Les Indépendants :discussion avec des parlementaires indépendants et à l’esprit indépendant

Article 3 / 8 , Vol. 47 No. 2 (Été)

Les Indépendants :
discussion avec des parlementaires indépendants et à l’esprit indépendant

Le 18 janvier 2024, la Churchill Society for the Advancement of Parliamentary Democracy a accueilli trois parlementaires pour discuter de l’expérience des parlementaires indépendants et des parlementaires partisans à l’esprit indépendant au Canada. Animée par le professeur Alex Marland, la table ronde a réuni Elizabeth Smith-McCrossin, une députée provinciale qui a été réélue en tant qu’indépendante après avoir été élue à titre de membre d’un parti, Bobbi Ann Brady, une députée provinciale élue comme indépendante sans avoir d’abord été élue à titre de membre d’un parti ainsi que Scott Sims, un député d’arrière-ban, qui a siégé à la fois du côté du gouvernement au pouvoir et du côté de l’opposition. Parmi les sujets abordés, notons les avantages et les inconvénients de siéger comme indépendant ou membre d’un parti, les contraintes liées aux whips et à la communication des messages de parti, ainsi que la manière dont ces parlementaires se sont ménagé un certain degré de liberté, que ce soit à l’intérieur ou à l’extérieur d’un parti, pendant la durée de leur mandat. La séance a été dédiée à la mémoire de Peter Russell, auteur de Two Cheers for Minority Government: The Evolution of Canadian Parliamentary Democracy et d’autres ouvrages, qui est décédé peu avant l’événement. *Cette transcription a été éditée pour des raisons de concision et de clarté. L’enregistrement original de l’événement est disponible sur la chaîne Youtube de la Churchill Society.

Participants : Bobbi Ann Brady, députée provinciale, Scott Simms, député, et Elizabeth Smith-McCrossin, députée provinciale

Séance modérée par Alex Marland

Alex Marland : J’aimerais rappeler à tout le monde la chance que nous avons d’être en compagnie de ces invités. Pensons à tous les politiciens qui ont été élus au Canada au niveau fédéral ou provincial depuis 1972. La raison pour laquelle j’ai choisi l’année 1972 est qu’il s’agissait des premières élections fédérales où des étiquettes de partis apparaissaient sur le bulletin de vote. Avant cela, seule la profession était indiquée. À partir de ce moment-là, les gens ne pouvaient pas savoir qui était leur représentant, sauf s’ils connaissaient le parti qu’il représentait. Si on rassemblait toutes les personnes qui ont été élues depuis 1972, y compris vous trois, nous pourrions remplir un stade de hockey de taille moyenne. J’utilise cette image comme contexte. Si l’on prenait tous les gens qui ont été élus en tant qu’indépendants [et non les gens qui ont été élus en tant que membres d’un parti, mais qui ont ensuite quitté le parti pour siéger en tant qu’indépendants ni ceux qui ont été exclus du groupe parlementaire et qui ont ensuite siégé en tant qu’indépendants], ils tiendraient dans une petite fourgonnette.

Pour être encore plus précis. Les gens qui se sont présentés pour la première fois comme indépendants et qui ont été élus en tant que tels [sans avoir été élus auparavant avec un parti], comme vous (Bobbi Ann Brady), pourraient s’asseoir sur le siège avant de cette camionnette. Vous êtes l’une des cinq personnes à l’avoir fait depuis 1972, pour autant que je sache. C’est un véritable exploit.

Vous apportez tous les trois des perspectives à la fois semblables et différentes. En espérant que nous puissions collectivement tirer des enseignements de vos histoires.

J’aimerais d’abord poser une question à laquelle on ne s’attendrait peut-être pas en commençant. Pourquoi les partis politiques sont-ils nécessaires et quand sont-ils utiles? Partons du principe que les partis politiques sont des entités terribles et maléfiques et qu’il faut s’en débarrasser. C’est plutôt qu’ils existent et qu’ils sont bien implantés… D’après votre expérience, qu’y a-t-il de bon dans les partis politiques?

Elizabeth Smith-McCrossin : Peut-être que nous pourrions laisser Scott commencer?… (rires)

Scott Sims : Je pense que c’est normal que vous m’interpelliez, car je n’ai jamais été indépendant; j’étais plutôt indépendant d’esprit. J’ai adhéré au parti libéral pour de nombreuses raisons de valeurs. En 2004, Paul Martin était le chef.

Le grand avantage du parti est que la machine qui vous entoure est facilement accessible une fois que vous êtes nommé. Ce que l’on peut dire, c’est que dans une certaine mesure, on est indépendant lorsqu’on cherche à obtenir l’investiture d’un parti en particulier. On est indépendant grâce aux ressources dont on dispose. On ne peut même pas utiliser le logo d’un parti si l’on se présente à l’investiture, et il est plutôt difficile de collecter des fonds.

Une fois que l’on a obtenu l’investiture, on bénéficie de la machine du parti, notamment la publicité. On doit toujours payer, mais à un tarif réduit, car tout est imprimé. On bénéficie de l’expérience de personnes qui ont déjà gagné. On bénéficie également de l’expérience de personnes qui ont déjà perdu, ce qui, à mon avis, est probablement plus important encore. Si vous voulez gagner, apprenez de ceux qui ont perdu.

Pour moi, la machine elle-même permet d’être plus efficace, surtout s’il s’agit d’une élection anticipée et que l’on n’a pas beaucoup d’expérience en matière de gestion des affaires publiques. Les gens m’approchaient souvent pour me parler parce qu’ils étaient des libéraux de longue date. Ils me disaient : « Vous devriez faire ceci » ou « Ne va pas à cette porte, va à celle-là » pour une raison ou une autre. Je demandais pourquoi, mais ils me répondaient que je perdrais mon temps. Un grand nombre de tâches sur le terrain sont automatiquement effectuées lorsqu’une personne est nommée. Pour moi, c’est probablement le plus grand avantage.

Si vous êtes une personne qui suit la ligne du parti, votre message devient également très facile. Vous n’avez pas besoin de faire beaucoup de devoirs. Il suffit de mémoriser des répliques. Je le dis à la blague et je le pense aussi de cette façon. Beaucoup de gens qui partent en campagne utilisent des textes préparés par quelqu’un qu’ils n’ont jamais rencontré. Ils passent en revue les questions en se basant sur les commentaires de personnes qui n’ont jamais voté, ni vécu, ni mis les pieds dans votre circonscription. C’est le genre de personne… (pause) même si je voulais voter libéral, je ne voterais pas pour cette personne. Mais les gens en profitent.

Pour moi, ce sont les principaux avantages d’être dans un parti.

AM : Bobbi Ann, vous avez passé du temps au Parlement. Vous avez vu les partis politiques en action. Quels sont les avantages des partis politiques dans notre système?

Bobbi Ann Brady : Je pense que pour l’électorat, c’est la clarté qui compte. Vous gravitez autour d’un parti qui soutient vos idéaux ou auquel vous vous identifiez le mieux. Cela crée un sentiment de clarté. Vous savez que quelqu’un vous transmet des messages tous les jours. Lorsque vous êtes concis et parlez à l’unisson avec vos collègues, le message est clair. Lorsque l’on s’écarte de cette clarté, par exemple un parti qui s’est présenté sous un programme, mais qui s’en écarte, le message pour le contribuable devient très obscur.

ESM : J’aimerais simplement ajouter qu’en apparence, les partis pourraient bien fonctionner, mais lorsqu’on examine les mécanismes réels de ce qui se passe à l’intérieur des partis, on constate qu’ils ont perdu de vue la démocratie. Ils ont perdu de vue la raison pour laquelle nous sommes là : servir. C’est difficile pour moi de trouver des points positifs, car l’expérience a été très difficile.

L’unification des valeurs communes est utile, mais le revers de la médaille, c’est qu’on peut être facilement catalogué. Si 20 personnes font partie d’un parti élu ensemble, il est impossible qu’elles partagent toutes exactement les mêmes [idées], et c’est injuste de les étiqueter ainsi. Si les partis fonctionnaient réellement de manière démocratique, je pense que ce serait plus positif. Mais il y a tellement de travail qui n’est pas démocratique. Par exemple, le personnel dit aux élus ce qu’ils peuvent ou ne peuvent pas dire. La plupart des gens seraient consternés d’apprendre cela, n’est-ce pas? Les gens nous disent alors : « Nous n’avons pas élu le personnel, nous vous avons élue, vous, pour être notre voix. Pourquoi vous empêchent-ils de parler en notre nom? »

En surface, les partis peuvent fonctionner. Mais ils se sont transformés en une chose qu’ils n’étaient pas censés devenir.

AM : Peut-être pourrions-nous utiliser cette transition pour parler de certains aspects troublants des partis politiques. Quelles sont les choses dont nous ne sommes pas conscients, ou dont nous n’avons qu’une conscience superficielle, et que nous devrions savoir?

BB : Je pense que la majorité des gens croient que leur représentant va au Parlement et les représente. Ils ne sont pas au courant de l’image de marque. Ils ne savent pas à quel point le message et le contrôle sont serrés. Ils ne savent pas que dans un caucus, dans une salle de réunion de caucus, il y a des collaborateurs qui disent aux élus de rester dans leur coin et de garder leurs opinions pour eux.

Supposons que je suis un joueur de hockey. Lorsque vous quittez la patinoire, la porte du vestiaire se referme, et vous avez une discussion avec votre équipe. C’est ainsi que l’on s’améliore. D’après ce que l’on m’a dit, c’est ainsi que fonctionnaient les caucus. Je n’ai jamais été dans une salle de caucus, mais c’est ce qu’on m’a dit pendant 23 ans en tant que collaborateur. Cela fonctionnait ainsi, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui.

J’ai le sentiment que l’amélioration de la situation n’intéresse pas ces régimes, ces partis. Ils ne veulent pas écouter la base. Ils ne veulent pas écouter leurs membres qui sont dans les cafés et sur le terrain quand ils ne sont pas à Queen’s Park. C’est un véritable problème.

ESM : Je me souviens de la toute première fois où cela m’est arrivé. J’étais porte-parole en matière de santé et j’avais réalisé ma première entrevue sur cette situation. J’ai été infirmière pendant longtemps, et le journaliste m’a posé une question. J’ai donné une réponse et j’ai dit que nous aurions pu améliorer la situation. Juste après l’entrevue, un membre du personnel m’a fait entrer dans le bureau et m’a dit : « Vous ne pouvez plus jamais faire ça ». J’ai répondu : « Que voulez-vous dire? » Il m’a répondu : « Vous avez seulement le droit de critiquer le gouvernement. Vous ne pouvez pas donner de solution au problème ». J’ai rétorqué que c’était ridicule. Ce n’est pas pour cela que j’ai été élue, simplement critiquer le gouvernement. À mon avis, les gens s’attendent à plus de leurs représentants élus.

C’était ma première expérience, mais elle s’est poursuivie à l’infini. Vous connaissez l’expression « c’est le monde à l’envers »? Voilà : le personnel politique a beaucoup de pouvoir parce que les députés élus lui en donnent. Mais si vous leur rappelez : « Non, ce n’est pas vous que les gens ont élu, c’est moi », alors vous vous engagez sur une route très cahoteuse, parce que vous ne suivez pas la ligne de conduite.

AM : Vous savez, nous vivons dans un monde où tout va très vite. Il se passe beaucoup de choses. Il est très important d’avoir du personnel constamment sur leur téléphone, pour tenir les élus informés, les orienter et les aider. Ce n’est pas pour rien que les membres du personnel sont si nombreux. Pourtant, les préoccupations que vous avez soulevées sont en fait assez courantes chez les élus. Scott, quel est votre point de vue sur le rôle du personnel politique?

SS : Je pense aux caucus et au fait qu’ils deviennent de plus en plus inutiles au fil du temps. Mais si l’on parle du personnel… Certains membres du personnel ont du pouvoir, en particulier dans le cabinet et certainement auprès du chef ou du premier ministre. Dans de nombreux cas, le caucus devient simplement une opération purement pour la forme, une grand-messe où nous nous réunissons tous et essayons d’être amis les uns avec les autres.

Cela remonte aux années 1980, lorsque les sondages ont commencé à prendre le dessus. Il fut un temps où le caucus informait le chef de ce qui se passait dans son coin. Dans les années 1980, les spécialistes des sondages sont apparus et ont commencé à gagner énormément d’argent en faisant leur travail, c’està-dire en disant aux dirigeants : « Ces membres du caucus disent cela, mais ce n’est pas tout à fait vrai. Voici les chiffres ».

J’ai entendu un jour un chef dire à un groupe parlementaire, au cours d’une réunion de trois heures sur un sujet très chaud : « N’oubliez pas qu’il y a des histoires, mais aussi des données ». J’ai rappelé au dirigeant : « Excusez-moi, mais derrière chaque donnée, il y a une histoire. Nous ne sommes pas des spécialistes des données. Sinon, nous serions inutiles, et la notion de représentant local n’existerait pas. Si vous ne comptez que sur les données, pourquoi auriez-vous besoin de nous? »

L’histoire doit être racontée parce que les politiques sont complexes et que les personnes qui sont touchées par les politiques sont aussi complexes. C’est là que le personnel peut apporter son aide. Il peut s’appuyer sur votre base de connaissances et la faire remonter jusqu’en haut. Si vous n’utilisez votre personnel que pour faire passer le message à vos propres électeurs, c’est qu’il n’est pas utilisé à bon escient. Les dirigeants aimeraient que tous les membres de leur groupe parlementaire soient des messagers. Quel monde fabuleux ce serait pour eux! Mais vous ne vous rendez pas service et vous ne rendez pas service au pays. Car si vous vous trompez, vous devez revenir sur une mauvaise décision.

AM : Scott, vous avez brièvement abordé les caucus. Pouvez-vous nous décrire ce qu’est un caucus national lorsqu’il y a plus de 100 députés de tout le pays dans la salle? Ensuite, Elizabeth et Bobbi Ann pourront peut-être expliquer ce qui s’est passé en Nouvelle-Écosse ou en Ontario, car les caucus ne sont pas aussi imposants qu’à Ottawa. J’aimerais comparer les deux.

SS : J’étais un libéral, ce qui signifie que j’étais dans un grand parti « attrape-tout ». En 2004, je me suis retrouvé dans une salle où une personne qui pense que le mariage n’appartient qu’aux couples hétérosexuels est assise à côté d’une autre qui pense que le mariage devrait être ouvert à tous. Et puis une autre pense qu’il ne faut rien dépenser pour la défense militaire, alors que la personne suivante croit plutôt qu’il faut l’augmenter de 25 à 50 %.

C’est là que ça devient intéressant. Lorsqu’il y a des avis divergents au sein du caucus, cela sert mieux le pays. Mais, bien souvent, nous nous moquions des gens qui prenaient le micro et disaient des choses merveilleuses sur notre travail. C’est une audition pour le cabinet.

Certaines personnes auditionnent pour le cabinet. D’autres parlent de leurs problèmes. Certaines sont prêtes à défendre leurs amis. Mais nous devenons amis au bout d’un certain temps. C’est l’une des raisons pour lesquelles il est difficile de voter contre le parti. Tout le monde pense qu’il s’agit uniquement de discipline, mais c’est que lorsqu’on fait un pas de côté, on met aussi la personne assise à côté de toi, ton ami, dans le pétrin.

Le caucus peut être une dynamique fantastique, mais il peut aussi être inutile. Il suffit de peu pour passer de l’un à l’autre.

ESM : J’ai fait partie d’un caucus pendant quatre ans. Il y a eu des points positifs et des défis à relever. Je pense que l’une des dynamiques particulières de mon expérience personnelle est que je me suis lancée dans une course à la direction six mois après avoir été élue pour mon premier mandat. C’était peut-être un peu fou, mais avec le recul, je n’ai aucun regret. Mais la dynamique qui se produit dans un caucus lors d’une course à la direction peut être très malsaine. En tout cas, c’est l’expérience que j’ai eue. Il y a des groupes, des clans, un réel manque de confiance et pas de véritable équipe. Il n’y avait plus de travail d’équipe ou de camaraderie lorsqu’il s’agissait de prendre des décisions.

La Nouvelle-Écosse est une petite province; cependant, les besoins des habitants de Cap-Breton sont très différents de ceux des habitants du comté de Cumberland, et très différents de ceux des habitants de Yarmouth. Le travail d’équipe permet de s’assurer que toutes les questions et préoccupations de tous les membres du groupe parlementaire sont portées à la législature.

Malheureusement, ce n’était pas toujours le cas. L’une des principales raisons qui m’ont poussée à quitter le parti est la fermeture de la frontière entre la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick pendant la pandémie. Nous avons une ville frontalière et, littéralement, 50 % des personnes qui travaillaient dans notre hôpital vivaient à côté, au Nouveau-Brunswick, et 50 % des personnes de notre côté travaillaient au Nouveau-Brunswick. Ce fut environ 17 mois de perturbation totale.

Les décisions prises par le gouvernement n’ont jamais tenu compte de l’effet sur les habitants de ma région. Cela a finalement conduit à mon départ du parti. Mais avant cela, j’ai écrit quatre lettres de démission différentes sur une période d’environ deux ans parce qu’il était tellement frustrant pour moi de savoir que les besoins des personnes que je représentais n’étaient pas satisfaits.

AM : Bobbi Ann et Elizabeth, vous êtes toutes deux indépendantes, et on peut dire que vous formez un caucus en soi. En Ontario, il y a d’autres députés indépendants, mais ils sont très différents de vous parce qu’ils n’ont pas été élus en tant qu’indépendants.

BB : Je suis heureuse que vous le reconnaissiez. (Tous rient)

AM : Qu’est-ce que c’est que d’être un caucus d’une seule personne?

BB : Il y a des défis à relever, mais je dirais que les avantages l’emportent largement sur les difficultés. La principale difficulté réside dans le fait que vous n’avez pas de personnel de soutien sur lequel vous appuyer. J’ai travaillé pendant 23 ans pour un député progressiste-conservateur, et nous avons accompli beaucoup de travail. Lorsque mon collègue est entré à l’Assemblée législative, il s’est vu remettre des documents provenant du bureau d’un ministre ou du chef. Il n’y avait pas de libre pensée. Il n’y avait aucune touche personnelle dans ce qu’il présentait au Parlement.

En tant qu’indépendante, je n’ai pas de chefs de parti qui me disent ce que je peux ou ne peux pas dire ou ce pour quoi je peux voter. Les habitants de Haldimand-Norfolk me disent ou me guident dans la manière dont je me conduis à Queen’s Park. C’est très libérateur pour quelqu’un qui a été dans le système des partis pendant plus de 23 ans et qui a été présidente de l’association locale du PC pendant 20 ans.

Certains journalistes me demandent : « Vous sentez-vous seule? » Je comprends le contexte de la question, mais je ne suis pas seule. J’ai une armée de gens dans Haldimand-Norfolk qui me soutiennent de cette façon. Ils ont vu dans ce qui s’est passé à Haldimand-Norfolk une gifle à la démocratie. Ils ont été à la hauteur de la situation. Ils se sont rendus aux urnes et ont fait quelque chose qu’on leur avait toujours dit de ne jamais faire. Nous sommes différents dans Haldimand-Norfolk, et j’aime les représenter d’une manière très différente. Je ne suis pas une politicienne comme les autres.

L’une des choses dont nous n’avons pas parlé jusqu’à présent est que le parti vous prive de votre capacité à être une personne, à être unique, à être dynamique, à être intéressant. Ils veulent que nous soyons le plus ennuyeux possible. (Tous rient) Je ne pense pas être ennuyeuse, et mes électeurs ne le pensent pas non plus. C’est une bonne chose. Je pense que c’est ce que j’aime le plus : ma créativité et ma personnalité ne sont pas étouffées par une marque.

ESM : J’aime aussi être indépendante. Lorsqu’on est indépendant, votre équipe est votre peuple : ce sont les personnes que vous représentez. Dans mon cas, les habitants de Cumberland North constituent mon équipe. Il n’y a plus de conflit quant à l’équipe à laquelle j’appartiens. Si vous êtes dans un parti, on attend de vous que vous fassiez partie de l’équipe. Trop souvent, cette équipe ne représente pas les personnes qui vous ont élu.

Je suis en mesure de me rendre à l’Assemblée, de présenter des projets de loi et des textes législatifs et lors de la période des questions, de poser celles qui intéressent réellement les personnes que je représente. Depuis que je suis devenue indépendante en 2021, j’ai déposé 54 projets de loi. Environ deux tiers d’entre eux concernent les soins de santé, car c’est mon principal centre d’intérêt, mais beaucoup d’entre eux portent également sur l’accessibilité financière, les questions financières et fiscales qui sont importantes non seulement pour Cumberland North, mais aussi pour l’ensemble des NéoÉcossais.

Beaucoup d’autres députés m’ont pris à part en privé et m’ont dit : « Nous t’envions. Nous aimerions être indépendants comme toi ». Je leur réponds : « Vous pouvez. Ne laissez personne vous convaincre qu’il s’agit d’une faiblesse. C’est en fait très valorisant pour les personnes que vous représentez et pour la démocratie ».

SS : C’est très bien. C’est le fondement de notre travail.

AM : Scott, vous avez fait partie d’un parti politique, d’une marque, pendant une longue période. Comment réagissez-vous à cela? Sur votre capacité à être vous-même en tant que membre d’un parti?

SS : Oh, c’est exaspérant! Vous avez parlé des avantages du parti. L’avantage d’être indépendant, c’est que lorsqu’un micro arrive (il fait un geste vers lui), c’est « Allons-y! » J’en suis arrivé là plus tard, car je n’avais pas l’ambition de devenir ministre. Je ne voulais rien faire de tout cela, je voulais juste représenter ma circonscription. J’ai pu obtenir plusieurs choses. J’ai été nommé dans des commissions, ce qui m’a permis de faire certaines choses et de voyager en Europe. Je n’aurais pas eu cela en tant qu’indépendant.

Mais, au cœur d’une démocratie qui fonctionne… Je veux dire que c’est là le problème. Certains qui approchent les politiciens et leur disent qu’ils aimeraient être plus indépendants, comme eux. Un de mes bons amis, Nathaniel Erskin-Smith, est très partisan, très libéral. Mais il fait aussi ce qu’il veut lorsqu’il parle de certains projets de loi. Les chefs disent toujours : « Je vais donner plus de pouvoir aux députés de l’arrière-ban ». C’est faux! Ils ne peuvent pas. Ils veulent le faire, mais ils ne peuvent pas. Je me fiche de savoir qui est le chef. Pour que les députés de l’arrière-ban aient le pouvoir de se retrouver dans une situation semblable à celle dont Elizabeth a parlé, il faut qu’ils le prennent eux-mêmes. Si jamais vous devez subir des sanctions, quelles qu’elles soient, si vous devez être mis à l’écart par vos collègues… et alors? Personne dans le caucus ne peut voter pour vous. Tout le monde semble l’oublier.

Je dis toujours que les personnes qui ne servent pas bien la conversation lorsqu’il s’agit de renforcer un parti sont les mêmes que les personnes qui devraient être à l’écoute lors d’une réunion du caucus : les membres du cabinet et ceux qui veulent rejoindre le cabinet. Ces personnes ont des ambitions. Cela dépend de ce que vous voulez faire. Si un député d’arrière-ban veut être un député d’arrière-ban, qu’il le soit!

ESM : En tant qu’êtres humains, nous voulons tous être aimés. Nous voulons tous être inclus. Mais je pense que parfois, quand on est en politique, on ne peut pas facilement oublier pourquoi on est là. Vous êtes là pour représenter les gens de chez vous et si vous tâchez de toujours vous en souvenir, vous prendrez toujours les bonnes décisions.

Puis-je vous raconter une petite histoire? L’été dernier, le premier ministre a convoqué une session d’urgence pour traiter d’une augmentation potentielle qu’il ne souhaitait pas pour les députés provinciaux. Le leader de l’Assemblée est venu me voir, ainsi que les autres chefs de l’opposition, et m’a dit : « Nous voulons faire passer ce projet de loi sans passer par la commission plénière et la troisième lecture. Nous voulons tout faire en un jour. Mais nous avons besoin d’un consentement unanime ». Les deux autres chefs des partis d’opposition ont répondu par l’affirmative. Je lui ai dit : « Tu sais, tu pourrais faire quelque chose pour moi. Je suis un peu inquiète parce que la rénovation de la salle d’urgence de notre hôpital régional a été annoncée par le premier ministre précédent et j’aimerais que le gouvernement m’assure par écrit qu’elle ne sera pas retardée ». Le chef a dit oui, il est revenu me voir une heure plus tard et m’a dit : « Le ministre de la Santé m’a assuré que tout était sur la bonne voie ». J’ai répondu : « Génial! Pouvez-vous me le confirmer par écrit? » Il m’a dit : « Non, nous ne pouvons pas faire ça ». J’ai donc dit : « D’accord, je ne peux pas donner mon consentement unanime. Si c’est vrai, il n’y a aucune raison pour que vous ne me le confirmiez pas par écrit. C’est quelque chose de très important pour la région ».

Le vote a eu lieu et sur 55 personnes, j’ai été la seule à dire non. Ils étaient furieux contre moi parce que cela signifiait que nous devions revenir après un long week-end. Mais j’ai dit : « Écoutez, je ne suis pas là pour vous rendre tous heureux. Je vous aime bien, mais je suis ici pour représenter les habitants de Cumberland North ». Le lendemain de notre départ, ils ont publié un communiqué de presse indiquant que les travaux d’agrandissement d’urgence se déroulaient comme prévu et dans les délais impartis. J’ai donc obtenu ce que je voulais. Ils voulaient s’assurer que tout le monde savait que le projet était en bonne voie. J’insiste sur ce point parce qu’il est très facile d’oublier dans quelle équipe nous sommes et pourquoi nous sommes là.

BB : Je pense que lorsque je suis allée à Queen’s Park, les libéraux et les néo-démocrates me surveillaient de près parce qu’ils pensaient que je serais une marionnette pour Doug Ford. J’ai été une collaboratrice conservatrice pendant 23 ans, alors c’est ce à quoi ils s’attendaient. Alors quand j’ai participé à la période des questions pour la première fois et que j’ai posé une question très dure, je pense que cela m’a permis de gagner le respect. Parfois, je me lève et je vote avec les conservateurs, et les libéraux qui sont à côté de moi me chahutent un peu de manière amusante. Mais je pense qu’il y a un respect mutuel. Personne ne m’en veut lorsque je vote d’une manière ou d’une autre. Même les conservateurs se contentent de baisser la tête et de dire « Oups »… Mais je ne pense pas que quiconque en tienne vraiment compte, à l’exception peut-être du bureau du chef.

AM : Scott, quand avez-vous réussi à obtenir des résultats pour vos électeurs en tant que simple député d’arrière-ban d’un parti politique?

SS : J’y travaille encore. (Tous rient) Je plaisante. Nous oublions parfois que ce travail se déroule parfois à une microéchelle, par opposition aux grandes questions actuelles, ce qui est très gratifiant. Une fois, j’ai évité à une famille d’être séparée. Un homme a rencontré sa femme aux États-Unis – elle est de nationalité mexicaine. Il y a eu des problèmes avec l’immigration. Elle avait un enfant au Canada, et elle et son fils aîné étaient expulsés du Canada vers le Mexique, tandis que son mari et son plus jeune enfant devaient rester. Nous avons travaillé jusqu’à ce que nous puissions obtenir du cabinet du ministre qu’il fasse quelque chose pour les garder unis.

C’est le genre de chose qui ne fait jamais la une des journaux, mais qui est très gratifiant.

Je n’oublierai jamais cette fois où il y a eu un déversement de pétrole dans ma circonscription et où j’ai appelé le cabinet du ministre. Chaque ministre a des collaborateurs qui travaillent sur l’aspect politique du travail et sur l’aspect bureaucratique. Lorsque j’ai appelé et que j’ai dit : « Je suis aux prises avec une marée noire et j’ai besoin de parler à quelqu’un de ce qui se passe ». Ils ont répondu : « Oh, nous vous donnerons les lignes de communication à utiliser ». Les lignes! Que vais-je dire? En tant que gouvernement, nous espérons que tout cela soit nettoyé et que la classe moyenne tienne bon! Je veux juste des informations. Ces personnes veulent savoir qui va venir nettoyer.

Voilà un excellent exemple du rôle de messager. Je trouve que les personnes très partisanes adoptent cette attitude. J’ai rencontré ces personnes alors qu’elles ne faisaient plus de politique, et elles sont en colère contre bien des choses. Elles sont en colère parce qu’elles ont permis que cela se produise. En exerçant votre petit pouvoir, vous pouvez faire de grandes choses. Il suffit d’effectuer des recherches et d’être patient.

BB : Je reviens sur ce point. Un membre du gouvernement m’a dit une fois : « Ce n’est pas ma faute. C’est la faute de la bureaucratie ». À qui la faute, en fait? C’est à vous de diriger la bureaucratie. Les messagers s’appuient trop sur cela, sur le fait que « ce n’est pas leur faute ». Les électeurs ne veulent pas entendre cela.

Top