Le message, c’est le média : l’utilisation des applications de messagerie par les parlementaires et leur personnel
L’époque des caucus à voix basse et des échanges de notes entre les députés semble tirer à sa fin. L’utilisation d’applications de messagerie par les parlementaires et leur personnel a permis aux personnes sur la Colline et ailleurs de communiquer instantanément, sans même devoir quitter leur siège. Cependant, selon les parlementaires et leur personnel, cette nouvelle technologie a-t-elle changé leur travail pour le meilleur ou pour le pire? Dans le présent article, l’autrice se sert d’entrevues menées auprès de députés et de membres du personnel de tous les partis reconnus à la Chambre des communes pour analyser comment et pourquoi des applications de messagerie particulières sont choisies et utilisées. Même s’il y a des avantages indéniables à disposer de voies de communication ouvertes entre les membres du personnel et les parlementaires, les personnes interrogées ont soulevé des préoccupations quant à la sécurité de l’information, à l’équilibre entre le travail et la vie personnelle et à l’influence croissante des bureaux du leader et du whip.
Sarah Rollason-MacAulay
« Je crois que les risques associés aux [applications de messagerie] ne feront qu’augmenter au fur et à mesure que nous avons de plus en plus recours à cette technologie. » – Un député du Parti conservateur
Introduction
Lorsque la Chambre des communes a été fondée en 1867, 181 députés communiquaient de vive voix, en personne ou en s’échangeant des notes écrites. Au moment de la rédaction du présent rapport, 338 députés utilisaient une technologie qui leur permet, pour le meilleur ou pour le pire, de communiquer instantanément, où qu’ils soient, sur des applications de messagerie dans l’arène politique au rythme effréné.
L’utilisation de la technologie et son intégration dans les activités sur la Colline sont fascinantes.
La messagerie elle-même n’est pas un fait nouveau. Vous souvenez-vous des téléavertisseurs que l’on portait à la ceinture ou transportait dans son sac à main? Depuis l’arrivée des téléphones intelligents, la messagerie est de plus en plus répandue. Toutefois, ce n’est que lorsque la pandémie a paralysé bien des activités partout au pays en mars 2020, notamment les rencontres en personne au Parlement, que les politiciens et le personnel sur la Colline ont été forcés de changer la façon dont ils communiquent rapidement entre eux par voie numérique et de façon sécuritaire.
Ce sujet et mon intérêt pour celui-ci remontent à bien avant ma participation au Programme de stage parlementaire. Lors d’une table ronde tenue sur Zoom pendant la pandémie, un panéliste qui représentait le Canada aux Nations Unies a mentionné l’ampleur du travail de diplomatie internationale qui se fait dans les conversations sur WhatsApp et comment le Canada serait laissé pour compte si ses propres diplomates n’y participent pas. Cette intervention a éveillé mon intérêt pour ce sujet, surtout en ce qui concerne les enjeux de sécurité qui s’y rattachent. Ma participation au programme de stage non partisan m’a donné un accès unique aux politiciens et à leur personnel dans mes recherches sur cette question.
Toutefois, le présent article n’examine pas en profondeur les enjeux de sécurité liés aux applications de messagerie, qui pourraient eux-mêmes être le sujet d’un projet distinct. Je me penche plutôt sur la façon dont les parlementaires et leur personnel utilisent les applications de messagerie pour communiquer entre eux et sur les répercussions que ces applications ont eues sur leur travail.
Aux fins du présent article, je définis les applications de messagerie comme des applications sur des téléphones et des ordinateurs capables d’envoyer des messages. Il peut s’agir du service de message court (SMS ou messagerie texte), d’iMessage, de WhatsApp et d’applications plus robustes comme Microsoft Teams et Slack, qui comprennent des fonctions autres que la messagerie. Les personnes que j’ai interviewées ont défini ce qu’elles considèrent comme une application de messagerie et celles qu’elles choisissent d’utiliser. Certaines personnes ont mentionné l’utilisation de Facebook Messenger, même si cette application est peu souvent utilisée et que ce sont surtout les employés qui s’en servent pour communiquer entre eux et avec les électeurs de la circonscription.
Au Canada, aucune recherche n’a été effectuée sur l’utilisation d’applications de messagerie par les politiciens pour communiquer entre eux. L’exploration du sujet était donc plus difficile, mais tout aussi motivante, car mes travaux comblent une lacune dans la recherche sur les technologies de communication émergentes.
Cet article vise à présenter les résultats de la recherche originale effectuée sur ce sujet, en explorant les différentes applications, ceux qui les utilisent et dans quel contexte, le contrôle croissant exercé par le parti central quant à leur utilisation et, ultimement, les répercussions sur l’autonomie des députés.
Examen de la documentation
Comme il n’y avait pas de recherches sur ce sujet précis au Canada au moment de la rédaction du présent rapport, j’ai choisi de me concentrer sur le Royaume-Uni, car il y a dans ce pays des publications (principalement sous la forme d’articles de journaux et de sites Web) et son système parlementaire est semblable à celui du Canada.
Le journal britannique The Guardian a bien résumé la situation en affirmant que les ententes politiques se faisaient auparavant dans des salles enfumées, mais que de nos jours, les complots parlementaires se trament surtout sur WhatsApp1.
Il y a toutefois des dangers. Ces dernières années, les messages WhatsApp ont continué de hanter l’ancien premier ministre du Royaume-Uni, Boris Johnson. Le journal The Guardian a rapporté le 2 juillet 2023 que des experts avaient récupéré de vieux messages WhatsApp qui seraient remis aux responsables de l’enquête sur la COVID-19 de ce pays afin qu’ils les utilisent pour mieux évaluer comment le gouvernement travaillait au début de la pandémie et déterminer si les restrictions relatives aux rassemblements sociaux n’avaient pas été respectées2.
Le parti travailliste qui forme l’opposition officielle utilise aussi WhatsApp pour dicter les votes et tenir diverses conversations de groupe. Une députée a dû présenter ses excuses après s’être retrouvée au centre d’un scandale et avoir fait l’objet d’une mauvaise presse parce qu’elle avait envoyé dans une conversation de groupe avec l’ensemble des députées un message empreint de critiques qui n’était destiné qu’aux députés modérés3.
L’Institute for Governance, un groupe de réflexion du Royaume-Uni, a publié un rapport sur l’utilisation croissante des applications de messagerie au sein du gouvernement britannique, et plus particulièrement de WhatsApp4. Il énonce que les ministres, les députés et le personnel des ministères ont de plus en plus recours aux applications de messagerie et qu’il y a un manque de reddition de comptes à cet égard. Mes propres recherches m’ont permis de tirer des conclusions semblables, mais elles étaient axées sur l’utilisation de ces systèmes de messagerie par les parlementaires et leur personnel plutôt que par les employés des ministères.
L’expression anglo-saxonne « publier ou mourir » (« publish or perish ») du domaine de la recherche pourrait devenir « publier et mourir » si un message privé tombait dans la mauvaise conversation de groupe, ou entre de mauvaises mains. En plus de faire l’objet d’une mauvaise presse, l’auteur s’exposerait au risque que les messages de sa conversation soient utilisés dans des enquêtes publiques ou dans des procédures criminelles ou civiles.
Comme l’a affirmé EstherWebber dans le magazine Politico : « Oubliez les archives nationales. WhatsApp pourrait nous donner la version la plus honnête de l’histoire que nous ayons jamais eue5. »
Les empreintes numériques des messages WhatsApp ont également servi de preuve au Canada. Au cours d’une enquête publique à Ottawa portant sur les lacunes du réseau de train léger sur rail (TLR) de la ville, un extrait des messages dans une conversation entre le maire de la ville et l’ancien directeur général des transports de la ville sur WhatsApp a révélé son rôle prédominant dans la communication des problèmes qui affligeaient le système. Le maire envoyait si souvent des messages dans la conversation de groupe au sujet des problèmes qu’il remarquait en prenant le TLR, que John Manconi, ancien directeur général des transports, lui a répondu ceci : « Monsieur le maire, je vous en prie. Je reçois tellement de messages de vous et de votre personnel sur de multiples canaux. Je vais répondre à chacun de ces messages. Ils seront tous traités. Nous sommes submergés par une montagne de messages6. »
Lorsqu’un employé est incapable de s’acquitter de ses fonctions en raison d’un nombre excessif de messages, on peut supposer que le problème réside dans les messages eux-mêmes et non le moyen de communication.
Évolution
Bien que ces conversations en grand groupe soient un fait nouveau, l’utilisation d’applications de messagerie sur la Colline ne l’est pas. Un membre du personnel qui travaille sur la Colline depuis 2004, à l’époque où le BlackBerry était le téléphone du moment, a raconté que des messages étaient envoyés à son appareil au moyen du numéro d’identification personnel (NIP). Les messages envoyés d’un NIP à un autre NIP étaient considérés comme sûrs, car ces deux téléphones communiquaient directement entre eux. Comme chaque appareil BlackBerry était assorti d’un NIP distinct et qu’aucun autre téléphone ne pouvait le reproduire, cette méthode de communication était considérée comme un moyen sûr et sécuritaire d’envoyer des messages aux autres.
Il y avait cependant un problème de sécurité flagrant. Si un appareil BlackBerry était donné à quelqu’un d’autre, aucun avis n’était envoyé pour informer tout le monde que le téléphone avait changé de propriétaire. On ne pouvait jamais être vraiment certain que la personne qui recevait le message était le destinataire voulu. Par conséquent, lorsqu’un membre du personnel ministériel quittait son poste (ce qui arrivait régulièrement), la solution était simple : on lui donnait un marteau et un sac Ziploc. Le téléphone était tout simplement consigné comme étant endommagé au point d’être irréparable et on le faisait disparaître.
« Le responsable des TI venait vous voir avec votre nouveau BlackBerry et un marteau, puis vous deviez détruire votre ancien BlackBerry avant de le lui remettre. » – Un membre du personnel du Parti conservateur
Lorsque l’application Blackberry Messenger (BBM) a été lancée, elle a gagné en popularité parce que tous les contacts enregistrés sur le téléphone se mettaient à jour lorsque le nom d’écran était changé. Les utilisateurs étaient informés immédiatement qu’une nouvelle personne utilisait l’appareil.
Ce n’est que lorsque le Parlement est passé au mode virtuel pendant la pandémie, puis a finalement commencé à tenir des séances hybrides, que le recours aux conversations de groupe est devenu essentiel et qu’elles ont été adoptées dans de nouveaux endroits, comme les comités.
Avant la pandémie, tout ce qui concernait les comités se passait presque exclusivement dans la salle de comité. Si un député voulait parler à un membre de son personnel, il devrait le prendre à part et chuchoter. Si quelqu’un avait manqué une réunion préalable du comité, ou la réunion du comité elle-même, il fallait qu’une personne qui était présente l’informe de ce qui s’était dit.
Grâce aux conversations de groupe, les personnes pouvaient tout à coup partager de l’information, où qu’elles se trouvent, de façon immédiate avec tout le monde dans la conversation. La communication avec le bureau du whip, le bureau du leader à la Chambre et le bureau du ministre pouvait maintenant se faire dans la conversation de groupe. La stratégie pouvait être planifiée sans que personne ne quitte son siège ou même ne soit dans la salle.
Étant donné que chaque comité a maintenant une conversation de groupe, avec les libéraux dans une conversation et les conservateurs dans une autre, les discussions commencent peu à peu à être réglementées. Des personnes désignées au sein du bureau du whip de chaque parti ajoutent ou retirent des personnes de la conversation au besoin, en cas de remplacement ou de changement de personnel. Je n’ai malheureusement pas pu interviewer officiellement l’une des personnes qui occupent ces fonctions, mais j’ai tout de même discuté de façon informelle avec certaines d’entre elles. Elles ont indiqué que, jusqu’à présent, aucune ligne directrice officielle n’avait été établie.
Méthodologie de recherche
La majorité des conclusions de cette recherche ont été tirées à partir d’entrevues avec des politiciens et des membres de leur personnel sur la façon dont les applications de messagerie sont utilisées.
Comme il y a beaucoup plus de députés et de membres du personnel du Parti libéral et du Parti conservateur sur la Colline, et moins de représentants des petits partis, il n’était pas surprenant que ces deux partis soient surreprésentés dans l’étude finale. De plus, seuls les députés libéraux et conservateurs utilisaient une application de groupe pour communiquer simultanément avec les membres de leur propre parti qui siègent également au comité.
Du Parti libéral, j’ai interviewé un ministre, deux députés, un membre du personnel ministériel et trois autres membres du personnel. Du Parti conservateur (PCC), j’ai interviewé trois députés et trois membres du personnel de divers comités.
Du Bloc québécois (BQ) et du Parti vert, j’ai pu interviewer un député et un membre du personnel pour chacun.
J’ai également interviewé un membre du personnel du Nouveau Parti démocratique (NPD).
Bien que cela dépasse la portée de ce document de recherche, j’ai interviewé un sénateur et un membre de son personnel pour comprendre les différences entre la Chambre et le Sénat en ce qui concerne les services de messagerie.
Ces entrevues étaient semi-structurées, ce qui m’a donné la possibilité de poser des questions de suivi et d’obtenir plus de renseignements, au besoin.
Toutes les personnes interviewées ont été informées que, mis à part leur poste, leur identité demeurerait confidentielle, dans l’espoir qu’elles se sentent plus libres de me dire ce qui se passait réellement, plutôt que de raconter une version censurée. Un député a indiqué qu’il ne verrait pas d’inconvénient à ce que son identité soit divulguée, mais par souci de cohérence, j’ai préservé son anonymat.
Il est important de souligner que j’ai interviewé un député libéral et un député conservateur dans leur antichambre respective alors que d’autres collègues pouvaient sans doute les entendre. Malgré cette absence d’intimité, ils m’ont tous les deux parlé longuement, et rien ne m’a laissé croire qu’ils étaient moins francs que si l’entrevue avait été menée dans leur bureau.
Résultats de la recherche
Au cours de mes entrevues, des députés ont parlé des répercussions de ces applications de messagerie sur leur autonomie. Les principales préoccupations soulevées concernaient l’autorité et l’orientation du parti, la centralisation de la prise de décisions et les répercussions futures de l’utilisation de ces applications. Toutes les personnes interviewées s’interrogeaient sur la sécurité des applications.
Applications
Les applications qui ont été utilisées d’une manière quelconque tant par les députés que les membres du personnel étaient iMessage, Signal, WhatsApp, Microsoft Teams et Wickr.
Bien que mes travaux de recherche étaient au départ motivés par l’utilisation de WhatsApp par des diplomates internationaux, sur la Colline, iMessage est l’application de messagerie la plus utilisée. Cette différence s’explique en grande partie par le fait que cette application est préinstallée sur les appareils iPhone que chaque personne interviewée utilisait.
« J’utilise iMessage entièrement par défaut. À l’époque où il y avait encore des appareils BlackBerry, nous en avions tous un. Tous ceux avec qui je travaillais utilisaient BlackBerry Messenger. Ensuite, lorsque les iPhones ont eu la cote et que les BlackBerry ont disparu, je pense que tous ceux qui utilisaient BBM sont automatiquement passés de la plateforme BlackBerry à iMessage, sur la plateforme iOS. » – Un député du Parti libéral
Microsoft Teams est la deuxième application de messagerie la plus utilisée par tous les partis parce qu’elle est intégrée aux communications de la Chambre des communes et qu’elle est ainsi considérée comme la plus sûre par de nombreuses personnes interviewées. Cette application est utilisée à la fois sur leur téléphone et leur ordinateur pour clavarder et faire des appels vidéo. Les personnes interviewées qui utilisaient Teams étaient souvent moins susceptibles d’utiliser d’autres applications de messagerie. Cependant, cette application de messagerie utilisée à la Chambre n’étaient pas été utilisée par les libéraux ni les conservateurs en comité.
Dans les comités, WhatsApp est l’application de messagerie principalement utilisée par les libéraux. Elle est considérée comme sûre et sécuritaire grâce à ses fonctions de sécurité comme le chiffrement et les messages éphémères facultatifs. Toutefois, les politiciens et leur personnel, de même que le grand public, ont exprimé des préoccupations au sujet de sa société mère, Meta Platforms Inc., et de l’engagement de celle-ci à l’égard de la protection de la vie privée.
« WhatsApp a beaucoup plus de fonctionnalités et, comme la plupart des choses qui ont plus de fonctionnalités, elles sont un peu plus compliquées. » – Un député du Parti libéral
« Il y a des préoccupations au sujet de la sécurité avec iMessage. Je pense que c’est la raison pour laquelle les comités se sont tournés vers WhatsApp et même WhatsApp a des vulnérabilités, nous a-t-on dit. C’est sans doute pourquoi les discussions du caucus national se déroulent sur, quel est le nom déjà? Wickr. » – Un député du Parti libéral
Après Teams, Signal était considéré comme l’application de messagerie la plus sécuritaire. Elle comporte des fonctionnalités de protection de la vie privée, comme le chiffrement de bout en bout et les messages éphémères facultatifs, en plus de demander régulièrement à l’utilisateur d’entrer un NIP pour valider son identité. Signal était utilisé par les conservateurs dans les comités, mais aussi par les membres du personnel du Parti conservateur dans leurs bureaux, ainsi que par les membres du personnel du Parti libéral dans les bureaux ministériels et des députés.
« Signal offre le chiffrement de bout en bout d’une façon plus sécuritaire que n’importe quelle autre application de messagerie. » – Un membre du personnel du Parti conservateur
Wickr était l’application de messagerie utilisée par les libéraux pendant la pandémie, lorsque le Parlement était en mode virtuel, pour informer les députés libéraux sur la façon et le moment de voter. La plupart des politiciens étant retournés sur la Colline pour voter en personne, le parti ne s’en servait plus à cette fin.
« On m’a dit que Wickr était l’application où on pouvait trouver tous les députés. J’étais très enthousiaste à l’idée de pouvoir contacter n’importe lequel de mes collègues de cette façon, jusqu’à ce que je me rende compte que je devais ajouter tout le monde un à un. » – Un député du Parti vert
« Ils voulaient que les gens aient Wickr parce que c’était une façon d’informer instantanément tous les députés, peu importe où ils se trouvaient au pays, qu’il y avait un vote. » – Un député du Parti libéral
Certains messages directs étaient envoyés au moyen d’applications de médias sociaux comme Twitter ou Facebook Messenger, mais elles étaient presque exclusivement utilisées par les membres du personnel pour parler aux électeurs. Un membre du personnel, qui faisait partie d’une conversation de groupe des adjoints régionaux pour le Parti libéral, a fait remarquer que l’une de ces applications de médias sociaux était le moyen de communication de choix. De nombreuses personnes interviewées ont déclaré qu’elles ne font pas confiance à la sécurité de la messagerie directe dans les médias sociaux. Un député avait un ancien camarade de classe qui a pris ce qui était considéré comme une réponse privée à une question et a communiqué avec les médias.
Fait à noter, le Sénat semble distinct de la Chambre des communes en ce qui concerne les applications de messagerie. Les personnes interviewées ont indiqué que le Sénat était le premier à être connecté à Teams avant la pandémie. Selon elles, le fait que le Sénat compte moins de membres et d’employés aurait peut-être facilité l’intégration de cette application.
Le sénateur et le membre du personnel du sénateur ainsi qu’un ancien membre du personnel qui travaille actuellement à la Chambre des communes croient que la Chambre haute a continué d’utiliser Teams parce que c’était l’application utilisée avant la pandémie.
Comités
Les conversations de comité sur les applications de messagerie sont l’endroit où les partis ont tendance à participer.
Grâce aux conversations de groupe, une stratégie pouvait être planifiée pendant que les participants demeuraient dans leur siège et que d’autres n’étaient pas présents dans la salle. Ainsi, des actions bien connues dans les salles de comité, comme les caucus ou les chuchotements enthousiastes, sont devenues choses du passé.
« C’est assurément moins emballant pour le public maintenant. Avant, quand quelque chose se produisait, il y avait beaucoup d’action, tandis que maintenant c’est ennuyeux à regarder. » – Un député du Parti conservateur
Étant donné que les libéraux et les conservateurs ont chacun une conservation de groupe de parti pour chaque comité, les conversations commencent peu à peu à être réglementées. Des personnes désignées au sein du bureau du whip de chaque parti ajoutent ou retirent des personnes de la conversation, au besoin.
Au Parti conservateur, le bureau du whip demande à son principal représentant au comité de choisir l’application qui est utilisée. Par la suite, le coordonnateur du comité crée la conversation et tient à jour la liste des membres, en ajoutant et en supprimant des députés et des membres du personnel, au besoin. Alors que la plupart des conversations de comité chez les conservateurs se déroulaient auparavant sur WhatsApp, Signal est maintenant l’application de choix en général.
La plupart, voire la totalité, des députés libéraux qui siègent aux comités utilisent WhatsApp.
Les membres du NPD utilisent Teams ou iMessage pour communiquer entre eux. Pour les questions relatives à l’entente de soutien et de confiance entre les libéraux et le NPD, ce dernier, en tant que plus petit parti, utilise WhatsApp, car c’est l’application préférée des libéraux pour la communication. Contrairement aux libéraux et aux conservateurs, il n’y avait qu’un seul député néo-démocrate siégeant à un comité et, par conséquent, il n’y avait généralement pas de communication entre ce député néo-démocrate et les autres membres du comité. Habituellement, le député et un membre du personnel s’envoient des messages texte au moyen d’iMessage. Un membre du personnel du bureau du leader gère toutes les conversations sur Teams qui ne se déroulent pas au bureau.
Le Bloc québécois, qui n’avait également qu’un seul membre siégeant aux comités, a expliqué que les conversations de groupe organisées entre le député, les membres du personnel et les membres du personnel pertinents du bureau du leader à la Chambre se déroulaient sur iMessage. Ils utilisent également Teams pour communiquer entre eux lorsqu’ils n’utilisent pas iMessage.
« Chaque comité ouvre toujours une conversation de groupe sur iPhone. Nous consignons l’information sur les motions présentées à la Chambre, et nous l’utilisons pour que la personne qui suit cette réunion, s’il y a quoi que ce soit, puisse nous informer de ce qui se passe à la Chambre et de ce que nous devons savoir. La conversation est ouverte au début de la réunion et fermée à la fin de celle-ci. » – Un membre du personnel du Bloc québécois
Selon mon expérience personnelle, même si vous suivez les conversations pendant que vous êtes assis dans une salle de comité, il semble parfois qu’une autre réunion de comité se déroule dans les conversations de groupe. Lors d’un voyage d’études, j’ai constaté que j’avais manqué près de 200 messages d’une conversation de groupe d’un seul comité ce jour-là. Les conversations de groupe sont de plus en plus utilisées et constituent un moyen important de transmettre de l’information.
Il arrive aussi qu’une réunion de comité ne se déroule pas comme prévu et qu’il faille communiquer immédiatement avec les bureaux du ministre, du whip ou du leader. En utilisant les applications, tous ces bureaux peuvent surveiller les comités individuels et intervenir, au besoin. Parfois, la seule façon de constater qu’un parti est surpris et qu’il cherche des conseils sur la façon de réagir, c’est en voyant la rapidité avec laquelle les députés commencent à écrire sur leur téléphone en même temps.
Cependant, ce n’est pas toujours à propos du travail. Il y a parfois, des blagues, habituellement au sujet de quelque chose qui vient de se produire en comité ou, à l’occasion, au sujet de quelque chose dont on parle dans les médias et qui pourrait être pertinent.
« J’ai participé à un certain nombre de conversations où nous nous posons des questions, mais nous n’avons pas la réponse. Nous nous demandons si les mauvaises blagues que nous venons de raconter se retrouveront dans le Hill Times ou pire. » – Un député du Parti libéral
Sécurité
Même s’il faudrait un projet de recherche distinct pour se pencher sur les préoccupations en matière de sécurité, il est important de souligner que ces questions ont souvent été soulevées au cours des entrevues. Il y a méfiance généralisée à l’égard de toutes les applications. Signal est l’application de messagerie de choix de la plupart des personnes interviewées, chez les libéraux comme les conservateurs, pour envoyer des messages de nature délicate.
En raison de la nature plus sécuritaire de Signal, j’ai également pu confirmer qu’au moins deux ministères l’utilisent.
« Il y a quelques blagues qui sont faites au détriment ou à propos d’autres personnes et de partis. Ce ne serait pas bon qu’elles sortent. Mais pour ce qui est des risques réels pour la sécurité et des renseignements confidentiels, il n’y a pas lieu de se préoccuper. » – Un membre du personnel du Parti conservateur
À maintes reprises, on m’a dit que s’il y avait un sujet vraiment délicat à discuter, il faudrait faire un appel téléphonique ou avoir une conversation en personne au lieu de laisser des traces écrites. Toutes les personnes interviewées dans l’ensemble des partis étaient de cet avis.
Certaines personnes se disaient également préoccupées du fait que, en cette ère d’après le mouvement « #MoiAussi », d’anciens membres du personnel détenaient maintenant de véritables « bombes ». Il est bien connu que certains députés ne savent pas garder leur calme. Les membres du personnel peuvent faire une saisie d’écran de n’importe quelles interactions pour les conserver ou les partager. Des personnes interviewées pensaient que ces messages finiraient par faire l’objet d’une fuite dans l’avenir et qu’ils pourraient détruire la carrière de certaines personnes.
« J’ai entendu des cas où des membres du personnel se partageaient des messages texte insensés envoyés par des employés. Ils parlaient très mal aux membres de leur personnel. D’après ce que j’ai entendu dire, de tous les côtés, il y a des employés qui peuvent être très irrationnels ou colériques, et ce qu’ils disent pourrait revenir les hanter.
«C’est le risque des conversations informelles par messages texte. Si vous vous fâchez et si vous dites quelque chose à propos de quelqu’un d’autre, cette personne et le membre du personnel emportent avec eux ce petit trésor. » – Un député du Parti conservateur
Lorsqu’un nouveau député ou sénateur fait son entrée sur la Colline, il reçoit une formation sur les mesures de sécurité. Les personnes interrogées estiment que cette formation est inadéquate et 75 % d’entre elles ont mentionné la nécessité d’une meilleure formation en matière de sécurité.
« On m’a donné une formation sur la sécurité numérique, puis on ne m’en a plus jamais parlé. » – Sénateur de la région des Prairies
Autonomie
Le thème le plus inattendu qui est ressorti au cours des entrevues avec les députés était l’autonomie individuelle.
De nombreux députés ont admis qu’en raison des applications de messagerie, ils ressentaient beaucoup plus de pression à voter dans le même sens que ce qui était « conseillé » par les membres du personnel des bureaux du ministre, du whip ou du leader à la Chambre.
À la Chambre, les députés se font dicter certains votes. Avec ces applications, même s’ils ne se font pas officiellement dicter leur vote pendant qu’ils siègent à un comité, les députés reçoivent maintenant des conseils en temps réel. J’ai constaté que cette tendance était plus fréquente chez les députés libéraux, mais elle n’est pas exclusive à ce parti. Un député libéral a affirmé : « Je vais faire semblant de ne pas avoir vu un message si je veux voter dans le sens contraire, mais je le fais rarement, car je sais que je peux avoir des ennuis. » À l’exception de trois députés (un du Parti libéral, un du Parti conservateur et un du Parti vert) qui n’ont pas parlé de cet aspect, toutes les personnes interviewées ont déclaré qu’il s’agissait d’un inconvénient des applications de messagerie, et qu’elles se sentent maintenant plus contraintes de voter d’une certaine façon.
Intégration à la Colline et dans les circonscriptions
La plateforme Microsoft Teams a également été jugée utile pour intégrer un bureau de député sur la Colline et ses bureaux de circonscription. Avant la pandémie, l’utilisation de lecteurs partagés n’était pas courante. Grâce à l’adoption de OneDrive, de SharePoint et d’autres applications comme OneNote, la collaboration virtuelle est plus facile. Certains bureaux choisissent d’utiliser Google Workspace plutôt que les produits de Microsoft.
Les députés et les membres du personnel qui étaient sur la Colline avant l’intégration de Teams conviennent que cette application est une meilleure option que Skype Entreprise, qu’elle a entièrement remplacée. Environ la moitié des personnes interrogées étaient ambivalentes quant à savoir si cela faisait une grande différence entre les deux bureaux, tandis que l’autre moitié insistait sur le fait que l’intégration avait été extrêmement positive pour la cohésion.
Conséquences
L’un des inconvénients de ces applications de messagerie est qu’elles amplifient le sentiment qu’un député doit être constamment à l’affût de son téléphone et limitent les occasions de décrocher du travail. Par exemple, dans une étude menée par la Banque d’Amérique, 71 % des gens ont affirmé qu’ils dormaient habituellement avec leur téléphone cellulaire à côté de leur lit7. Au cours des entrevues, de nombreux députés et membres du personnel ont déclaré que la première chose qu’ils faisaient le matin était de vérifier s’ils avaient reçu des messages sur leur téléphone.
La plainte la plus courante était que chaque application n’est qu’un canal de plus à surveiller. Avec plusieurs comptes de courriel et téléphones à vérifier, chaque application supplémentaire utilisée n’est qu’une distraction de plus dans leur journée.
Ces distractions peuvent également se répercuter sur l’équilibre entre le travail et la vie personnelle. Les députés peuvent toutefois fixer des limites pour éviter ces répercussions. Un membre du personnel du NPD a dit que sa députée tenait absolument à respecter les heures de travail et que, sauf en cas d’urgence, on ne communiquerait pas avec elle en dehors des heures de travail. Cependant, d’autres membres du personnel du NPD et d’autres partis ont déclaré avoir été contactés par leur député en dehors des heures normales de travail.
Certains messages étaient urgents, mais la majorité ne l’était pas. Il semble que ce soit selon la culture de chaque bureau pour déterminer comment ces communications doivent être traitées ou leur fréquence.
Du côté des députés, la plupart ont dit qu’ils essayaient de ne pas envoyer de messages en dehors des heures de travail. Il était intéressant d’écouter un député conservateur affirmer catégoriquement que la messagerie instantanée permettait aux membres de son personnel d’avoir un meilleur équilibre entre le travail et la vie personnelle s’ils pouvaient accéder à un message qu’il envoyait au moment où il réfléchissait à un sujet plutôt que d’attendre qu’ils soient au travail.
« Pourquoi, lorsque mon alarme sonne le matin, la première chose que je fais est de mettre mes lunettes et de regarder mes messages? Pourquoi est-il correct d’envoyer des messages aux gens si je suis réveillé à deux heures du matin? Notre façon de travailler s’en trouve profondément marquée. » – Un député du Parti libéral
Le consensus parmi les personnes interviewées était que la présence d’applications de messagerie ne mène pas à un meilleur équilibre entre le travail et la vie personnelle.
Néanmoins, elles ont toutes fait remarquer que, malgré les inconvénients, les applications de messagerie leur permettent de travailler plus efficacement.
« Ce n’est peut-être pas aussi intéressant visuellement, mais cela me permet d’être plus efficace. » – Un député du Parti libéral
Recommandations
Il y avait des opinions divergentes au sujet de ces applications, mais la sécurité était la préoccupation commune. Il faut améliorer la formation et la sensibilisation en matière de sécurité numérique pour tous les députés, les sénateurs et les membres de leur personnel. Un cours de rappel après un certain nombre d’années ou après chaque élection est également recommandé.
Plusieurs personnes ont soulevé la nécessité d’avoir une application officielle que la Chambre des communes pourrait utiliser, comme l’application qui permet aux députés de voter sur leur téléphone. Elle permettrait d’apaiser les craintes en matière de sécurité et de limiter le nombre d’applications à surveiller. Toutefois, si une application officielle n’est autorisée que sur les appareils fournis par la Chambre des communes, on craint que de nombreux membres du personnel n’y aient pas accès. Les appareils pour les membres du personnel sont obtenus auprès des services de télécommunications de la Chambre des communes, mais il appartient au député de décider quels appareils leur sont remis, car le coût est directement imputé au budget limité du bureau de ce député8. Les membres du personnel qui ne reçoivent pas d’appareils continueraient d’utiliser des applications externes.
Il y a également lieu de se demander si, dans la pratique, l’application unique serait utilisée par tout le monde. Certains députés et membres du personnel continueraient fort probablement d’utiliser d’autres applications pour certains messages s’il y avait des préoccupations au sujet de la sécurité de l’application officielle.
Conclusion
Que vous soyez le premier ministre du Royaume-Uni, le maire d’Ottawa, un député ou un membre du personnel, les applications de messagerie peuvent être très utiles, mais aussi truffées de pièges.
Les recherches effectuées pour le présent article ont donné lieu à plusieurs découvertes importantes :
Au même titre que les deux principaux partis ont des philosophies et des plateformes politiques différentes, ils utilisent également différentes applications de messagerie comme principal réseau de communication dans les comités.
En ce qui concerne l’utilisation des applications de messagerie, il n’y avait pas de différence entre les régions, seulement des différences entre les partis.
Malgré les préoccupations en matière de sécurité, au moment de la rédaction du présent article, ni le Parlement ni les partis n’avaient mis en place des lignes directrices ou des systèmes pour les applications de messagerie.
Dans un Parlement de plus en plus partisan et polarisé, on se préoccupe du fait que les applications de messagerie mèneront à un contrôle plus centralisé et à une plus grande pression exercée sur les députés pour qu’ils respectent la ligne de parti dans les comités, ce qui pourrait réduire encore davantage les chances d’une collaboration significative entre les partis.
Les applications de messagerie ont contribué à la prolifération des canaux de communication que les députés et les membres du personnel doivent surveiller. En l’absence de limites pour encadrer leur utilisation, ces applications pourraient nuire aux efforts visant à maintenir un équilibre sain entre le travail et la vie personnelle.
Malgré toutes les préoccupations soulevées, les personnes interrogées ont convenu que les applications de messagerie sont là pour de bon et continueront d’être utilisées par les partis fédéraux, les politiciens et les membres du personnel politique.
« C’est encore la même histoire : des inventions pour économiser du temps et de l’énergie, qui finissent par prendre plus de temps et d’énergie qu’avant. » – Un député du Parti libéral
Notes
1 J. Elgot. « WhatsApp: the go-to messaging tool for parliamentary plotting », The Guardian, 12 juin 2017.
2 A. Allegretti. « Experts recover messages from Boris Johnson’s old mobile phone », The Guardian. Le 21 juillet 2023.
3 J. Lyons. « “I’m a sorry cow’”: MP’s apology for insulting party », The Times, 29 janvier 2017.
4 T. Durrant, A. Lilly et P. Tingay. « WhatsApp in government: How ministers and officials should use messaging apps–and how they shouldn’t », Institute for Government, mars 2022. URL : https://apo.org.au/node/317053.
5 E. Webber. « The perils of Boris Johnson’s government by WhatsApp ». 18 juin 2021.
6 K. Porter. « Thread of 2019 WhatsApp texts show mayor’s fixation on details during LRT woes », CBC, 6 juillet 2022.
7 S. Loleska et N. Pop-Jordanova. « Is Smartphone Addiction in the Younger Population a Public Health Problem? », PRILOZI, 42(3), 2021, p. 30.
8 Chambre des communes. Manuel des allocations et services aux députés, document consulté en 2023. URL : https://www.ourcommons.ca/Content/MAS/mas-f.pdf.