonscriptions du Canada. De plus, les minorités visibles sont concentrées dans des milieux urbains comprenant de nombreuses circonscriptions favorables, ce qui peut jouer un rôle important dans le résultat global des élections. Ces réalités démographiques et politiques ne sont bien sûr pas passées inaperçues aux yeux des partis politiques : il est probable que la concurrence accrue visant à séduire les électeurs issus des minorités est une force qui a une certaine influence sur l’augmentation, même lente, du nombre de députés issus des minorités visibles.

Candidats issus de minorités visibles

Cette force semble être encore plus évidente au niveau du recrutement des candidats. Si, pour comprendre le nombre de députés issus des minorités visibles, il faut tenir compte des équipes de candidats, la rivalité entre les partis permet probablement d’expliquer la progression accélérée et uniforme des candidatures des minorités visibles lors des dernières élections. Comme le montre la première ligne du tableau 2, le pourcentage de candidats issus de minorités visibles qui se sont présentés pour les quatre plus grands partis – le Bloc Québécois, les conservateurs, les libéraux et le NPD –, a augmenté de façon notable, passant de 9,7 en 2011 à 13,9 en 2015, et a été suivi d’une augmentation encore plus importante en 2019, à 18,2, chaque résultat constituant un record à l’époque. Réagissant à ces données dans le contexte de l’examen de l’élection de 2019, l’auteur suggère que le nombre des députés issus des minorités visibles, surtout considérés dans le temps, ne peut refléter qu’imparfaitement les efforts de promotion des partis en raison de l’imprévisibilité des forces électorales de la campagne aux niveaux national et régional; en effet, les totaux de députés issus de minorités peuvent parfois fluctuer en fonction du succès ou de l’échec imprévu des partis et du nombre de candidats des minorités visibles. En d’autres termes, les résultats des élections nationales ne révèlent que partiellement dans quelle mesure le système des partis facilite l’accès aux candidats issus des minorités visibles. « D’autre part, avant l’émission du bref électoral, les partis (sous leur forme locale) peuvent exercer un contrôle plus direct sur le premier résultat important qui les préoccupe, à savoir les personnes qu’ils choisissent comme candidats4. » Il s’ensuit que les électeurs sont peut-être plus sensibles à la compétitivité de leurs circonscriptions et à la pertinence de la diversité des électeurs et des candidats. Ils offrent également une perspective supplémentaire pour comprendre le degré d’ouverture du processus politique et la mesure dans laquelle les candidats issus des minorités visibles peuvent commencer à y avoir accès. Les conclusions sur leur réussite à devenir députés ne racontent peut-être pas toute l’histoire.

Le tableau 2 montre qu’en effet, la prédisposition à présenter des candidats issus de plus en plus de minorités visibles s’est poursuivie en 2021, au point qu’un candidat sur cinq est issu d’une minorité, 21,7 % pour être exact. Dix ans après les élections de 2011, la proportion de candidats issus des minorités a plus que doublé et se rapproche résolument des repères démographiques. Les trois lignes suivantes du tableau 2 montrent que l’augmentation constante des candidatures issues de minorités visibles au fil du temps est vraie pour chacun des trois grands partis nationaux, atteignant dans chaque cas un point culminant en 2021. Il y a, bien sûr, des variations entre les partis dans l’inclinaison de la pente ascendante. Les gradients les plus marqués sont chez le NPD et les Libéraux. La part des candidats issus de minorités dans les rangs du premier a considérablement augmenté au cours de l’intervalle 2011-2019, faisant plus que doubler, passant de 10,4 à 22,4 %, et augmentant encore en 2021 pour atteindre 26,9 %, un niveau supérieur à celui de tout autre parti. Les résultats du parti libéral ont également doublé de 2011 à 2019 (de 9,1 % à 18,6 %), avant de faire un nouveau bond de 5,4 points en 2021 (à 24 %). Pour les deux partis, les minorités visibles ont donc fini par représenter environ un quart de leurs équipes de candidats lors des dernières élections. La trajectoire du parti conservateur montre également une hausse, bien que celle-ci soit moins marquée. Les minorités visibles représentaient 10,1 % du bassin de candidats du parti en 2011, 14,2 % en 2015 et 16,6 % en 2019. Le chiffre de 17,2 % pour 2021 représente une croissance marginale par rapport aux résultats obtenus par ses deux concurrents. Néanmoins, les données globales et individuelles des partis permettent de constater que le recrutement de candidats issus des minorités visibles progresse de façon régulière 5.

Tableau 2

Candidats issus des minorités visibles, 2008-2021

2008

2011

2015

2019

2021

Tous les candidatsa (%)

10.1

9.7

13.9

18.2

21.7

Par parti (%)

Conservateur

9.8

10.1

14.2

16.6

17.2

Libéral

9.8

9.1

16.9

18.6

24.0

NPD

10.7

10.4

13.4

22.4

26.9

Nouveaux candidats (%)

Conservateur

11.2

13.4

18.0

19.7

22.6

Libéral

7.8

9.1

17.5

18.4

24.5

NDP

12.3

12.0

14.3

24.6

25.4

 

a Comprend les partis suivants : Bloc québécois, Conservateur, Libéral et NPD.

Source: Pour les données 2008-2019, voir Jerome H. Black, « Candidats et députés issus de minorités visibles aux élections fédérales de 2019 », La Revue parlementaire canadienne, vol. 43, no 2, 2020, p. 17-23. Les données de 2021 sur les candidats ont été colligées par l’auteur.

Nouveaux candidats issus de minorités visibles

La difficulté de l’examen de chaque série de résultats propres à une élection est qu’ils incluent un nombre important de candidats de l’élection précédente. Par exemple, lors de l’élection de 2021, un peu plus de 40 % des candidats se présentant pour les trois plus grands partis nationaux avaient également participé à l’élection de 2019. Il est possible de mettre davantage l’accent sur les efforts déployés par les partis pour faciliter les candidatures issues de minorités en mettant de côté ces candidatures répétées et en ne considérant que les nouveaux candidats que les partis désignent avant chaque élection.

Les pourcentages recalculés donnent encore plus de crédit à l’idée que les grands partis ont intensifié leurs efforts au fil du temps pour ajouter plus de candidats issus de minorités visibles. Lors de l’élection de 2021, les minorités représentaient 24,1 % des nouveaux candidats recrutés par les quatre partis, un niveau supérieur de près de quatre points à celui de 2019 (20,4 %). Il convient également de noter que ce premier pourcentage est également plus élevé que les 21,7 % déjà observés pour l’ensemble des candidats à l’élection de 2021. Le panneau inférieur du tableau 2 affiche, une fois encore, les pourcentages individuels des trois plus grands partis nationaux. En ce qui concerne les comparaisons entre 2019-2021, il est clair que les trois partis ont présenté un pourcentage plus élevé de minorités visibles parmi leurs nouvelles recrues en 2021, même si, là encore, des variations entre les partis sont apparentes. Pour le NPD, il y a une légère augmentation, de 24,6 % à 25,4 %, tandis qu’il y a une augmentation assez prononcée d’environ six points pour les libéraux, de 18,4 % à 24,5 %. Quant aux conservateurs, une augmentation non négligeable pour le parti, de 19,7 % à 22,6 %, révèle mieux leurs efforts de recrutement accrus en 2021 que ne le font les données plus inclusives sur les candidats. Dans chaque cas, donc, les trois plus grands partis nationaux ont établi de nouveaux records en 2021 avec la désignation de candidats issus de minorités visibles parmi les nouveaux candidats. Enfin, si l’on considère l’ensemble de la période de dix ans présentée dans le tableau, il est clair que les trois partis ont systématiquement désigné des candidats issus des minorités visibles à chaque élection.

Nouveaux candidats issus des minorités visibles et compétitivité des circonscriptions électorales

Le statut concurrentiel des circonscriptions où ces nouveaux candidats sont sélectionnés pour se présenter offre un autre point de vue sur l’engagement des partis à promouvoir la candidature des minorités. S’ils étaient pour la plupart relégués dans des circonscriptions où le parti a de sombres perspectives électorales, l’abondance de désignations, en tant qu’indication de la détermination du parti, aurait moins de sens. Par ailleurs, un effort plus énergique serait nécessaire si des candidats issus des minorités étaient sélectionnés pour porter la bannière du parti dans les circonscriptions présentant des perspectives favorables ou potentiellement favorables. On peut juger de l’approche du parti en comparant ses perspectives électorales dans les circonscriptions où il désigne des candidats issus de minorités visibles avec celles où ses concurrents n’appartenant pas à des minorités visibles sont en lice. Au minimum, l’équité raisonnable voudrait que les partis favorisent les deux groupes dans des circonscriptions prometteuses dans des proportions égales ou presque égales. Aux fins de la comparaison, les circonscriptions électorales ont été réparties entre celles qui, du point de vue de chaque parti, pouvaient être considérées comme non favorables sur la base de ses résultats lors de l’élection de 2019, en particulier celles où le parti a perdu par 11 % ou plus, et celles qui pouvaient être jugées favorables et potentiellement gagnables, où le parti a remporté la circonscription en 2019 ou perdu par une marge de 10 points ou moins. (Les partis au niveau de la circonscription, bien sûr, évaluent leurs perspectives de nombreuses manières, et le font avec plus ou moins d’incertitude, mais le résultat du parti lors de l’élection précédente dans la circonscription est certainement un élément clé).

Si l’on considère l’ensemble des nouveaux candidats des trois plus grands partis nationaux, on constate que les candidats issus de minorités non visibles sont très légèrement favorisés par rapport à leurs homologues issus de minorités. Ensemble, les trois partis ont présenté 16 % des premiers dans des circonscriptions potentiellement gagnables, tandis qu’ils ont placé 14 % de leurs candidats issus des minorités dans ces circonscriptions favorables, ce qui représente une faible disparité. Cela n’est pas très différent de ce qui s’est produit en 2019, lorsque les candidats non issus de minorités ont également été favorisés par une faible marge : 28 % par rapport à 25 %. En outre, si l’on pousse davantage l’observation pour distinguer les circonscriptions favorables selon qu’un député sortant s’est présenté ou non en 2021, on ne constate aucune différence entre les deux catégories : dans chaque cas, les partis ont obtenu 6 % dans les circonscriptions les plus prisées, c’est-à-dire les circonscriptions favorables sans député sortant.

Comme nous l’avons remarqué précédemment, cette image générale d’uniformité masque les différences entre les partis. Un point de vue, du moins d’intérêt descriptif, est disponible à partir des trois premières lignes du tableau 3 qui ne concernent que les candidats des minorités visibles. Les données indiquent que les libéraux ont privilégié leurs nouveaux candidats issus de minorités relativement plus que les deux autres partis. Au total, le parti a désigné 30 % d’entre eux dans des circonscriptions favorables, avec un sous-ensemble important de 20 % dans les circonscriptions gagnables sans député sortant. En revanche, les conservateurs ont désigné 16 % de leurs candidats issus de minorités dans les circonscriptions favorables et seulement 2 % dans la sous-catégorie des circonscriptions « ouvertes ». Quant au NPD, les pourcentages correspondants sont de trois et de zéro pour cent. Un point de vue plus utile pour les besoins de la présente étude s’appuie sur les résultats (parallèles) pour les candidats non issus de minorités (les trois lignes suivantes du tableau 3), si l’on tient compte des approches au sein des partis. Cela confirme que les libéraux sont le parti qui a le plus facilité la candidature des minorités : si, comme on l’a vu, ils ont désigné 30 % de leurs candidats issus de minorités visibles dans des circonscriptions favorables, ils ont placé un peu moins de leurs candidats issus de minorités non visibles dans ces circonscriptions (24 %). La différence dans les circonscriptions ouvertes est peut-être encore plus révélatrice : 20 % contre 11 % en faveur des candidats issus de minorités. Pour leur part, les conservateurs ont désigné plus de candidats issus de minorités non visibles que de minorités visibles dans les régions gagnables (23 % contre 16 %) et dans le sous-ensemble des circonscriptions ouvertes (huit contre deux pour cent). Les différences sont faibles dans le cas du NPD, six contre trois pour cent en faveur des candidats non issus de minorités, les résultats reflétant en partie le nombre réduit de circonscriptions favorables où le parti avait un candidat. En résumé, les résultats globaux et ceux du parti libéral en particulier fournissent des preuves supplémentaires que les partis, à l’échelle locale, ont continué à soutenir les candidatures issues de minorités visibles en les plaçant équitablement dans de nombreuses circonscriptions où elles avaient une chance de succès électoral. Bien sûr, le fait que les gagnants (les libéraux) aient été particulièrement avant-gardistes à cet égard est important, même si ces derniers n’ont pas réussi à obtenir une majorité.

Diversité dans les circonscriptions

Comme ce fut le cas lors des élections précédentes, les partis politiques en 2021 étaient fortement enclins à présenter leurs candidats issus de minorités visibles dans des circonscriptions comprenant d’importantes populations minoritaires. Comme indiqué ailleurs, cette relation entre la diversité des candidats et des circonscriptions peut s’expliquer de plusieurs manières 6. D’une part, cela peut refléter la manière dont les candidats issus de minorités sont capables de se présenter à l’investiture du parti dans diverses circonscriptions en s’appuyant sur les ressources et les réseaux de facilitation qui se sont développés avec la plus grande intégration de leurs communautés dans la société canadienne. D’un autre côté, cela peut également être dû au fait que les partis, en particulier les partis locaux, recherchent délibérément des candidats issus de minorités qui contribueront à attirer davantage de voix dans des circonscriptions hétérogènes. Il est probable que les deux explications aient du mérite. En tout cas, celles-ci interagissent probablement l’une avec l’autre, de sorte que l’analyse permet de comprendre que la désignation de plus de candidats issus de minorités visibles peut être due, au moins en partie, à l’effet de la concurrence.

Les données pour 2021 montrent une tendance constante selon laquelle la diversité des candidats est associée à la diversité dans les circonscriptions, et ce, pour tous les partis. Parmi les trois grands partis nationaux, la tendance est la plus forte dans le cas des conservateurs. Les candidats issus de minorités visibles nouvellement recrutés par le parti ont concouru dans des circonscriptions où les minorités visibles représentaient en moyenne 49 % de la population, tandis que leurs homologues issus de minorités non visibles se sont présentés dans des circonscriptions où les minorités représentaient 18 % de la population. Bien qu’important, cet écart est un peu moins important que ce qu’il était en 2019 (53 % contre 15 %). Pour les libéraux et les néo-démocrates, les écarts sont similaires. Les libéraux ont désigné leurs candidats issus des minorités dans des zones où les minorités visibles représentaient, en moyenne, 30 % de la circonscription, contre 10 % pour leurs candidats non issus de minorités, un écart moindre qu’en 2019 (39 % contre 12 %). Les pourcentages pour le NPD sont respectivement de 36 % et 15 %, ce qui n’est pas très différent des chiffres de 2019 pour le parti (39 % contre 16 %). Enfin, on peut noter que la tendance de concentration en 2021 se maintient pour le Bloc, le Parti vert et le Parti populaire du Canada 7

Tableau 3

Candidats issus de minorités visibles, partis et circonscriptions favorables ou non, 2021

(nouveaux candidats seulement)

Circonscriptions non favorables

Circonscriptions favorables

(N)

Député déjà en place?

Oui

Non

Issus de minorités visibles

Conservateur

83

14

2

(42)

Libéral

70

10

20

(41)

NPD

97

3

0

(63)

Non issus de minorités visibles

Conservateur

76

15

8

(144)

Libéral

76

13

11

(118)

NPD

95

4

2

(185)

 

Données des rangées en pourcentage.

Les notions de circonscriptions favorables et non favorables sont définies dans le texte.

Récapitulation

L’examen des élections fédérales récentes, qui a mis en évidence les résultats obtenus par les minorités visibles lors de leur élection au Parlement, a toujours révélé une combinaison d’éléments positifs et négatifs. Il est maintenant clair que cette caractérisation s’applique également aux élections fédérales de 2021. Sur un plan encourageant, les 53 députés issus des minorités visibles élus – soit 15,7 % des membres de la Chambre –, constituent un nouveau record en matière de représentation de la diversité; de plus, l’élection est la quatrième d’affilée à afficher une augmentation des deux paramètres. En revanche, le changement de 2019 à 2021 ne s’est traduit que par un faible ajout de trois députés, et le ratio de représentation qui tient compte de la population élargie issue des minorités visibles a continué d’indiquer un déficit frappant qui a à peine changé au fil du temps.

L’histoire de l’élection fédérale de 2021 concorde également avec ce qui a déjà été observé dans les élections récentes et semble confirmer la promotion des candidats issus des minorités visibles. Cette élection est la troisième d’affilée à voir les partis politiques, en particulier les grands partis, augmenter la proportion de personnes issues de minorités dans leurs équipes de candidats. Fait révélateur, cette tendance inclut les nouveaux candidats. En 2021, les minorités visibles représentaient près d’un quart de l’ensemble des nouveaux candidats désignés par les quatre principaux partis, un niveau d’incidence qui se rapproche davantage de celui de leur population. Parmi les partis, les libéraux ont fait le plus pour faciliter les candidatures issues de minorités visibles dans les circonscriptions électoralement viables.

Plus généralement, les résultats suggèrent que tous les partis semblent nommer plus de candidats issus de minorités visibles en réponse, pense-t-on, à une concurrence accrue pour les votes des personnes issues de minorités. Cela signifie également que le processus de désignation des candidats dominé par les circonscriptions électorales est un point focal important pour juger de l’ouverture du processus politique aux candidats issus des minorités. Cela permet d’apporter un peu plus d’optimisme à l’étude de la présence des minorités visibles en politique fédérale.

Notes

1 Le terme « officiel » de « minorités visibles » est employé notamment parce qu’il correspond au langage utilisé par Statistique Canada dans la collecte de données de recensement et autres; le terme « minorités » est utilisé en alternance pour faciliter la répétition.

2 Ces estimations en pourcentage sont des extrapolations basées sur l’ensemble de la population des minorités visibles, qui est le point de référence privilégié par cet auteur. Pour une justification de leur utilisation et, également, une discussion sur une mesure de rechange qui restreint le repère de la population des minorités visibles aux citoyens seulement, voir Jerome H. Black et Andrew Griffith, « Do Canada’s most powerful federal posts reflect the country’s diversity? », Policy Options, juin 2020. https://policyoptions.irpp.org/magazines/june-2020/do-canadas-most-powerful-federal-posts-reflect-the-countrys-diversity/

3 Il n’en est pas question ici, mais il est important de se rappeler que tous les groupes originaires de minorités visibles ne sont pas représentés par les députés au même degré, voire pas du tout. Par exemple, en 2021, les Asiatiques du Sud ont continué à être surreprésentés parmi les députés, tandis que les Chinois et les Asiatiques du Sud-Est sont restés sous-représentés. Un changement notable en 2021 est l’augmentation du nombre de députés noirs, qui est passé de 5 en 2019 à 9 en 2021. Pour en savoir plus, voir Jerome H. Black et Andrew Griffith, « Do MPs represent Canada’s diversity? », Policy Options, janvier 2022. https://policyoptions.irpp.org/magazines/january-2022/do-mps-represent-canadas-diversity/

4 Jerome H. Black, « Candidats et députés issus de minorités visibles aux élections fédérales de 2019 », La Revue parlementaire canadienne, vol. 43, no 2, 2020, p. 19.

5 Par souci d’exhaustivité, on peut noter que les minorités visibles constituent : 1) 11,5 % des candidats ayant concouru pour le Bloc (en hausse par rapport à 5,2 % en 2019); 2) 14,3 % des candidats du Parti vert (en hausse par rapport à 11,6 %); et 3) 8,4 % des candidats du Parti populaire du Canada (en baisse par rapport à 16,3 %).

6 Jerome H. Black, op. cit., p. 22.

7 Pour le Bloc, 29 % contre 16 %; pour le Parti vert, 33 % contre 17 %; et pour le Parti populaire du Canada, 49 % contre 20 %.

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